AFFAIRE : N° RG 22/00834
N° Portalis DBVC-V-B7G-G6VS
ARRET N°
EF
ORIGINE : Décision du TJ hors jaf, jex, jld, j. expro, jcp de Caen du 22 mars 2022
RG n° 21/01926
COUR D'APPEL DE CAEN
TROISIEME CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 16 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [D], [R], [Y] [K] épouse [N]
née le 03 Décembre 1976 à [Localité 1]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée et assistée de Me Sabrina SIMAO, avocat au barreau de CAEN
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/002637 du 28/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
INTIME :
Monsieur [V] [N]
né le 14 Mai 1983 à [Localité 4] (ALGÉRIE)
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté et assisté de Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN
PARTIE JOINTE :
Vu la communication de la procédure au Ministère Public en vertu des articles 424 et suivants du code de procédure civile qui a fait connaître son avis le 12 septembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme LEON, Présidente de chambre,
Mme DE CROUZET, Conseiller,
Madame LOUGUET, Conseiller,
DEBATS : A l'audience collégiale du 26 janvier 2023 prise en chambre du conseil
en présence de [J] [S], étudiante stagiaire
GREFFIERE : Mme FLEURY
ARRET prononcé publiquement contradictoirement par mise à disposition le 16 mars 2023 et signé par Mme LEON, président, et Mme FLEURY, greffier
Mme [D] [K] et M. [V] [N] se sont mariés le 24 juin 2017 devant l'officier d'Etat civil de [Localité 1] (14) sans contrat de mariage préalable.
Par acte d'huissier en date du 25 mai 2021, Mme [K] a fait assigner M. [N] devant le tribunal judiciaire de CAEN aux fins de voir prononcer la nullité du mariage célébré le 24 juin 2017 entre les parties.
Par jugement du 22 mars 2022, le tribunal judiciaire de Caen, après s'être déclaré compétent et avoir déclaré la demande d'annulation de mariage recevable, a rejeté la demande d'annulation de mariage formée par Mme [K] ainsi que sa demande de dommages-intérêts et l'a condamnée à régler à M. [N] la somme de 1.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Par déclaration du 5 avril 2022, Mme [K] a interjeté appel de ce jugement critiquant ses dispositions par lesquelles il a rejeté ses demandes d'annulation de mariage et de dommages et intérêts et l'a condamnée à régler à M. [N] la somme de 1.600 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.
M. [N] a constitué avocat devant la cour le 17 juin 2022.
Par avis du 9 septembre 2022 communiqué aux parties le 13 septembre 2022, le Procureur Général près la Cour d'appel de Caen auquel le dossier a été régulièrement communiqué a indiqué qu'il requérait la confirmation du jugement en considération des motifs pertinents adoptés par le premier juge.
Par ses dernières écritures déposées le 21 juin 2022, Mme [K], appelante au principal, conclut en ces termes :
- Confirmer le Jugement rendu en ce qu'il a déclaré recevable sa demande,
- Infirmer le Jugement rendu en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'annulation de mariage, de sa demande de dommages et intérêts et en ce qu'il l'a condamnée à régler à M. [N] la somme de 1.600 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
En conséquence,
- Juger bien fondée sa demande d'annulation de mariage,
- Prononcer la nullité du mariage célébré le 24 juin 2017 entre elle et M. [N].
- Ordonner la transcription du Jugement à intervenir sur leurs actes d'état civil;
- Condamner M. [N] à verser à Mme [K] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts par application des dispositions de l'article 1240 du Code Civil.
- Débouter M. [N] de toute demande formulée à son encontre,
- Débouter M. [N] de toute demande formée au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner M. [N] au paiement des entiers dépens.
Par ses dernières écritures déposées le 2 septembre 2022, M. [N], intimé conclut en ces termes :
- Déclarer Mme [K] mal-fondée en son appel,
- Confirmer le jugement rendu le 22 mars 2022 par le Juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Caen en toutes ses dispositions,
- Condamner Mme [K] à lui régler la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023 avant l'ouverture des débats à l'audience collégiale du 26 janvier 2023.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'étendue de la saisine de la cour:
Aux termes de la déclaration d'appel et des dernières conclusions des parties, l'appel porte sur l'annulation du mariage, les dommages et intérêts, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
A titre liminaire sur la compétence du juge français et sur la loi applicable :
Mme [K] rappelle que la juridiction française est compétente pour statuer sur l'annulation du mariage célébré en France entre un époux algérien et une épouse française. Elle énonce qu'en application de l'article 3 du règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, la juridiction française est compétente pour statuer sur l'annulation du mariage des parties dès lors qu'elles ont l'une et l'autre leur résidence sur le territoire français.
S'agissant de la loi applicable, elle expose que par application de la règle tirée de l'alinéa 3 de l'article 3 du Code Civil, les conditions de validité au fond du mariage sont déterminées par la loi personnelle des époux et affirme qu'il convient ainsi d'apprécier la validité de l'union selon la loi française pour elle et selon la loi algérienne pour M. [N] auquel elle reproche de ne pas avoir eu d'intention matrimoniale.
Ainsi que retenu par le premier juge et non contesté dans le cadre de l'appel, en application des dispositions du réglement CE du 27 novembre 2003 et de la résidence des époux en France, le juge français est compétent pour connaître de la demande en annulation du mariage.
Aux termes des dispositions de l'article 202-1 du code civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.
Il en résulte que, lorsque la demande en nullité du mariage est fondée sur le défaut d'intention matrimoniale au sens de l'article 146 du code civil, la loi française sera toujours applicable, quelle que soit la nationalité des époux.
Sur la demande d'annulation du mariage :
Mme [K] soutient au visa de l'article 146 du Code Civil en vertu duquel il n'y a point de mariage sans consentement, qu'elle n'a pas donné librement son consentement à son union compte tenu de l'erreur qu'elle a subie sur les intentions véritables de son époux. Elle expose qu'en application du droit algérien, la validité du mariage est également subordonnée à l'existence du consentement au mariage alors que M. [N] lors de leur union, n'était animé d'aucune intention matrimoniale, recherchant exclusivement l'un des effets secondaires du mariage, à savoir l'obtention d'un titre de séjour. Elle rappelle qu'il est de jurisprudence constante que le mariage contracté dans l'unique but d'obtenir un titre de séjour sur le territoire français est nul pour défaut de consentement et que la Cour de cassation a déjà pu décider dans une affaire similaire que le changement d'attitude de l'épouse dès l'obtention du titre de séjour démontrait que le but poursuivi par elle était, de manière exclusive, étranger à la finalité du mariage (Civ. 1, du 6 juillet 2000, 98-10.462). Elle affirme rapporter la preuve de cette absence d'intention matrimoniale en communiquant de nombreuses attestations de personnes confirmant que l'attitude de son époux a radicalement changé lorsqu'il s'est vu octroyer une carte de résident pour 10 années, devenant distant, absent et fuyant. Elle ajoute, que ce dernier s'est montré infidèle et a eu des gestes à caractère sexuel envers certaines de ses amies qui en attestent, qu'il a quitté le domicile conjugal le 4 janvier 2020 pour aller vivre chez son cousin et qu'il s'est montré violent envers elle ainsi qu'en témoigne la plainte pour agression sexuelle qu'elle a déposée à son encontre. Elle observe que M. [N] n'apporte aucune preuve contraire précisant que les photographies qu'il communique sont antérieures à l'obtention de son titre de séjour, qu'il n'a obtenu son CDI qu'après la délivrance de ses papiers, qu'il ne peut prétendre qu'il espérait construire une famille avec elle alors qu'elle était âgée de 40 ans lors de leur mariage et qu'elle n'a jamais eu de problèmes d'alcool la rendant violente.
M. [N] rétorque que Mme [K], sur qui pèse la charge de la preuve, est défaillante à démontrer qu'il aurait vicié son consentement. Il relève que l'allégation selon laquelle il n'aurait jamais eu l'intention de s'unir durablement à elle et que son comportement aurait changé après avoir obtenu une carte de résident sur le territoire français pour 10 ans n'est pas démontrée et fallacieuse. Il énonce que les attestations sur lesquelles Mme [K] se fonde sont de pure complaisance et ne font état que d'éléments subjectifs, qui ne permettent pas d'apporter la preuve de son absence d'intention matrimoniale au jour de la célébration du mariage. Il rappelle qu'il travaillait de nuit à l'époque ce qui explique qu'il n'était pas alors à leur domicile et qu'il se reposait en journée. Il constate que l'arrêt de la Cour de la cassation du 6 juillet 2000 visé par l'appelante n'est pas transposable en l'espèce, les faits étant très différents. Il souligne qu'il n'a quitté le logement conjugal que le 4 janvier 2020, soit plus d'un an après l'obtention de ses papiers, après une énième dispute avec son épouse qui était alcoolisée et insultante. Il dément l'infidélité et les faits d'agressions que celle-ci lui reproche, précisant qu'en tout état de cause de telles circonstances ne suffisent pas à démontrer que l'époux n'aurait pas eu d'intention matrimoniale au jour de la célébration du mariage. Il affirme que souhaitant s'unir durablement à Mme [K], son intention au jour du mariage était sincère et matrimoniale, que les nombreuses photographies versées aux débats attestent de ses sentiments amoureux envers son épouse et qu'à défaut, il ne l'aurait pas emmenée à trois reprises en Algérie pour lui présenter sa famille et, surtout, n'y serait pas retourné avec elle après avoir obtenu sa carte de séjour. Il énonce que si leur couple est aujourd'hui séparé, c'est simplement parce qu'il ne s'entend plus.
Selon l'article 146 du code civil qu'il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.
L'article 180 du code civil dispose notamment que le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public.
L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité de mariage.
S'il y a erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre peut demander la nullité du mariage.
L'article 184 du code civil prévoit que le défaut de consentement est sanctionné par la nullité du mariage, dont l'action est ouverte aux époux eux-mêmes, à tous ceux qui y ont un intérêt ou au ministère public, dans le délai de 30 ans à compter de la célébration du mariage.
Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la réalité et la validité de l'engagement de Mme [K] et M [N] doivent être analysées à la date du mariage, soit le 24 juin 2017.
Il convient de retenir que :
- M. [N] et Mme [K] se sont connus en octobre 2016 et ont vécu en concubinage deux mois plus tard, avant de se marier en juin 2017.
- Le couple s'est séparé le 4 janvier 2020, suite à une intervention des services de police à leur domicile ainsi qu'il ressort d'une main courante déposée par l'intimé ce même jour. Il fait état d'une scène ayant eu lieu entre les époux en raison de l'ivresse de l'épouse et de ce qu'il a alors pris la décision de quitter le domicile conjugal.
- M [N] a travaillé, d'abord en intérim à compter de mai 2018, puis a bénéficié d'un CDI à compter du 4 novembre 2019.
- Il a obtenu un titre de séjour en France valable pour 10 années le 28 décembre 2018.
- Au cours du mariage, le couple a partagé des séjours et des voyages dans le pays et auprès de la famille du mari, notamment en octobre 2019 ainsi que démontré par les photographies produites ( pièce 6 du dossier de l'intimé).
Photographies qui montrent un couple souriant et manifestement heureux.
Mme [K] prétend que le défaut d'intention matrimoniale de M [N] ressort très nettement d'un faisceau d'indices postérieurs à l'échange des consentements, démontrant que celui ci ne l'a épousée qu'aux fins d'obtention d'un titre de séjour, changeant de comportement à son égard une fois le titre obtenu.
Il résulte des témoignages produits par Mme [K] que des différends conjugaux ont pu être constatés entre les époux après l'obtention du titre de séjour, l'attitude de l'époux étant décrite comme distante contrairement à son comportement attentionné auparavant.
M [N] ne conteste pas cette dégradation des relations conjugales, mais expose avoir été contraint de quitter le domicile du fait de l'alcoolisme et des crises de Mme [K]. Cette explication ne ressort que de ses déclarations lors de la main courante déposée le 4 janvier 2020 , tandis que l'appelante produit de nombreux témoignages d'amis et membres de sa famille qui contestent tous l'intémpérance invoquée.
Ainsi il est établi que les relations du couple se sont indéniablement distendues sans pour autant que la cour puisse en déduire que cette distance résultait d'un défaut d'intention matrimoniale de la part du mari lors de la célébration du mariage.
Le mariage a duré plusieurs années, au moins jusqu'en octobre 2019 le couple partageait des moments heureux et si le comportement du mari a pu changer, rien ne permet de démontrer que l'intention matrimoniale faisait défaut lors de la célébration du mariage et que le mari poursuivait le seul but d'obtenir un titre de séjour.
Dès lors, au vu de ce qui précède, la cour retient que Mme [K] succombe à apporter la preuve d'une absence d'intention matrimoniale de l'époux, au jour de leur mariage, nonobstant les difficultés postérieures auxquelles leur couple a été confronté.
La cour confirme donc le jugement entrepris.
Sur la demande de réparation :
Mme [K] sollicite la condamnation de M. [N] à lui verser la somme de 5.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par application des dispositions 1240 du Code Civil. Elle expose avoir subi un préjudice psychologique certain du fait des agissements de son époux qui l'a brutalement totalement délaissée la plongeant dans une situation de grande détresse, qui l'a humiliée et lui a manqué de respect en faisant de nombreuses avances à ses proches, en se montrant infidèle et en l'ayant violemment agressée en juin 2020. Elle précise avoir fait de nombreuses crises d'angoisse à la suite de ces faits, comme en atteste notamment un certificat médical du Docteur [X] du 22 avril 2021 qui indique que celle-ci souffre 'd'anxiété sévère réactionnelle à son conflit conjugal'.
M. [N] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme [K] de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, et ce d'autant plus que l'appelante ne justifie d'aucun préjudice. Il expose que son épouse n'a jamais été victime ni d'infidélité, ni de violence de sa part. S'agissant de ses crises d'angoisse, il relève que Mme [K] reconnaît qu'elle faisait déjà des crises d'angoisse lorsqu'elle vivait encore avec le concluant.
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Ainsi que retenu ci dessus, Mme [K] est défaillante dans la charge de la preuve du comportement fautif qu'elle reproche à l'intimé et c'est par une juste analyse de cette situation et des éléments du dossier que les premiers juges ont rejeté sa demande de dommages et intérêts.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens:
L'appelante succombant en ses demandes sera condamnée aux dépens, mais l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et M [N] sera débouté de cette demande.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par décision contradictoire dans les limites de sa saisine,
Vu l'avis du Procureur Général,
Confirme le jugement prononcé le 22 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Caen,
Déboute les parties de toutes autres demandes,
Condamne Mme [K] aux dépens recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE
Estelle FLEURY C. LEON