AFFAIRE : N° RG 20/02940
N° Portalis DBVC-V-B7E-GU5I
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 24 Novembre 2020 - RG n° 18/00318
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 23 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [F] [Z]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Sophie LECELLIER, avocat au barreau de CAEN
INTIMEES :
S.N.C. [6]
[Adresse 4]
Représentées par Me Brigitte BEAUMONT, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Brigitte JUSSEAUME, avocat au barreau de CAEN
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Mme DESLANDES, mandatée
DEBATS : A l'audience publique du 19 janvier 2023, tenue par Monsieur LE BOURVELLEC, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de Monsieur GANGE, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GUIBERT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 23 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [F] [Z] d'un jugement rendu le 24 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à la société [6] en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
FAITS et PROCEDURE
Mme [Z] a été embauchée par la société [6] (la société) dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 28 septembre 2003.
Le 18 mars 2013, Mme [Z] a établi une déclaration de maladie professionnelle au titre d'une 'PSH droite tableau 57 A épaule'.
Le certificat médical initial du 7 mars 2013 mentionne les constatations suivantes : 'PSH droite coiffe (mot illisible) épaule DT tableau 57 A (suite illisible)'.
Par décision du 7 août 2013, la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse) a pris en charge au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par Mme [Z] qualifiée comme suit :
'Coiffe des rotateurs : rupture partielle et transfixiante objectivée par IRM droite inscrite au tableau n° 57 : affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail'.
L'état de santé de Mme [Z] a été déclaré consolidé à compter du 14 octobre 2015 avec un taux d'incapacité permanente partielle de 18 %.
Par courrier du 23 janvier 2018, à la suite du certificat d'aggravation du 23 octobre 2017, son taux d'incapacité a été porté à 31 %.
Mme [Z] a formé une demande auprès de la caisse aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados le 25 avril 2018 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Selon jugement du 24 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Caen, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a :
- débouté Mme [Z] de ses demandes
- débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné Mme [Z] en tant que de besoin aux dépens.
Mme [Z] a formé appel de ce jugement par déclaration du 24 décembre 2020.
Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 4 janvier 2023 soutenues oralement à l'audience, Mme [Z] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* débouté Mme [Z] de ses demandes
* débouté Mme [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* condamné Mme [Z] en tant que de besoin aux dépens
statuant à nouveau,
- dire que Mme [Z] est recevable et bien fondée en son action
- dire que la maladie professionnelle de Mme [Z] est due à la faute inexcusable de la société
- ordonner la majoration de la rente de Mme [Z] à son maximum
- avant dire-droit, ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices (déficit fonctionnel temporaire, préjudice esthétique temporaire/définitif, souffrances endurées, préjudice d'agrément, perte ou diminution de ses possibilités de promotion professionnelle)
- condamner la société à lui payer à titre provisionnel la somme de 5000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice
en tout état de cause,
- condamner la société à lui régler 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- mettre les dépens à la charge de la société
- déclarer l'arrêt opposable à la caisse
- débouter la société de ses demandes reconventionnelles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant conclusions reçues au greffe le 13 janvier 2023 et soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement
en conséquence,
- déclarer que la société n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle déclarée le 18 mars 2013
en conséquence,
- débouter Mme [Z] de ses demandes
- la condamner aux dépens
à titre subsidiaire,
- limiter la mission de l'expert aux postes suivants : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice d'agrément
- débouter Mme [Z] de sa demande de provision
en tout état de cause,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire afin qu'il se prononce sur la liquidation des préjudices de Mme [Z]
- débouter Mme [Z] de sa demande au titre des frais irrépétibles, et subsidiairement la réduire
- mettre à la charge de la caisse les frais d'expertise
- débouter Mme [Z] et en tant que de besoin, toute autre partie, du surplus de ses demandes.
Aux termes de conclusions reçues au greffe le 14 décembre 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable,
si la faute inexcusable est reconnue,
- dire que la caisse pourra dans l'exercice de son action récursoire recouvrer auprès de la société dont la faute inexcusable aura été reconnue ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extra patrimoniaux et provision).
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
La société ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie déclarée par Mme [Z] le 18 mars 2013.
Elle conteste en revanche l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de cette maladie.
I / Sur la faute inexcusable
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient au salarié de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et démontrer qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.
En l'espèce, le 18 mars 2013, Mme [Z] a établi une déclaration de maladie professionnelle au titre d'une 'PSH droite tableau 57 A épaule'.
Le certificat médical initial du 7 mars 2013 mentionne les constatations suivantes : 'PSH droite coiffe (mot illisible) épaule DT tableau 57 A (suite illisible)'.
Par décision du 7 août 2013, la caisse a pris en charge au titre de la législation professionnelle, la maladie déclarée par Mme [Z] qualifiée comme suit :
'Coiffe des rotateurs : rupture partielle et transfixiante objectivée par IRM droite inscrite au tableau n° 57 : affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail'.
Mme [Z] prétend que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée et qu'elle n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.
Pour en justifier, elle rappelle qu'elle occupait le poste de chef caissière et affirme qu'à ce titre, elle devait remplacer les caissières en pause ou en cas de besoin, gérer les tâches des caissières, pointer et contrôler les commandes, ranger les factures, pointer et contrôler les caisses avec la caissière, décharger les camions lors des livraisons, mettre en rayon et trier les fruits et légumes, mettre en rayon des produits non alimentaires (notamment outillages, appareils ménagers) et assurer la bonne tenue du magasin.
Elle ajoute qu'elle travaillait du lundi au samedi, soit le matin, soit l'après-midi, soit en journée complète, selon un planning établi une semaine à l'avance, qu'elle devait respecter les cadences imposées pour que toutes les palettes réceptionnées soient mises en magasin en moins de 30 minutes pour les produits frais et enfin, qu'elle devait scanner 45 articles par minute lors des tâches en caisse.
Elle conclut ainsi que ces 'gestes physiques, répétitifs et soumis à une cadence déraisonnable' ont entraîné une dégradation de son état de santé et qu'en 'raison des quantités à décharger et des cadences imposées', la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée.
Mme [Z] indique par ailleurs que le matériel mis à disposition n'était pas adapté (gerbeur insuffisamment puissant l'obligeant à descendre les palettes à la force des bras et absence de matériel adapté pour les palettes stockées sur les racks dans la réserve).
Elle invoque une formation insuffisante sur l'utilisation du matériel, la prévention des risques, ou les postures à adopter.
Enfin, elle affirme qu'elle n'a pas eu de visites médicales entre juillet 2010 et janvier 2014.
La société conteste à la fois la conscience du risque ainsi que l'absence de mesures prises pour préserver la salariée, rappelant que la charge de la preuve des conditions de la faute inexcusable incombe à Mme [Z].
Tout d'abord, il résulte des différents contrats de travail et avenants versés aux débats que Mme [Z] a exercé les fonctions suivantes :
- du 3 février au 28 septembre 2003: les fonctions de 'caissière employée libre service' à temps partiel
- du 28 septembre 2003 au 1er décembre 2007 : les fonctions de 'caissière employée libre service' pour une durée de travail mensuel de 112,68 heures
- du 1er décembre 2007 au 30 mai 2011 : les fonctions de 'chef caissière' pour une durée de travail mensuelle de 134,35 heures
- à compter du 30 mai 2011 : les fonctions de 'chef caissière' pour une durée de travail mensuelle de 136,52 heures.
En outre, aux termes de plusieurs avenants temporaires, Mme [Z] a été amenée à exercer les fonctions de 'chef de magasin' pendant les périodes suivantes : du 21 au 27 juillet 2008, du 29 décembre 2008 au 30 janvier 2009, du 20 au 25 avril 2009; du 14 au 19 juin 2010; du 30 août 2010 au 11 septembre 2010,du 3 au 8 janvier 2011, du 11 au 16 avril 2011, du 4 au 7 juillet 2011, du 2 au 7 juillet 2012.
Pendant ces courtes périodes allant de quelques jours à un mois, la durée de travail de Mme [Z] était fixée à 39 ou 42 heures par semaine.
Aux termes des contrats et avenants produits, les fonctions de 'caissière employée libre service' et de 'chef caissière' consistent à accomplir dans le magasin où Mme [Z] était affectée, 'toutes les tâches relatives à la vente, au travail en caisse, au réapprovisionnement du magasin ainsi qu'à l'entretien du point de vente et de ses annexes'.
Il est précisé que 'l'ensemble de ces tâches est énuméré dans le descriptif de poste ci-joint'.
Toutefois, les descriptifs de poste ne sont pas produits par Mme [Z].
Les contrats et avenants permettent uniquement de retenir qu'elle devait accomplir 'toutes les tâches relatives à la vente, au travail en caisse, au réapprovisionnement du magasin ainsi qu'à l'entretien du point de vente et de ses annexes'.
L'emploi de Mme [Z] était donc un emploi polyvalent, l'amenant à accomplir des tâches distinctes ne comportant pas les mêmes gestes ou l'adoption des mêmes postures.
Pour démontrer qu'elle accomplissait des tâches répétitives à une cadence excessive Mme [Z] se réfère à ses propres déclarations faites lors de l'enquête de la caisse ainsi qu'à trois attestations.
Tout d'abord, nulle partie ne peut se constituer de preuve à elle-même de telle sorte que les déclarations faites par Mme [Z] au cours de l'enquête de la caisse sont insuffisantes pour établir les faits allégués.
Ensuite, les trois témoignages émanent d'anciens salariés de la société [6]. Ils font notamment état de conditions de travail 'au-delà du raisonnable' et 'très soutenues et incompatibles avec la charge des tâches journalières à effectuer'.
Toutefois, il s'agit de considérations relatives à leurs propres conditions de travail. En effet, aucun des témoins n'affirme avoir été collègue de Mme [Z] et avoir constaté ses conditions de travail. En outre, on relèvera que deux des trois témoins sont la soeur et la fille de Mme [Z].
Ces témoignages ne permettent donc pas d'établir les conditions de travail de Mme [Z].
Le communiqué de presse de la société [6], suite à l'émission Cash Investigation du 26 septembre 2017 auquel Mme [Z] se réfère, ne comporte que des considérations générales sur les conditions de travail des salariés de cette société.
Ce document ne permet pas non plus d'établir les conditions dans lesquelles Mme [Z] était amenée à accomplir les multiples tâches qui lui ont été confiées.
De son côté, la société rappelle, sans être contredite sur ce point, que le médecin du travail n'a pas relevé 'd'anomalie' sur le poste de travail de Mme [Z] ou sur ses conditions de travail, indiquant qu'il a toujours déclaré sa salariée apte à son poste notamment en 2005, 2008 et 2010.
La société ajoute que Mme [Z] a elle-même rappelé lors de l'enquête de la caisse qu'elle disposait de matériels mis à sa disposition pour décharger le camion tels qu'un gerbeur et un transpalette.
Elle ne produit aucune pièce démontrant que les matériels mis à disposition étaient insuffisants ou inadaptés, ou qu'elle n'avait pas été suffisamment formée pour les utiliser.
Enfin, le fait que la société n'a pas déféré à la sommation de communiquer le document unique d'évaluation des risques professionnels en vigueur en 2013 ne suffit pas à établir que la société avait conscience du risque auquel était exposée Mme [Z].
Compte tenu de ces observations dont il résulte que Mme [Z] ne rapporte pas la preuve que la société avait conscience ou aurait dû avoir conscience du risque auquel elle était exposée et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, elle sera déboutée de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Z] de ses demandes relatives à la faute inexcusable de la société.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Confirmé sur le principal, le jugement sera aussi confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
Succombant en cause d'appel, Mme [Z] sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré;
Y ajoutant,
Condamne Mme [Z] aux dépens d'appel;
Déboute Mme [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX