AFFAIRE : N° RG 21/01779 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYZS
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce de CAEN en date du 14 Avril 2021
RG n° 2020005380
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
APPELANTE :
S.A.S. C.Y.J DEVELOPPEMENT
N° SIRET : 438 178 253
[Adresse 5]
[Localité 1]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Jean-Jacques SALMON, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Alexis CHABERT, avocat au barreau de LYON, et de Me Edouard DE MELLON, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
S.A. SOCIETE GENERALE
N° SIRET : 552 120 222
[Adresse 2]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN
INTERVENANTE VOLONTAIRE :
S.A.S. EOS FRANCE agissant en qualité de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la société FRANCE TITRISATION, venant aux droits de la SOCIETE GENERALE
N° SIRET : 488 825 217
[Adresse 3]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l'audience publique du 05 décembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Mme COURTADE, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
ARRÊT prononcé publiquement le 23 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
La SOCIETE GENERALE a consenti à la SAS CYJ DEVELOPPEMENT :
- le 23 juillet 2009, une ouverture de crédit d'un montant maximum de 1 200 000€ pour une durée de sept ans et jusqu'au 31 juillet 2016, au taux d'intérêt fixé sur la base de l'EURIBOR majoré de 1,80% l'an ;
- le 17 janvier 2012, un prêt de 599 000€ pour une durée de cinq ans, au taux d'intérêt de 5% ;
- le 31 juillet 2014 une nouvelle ouverture de crédit d'un montant maximum de 100 000€ pour une durée de trois ans et jusqu'au 31 juillet 2017, au taux d'intérêt fixé sur la base de l'EURIBOR majoré de 2,95% l'an.
À partir de 2015, la SAS CYJ DEVELOPPEMENT a été défaillante dans le remboursement des échéances des crédits.
Après mises en demeure du 8 juillet 2019 restées infructueuses, la SOCIETE GENERALE a fait assigner la SAS CYJ DEVELOPPEMENT en paiement, par acte d'huissier du 31 juillet 2020, devant le tribunal de commerce de Caen.
Par jugement du 14 avril 2021, auquel la cour renvoie pour un exposé plus complet des faits, des prétentions des parties et de la procédure antérieure, le tribunal a :
- débouté la SAS CYJ DEVELOPPEMENT de l'intégralité de ses demandes;
- condamné la SAS CYJ DEVELOPPEMENT à payer à la SOCIETE GENERALE les sommes de :
- 239 681,72€ avec intérêts au taux de 3,90%
- 213 622,17€ avec intérêts au taux de 5%
- 127 661,37€ avec intérêts au taux de 5,87%
- ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, à compter du 31 juillet 2020 ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la SAS CYJ DEVELOPPEMENT à payer à la SOCIETE GENERALE la somme de 1200€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SAS CYJ DEVELOPPEMENT aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à la somme de 65,93€, dont TVA 10,99€.
Par déclaration du 16 juin 2021, la SAS CYJ DEVELOPPEMENT a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 novembre 2022, la SAS CYJ DEVELOPPEMENT demande de :
- Infirmer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
A titre principal
- Condamner la SOCIETE GENERALE et le FONDS COMMUN DE TITRISATION FONCRED V, solidairement, à payer à la société CYJ une somme de 580 965,26 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;
- Débouter le FONDS COMMUN DE TITRISATION FONCRED V de ses demandes, fins et conclusions ;
- Ordonner en toute hypothèse la compensation des créances réciproques entre les parties ;
- Condamner le cas échéant, la SOCIETE GENERALE à relever et garantir la société CYJ de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle ;
A titre subsidiaire,
- Octroyer à la société CYJ un délai de grâce d'une durée de deux années ;
En toute hypothèse,
- Condamner le FONDS COMMUN DE TITRISATION FONCRED V et la SOCIETE GENERALE, solidairement, à payer à la société CYJ DEVELOPPEMENT la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner le FONDS COMMUN DE TITRISATION FONCRED V et la SOCIETE GENERALE, solidairement, aux entiers dépens de l'instance, y compris de première instance.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 8 novembre 2022, la SAS EOS FRANCE agissant en qualité de représentant -recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, et le Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, venant aux droits de la SOCIETE GENERALE, demandent de :
- Donner acte de son intervention volontaire à la SAS EOS FRANCE ès qualités ;
- Recevoir la SAS CYJ DEVELOPPEMENT en son appel, l'y déclarer mal fondée et l'en débouter ;
- Confirmer la décision entreprise ;
- Condamner la SAS CYJ DEVELOPPEMENT au paiement de la somme additionnelle de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 novembre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de donner acte de son intervention volontaire à la SAS EOS FRANCE agissant en qualité de représentant -recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, venant aux droits de la SOCIETE GENERALE.
I. Sur la demande indemnitaire de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT fondée sur le devoir de mise en garde
La SAS CYJ DEVELOPPEMENT soutient que la SOCIETE GENERALE a engagé sa responsabilité pour manquement à son devoir de mise en garde à son égard et sollicite une indemnité de 580 965,26€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice correspondant à la somme restant due en vertu des crédits.
En application de l'article 1147 ancien du code civil, dans sa version applicable au litige, le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat et de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts.
Seuls les emprunteurs ou cautions non avertis peuvent l'invoquer et celui qui l'invoque doit justifier d'un risque de surendettement.
Il appartient à l'emprunteur de rapporter la preuve de l'inadaptation de son engagement par rapport à ses facultés de remboursement lesquelles doivent être appréciées au jour de l'octroi du prêt en tenant compte de la situation à cette date et des perspectives prévisibles.
Le banquier prêteur n'a d'obligation de mise en garde qu'en cas de crédit excessif, même si le prêt est consenti à un emprunteur non averti.
Le caractère averti de l'emprunteur personne morale s'apprécie en la personne de son représentant légal.
La SAS CYJ DEVELOPPEMENT a été créée le 20 juin 2001 et a pour objet social: 'la propriété, détention, gestion de valeurs mobilières, prise de participation dans toutes les sociétés de quelque nature que ce soit (...).'
Elle est la société mère du groupe GOSSELIN, les filiales étant la SAS GOSSELIN, la SARL CARROSSERIE GOSSELIN et l'EURL GOSSELIN CONCEPT ET DESIGN INTERIEUR.
Mme [M] [H], qui est la présidente de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT depuis sa création, disposait, lors de l'octroi du premier crédit litigieux, d'une expérience de huit années en matière financière et de gestion, dans le cadre au surplus d'une société holding.
Sa qualité de dirigeante expérimentée, lui conférait la compétence suffisante pour apprécier la situation économique et financière et les risques encourus liés à la souscription des crédits.
Il y a donc lieu de considérer que la SAS CYJ DEVELOPPEMENT, prise en la personne de sa représentante légale, était une emprunteuse avertie de sorte que la banque n'était pas tenue d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion des trois contrats en 2009, 2012 et 2014.
Ce moyen est écarté.
II. Sur la demande indemnitaire de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT fondée sur la politique de crédit ruineux
La banque engage sa responsabilité à l'égard de l'entreprise lorsqu'elle a pratiqué envers cette dernière une politique de crédit ruineux de nature à provoquer une augmentation continue et insurmontable de ses charges financières.
Pour voir écarter la demande indemnitaire de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT sur ce fondement, l'intimée invoque à tort les dispositions de l'article L 650-1 du code de commerce limitant la mise en oeuvre de la responsabilité du créancier à raison des concours qu'il a consentis.
En effet ce texte s'applique lorsqu'une procédure collective est ouverte. Or il n'est pas allégué que la SAS CYJ DEVELOPPEMENT aurait fait l'objet d'une telle procédure.
L'appelante fait valoir, bilans et comptes de résultat à l'appui, que la banque lui a octroyé en 2009, 2012 puis 2014 des crédits supérieurs à son chiffre d'affaires alors qu'elle réalisait des pertes importantes et que son endettement global restait très élevé; que cette situation était incompatible avec ses capacités financières et ne lui permettait pas de rembourser les crédits.
La première ouverture de crédit, en date du 23 juillet 2009, d'un montant maximum de 1 200 000€, devait être réduite de 200 000€ chaque année au 31 juillet, ce à compter du 31 juillet 2011, pour être totalement remboursée au 31 juillet 2016.
Il est exact que sur l'exercice du 01/01/09 au 31/12/09, le chiffre d'affaire de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT s'élevait à 980 177,58€ et que son résultat net était déficitaire de 938 963€.
Cependant, la situation doit être appréciée au regard de la société emprunteuse mais aussi des sociétés filiales auxquelles elle est liée, étant rappelé que la SAS CYJ DEVELOPPEMENT tirait ses revenus de prestations intragroupe rendues à ses filiales et des dividendes distribués par celles-ci.
Or, au 31 décembre 2009, les trois filiales, soit la SARL CARROSSERIE GOSSELIN, l'EURL GOSSELIN CONCEPT ET DESIGN INTERIEUR et la SAS GOSSELIN, avaient réalisé un chiffre d'affaires important, s'élevant respectivement à 1 692 528€ (pour une perte de 87 239€), 324 490,37€ (pour une perte de 111 928€) et 3 240 645€ (pour une perte de 866 905€).
En outre, l'ouverture de crédit a été utilisée et remboursée jusqu'en 2015.
Au vu de ces éléments, il n'est pas établi que le crédit excédait les facultés contributives de la société mère qui pouvait bénéficier des remontées de fonds des autres sociétés du groupe.
Le prêt en date du 17 janvier 2012, d'un montant de 599 000€, était remboursable après un différé de 3 mois en 57 mensualités de 11 822,81€.
Les mauvais résultats de l'intéressée sur l'exercice 2011 clos au 31 mars 2012 (chiffre d'affaires de 7220€ et perte de 239 946€) sont insuffisants à établir l'impossibilité de s'acquitter des échéances et donc le caractère ruineux du crédit faute de produire les éléments comptables concernant les trois filiales sur cet exercice et les suivants.
En outre, force est de relever que le prêt a été remboursé jusqu'en octobre 2015.
De la même manière, s'agissant de l'ouverture de crédit de 100 000€ du 31 juillet 2014, en l'absence des bilans et comptes de résultats des trois filiales sur l'exercice 2013-2014 et les suivants, l'appelante ne rapporte pas la preuve du caractère ruineux de ce prêt.
Enfin, on note que l'endettement de la SAS CYJ DEVELOPPEMENT n'a pas augmenté entre l'octroi du premier et du troisième crédit. Il a légèrement baissé, passant de 2 437 253€ au 31 décembre 2009 à 2 232 253€ au 30 juin 2014.
En conclusion, les pièces produites par la SAS CYJ DEVELOPPEMENT ne suffisent pas à caractériser une politique de crédit ruineux de la part de la SOCIETE GENERALE faute de démontrer que les crédits consentis ont provoqué une augmentation continue et insurmontable de ses charges financières.
Par suite, la responsabilité de la banque n'est pas engagée et la SAS CYJ DEVELOPPEMENT est déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de ses demandes subséquentes.
* * *
Le jugement est confirmé en ce qu'il a notamment condamné la SAS CYJ DEVELOPPEMENT au paiement de la somme totale de 580 965,23€ au titre des trois crédits, ce quantum n'étant pas discuté.
La débitrice, qui a déjà de fait bénéficié des plus larges délais de paiement et ne justifie pas de sa capacité à s'acquitter de sa dette dans le délai de 24 mois, est déboutée de sa demande de délai sur deux ans. Le jugement est confirmé sur ce point.
III. Sur les demandes accessoires
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.
La SAS CYJ DEVELOPPEMENT succombant, est condamnée aux dépens de l'appel, à payer à la SAS EOS FRANCE agissant en qualité de représentant-recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, la somme complémentaire de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et est déboutée de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,
DONNE acte de son intervention volontaire à la SAS EOS FRANCE agissant en qualité de représentant -recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, venant aux droits de la SOCIETE GENERALE ;
CONFIRME le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SAS CYJ DEVELOPPEMENT à payer à la SAS EOS FRANCE agissant en qualité de représentant -recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la SAS FRANCE TITRISATION, la somme complémentaire de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
DEBOUTE la SAS CYJ DEVELOPPEMENT de sa demande formée à ce titre;
CONDAMNE la SAS CYJ DEVELOPPEMENT aux dépens de l'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET F. EMILY