AFFAIRE :N° RG 21/02131 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZRK
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 02 Juillet 2021 du Tribunal de Commerce de COUTANCES
RG n° 2021000577
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 26 JANVIER 2023
APPELANT :
Monsieur [U] [F]
né le 15 Mars 1960 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté et assisté de Me David DREUX, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE TERRITORIALE OUEST NORMANDIE
[Adresse 4]
[Localité 2]
pris en la personne de son représentant légal
représentée par Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Jean-Sébastien BAZILLE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 10 novembre 2022
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 26 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
Suivant concession accordée par l'Etat, la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie (CCITON) a exploité la criée du port de pêche de Granville jusqu'au 31 décembre 2020.
Dans le cadre de cette exploitation, la CCITON achetait aux pêcheurs les arrivages, qui étaient par la suite revendus aux enchères, étant précisé que le règlement d'exploitation imposait aux acheteurs à la criée d'être agréés et de fournir des garanties financières pour couvrir le montant de leurs achats.
M. [J] [F], fils de M. [U] [F], exerçant son activité professionnelle sous l'enseigne [F] [P], disposait d'un agrément en tant qu'acheteur à la criée de Granville, ayant versé, en garantie de ses engagements, un dépôt de garantie de 53.000 euros et fourni une caution bancaire d'un montant de 450.000 euros émanant de la société britannique Allied Re crédit.
M. [J] [F] présentant des arriérés de paiement importants au titre de ses achats à la criée, la CCITON l'a mis en demeure de régler les sommes dues puis, faute de réponse du débiteur, a cherché à mettre en oeuvre la garantie bancaire fournie par [F] [P].
La société Allied Re crédit s'étant révélée défaillante, la CCITON a engagé une action en référé à l'encontre du débiteur.
Par ordonnance de référé en date du 8 décembre 2020, le président du tribunal de commerce de Coutances a condamné M. [J] [F] à payer à la CCITON, à titre de provision, une somme en principal de 460.976,82 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2020.
M. [J] [F] n'étant pas en mesure de régler cette somme, le tribunal de commerce de Coutances a prononcé, par jugement du 8 décembre 2020, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard.
Par exploit d'huissier de justice en date du 5 mars 2021, la CCTION a fait assigner M. [U] [F] devant le tribunal de commerce de Coutances aux fins de le voir condamner à lui verser la somme de 467 300,24 euros, en sa qualité d'associé avec M. [J] [F] dans le cadre de la société créée de fait relative à l'exploitation de l'entreprise [F] [P].
Par jugement en date du 2 juillet 2021, le tribunal de commerce de Coutances a :
- dit que M. [U] [F] a constitué avec M. [J] [F] une société créée de fait, exploitée sous le nom commercial [F] [P] ;
- dit que la société créé de fait a un caractère commercial et qu'en conséquence les règles de la société en participation lui sont applicables ;
- dit que M. [U] [F] est tenu indéfiniment et solidairement responsable des dettes de la société créée de fait '[F] [P]' à l'égard de la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie ;
En conséquence,
- condamné M. [U] [F] à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme de 467.300,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2021, jusqu'à parfait paiement ;
- condamné M. [U] [F] à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné M. [U] [F] au paiement des entiers dépens de l'instance dont les frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 69,59 euros TTC, mais avancés par la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie.
Par déclaration en date du 16 juillet 2021, M. [U] [F] a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées le 17 octobre 2022, M. [U] [F] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celles relatives à l'exécution provisoire et à la liquidation des dépens ;
En conséquence, statuant à nouveau,
-Débouter la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie de toutes ses demandes,
- Condamner la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées le 3 octobre 2022, la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- Juger qu'en qualité d'associé d'une société créée de fait, M. [F] est tenu indéfiniment et solidairement des dettes de l'entreprise « [F] [P] » à l'égard de la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie,
- Condamner M. [U] [F] à lui payer la somme de 512.529,83 euros, outre les intérêts à compter du 11 novembre 2022,
En tout état de cause,
- Débouter M. [U] [F] de son appel ;
- Débouter M. [U] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner M. [U] [F] à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 octobre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Il appartient à la Chambre de commerce, qui poursuit le paiement de factures relatives à l'entreprise [F] [P] contre M. [U] [F], de prouver que ce dernier s'est comporté en apparence comme l'associé d'une société créée de fait entre lui et M. [J] [F] pour l'exploitation de ladite entreprise.
En sa qualité de tiers par rapport à cette société, il suffit à l'intimée d'établir la simple apparence d'une telle société.
Elle n'a pas à démontrer l'existence de chacun des éléments constitutifs de toute société (apports, affectio societatis, intention de participer aux bénéfices/pertes).
Pour retenir l'apparence d'une société créée de fait entre M. [U] [F] et son fils, le tribunal s'est fondé à juste titre sur :
- le comportement de M. [U] [F] qui était l'interlocuteur unique de la Chambre de commerce pour le compte de [F] [P], procédait seul aux achats à la criée, répondait aux relances du service de facturation sur les retard de paiement et dépassements de caution, confirmait qu'il procédait aux virements nécessaires et indiquait qu'il contactait son banquier ;
- l'apposition par M. [U] [F] de sa signature sur le certificat de garantie à première demande établi par la société Allied Re crédit dans l'intérêt de l'entreprise [F] [J].
Il convient d'ajouter que la seule adresse électronique figurant sur les courriers à l'en-tête de l'entreprise [F] [P] est celle de l'appelant : [Courriel 5].
Aucune pièce n'établit que la Chambre de commerce avait des relations avec M. [J] [F].
Il ressort de ces éléments que l'intimée ne traitait qu'avec M. [U] [F] qui assurait seul à son égard la représentation de l'entreprise ; que ce dernier donnait l'apparence envers la Chambre de commerce d'être l'associé de l'entreprise [F] [P] voire même d'en assumer la gestion.
La circonstance que l'appelant était juridiquement le salarié de M. [J] [F], en vertu d'un contrat de travail signé le 2 mai 2013, est à cet égard indifférente, en l'absence de toute manifestation extérieure d'un lien de subordination.
L'analyse des premiers juges est confortée par le fait que M. [U] [F] exerçait depuis 2006, sous l'enseigne Diprofish, une activité identique à celle de l'entreprise [F] [P] comportant le même siège social; que son exploitation a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 22 janvier 2013 qui a été clôturée pour insuffisance d'actif le 11 avril 2017 et que le 11 janvier 2014, l'appelant a fait l'objet d'une interdiction de gérer pour une durée de cinq ans.
Il a pu ainsi continuer à exploiter son activité de mareyage dans le cadre de l'entreprise [F] [P] créée par son fils, puis à compter de la défaillance celle-ci, dans le cadre de l'EURL Phil'[P] qu'il a constituée le 26 février 2019, dès la levée de son interdiction de gérer, et pour laquelle il a sollicité un agrément auprès de la Chambre de commerce le 29 juillet 2020.
Par suite, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [U] [F], en qualité d'associé de fait, indéfiniment et solidairement responsable des dettes de l'entreprise [F] [P] au titre de ses achats en criée et non réglés, sur le fondement des articles 1873 et 1872-1 du code civil.
Sur la base de son décompte de créance actualisé au 10 novembre 2022, la Chambre de commerce sollicite le paiement de la somme de 512 529,83€, se décomposant comme suit :
- principal : 460 976,82€ TTC selon ordonnance de référé définitive du 8 décembre 2020
- article 700 procédure de référé : 1000€
- dépens instance de référé : 171,37€
- frais de mesures conservatoires : 3239,78€
- intérêts au taux légal sur la créance en principal à compter du 16 octobre 2020 et au taux légal majoré de 5 points à l'expiration du délai de 2 mois à compter de la notification de l'ordonnance de référé, soit à compter du 22 février 2021 : 47 141,86€ arrêtés au 10 novembre 2022.
M. [U] [F], co-débiteur solidaire de la dette, ne bénéficie pas de la suspension du cours des intérêts résultant de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [J] [F] (article L 631-14 dernier alinéa ancien du code de commerce).
Par ailleurs, il ne rapporte pas la preuve lui incombant de l'éventuelle non-admission, totale ou partielle, de la créance de l'intimée au passif de la procédure collective dont il pourrait se prévaloir.
Dès lors, au vu de ces éléments et des justificatifs produits, il convient de condamner M. [U] [F], en sa qualité d'associé avec [J] [F] de la société créée de fait relative à l'exploitation de l'entreprise [F] [P], à payer à la Chambre de commerce la somme de 512 529,83€ arrêtée au 10 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 11 novembre 2022.
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.
M. [U] [F] succombant, est condamné aux dépens de l'appel, à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme complémentaire de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et est débouté de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,
CONFIRME le jugement entrepris des chefs de disposition dont il a été interjeté appel sauf en ce qu'il a condamné M. [U] [F] à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme de 467.300,24 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2021, jusqu'à parfait paiement ;
Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée et y ajoutant,
CONDAMNE M. [U] [F] à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme de 512 529,83€ arrêtée au 10 novembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 11 novembre 2022 ;
CONDAMNE M. [U] [F] à payer à la Chambre de commerce et d'industrie territoriale Ouest Normandie la somme complémentaire de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [U] [F] de sa demande formée à ce titre ;
CONDAMNE M. [U] [F] aux dépens de l'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY