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15/12/2022 | FRANCE | N°19/00159

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 15 décembre 2022, 19/00159


AFFAIRE : N° RG 19/00159 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GHVN

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance d'ALENCON en date du 18 Décembre 2018

RG n° 18/00613





COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022









APPELANTE :



SELARL 'P.J.A.' représentée par Maître Pascal JOULAIN, mandataire judiciaire

N° SIRET : 512 335 167

[Adresse 8]

[Locali

té 4]

prise en la personne de son représentant légal



représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE :



SCI DE...

AFFAIRE : N° RG 19/00159 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GHVN

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance d'ALENCON en date du 18 Décembre 2018

RG n° 18/00613

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

SELARL 'P.J.A.' représentée par Maître Pascal JOULAIN, mandataire judiciaire

N° SIRET : 512 335 167

[Adresse 8]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

SCI DE REMALARD

N° SIRET : 353 742 984

[Adresse 5]

[Localité 7]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Didier LEFEVRE, avocat au barreau D'ALENCON

DEBATS : A l'audience publique du 06 octobre 2022, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et Mme COURTADE, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

MINISTERE PUBLIC : représenté par M. PAMART, Substitut Général,

GREFFIER : Mme FLEURY, greffier

En présence de M. HALLOT, greffier stagiaire

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme CHEENNE, Conseiller,

Mme COURTADE, Conseillère,

ARRÊT prononcé publiquement le 15 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

Par acte authentique en date du 28 novembre 2007, la SCI de [K] a vendu à la SCI des Pezards la maison individuelle sise [Adresse 6], cadastrée section [Cadastre 9] et [Cadastre 2], moyennant le prix de 140 000€, payable sous la forme d'un crédit vendeur sur 20 ans, au taux de 5% l'an.

La SCI de [K] a inscrit sur le bien acquis un privilège de vendeur en premier rang le 23 juin 2011, puis, une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire le 21 mai 2012, et une hypothèque judiciaire définitive le 18 juillet 2012.

Ultérieurement, le fonds de titrisation FCT Hugo créances II, venant aux droits de la banque Crédit lyonnais, a inscrit une hypothèque de premier rang sur les parcelles cadastrées section [Cadastre 1] et [Cadastre 3] dépendant de l'ensemble immobilier sis [Adresse 6] appartenant à la SCI des Pézards.

Par jugement en date du 7 novembre 2013, le tribunal de commerce de Chartres a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI des Pezards et a désigné en qualité de liquidateur judiciaire la SELARL PJA, prise en la personne de Maître [Y] [O].

Sur autorisation du juge-commissaire du 7 mars 2017, l'immeuble cadastré section [Cadastre 9], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] a été vendu par acte authentique du 2 mai 2017 moyennant le prix de 85 000€, soit une somme de 74 659,89€ déduction faite des frais de greffe, diagnostice et émoluments tarifés.

Ces fonds ont été distribués au FCT Hugo créances II à hauteur de 60 836,71€ et à M. [L] à hauteur de 13 823,18€.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mai 2017 (AR signé le 11 mai), la SCI de [K] a déclaré sa créance auprès de la SELARL PJA à hauteur de 198 405,44€ à titre privilégié pour être titulaire d'une sûreté hypothécaire.

Par courriers des 9 et 14 juin 2017, la SELARL PJA a notifié à la SCI de [K] l'information de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI des Pezards.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 2017, la SCI de [K] a réitéré sa déclaration de créance dans des termes identiques.

Par ordonnance du 7 juillet 2017, le juge-commissaire, sur requête de la SCI de [K], a constaté l'absence de forclusion de cette dernière et l'a déclarée recevable et bien fondée en sa déclaration de créance effectuée le 15 juin 2017.

Le 12 juillet 2017, le greffe du tribunal de commerce de Chartres a établi un avis en application de l'article R 624-3 du code de commerce, mentionnant que le juge-commissaire avait admis la créance de la SCI de [K] à hauteur de 198 405,44€ à titre privilégié.

Par courrier du 22 février 2018 adressé à la SELARL PJA, la SCI de [K] a réclamé le versement des fonds.

Par courrier du 22 février 2018, la SELARL PJA a répondu que l'immeuble avait été vendu et la procédure clôturée pour insuffisance d'actif le 17 octobre 2017; que le créancier hypothécaire 'inscrit en premier rang' Hugo Créances II avait été réglé d'une partie de sa créance. Un certificat d'irrecouvrabilité était joint à ce courrier.

La SCI de [K] estimant que la SELARL PJA a engagé sa responsabilité extra-contractuelle en ne l'avertissant pas d'avoir à déclarer sa créance et en répartissant le prix de vente à un créancier bénéficiant d'une sûreté moindre, l'a assignée devant le tribunal de grande instance d'Alençon, par acte d'huissier du 4 juin 2018, aux fins de paiement de la somme de 198.405,44€ en réparation du préjudice subi.

Par jugement réputé contradictoire du 18 décembre 2018, le tribunal de grande instance d'Alençon a :

- condamné la SELARL PJA à verser à la SCI de [K] la somme de 85.000€ en réparation du préjudice matériel subi ;

- condamné la SELARL PJA aux dépens ;

- condamné la SELARL PJA à payer à la SCI de [K] la somme de 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration en date du 11 janvier 2019 adressée au greffe de la cour, la SELARL PJA a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 18 décembre 2019, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Caen a :

- ordonné un sursis à statuer jusqu'à l'issue définitive de la procédure de collocation ouverte dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ré-ouverte par jugement rendu le 1er août 2019;

- débouté la SELARL PJA de sa demande de sursis à statuer jusqu'à la clôture des opérations de liquidation;

- dit que les dépens de l'incident seront joints au fond.

Par dernières conclusions déposées le 14 février 2021, la SELARL PJA demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SELARL PJA à verser à la SCI de [K] la somme de 85.000 euros en réparation de son prétendu préjudice matériel ainsi qu'à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouter la SCI de [K] de l'action en responsabilité civile professionnelle qu'elle a cru devoir introduire à son encontre,

- Condamner la SCI de [K] à verser la SELARL PJA la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions déposées le 7 janvier 2021, la SCI de [K] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SELARL PJA à indemniser la SCI de [K] de son préjudice matériel, des dépens et de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Vu l'état de collocation intervenu en cours de procédure et du règlement de la somme de 36.829,94 euros,

- Condamner la SELARL PJA à lui payer la somme de 9.935,58 euros à titre de dommages et intérêts,

- Condamner la SELARL aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Didier Lefevre du cabinet Blancher Lefevre Gallot sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, outre à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouter la SELARL PJA de l'ensemble de ses demandes.

Par conclusions du 12 septembre 2022, le ministère public déclare s'en rapporter.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 septembre 2022.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

Il incombe à la SCI de [K], qui sollicite la mise en oeuvre de la responsabilité délictuelle de la SELARL PJA sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, de rapporter la preuve d'une faute de cette dernière, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

Le mandataire judiciaire est responsable du dommage causé à autrui par son fait ou sa négligence, par un manquement aux textes relatives à la procédure collective, à la déontologie et aux usages.

Aux termes de l'article L 622-24 du code de commerce, 'les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement.'

L'article R 622-21 ajoute : ' L'avertissement du mandataire judiciaire reproduit les dispositions légales et réglementaires relatives aux délais et formalités à observer pour la déclaration des créances, pour la demande en relevé de forclusion et pour les actions en revendication et en restitution. Cet avertissement reproduit également les articles L. 621-10, R. 621-19 et R. 621-24. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.'

En vertu de ces textes, la SELARL PJA, en sa qualité de mandataire liquidateur de la SCI des Pezards, avait l'obligation d'adresser à la SCI de [K], qui était titulaire d'une hypothèque de premier rang, publiée donc connue, sur l'immeubles litigieux cadastré section [Cadastre 9] et [Cadastre 2], l'avertissement personnel d'avoir à déclarer sa créance.

Or, le mandataire liquidateur a omis de procéder à cette formalité lors de l'ouverture de la liquidation judiciaire et n'a régularisé l'avertissement que le 9 juin 2017, soit près de cinq ans après le jugement d'ouverture, ce alors même que la vente de l'immeuble et la répartition des fonds étaient déjà intervenues.

Ce manquement est constitutif d'une faute.

Informée tardivement de la procédure collective, la SCI de [K] n'a pas été en mesure de déclarer sa créance dès 2013, peu important qu'elle l'ait déclarée dans le délai légal, qui a commencé à courir à compter de la notification de l'avis.

La SELARL PJA ne peut valablement se retrancher derrière le fait que le jugement d'ouverture est publié au BODACC et donc opposable aux tiers.

La SELARL PJA a également commis une faute en ignorant le privilège de la SCI de [K], omettant celle-ci dans la distribution des fonds et violant l'ordre des créanciers, ce alors qu'elle était informée dès le 11 mai 2017 de l'inscription hypothécaire de premier rang de l'intimée par sa déclaration de créance initiale.

Il résulte des pièces n° 8 et 9 de la SELARL PJA que c'est seulement début 2019 que cette dernière a récupéré les fonds indûment distribués et le 22 mars 2019 qu'elle en a avisé l'intimée, soit neuf mois après l'assignation en justice.

La procédure de liquidation judiciaire a ensuite été réouverte par jugement du 1er août 2019 suivie de la procédure de collocation qui a permis à la SCI de [K] d'obtenir la somme de 36 829,94€, la remplissant de ses droits, par chèque réceptionné le 24 octobre 2020 et encaissé le 6 janvier 2021, une somme identique ayant été allouée au FCT Hugo Créances II.

Ce défaut d'information et l'omission de la SCI de [K] dans la distribution ont causé à celle-ci un préjudice lié aux frais supplémentaires générés par la nécessité de réouvrir la procédure de liquidation judiciaire et procéder à une nouvelle collocation, au retard dans la remise des fonds qui aurait dû intervenir en mai 2017 et aux tracas subis.

La responsabilité délictuelle de la SELARL PJA se trouve ainsi engagée.

Aux termes des dispositions de l'article 954 alinéa 3 du code civil, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts de l'intimée comme étant nouvelle en appel, soulevée par la SELARL PJA dans le corps de ses conclusions mais ne figurant pas dans leur dispositif, ne sera donc pas examinée.

Au vu des éléments du dossier, les dommages subis peuvent être évalués comme suit:

* frais supplémentaires

En 2017, le prix de cession net réparti entre le FCT Hugo créances II et M. [L] s'élevait à 74 659,89€, déduction faite des frais (greffe, émoluments et débours du mandataire liquidateur etc) pour un total de 10 394,18€.

Dans le cadre de l'état de collocation dressé du 19 juin 2020, le prix à distribuer n'était plus que de 73 659,89€ compte tenu de l'imputation de frais plus élevés d'un montant de 11394,10€.

Le liquidateur ne fournit pas le détail de ces frais dont l'augmentation de 1000€ est manifestement due aux diligences et procédure supplémentaires qu'il a dû mener compte tenu de sa négligence fautive.

L'intimée sera indemnisée à ce titre par l'allocation d'une somme de 1000€ : 2 =500€.

* intérêts de retard

L'argument soulevé par l'appelante tiré de l'arrêt du cours des intérêts des créances contre la procédure de liquidation judiciaire est inopérant.

Il convient donc de condamner la SELARL PJA à payer à la SCI de [K] les intérêts de retard au taux légal sur la somme de 37 329,94€, montant qu'elle aurait aurait dû recevoir, à compter du 7 mai 2017 jusqu'au 24 octobre 2020, date de remise du chèque.

* troubles et tracas

La SCI de [K] a incontestablement subi des troubles et tracas liés aux nombreuses démarches et procédure par elle engagées afin d'être rétablie dans ses droits de créancier hypothécaire.

Ce préjudice sera justement indemnisé par l'allocation d'une indemnité de 1000€.

En revanche, la demande de l'intimée à hauteur de 1715,95€ au titre des frais d'avocat exposés pour la procédure devant le juge-commissaire est infondée. En effet, dès lors que la forclusion ne lui était pas opposée, la SCI était sans intérêt à saisir le magistrat d'une requête en constat de non forclusion.

Cette demande est donc rejetée.

Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.

La SELARL PJA succombant, est condamnée aux dépens de l'appel, à payer à la SCI de [K] la somme complémentaire de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et est déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

CONDAMNE la SELARL PJA à payer à la SCI de [K] en réparation de ses préjudices :

- une indemnité de 500€ au titre des frais et émoluments supplémentaires supportés

- une indemnité de 1000€ au titre des troubles et tracas

- les intérêts de retard au taux légal sur la somme de 37 329,94€ à compter du 7 mai 2017 jusqu'au 24 octobre 2020 ;

CONDAMNE la SELARL PJA à payer à la SCI de [K] la somme complémentaire de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SELARL PJA aux dépens de l'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats constitués en la cause qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les partie de leurs demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/00159
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;19.00159 ?
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