AFFAIRE : N° RG 21/01026 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GXIV
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION du Juge des contentieux de la protection de CHERBOURG EN COTENTIN
en date du 11 Mars 2021 - RG n° 1119000598
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE
N° SIRET : 478 834 930 00016
[Adresse 3]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Guillaume CHANUT, substitué par Me LESCAILLEZ, avocats au barreau de CAEN,
assistée de Me Erwan LECLERCQ, avocat au barreau de RENNES
INTIMES :
Monsieur [R] [X] [K] [J]
né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Madame [I] [D] [W] [L] épouse [J]
née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentés et assistés de Me Delphine QUILBE, avocat au barreau de CHERBOURG
DEBATS : A l'audience publique du 05 décembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Mme COURTADE, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
ARRÊT prononcé publiquement le 23 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
Par acte sous seing privé du 27 décembre 2014, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE (ci-après désignée le CREDIT AGRICOLE) a consenti à M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] un prêt personnel d'un montant de 18 050€ remboursable en 72 mensualités de 295,25 €, hors assurance, au taux d'intérêt fixe annuel de 5,200 %.
Des échéances sont demeurées impayées conduisant la banque à prononcer la déchéance du terme le 18 décembre 2018 par lettre simple.
Le CREDIT AGRICOLE a obtenu une ordonnance du juge d'instance de Cherbourg du 17 juillet 2019 enjoignant M. et Mme [J] de lui payer diverses sommes au titre du prêt.
Le 19 août 2019, M. et Mme [J] ont formé opposition à l'ordonnance d'injonction de payer.
Par jugement du 11 mars 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Cherbourg-en-Cotentin a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE ;
- déclaré recevable l'opposition formée par M. [J] [R] et Mme [L]
épouse [J] [I] à l'encontre de l'ordonnance portant injonction de payer du 17 juillet 2019 ;
- déclaré la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE recevable en son action ;
- débouté la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE de sa demande de déchéance du terme du contrat de crédit signé le 27 décembre 2014 par M. [J] [R] et Mme [L] épouse [J] [I] et la société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE ;
- en conséquence, débouté la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE de sa demande en paiement à l'encontre de M. [J] [R] et Mme [L] épouse [J] [I] ;
- débouté M. [J] [R] et Mme [L] épouse [J] [I] de leur
demande de dommages et intérêts à l'encontre de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE ;
- débouté M. [J] [R] et Mme [L] épouse [J] [I] de leur
demande de radiation de l'inscription au FICP ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- débouté la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE de sa demande à l'encontre de M. [J] [R] et Mme [L] épouse [J] [I] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE aux entiers dépens de l'instance ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration du 9 avril 2021, le CREDIT AGRICOLE a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 30 juin 2021, le CREDIT AGRICOLE demande de :
- Dire nul le jugement dont appel
Évoquant et/ou réformant,
- Condamner solidairement M. [R] [J] et Mme [I] [L]
épouse [J] à lui payer en deniers ou quittances la somme de 8 942,23 € avec intérêts au taux de 5,20 % l'an à compter du 18 décembre 2018 jusqu'à parfait paiement.
- Dire et juger irrecevables comme étant prescrites tant la demande en déchéance du droit aux intérêts que celle en paiement de dommages et intérêts formulées par M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J].
- Débouter M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Subsidiairement, si la déchéance du droit aux intérêts venait à être prononcée :
- Condamner solidairement M. [R] [J] et Mme [I] [L]
épouse [J] à lui payer en deniers ou quittances la somme de 6.069,65 € avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2018 jusqu'à parfait paiement.
En tout cas :
- Si M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] étaient autorisés à se libérer de leur dette de manière échelonnée, dans la limite légale de 24 mois, Dire et juger qu'à la moindre défaillance dans les règlements, le solde redeviendra immédiatement exigible.
- Condamner in solidum M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] au paiement d'une indemnité de 2500,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 28 septembre 2021, M. et Mme [J] demandent de :
- Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie de sa demande d'annulation du jugement dont appel,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré recevable l'opposition formée par M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] à l'encontre de l'ordonnance portant injonction de payer du 17 juillet 2019,
- débouté la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie de sa demande relative à la déchéance du terme et en conséquence de sa demande en paiement et plus généralement l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie aux entiers dépens,
- Le Réformer pour le surplus et statuant à nouveau
- Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie à leur payer la somme de 9.900,00 € à titre de dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil,
- Ordonner la radiation de leur inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits des particuliers (FICP)
- Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie à leur payer la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles,
- Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie aux dépens
d'appel,
Subsidiairement,
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts,
- Dire et juger que l'indemnité forfaitaire de recouvrement s'analyse en une clause pénale et réduire son montant à un euro,
- Dire que les règlements s'imputeront par priorité sur le capital,
- Leur accorder 24 mois de délais pour le règlement de la dette en 24 mensualités,
- Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, tant en principal, frais, intérêts, dommages et intérêts, frais irrépétibles et dépens,
En toutes hypothèses,
- Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 octobre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
I. Sur la nullité du jugement
L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Le CREDIT AGRICOLE soulève la nullité du jugement au visa de ce texte pour violation du principe de la contradiction aux motifs notamment que le premier juge a soulevé d'office le moyen tiré de l'irrégularité de la déchéance du terme alors que ce moyen créé de manière prétorienne et au visa des dispositions de droit commun n'appartient qu'à l'emprunteur et que les époux [J], représentés par un avocat, n'avaient pas remis en cause la régularité de la déchéance du terme; que le juge a également soulevé d'office un ensemble de moyens tirés du code de la consommation figurant sur un formulaire comportant des cases non cochées, sans plus de précision; qu'enfin le moyen invoqué d'office dans le jugement, fondé sur un manquement à l'article L 312-36 du code de la consommation, n'a pas été soumis au débat contradictoire.
Il résulte des pièces produites que le tribunal a, au moyen d'une fiche pré-imprimée dont un exemplaire a été remis au conseil du CREDIT AGRICOLE, soulevé d'office les moyens d'irrecevabilité, de nullité et de déchéance du droit aux intérêts figurant sur ce document, sans cocher les cases correspondantes, ce qui ne permettait pas à la banque de connaître avec une précision suffisante les moyens relevés d'office.
L'appelante a certes été autorisée à présenter ses observations par une note en délibéré qu'elle a déposée le 24 novembre 2020.
Cependant, elle n'a pas été en mesure de répondre pleinement au moyen tiré de l'absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme puisque dans la décision dont appel, le juge a invoqué ce moyen au regard d'un texte, l'article L 312-36 du code de la consommation prévoyant une information de l'emprunteur en cas d'incident de paiement, qui n'est pas visé dans le document pré-imprimé.
Par suite, il convient d'annuler la décision entreprise pour violation du principe de la contradiction.
En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, la cour est tenue de statuer sur le fond de l'affaire.
II. Sur la déchéance du terme
En vertu des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause, en l'absence de dispense expresse et non équivoque, la clause du contrat de prêt prévoyant la déchéance du terme en cas de défaillance de l'emprunteur non commerçant ne peut produire effet qu'après la délivrance d'une mise en demeure restée infructueuse, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
A défaut, seules les mensualités échues impayées peuvent être réclamées, à l'exclusion du capital restant dû.
En l'espèce, le contrat de crédit conclu le 27 décembre 2014 stipule page 2 au paragraphe 5.6: ' Le prêteur a la possibilité de se prévaloir de l'exigibilité immédiate de la présente offre de contrat de crédit en capital, intérêts et accessoires, par la seule survenance de l'un quelconque des évènements ci-après et sans qu'il soit besoin d'aucun préavis et d'aucune formalité judiciaire, malgré une mise en demeure de régulariser, adressée à l'emprunteur, par tout moyen et restée sans effet pendant 15 jours dans les cas suivants :
a) non-paiement des sommes exigibles ou d'une seul échéance (en totalité ou partiellement)'.
Le contrat prévoit bien la nécessité d'une mise en demeure préalable.
Or, comme le soulignent les époux [J], le courrier de mise en demeure avant déchéance en date du 18 décembre 2018, produit par la banque, est une lettre simple et non une lettre recommandée avec accusé de réception.
Il s'ensuit que le CREDIT AGRICOLE ne rapporte pas la preuve lui incombant de ce que ce courrier de mise en demeure a bien été adressé à M. et Mme [J].
Par conséquent, la déchéance du terme prononcée le 18 décembre 2018 n'est pas régulière et la demande en paiement en découlant ne peut pas prospérer.
Seules les mensualités échues impayées sont susceptibles d'être réclamées.
III. Sur la déchéance du droit aux intérêts
1. Sur la recevabilité de la demande de déchéance
Le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par le souscripteur d'un crédit à la consommation constitue une défense au fond, mais l'invocation d'une telle déchéance s'analyse en une demande reconventionnelle si elle tend à la restitution d'intérêts trop perçus.
En l'espèce, les époux [J] soulèvent la déchéance du droit aux intérêts sans réclamer la restitution d'un trop-perçu.
Par suite, ce moyen s'analyse en une défense au fond qui tend au simple rejet de la demande de la partie adverse et qui est insusceptible de prescription.
La fin de non-recevoir invoquée par le CREDIT AGRICOLE tirée de la prescription de la demande de déchéance du droit aux intérêts est donc rejetée.
2. Sur le bien-fondé de la demande
- Sur le devoir d'explication du prêteur
Aux termes de l' article L. 311-8 ancien du code de la consommation dans sa version applicable en l'espèce, le prêteur ou l'intermédiaire de crédit fournit à l'emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière, notamment à partir des informations contenues dans la fiche mentionnée à l'article L. 311-6. Il attire l'attention de l'emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement. Ces informations sont données, le cas échéant, sur la base des préférences exprimées par l'emprunteur.
La sanction de la déchéance du droit aux intérêts est d'interprétation stricte et ne doit pas être étendue à une hypothèse non prévue par les textes.
Il résulte des pièces versées aux débats que le contrat comporte un encadré informant les emprunteurs des caractéristiques essentielles du crédit consenti.
La fiche d'information précontractuelle européenne normalisés signée par les emprunteurs et versée aux débats comporte dans son en-tête la mention suivante : 'Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager'.
Par ailleurs, cette fiche reprend de façon détaillée l'ensemble des informations relatives aux conditions d'octroi du prêt et aux frais exposés et conséquences en cas de défaillance des emprunteurs.
Elle comprend en outre une annexe rappelant les caractéristiques du prêt.
Cette fiche d'information répond aux exigences de l'article L 311-8 ancien du code de la consommation en ce qu'elle comporte l'ensemble des renseignements permettant d'informer les emprunteurs sur la nature et la portée de l'engagement contracté et sur les conséquences financières d'une défaillance dans le règlement des mensualités prévues.
La fiche de dialogue également signée par les emprunteurs comporte un rappel de la mention suivante : 'Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager' et ajoute la mention que les documents remis sont destinés à 'vous permettre de déterminer que l'offre proposée est bien adaptée à vos besoins et à votre situation financière'.
Il en résulte que le prêteur justifie par les documents produits avoir rempli le devoir d'explication prévu par l'article L.311-8 sans que le juge puisse, ajoutant à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, exiger la production d'une 'fiche explicative spécifique'.
- sur la vérification de la solvabilité
L'article L 311-9 ancien du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose : 'Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l'article L. 333-4, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné à l'article L. 333-5 (...).'
Le CREDIT AGRICOLE produit la fiche dialogue renseignée et signée par les époux [J], évaluant leur solvabilité et mentionnant notamment leur situation professionnelle, familiale et de logement, le montant de leurs revenus mensuels et de leurs charges.
Il communique également les avis d'imposition sur leurs revenus de l'année 2012.
Il justifie en outre avoir consulté le fichier FICP pour chacun des époux.
Ces élements constituent une justification suffisante de la vérification par la banque de la solvabilité des emprunteurs dans les conditions prévues par la loi.
Dès lors, la demande de déchéance du droit aux intérêts est rejetée.
IV. Sur la demande de dommages et intérêts des époux [J] pour manquement du prêteur à son devoir de mise en garde
M. et Mme [J] sollicitent la condamnation du CREDIT AGRICOLE à leur payer la somme de 9900€ pour manquement à son devoir de mise en garde.
La banque soutient que la demande est irrecevable comme étant prescrite.
La demande de dommages et intérêts des intimés assortie d'une demande de compensation, qui tend à obtenir un avantage autre que le simple rejet des prétentions de la banque, s'analyse en une demande reconventionnelle et non comme un simple moyen de défense au fond.
Par suite, leur demande est soumise à la prescription.
Il résulte de l'article 2224 du code civil que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement (Civ 1ère 5 janvier 2022 n°20-17.325).
En l'espèce,il résulte de l'historique du compte produit par le CREDIT AGRICOLE que le premier incident de paiement non régularisé est survenu au mois de juin 2018, marquant le point de départ du délai de prescription.
Les époux [J] ont formé leur demande indemnitaire pour la première fois par conclusions du 26 février 2020, soit moins de cinq ans après le premier incident de règlement, de sorte que leur demande n'est pas prescrite.
La fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la banque est rejetée.
Sur le fond, en application de l'article 1147 ancien du code civil, dans sa version applicable au litige, le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat et de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts.
Seuls les emprunteurs non avertis peuvent l'invoquer et celui qui l'invoque doit justifier d'un risque de surendettement.
Le banquier prêteur n'a d'obligation de mise en garde qu'en cas de crédit excessif, même si le prêt est consenti à un emprunteur non averti.
Le risque d'endettement s'apprécie au vu des revenus et charges de l'emprunteur au jour de la conclusion du contrat de crédit et en fonction de ses capacités de remboursement, sans avoir à tenir compte de ses engagements postérieurs.
La banque n'est pas tenue de vérifier, en l'absence d'anomalies apparentes, l'exactitude des informations contenues dans la fiche de renseignements.
La communication des informations repose sur le principe de bonne foi, à charge pour les emprunteurs de supporter les conséquences d'un comportement déloyal.
En l'espèce, la qualité d'emprunteurs non avertis de M. et Mme [J] n'est pas réellement discutée par l'appelante.
Au vu des éléments déclarés par les époux [J] dans la fiche de dialogue, à savoir un revenu global mensuel de 2480€, un total de charges de 704€/mois, un enfant à charge et leur qualité de propriétaires de leur logement, il n'apparaît pas que le prêt litigieux, remboursable par mensualités de 295,25 €, était, au moment de sa conclusion, excessif par rapport à leurs facultés financières.
D'ailleurs, ils ont été en mesure de régler les échéances de ce crédit pendant plus de trois ans.
Les intimés ne peuvent valablement invoquer les deux prêts souscrits postérieurement à l'octroi de ce dernier.
Ainsi, la preuve d'un risque d'endettement né de l'octroi du prêt impliquant un devoir de mise en garde du CREDIT AGRICOLE à l'égard des époux [J] n'est pas rapportée.
Il convient donc de les débouter de leurs demandes de mise en jeu de la responsabilité de la banque et de dommages et intérêts.
* * *
Au titre des échéances échues impayées, le CREDIT AGRICOLE réclame la seule somme de 1747,28€, se décomposant comme suit:
- capital échu impayé : 1539,31€
- intérêts échus impayés : 207,97€
Au vu des pièces justificatives produites (tableau d'amortissement, historique du compte, lettres de mise en demeure), ce quantum est justifié.
Il convient d'y ajouter la somme de 139,78€ correspondant à l'indemnité de 8% calculée sur les échéances échues impayées, conformément à l'article 5.7 du contrat.
Il n'est pas démontré que cette pénalité est manifestement excessive. Il n'y a donc pas lieu de la réduire.
En conclusion, les époux [J] sont condamnés solidairement au paiement de la somme de 1887,06€ avec intérêts de retard au taux contractuel de 5,2 % sur la somme de 1747,28€ et au taux légal sur le surplus, à compter du 25 juin 2019, date de réception de la mise en demeure du 24 juin 2019.
Les débiteurs, qui ont déjà de fait bénéficié des plus larges délais de paiement depuis la mise en demeure, sont déboutés de leur demande de délais sur deux ans et d'imputation prioritaire des paiements sur le capital.
V. Sur la demande de levée de l'inscription des époux [J] au FICP
Selon l'article L 213-4-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge des contentieux de la protection connaît des actions relatives à l'inscription et à la radiation sur le fichier national recensant les informations sur les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels prévu à l'article L. 751-1 du code de la consommation.
L'article 4 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers énonce:
'Définition des incidents de paiement.
Constituent des incidents de paiement caractérisés pour l'application du présent arrêté :
1° Pour un même crédit comportant des échéances, les défauts de paiement atteignant un montant cumulé au moins égal :
i) Pour les crédits remboursables mensuellement, à la somme du montant des deux dernières échéances dues ;
ii) Pour les crédits qui ont des échéances autres que mensuelles, à l'équivalent d'une échéance, lorsque ce montant demeure impayé pendant plus de 60 jours ;
2° Pour un même crédit ne comportant pas d'échéance, le défaut de paiement des sommes exigibles plus de 60 jours après la date de mise en demeure du débiteur, notifiée de manière formelle, d'avoir à régulariser sa situation, dès lors que le montant des sommes impayées est au moins égal à 500 euros ;
3° Pour tous les types de crédit, les défauts de paiement pour lesquels l'établissement ou l'organisme mentionné à l'article 1er engage une procédure judiciaire ou prononce la déchéance du terme après mise en demeure du débiteur restée sans effet. Les établissements et organismes mentionnés à l'article 1er peuvent ne pas inscrire les retards de paiement d'un montant inférieur à 150 euros pour lesquels la déchéance du terme n'a pas été prononcée.'
L'article 8 de l'arrêté susvisé dispose :
'Durée de conservation et règles de mise à jour.
Les informations visées à l'article 6 sont conservées dans le fichier pendant cinq ans à compter de la date à laquelle l'incident est devenu déclarable.
Elles sont radiées dès la réception de la déclaration du paiement intégral des sommes dues, effectué en application du II de l'article 6.
Les renseignements centralisés sont modifiés ou effacés par la Banque de France dès la réception de l'indication fournie par l'établissement ou l'organisme mentionné à l'article 1er que la déclaration initiale était erronée.'
M. et Mme [J] contestent leur inscription au FICP effectuée par le CREDIT AGRICOLE le 10 mai 2020 relativement à un prêt immobilier n°0170642333 en soutenant qu'ils avaient bien honoré les échéances de mars et avril 2020.
Toutefois, il convient d'observer que les deux virements invoqués, mentionnés sur leurs relevés bancaires avec pour objet 'paiement échéance prêt habitat n°0170642333, sont des virements faits à eux-mêmes, et non au profit de la banque qui n'a pas encaissé les échéances du prêt, et qu'en tout état de cause, ils n'ont pas permis de rendre leur compte créditeur, le solde déjà négatif avant ces versements (-1151,58€) étant demeuré négatif après la réalisation du dernier virement.
Il ressort de ces éléments que les mensualités des mois de mars et avril 2020 n'ont pas été honorées, ce qui caractérise des incident de paiement.
En application de l'article 8 précité, les informations sont conservées pendant cinq ans à défaut de paiement intégral des sommes dues.
En conséquence, l'inscription au FICP était bien justifiée de même que son maintien faute de justification du paiement intégral des sommes dues.
Il convient en conséquence débouter les époux [J] de leur demande de radiation de l'inscription au FICP.
VI. Sur les demandes accessoires
M. et Mme [J] succombant partiellement, sont condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel, à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE la somme de 1800€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sont déboutés de leur demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,
ANNULE le jugement entrepris ;
Vu l'effet dévolutif de l'appel ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE tirée de la prescription de la demande de déchéance du droit aux intérêts ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE tirée de la prescription de la demande de dommages et intérêts de M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] ;
DEBOUTE M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de leur demande de déchéance du droit aux intérêts ;
DEBOUTE M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de leur
demande de dommages et intérêts ;
CONDAMNE solidairement M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE la somme de 1887,06€ avec intérêts au taux contractuel de 5,2 % sur la somme de 1747,28€ et au taux légal sur le surplus, à compter du 25 juin 2019, au titre du prêt du 27 décembre 2014 ;
DEBOUTE M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de leur demande de délais de paiement et d'imputation prioritaire des paiements sur le capital ;
DEBOUTE M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de leur
demande de radiation de l'inscription au FICP ;
CONDAMNE in solidum M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE la somme de 1800€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] de leur demande formée à ce titre ;
CONDAMNE in solidum M. [R] [J] et Mme [I] [L] épouse [J] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET F. EMILY