AFFAIRE : N° RG 21/01439 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYFP
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 29 Mars 2021 -
RG n°18/02025
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2022
APPELANT :
Monsieur [V] [I]
né le 10 Mars 1952 à [Localité 21]
[Adresse 14]
[Localité 7]
représenté par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,
assisté de Me Said MELLA, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [C] [O]
né le 14 Juin 1945 à [Localité 24]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté et assisté de Me Marie BOURREL, avocat au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 22 septembre 2022, sans opposition du ou des avocats, Mme VELMANS, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
M. GARET, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 06 Décembre 2022 par prorogation du délibéré initialement fixé au 22 Novembre 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [C] [O] a acquis le 9 mai 1989 par adjudication, la propriété de diverses pièces de terre en nature de pré clair situées sur la commune de [Localité 25] (14), cadastrées section [Cadastre 17], [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9], et [Cadastre 1] pour une contenance totale de 10 ha 36 a 90 ca, étant précisé que sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 5], a été édifié un gabion.
Pour accéder à ces parcelles situées dans une zone de marais, Monsieur [O], étant enclavé, passait sur les parcelles cadastrées section [Cadastre 19] et [Cadastre 23] en empruntant deux ponts permettant d'enjamber les canaux.
Le 2 mars 1993, Monsieur [O] a fait l'acquisition d'une parcelle en herbage clair cadastrée section [Cadastre 16], située sur la commune de [Localité 25], ayant un accès sur la voie publique, séparée de la parcelle cadastrée section [Cadastre 18] dont il était déjà propriétaire, par un petit canal.
Le 17 octobre 2014, Monsieur [V] [I] a fait l'acquisition sur le commune de [Localité 25] de diverses parcelles de terres agricoles cadastrées section [Cadastre 23], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 3] et [Cadastre 13] pour une superficie totale de 21 ha 10 a 83 ca.
Estimant que l'état d'enclave des parcelles cadastrées section [Cadastre 17], [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 1] avait cessé à la suite de l'acquisition par Monsieur [O] de la parcelle cadastrée section [Cadastre 16], Monsieur [I], l' a mis en demeure par lettre de son conseil du 9 juillet 2015, de cesser de traverser ses parcelles cadastrées section [Cadastre 13] et [Cadastre 23] pour se rendre sur ses parcelles.
Le 29 juin 2015, il a fait détruire le pont permettant à Monsieur [O] d'accéder à ses parcelles en traversant les siennes, puis a fait réaliser un passage provisoire.
Dans le cadre de ce litige, Monsieur [O] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Coutances aux fins de désignation d'un expert avec mission de chiffrer la reconstruction d'un pont à l'identique.
Le juge des référés a ordonné une médiation qui n'a pas abouti.
Par ordonnance du 12 janvier 2017, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de Monsieur [O] visant à faire cesser les voies de fait qu'auraient commises son voisin, et l'a condamné au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 19 décembre 2017, la cour de céans, saisie de l'appel de Monsieur [O], a réformé l'ordonnance entreprise et a :
- fait injonction à Monsieur [I] de retirer la clôture de barbelés qu'il a installée à l'entrée sud ouest de sa parcelle cadastrée [Cadastre 13], et ce sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant celui de la signification de l'arrêt,
- fait interdiction à Monsieur [I] de faire obstacle au passage des véhicules de tourisme de Monsieur [O] et de ses proches sur le droit de passage précité sur ces parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 13] et ce sous astreinte provisoire de 300 euros par infraction constatée,
- condamné Monsieur [I] à payer à Monsieur [O] la somme de 500 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice lié à l'impossibilité d'utiliser le droit de passage d'origine pour rejoindre ses parcelles [Cadastre 15], [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 1],
- condamné Monsieur [I] à payer à Monsieur [O] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Par acte d'huissier du 11 mai 2018, Monsieur [I] a saisi le tribunal de grande instance de Caen d'une demande tendant à voir notamment constater l'extinction de l'état d'enclave et proposant de prendre à ses frais la construction d'un pont entre les parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 18].
Par jugement du 29 mars 2021, le tribunal estimant que le coût des aménagements nécessaires (création d'un pont et d'un chemin carrossable) ne permettait pas de considérer que les parcelles cadastrées section [Cadastre 15], [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 1], seraient désenclavées depuis le 2 mars 1993, a débouté Monsieur [I] de toutes ses prétentions, débouté Monsieur [O] de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, et condamné Monsieur [I] au paiement d'une somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le 21 mai 2021, Monsieur [I] a interjeté appel de la décision en ce qu'elle l'a débouté de toutes ses prétentions, et condamné au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses écritures en date du 4 août 2021, Monsieur [I] conclut à l'infirmation du jugement entrepris, et :
- à titre principal :
* juger que les conditions posées par l'article 682 du code civil ne sont pas réunies,
Par suite :
* juger que Monsieur [O] ne bénéficie pas d'une servitude légale de passage sur les parcelles de Monsieur [I],
* juger qu'il n'y avait pas et n'y a pas lieu d'envisager la cessation d'un droit de passage dès lors que ce droit n'existe pas,
- à titre subsidiaire,
* Juger que les conditions posées par l'article 685-1 du code civil sont réunies,
Par suite,
* juger qu'à supposer que Monsieur [O] ait bénéficié d'une servitude légale de passage sur les parcelles de Monsieur [I], son droit a cessé de plein droit lorsqu'il a fait l'acquisition de la parcelle [Cadastre 16],
* condamner Monsieur [O] à verser à Monsieur [I] la somme de 15.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses écritures en date du 19 octobre 2021, Monsieur [O] conclut à la confirmation du jugement entrepris, au rejet des prétentions adverses et à la condamnation de Monsieur [I] au paiement d'une somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le droit de passage
L'article 682 du code civil dispose :
'Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de constructions ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner '.
Monsieur [I] soutient que Monsieur [O] ne peut se prévaloir de ce texte puisque l'usage que ce dernier fait de ses parcelles (activité de chasse) ne rentre pas dans les prévisions de ce texte, et qu'en outre les voies d'eau constituant des voies publiques, il n'est pas enclavé et que seule la nécessité et non une simple commodité personnelle, justifie un passage sur le fonds d'autrui pour cause d'enclave.
Il est constant que l'exploitation visée à l'article précité doit s'entendre de façon extensive, et que le droit pour le propriétaire d'un fonds enclavé de réclamer l'accès à la voie publique est fonction de l'utilisation normale du fonds qu'elle qu'en soit la destination.
En l'espèce, il résulte des photographies et plans des lieux versés aux débats que s'agissant de parcelles séparées par des canaux dont il n'est pas démontré par l'appelant qu'ils soient effectivement navigables et en tout cas qu'ils permettent un accès suffisant pour approvisionner les gabions situés sur les parcelles [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 1], appartenant à Monsieur [O], le seul accès possible ne pouvait se faire à partir d'un chemin communal que par les parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 13] appartenant à Monsieur [I], puis par l'intermédiaire d'un pont reliant la parcelle [Cadastre 23] à la [Cadastre 8].
C'est d'ailleurs toujours ainsi qu'a procédé Monsieur [O] sans opposition de la part des précédents propriétaires, jusqu'à l'acquisition des parcelles [Cadastre 23] et [Cadastre 13] par Monsieur [I].
En l'absence d'un passage permettant d'assurer directement la desserte de son fonds pour l'exploitation de ses gabions à partir de la voie publique, qui nécessite l'utilisation d'un véhicule pour les approvisionner, Monsieur [O] était donc bien fondé à se prévaloir d'un droit de passage pour cause d'enclave.
Subsidiairement, Monsieur [I] invoque la cessation de l'état d'enclavement du fait de l'acquisition par Monsieur [O] de la parcelle cadastrée [Cadastre 16] qui dispose d'un accès direct sur la voie publique et n'est séparée de sa parcelle cadastrée [Cadastre 18] que par un canal.
L'article 685-1 du code civil dispose :
' En cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682.
A défaut d'accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice.'
En l'espèce, s'il est exact que la parcelle cadastrée [Cadastre 16] acquise en 1993 par Monsieur [O] bénéficie d'un accès direct sur le chemin communal, elle est séparée de la parcelle cadastrée [Cadastre 18] par un petit canal.
Il est donc nécessaire de prévoir des aménagements pour permettre de les relier par un passage suffisant pour un véhicule destiné à approvisionner les gabions, une simple passerelle ne permettant qu'un accès à pied, étant insuffisante.
Le tribunal a estimé au regard des devis produits par Monsieur [O] que le montant des travaux d'aménagement étaient disproportionnés par rapport à la valeur d'acquisition des parcelles, de telle sorte que les parcelles [Cadastre 15], [Cadastre 5], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 1] ne pouvaient être considérées comme désenclavées depuis le 2 mars 1993 et qu'il n'était pas démontré que la création d'un nouveau pont serait autorisé par la police des eaux.
Sur ce dernier point, il résulte d'un courrier de l'ASA de la vallée de la [Localité 20] (Cf. Pièce N°23) qu'aucune autorisation n'est requise pour un pont ou un passage busé de 3è catégorie, identique à celui permettant actuellement à Monsieur [O] d'accéder à ses parcelles en passant sur celles de Monsieur [I].
Eu égard à la configuration des lieux et à la nature du terrain essentiellement constitué de vases et de tourbe, la création d'un chemin carrossable et d'un pont sont nécessaires pour que Monsieur [O] puisse accéder à la parcelle [Cadastre 1] à partir de la parcelle [Cadastre 2].
Il lui appartient néanmoins d'établir le caractère disproportionné du montant des travaux nécessaires pour de tels aménagements, au regard de la valeur actuelle de ses parcelles, ce qu'il ne fait pas, se contentant de faire état d'une disproportion avec leur valeur d'acquisition en 1989 et 1993 pour un montant total de 35.063,00 € et le montant des devis qu'il verse aux débats (Cf. Pièces N°22 et 23) pour des montants de 34.591,44 € et 37.639,33 €.
Or, Monsieur [I] produit quant à lui des éléments de comparaison avec des terrains de même nature et de taille similaire, vendus en 2018 dans le même périmètre, comportant également des gabions, pour une valeur oscillant entre 165.000,00 € (Cf. Pièce N°14) 180.000,00 € (Cf. Pièce N°15), démontrant ainsi que la valeur des parcelles de Monsieur [O] a nécessairement augmenté dans d'importantes proportions depuis leur acquisition.
Ce dernier étant défaillant dans la preuve de la disproportion qu'il invoque pour soutenir qu'il est toujours enclavé malgré l'acquisition de la parcelle [Cadastre 22], il convient d'infirmer le jugement entrepris et de constater que la servitude de passage pour cause d'enclave dont il bénéficiait sur les parcelles appartenant à Monsieur [I], a cessé suite à l'acquisition de ladite parcelle.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité commande d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [I] à payer à Monsieur [O] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner celui-ci à payer à Monsieur [I] une somme de 4.000,00 € au titre des frais irrépétibles, et de le débouter de sa demande à ce titre.
Succombant, Monsieur [O] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [I] aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 29 mars 2021 des chefs dont la cour est saisie,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONSTATE que l'état d'enclave dont Monsieur [C] [O] se prévaut, a cessé avec l'acquisition par lui de la parcelle cadastrée [Cadastre 16],
DEBOUTE Monsieur [O] de toutes ses demandes,
CONDAMNE Monsieur [C] [O] à payer à Monsieur [V] [I] la somme de 4.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Monsieur [C] [O] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [C] [O] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON