AFFAIRE : N° RG 21/00712
N° Portalis DBVC-V-B7F-GWSK
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 17 Février 2021 - RG n° 17/00253
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 09 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [T] [B] veuve [V], agissant en qualité de conjoint survivant de M. [R] [V], décédé le 05 septembre 2014
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Cécile LABRUNIE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par M. [C], mandaté
DEBATS : A l'audience publique du 16 janvier 2023, tenue par M. GANCE, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de Chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 09 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [T] [B] veuve [V] d'un jugement rendu le 17 février 2021 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse).
FAITS et PROCEDURE
M. [R] [V] a été employé en qualité de maçon dans plusieurs entreprises du bâtiment et travaux publics entre 1968 et 1993.
Il est décédé le 3 septembre 2014 des suites d'un cancer du poumon.
Sa veuve, Mme [T] [B] a établi une déclaration de maladie professionnelle au nom de M. [R] [V] le 13 mai 2016 au titre d'un 'carcinome broncho-pulmonaire T30 bis'.
Le certificat médical sur lequel se fonde la déclaration de maladie professionnelle a été établi le 9 mai 2015. Il mentionne un 'carcinome broncho-pulmonaire T30 bis'.
Le docteur [J] a complété ce certificat médical avec un second certificat médical du 9 mai 2016 précisant : 'Monsieur [V] [R] est décédé le 3 septembre 2014 des suites d'un cancer broncho-pulmonaire primitif chez ce patient chez qui on retrouve la notion d'une exposition à l'amiante au cours des différentes activités professionnelles entre 1964 et 1982.'
Par décision du 28 octobre 2016, la caisse a refusé de prendre en charge la maladie déclarée au titre de la législation professionnelle.
Mme [B] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse.
La commission de recours amiable a rejeté cette contestation par décision du 14 juin 2017.
Mme [B] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche le 5 juillet 2017 afin de contester la décision de la commission.
Par jugement du 17 février 2021, le tribunal judiciaire de Coutances auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :
- débouté Mme [B] de ses demandes
- condamné Mme [B] aux dépens
- condamné Mme [B] à payer à la caisse la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [B] a formé appel du jugement par déclaration du 9 mars 2021.
Aux termes de ses conclusions reçues le 18 novembre 2022 soutenues oralement à l'audience, Mme [B] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 17 février 2021
statuant à nouveau,
- déclarer Mme [B] recevable en son action
- dire que le cancer broncho-pulmonaire qui a entraîné le décès de M. [R] [V] remplit les conditions du tableau 30 C et doit donc bénéficier de la législation sur les risques professionnels au titre de la présomption d'imputabilité
à titre subsidiaire,
- dire que le cancer bronchopulmonaire qui a entraîné le décès de M. [R] [V] remplit toutes les conditions du tableau 30 bis et doit donc bénéficier de la législation sur les risques professionnels au titre de la présomption d'imputabilité
à titre infiniment subsidiaire,
- solliciter l'avis du CRRMP de Normandie sur l'existence d'un lien direct entre le cancer bronchopulmonaire qui a entraîné le décès de M. [R] [V] et son exposition professionnelle habituelle à l'amiante
- dire que le CRRMP dans le cadre de sa mission, devra prendre connaissance des observations formulées et des données scientifiques versées à l'appui de ces dernières conformément à l'article D 461-29 du code de la sécurité sociale
- condamner la caisse à verser à Mme [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 2 décembre 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- confirmer le jugement
- rejeter le recours de Mme [B]
- confirmer la position de la caisse de la Manche
- dire que la maladie déclarée par certificat médical initial du 9 mai 2015 au nom de M. [V] ne peut être prise en charge au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles
- condamner Mme [B] à payer à la caisse la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions écrites conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
L'article L 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que :
'Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.'
(...)
'Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée de l'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladie professionnelle peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions de l'article L 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle. '
En l'espèce, M. [R] [V] a été employé en qualité de maçon dans plusieurs entreprises du bâtiment et travaux publics entre 1968 et 1993.
Il est décédé le 3 septembre 2014 des suites d'un cancer du poumon.
Sa veuve, Mme [T] [B] a établi une déclaration de maladie professionnelle au nom de M. [R] [V] le 13 mai 2016 au titre d'un 'carcinome broncho-pulmonaire T30 bis'.
Le certificat médical sur lequel se fonde la déclaration de maladie professionnelle a été établi le 9 mai 2015. Il mentionne un 'carcinome broncho-pulmonaire T30 bis'.
Le docteur [J] a complété ce certificat médical avec un second certificat médical du 9 mai 2016 précisant : 'Monsieur [V] [R] est décédé le 3 septembre 2014 des suites d'un cancer broncho-pulmonaire primitif chez ce patient chez qui on retrouve la notion d'une exposition à l'amiante au cours des différentes activités professionnelles entre 1964 et 1982.'
Mme [B] conteste la décision de la caisse de refus de prise en charge de la maladie de M. [V] invoquant à titre principal l'application du tableau 30 C et à titre subsidiaire l'application du tableau 30 bis.
- Sur l'application du tableau 30 C
La maladie désignée dans le tableau 30 C est définie comme une 'dégénérescence maligne bronchopulmonaire compliquant les lésions parenchymateuses et pleurales bénignes ci-dessus mentionnées'.
Les lésions parenchymateuses et pleurales bénignes auxquelles il est fait référence sont définies comme suit : 'lésions pleurales bénignes avec ou sans modification des explorations fonctionnelles respiratoires :
- plaques calcifiées ou non péricardiques ou pleurales unilatérales ou bilatérales lorsqu'elles sont confirmées par un examen tomodensitométrique
(..).'
Il incombe à Mme [B] de rapporter la preuve que le cancer de M. [V] était un cancer caractérisé par une dégénérescence maligne bronchopulmonaire compliquant les lésions parenchymateuses et pleurales, c'est à dire la maladie visée au tableau n° 30 C.
Il est constant que M. [V] est décédé le 3 septembre 2014 des suites d'un cancer du poumon.
Il résulte des documents issus du dossier médical de M. [V], produits par Mme [B] que des 'plaques calciques pleurales gauches' ont été constatées lors d'un examen tomodensitométrique réalisé au mois de mars 2014 puis lors d'un scanner datant de juillet 2014.
Il est donc établi que M. [V] présentait des plaques pleurales calcifiées confirmées par un examen tomodensitométrique.
Toutefois, cet élément ne permet pas à lui seul de démontrer que le cancer dont il est décédé est lié à une dégénérescence maligne compliquant les lésions pleurales.
Le docteur [J] qui a rédigé le certificat médical initial a au contraire, considéré qu'il s'agissait d'un cancer bronchopulmonaire relevant du tableau 30 bis, c'est à dire sans lien avec des lésions pleurales préexistantes.
Le certificat médical du docteur [J] du 9 mai 2016 ne contredit pas le certificat médical initial puisqu'il indique que M. [V] est décédé d'un 'cancer bronchopulmonaire primitif'. Il n'est pas fait état d'une dégénérescence compliquant les lésions pleurales.
Mme [B] ne produit aucune pièce constituant un commencement de preuve d'un lien de causalité entre le cancer bronchopulmonaire de M. [V] et les plaques pleurales.
On relèvera qu'en plus des pièces médicales, Mme [B] verse aux débats un arrêt du 8 novembre 2018 de la cour d'appel de Caen qui a statué dans un litige l'ayant opposée au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante suite au décès de M. [V].
Or, après avoir retenu l'existence de plaques pleurales, la cour a constaté que 'les consorts [V] ne produisent aucun commencement de preuve en faveur d'un lien causal direct et certain entre cette pathologie et les plaques pleurales'.
L'arrêt vanté par Mme [B] a donc rejeté ses arguments tenant à l'existence d'un lien de causalité entre le cancer de M. [V] et les plaques pleurales.
Compte tenu de ces observations, la preuve d'un lien de causalité entre les plaques pleurales et le cancer de M. [V] n'est pas rapportée.
La condition du tableau n° 30 C tenant à la désignation de la maladie n'est donc pas remplie.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande de prise en charge par la caisse de la maladie déclarée le 13 mai 2016 au titre de la législation professionnelle sur le fondement du tableau n° 30 C.
- Sur l'application du tableau 30 bis
Il n'est pas contesté par la caisse que M. [V] est décédé des suites d'un cancer bronchopulmonaire primitif tel que désigné dans le tableau n° 30 bis.
La condition tenant à la désignation de la maladie est donc remplie.
En revanche, la caisse conteste les deux autres conditions tenant à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie et à la durée d'exposition.
La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie mentionnée au tableau n° 30 bis est la suivante :
'Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante
Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac
Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante
Travaux de retrait d'amiante
Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante
Travaux de construction et de réparation navale
Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante
Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante
Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.'
Le délai de prise en charge est fixé à 40 ans 'sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans'.
Mme [B] explique que M. [V] a travaillé en qualité de maçon de 1964 à 1991 pour le compte d'entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP).
Il résulte du relevé de carrière de M. [V] qu'entre 1964 et 1991, il a connu plusieurs périodes de chômage et d'inactivité et qu'il a travaillé pour des entreprises dont il n'est pas démontré qu'elles avaient pour activité la construction immobilière ou les travaux publics. Notamment, sont mentionnées des 'Activités extra-territoriales salarié' ou encore 'Serv. Four. Principal. aux Ent. Salarié' dont on ignore à quelles activités elles correspondent.
Les quelques certificats de travail produits sont illisibles.
Ainsi, il est seulement établi que M. [V] a travaillé dans des entreprises du bâtiment au cours des périodes suivantes entre 1964 et 1991 :
- du 1er janvier au 28 février 1968 (2 mois)
- du 5 janvier 1970 au 14 janvier 1977 (7ans, 9 jours)
- du 2 mai 1977 au 17 juin 1977 (1,5 mois)
- du 6 décembre 1977 au 21 avril 1978 (4,5 mois)
- du 13 juin 1978 au 31 décembre 1981 (3 ans, 6 mois, 18 jours)
- du 22 mars 1982 au 21 octobre 1991 (9 ans, 7 mois)
soit pendant une période globale de : 17 ans, 9 mois et 27 jours.
Pour justifier qu'il a été exposé au risque dans les conditions visées au tableau n° 30 bis, Mme [B] se fonde sur un rapport de l'assemblée nationale de 1997, deux articles de l'Inrs et un article sur le BTP, se rapportant aux risques de maladies professionnelles en lien avec l'amiante dans le secteur du bâtiment notamment, ainsi que sur une déclaration écrite de M. [K] en date du 22 octobre 2017 et sur le certificat médical complémentaire du docteur [J].
Le rapport de l'assemblée nationale, les articles de l'Irns et l'article du BTP ne comportent que des considérations générales sur les maladies professionnelles liées à l'amiante. Ils n'établissent pas précisément dans quelles conditions M. [V] aurait pu être exposé aux poussières d'amiante.
M. [K] indique en revanche avoir travaillé avec M. [V] du 1er septembre 1988 au 21 octobre 1991. Il affirme qu'au cours de cette période, M. [V] a été 'au contact de l'amiante lorsqu'il enlevait des dalles amiantes ou des tôles en fibrociment ou d'autres matériaux en fibre d'amiante par exemple, sur le bâtiment de la Buccaille.' et que 'quotidiennement, M. [V] [R] a travaillé dans un environnement de poussières d'amiante et côtoyait des extracteurs, les cobras qui rejetaient les fumées et des poussières et tout ce travail sans protection individuelle. .. Seuls des masques nez de cochons étaient à disposition des ouvriers.'
Toutefois, comme rappelé précédemment, la durée d'exposition visée au tableau n° 30 bis est de 10 ans alors que M. [K] ne fait état que d'une période de trois ans pendant laquelle il a travaillé avec M. [V].
Le certificat médical du docteur [J] indique seulement que l'on retrouve chez M. [V] 'la notion d'une exposition à l'amiante au cours des différentes activités professionnelles entre 1964 et 1982'. Ce certificat ne permet pas d'établir les travaux réalisés par M. [V] qui l'auraient exposé aux poussières d'amiante.
Les conditions du tableau n°30 bis ne sont donc pas remplies.
En conséquence, conformément à l'article L. 461-1 et à l'article R 142-17-2 reprenant à droit constant les dispositions de l'article R 142-24-2 du code de la sécurité sociale, il convient avant-dire droit sur le caractère professionnel de la maladie déclarée le 13 mai 2016, d'ordonner la désignation d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles pour avis motivé sur le point de savoir si la pathologie de M. [V] (carcinome bronchopulmonaire T 30 bis) a été directement causée par le travail habituel de ce dernier.
L'affaire sera renvoyée à l' audience du 13 novembre 2023 à 14 heures.
Les dépens et frais irrépétibles seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Avant-dire droit sur le caractère professionnel de la pathologie déclarée le 13 mai 2016 par Mme [B] au nom de son époux prédécédé, M. [R] [V] au titre d'un 'carcinome broncho-pulmonaire T 30 bis',
Désigne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Normandie avec pour mission de donner son avis motivé sur l'existence d'un lien de causalité direct entre la pathologie de M. [R] [V] (carcinome broncho-pulmonaire T 30 bis) et son travail habituel;
Impartit au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Normandie un délai de quatre mois à compter de sa saisine pour faire connaître son avis,
Dit que les parties pourront communiquer à ce comité toutes les pièces qu'elles estimeront utiles ainsi que toutes les pièces qu'il serait amené à leur demander et que ce dernier pourra, le cas échéant, les convoquer,
Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience de la chambre sociale, section 3 de la cour d'appel de Caen siégeant [Adresse 5], le lundi 13 novembre 2023 à 14 heures, Salle Malesherbes, 3ème étage,
Dit que la notification de la présente décision vaut convocation régulière des parties,
Réserve les dépens et frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX