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01/12/2022 | FRANCE | N°19/01487

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 2, 01 décembre 2022, 19/01487


AFFAIRE : N° RG 19/01487

N° Portalis DBVC-V-B7D-GKMS

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG en date du 12 Avril 2019 RG n° 18/00029











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022





APPELANTS :



Monsieur [L] [T]

[Adresse 4]

[Localité 5]



Syndicat SUD INDUSTRIES DE NORMANDIE ET DE LA MAYENNE
>[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentés par Me Sophie CONDAMINE, avocat au barreau de CAEN





INTIMEE :



Société ORANO RECYCLAGE venant aux droits de la Société ORANO CYCLE, prise en son établissement de la Hag...

AFFAIRE : N° RG 19/01487

N° Portalis DBVC-V-B7D-GKMS

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG en date du 12 Avril 2019 RG n° 18/00029

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022

APPELANTS :

Monsieur [L] [T]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Syndicat SUD INDUSTRIES DE NORMANDIE ET DE LA MAYENNE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentés par Me Sophie CONDAMINE, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Société ORANO RECYCLAGE venant aux droits de la Société ORANO CYCLE, prise en son établissement de la Hague, en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Sabrina JOUTET, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 15 septembre 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 01 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [T] et le syndicat Sud industries de Normandie, de la Sarthe et de la Mayenne d'un jugement rendu le 12 avril 2019 par le conseil de prud'hommes de Cherbourg dans un litige l'opposant à la société Orano Cycle.

FAITS et PROCEDURE

M. [L] [T], né le 17 décembre 1962, a été engagé par la COGEMA, aux droits de laquelle est venue la société Areva NC, puis Orano Cycle et aujourd'hui Orano recyclage, à compter du 7 octobre 1987 en qualité d'opérateur de fabrication, au sein de l'établissement de la Hague. Au dernier état, il exerçait les fonctions de technicien supérieur .

Il a travaillé en services continus et / ou exécuté des travaux pénibles.

Les relations des parties sont régies par la convention collective des industries métallurgiques de la région parisienne.

Un accord d'entreprise relatif à la retraite' SC- TP' (services continus/ travaux pénibles) du 15 juin 2000, repris dans l'accord d'entreprise du 16 septembre 2000, prévoyait, dans la perspective d'un départ en retraite, une période indemnisée de suspension du contrat de travail dite 'durée d'anticipation' décomptée sous la forme de rétro- planning à compter du 60ème anniversaire et d'une durée maximum de cinq années.

Le régime des retraites ayant été modifié par la loi de 2010 qui a reporté progressivement l'âge de la retraite de 60 à 62 ans, il a été mis fin à ce dispositif ' SC- TP' le 15 mars 2012.

Un accord d'entreprise a été conclu le 6 mars 2012 entre la société Areva NC et quatre des organisations syndicales représentatives ( CGT, CFDT, CFE - CGC et UNSA- SPAEN) portant sur un nouveau dispositif de cessation anticipée d'activité, appelé compte anticipation de fin de carrière (CAFC), réservé aux salariés effectuant des travaux dont le caractère pénible tient aux conditions particulières de leur exécution.

Cet accord prévoit, pour les salariés nés à compter de l'année 1958, le principe d'une projection conventionnelle de la date d'obtention du taux plein, date projetée à partir de laquelle, pour fixer la date de départ en cessation anticipée d'activité, doit être décomptée la durée d'anticipation enregistrée par les salariés.

L'objet de cet accord était de :

- garantir aux salariés les durées d'anticipation enregistrées au titre du dispositif ' SC- TP',

- de prévoir un co- investissement employeur / salarié par la référence, pour déterminer la date de départ en cessation anticipée, à la date d'obtention du taux plein du régime général de la sécurité sociale et non plus à un âge déterminé comme dans l'ancien dispositif,

- de mettre en place, en contrepartie du maintien par la société du dispositif de cessation anticipée d'activité, un système de projection conventionnelle du taux plein, dans un contexte politique, économique et social annonçant des réformes repoussant l'âge d'obtention du taux plein, sans qu'il soit possible de déterminer par avance, à quelle date ces réformes interviendront.

Le dispositif de cessation anticipée d'activité consiste à permettre à un salarié qui en fait la demande, au titre de l'anticipation qu'il a enregistrée au regard des fonctions qu'il a pu occuper, à solliciter un départ anticipé à une date à déterminer, à compter de laquelle son contrat de travail va être suspendu jusqu'à la liquidation de sa pension de retraite à taux plein, cette suspension d'activité étant indemnisée à hauteur de 90% de son salaire de référence dans la limite du plafond mensuel de la sécurité sociale puis 80% au - delà.

Cet accord prévoit le principe d'une fixation du point de départ du calcul de la période d'anticipation, en déterminant conventionnellement les conditions d'obtention du taux plein des salariés dont les conditions légales sont encore inconnues.

Pour ce faire, une date fictive d'acquisition d'un droit à retraite à taux plein, appelé âge conventionnel d'ouverture du droit, est déterminé, à partir de l'âge légal de départ en retraite au taux plein en vigueur au jour du calcul de la période indemnisée, avec un mécanisme dit de projection conventionnelle consistant à majorer de trois mois supplémentaires, ajoutés à l'âge légal d'ouverture du droit à retraite à taux plein.

Cet accord prévoit que 'dès que les conditions légales d'obtention du taux plein sont connues, celles - ci se substituent automatiquement aux conditions figurant dans les tableaux ci- dessus ' et que ' dans les cas où les conditions légales d'obtention du taux plein seraient différentes des conditions conventionnelles prévues ci- dessus, la situation du salarié fera l'objet d'une régularisation' selon les modalités précisées dans cet accord.

Cet accord du 6 mars 2012 a fait l'objet d'avenants en date des 15 octobre 2012, 19 décembre 2012 et 17 décembre 2014 qui n'ont pas remis en cause le principe de la fixation du point de départ du calcul de la période de suspension indemnisée, à une date fictive d'acquisition d'un droit à la retraite à taux plein en application de la projection conventionnelle.

L'avenant n ° 4, en date du 31 juillet 2018, a assoupli les conditions du bénéfice du dispositif et a précisé l'articulation entre projection conventionnelle et date effective du bénéfice de la retraite à taux plein pour les salariés.

********************

Le 4 juillet 2012, M. [T] a signé un avenant à son contrat de travail en vue de formaliser les garanties prévues par l'accord du 6 mars 2012 :

- une durée d'anticipation de 3 ans et 2 mois , enregistrée au 31 mars 2012 au titre de l'ancien dispositif SC- TP

- une garantie du calcul de l'indemnisation versée pendant la période d'anticipation garantie.

Par courrier du 10 janvier 2018, M. [T], dont la date de départ en cessation anticipée d'activité avait été estimée au 1er juin 2020, a demandé à la société que la projection conventionnelle ne lui soit pas appliquée, au motif qu'il bénéficiait du dispositif carrière longue et que le maintien du dispositif de projection conventionnelle ne se justifiait plus.

La société lui a répondu le 24 janvier 2018 qu'aucun texte officiel n'avait été 'publié par le nouvel exécutif sur le sujet des retraites', qu'elle ne pouvait qu'appliquer l'accord en vigueur.

Par 'avenant de suspension du contrat de travail' signé le 30 août 2019, s'inscrivant dans le cadre de l'avenant n° 4 à l'accord relatif au dispositif de cessation anticipée d'activité au sein d'ArevaNC, la date de décompte de la durée d'anticipation de M. [T] a été fixée au 1er décembre 2023, date à laquelle il sera 'en mesure de liquider sa pension de retraite du régime général à taux plein en application du décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 et des dispositions conventionnelles applicables à ce jour au sein de la société' et sa date de départ en cessation anticipée d'activité fixée au 1er février 2020.

************************

Le 5 mars 2018, M.[T] a saisi le conseil de prud'hommes de Cherbourg en Cotentin aux fins de voir constater qu'il est éligible à l'application de l'accord relatif au dispositif de cessation anticipée d'activité en vigueur du 6 mars 2012 , mais que les conditions dans lesquelles il peut obtenir une retraite à taux plein étant désormais connues, la projection conventionnelle n'a pas vocation à s'appliquer pour déterminer sa date de départ en cessation anticipée d'activité, que dès lors, cette date doit être fixée rétroactivement au 1er mars 2019, conformément aux dispositions légales déterminant ses conditions d'obtention d'une retraite à taux plein. Il sollicitait en outre une indemnité au titre de l'inégalité de traitement.

Le syndicat Sud Industries de Normandie, de la Sarthe et de la Mayenne ( le syndicat), intervenant volontairement, a sollicité la condamnation de la société à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des salariés par le défaut d'application conforme des dispositions légales et conventionnelles dans le cadre du dispositif de cessation anticipée d'activité.

Par jugement du 12 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Cherbourg en Cotentin a :

- débouté M.[T] et le syndicat de l'ensemble de leurs demandes,

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [T] et le syndicat aux dépens, chacun pour moitié.

Par déclaration du 16 mai 2019, M. [T] et le syndicat ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs conclusions n° 3 reçues au greffe le 24 août 2022, M. [T] et le syndicat Sud Industries de Normandie et de la Mayenne demandent à la cour de:

Vu les articles L 2262-4, L 2254-1 et L 2262-12 et suivants du code du travail,

Vu les articles L 161-17-2, L 161-17-3 et D 351-1-1 du code de la sécurité sociale,

Vu l'accord relatif au dispositif de cessation anticipée d'activité applicable au sein d'Orano Cycle Sa - compte anticipation fin de carrière du 6 mars 2012, et ses différents avenants,

- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions contraires aux présentes,

En conséquence et statuant à nouveau :

¿ dire M. [T] recevable et bien fondé en ses demandes,

En conséquence,

- constater qu'il est éligible à l'application de l'accord relatif au dispositif de cessation anticipée d'activité applicable au sein d'Orano Cycle Sa - compte anticipation de fin de carrière ( CAFC) du 6 mars 2012,

- constater que les conditions légales d'obtention d'une retraite à taux plein sont à ce jour connues,

En conséquence et par application de l'article 1.1.3.1 de l'accord CAFC du 6 mars 2012,

- dire que la projection conventionnnelle de l'âge, telle que prévue par les dispositions combinées de l'accord CAFC en date du 6 mars 2012, de l'article 4 et de l'annexe 2 de son avenant n°3 , n'a pas vocation à s'appliquer dans le cadre de la détermination de sa date de départ en cessation anticipée d'activité,

En conséquence,

- dire que la date de son départ en cessation anticipée d'activité devra être rétroactivement fixée au 1er mars 2019 conformément aux dispositions légales déterminant ses conditions d'obtention d'une retraite à taux plein,

- enjoindre à la Sas Orano Recyclage de tirer toutes conséquences de droit d'une date de départ en cessation anticipée d'activité au 1er mars 2019 ,

- condamner la société à lui verser une indemnité fixée à 500 euros par jour travaillé au-delà de la date de départ de son salarié en cessation anticipée d'activité devant être arrêtée au 1er mars 2019 ,

En toute hypothèse,

- condamner la société à lui verser une somme de 30 000 euros au titre du préjudice subi du fait , d'une part, de l'inégalité de traitement dont il a été l'objet et d'autre part, du refus abusif et injustifié de l'employeur de procéder à la mise en oeuvre de l'accord CAFC en date du 6 mars 2012, conformément aux dispositions qui y sont convenues, et notamment aux termes de son article 1.1.3.1

- condamner encore la société à lui verser une indemnité de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

¿ dire le syndicat Sud Industries de Normandie et de la Mayenne, recevable et bien fondé en son action et en ses demandes,

En conséquence,

- condamner la société Orano Recyclage à lui verser, en tant que partie intervenante, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des salariés par le défaut d'application conforme des dispositions conventionnelles applicables au dispositif de cessation anticipée d'activité,

- condamner enfin la société Orano Recyclage à lui verser , en qualité de partie intervenante, une indemnité de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions n° 4 reçues au greffe le 30 août 2022, la société Orano Recyclage, venant aux droits de la société Orano Cylce, demande à la cour de :

Vu notamment les articles L 1222-1, L 2222-3-3 et L 2251-1 du code du travail, 1188 et suivants du code civil et 699 et 700 du code de procédure civile,

Vu l'accord d'entreprise du 6 mars 2012 et ses avenants n° 1,2,3,4 et 5 respectivement des 15 octobre 2012, 19 décembre 2012, 17 décembre 2014, 31 juillet 2018 et 25 février 2020,

- déclarer M. [T] et le syndicat Sud industrie de Normandie et de la Mayenne irrecevables et en tout cas mal fondés en leur appel,

En conséquence,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [T] et le syndicat de l'ensemble de leurs demandes,

Y ajoutant,

- condamner M.[T] et le syndicat Sud industrie de Normandie et de la Mayenne à payer, chacun, à la société Orano Recyclage la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M.[T] et le syndicat Sud industrie de Normandie et de la Mayenne aux entiers dépens.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 août 2022.

SUR CE, LA COUR

I - Sur les demandes de M.[T]

1.1 - Sur la demande de fixation de sa date de départ en cessation anticipée d'activité au 1er mars 2019 conformément aux dispositions légales déterminant ses conditions d'obtention d'une retraite à taux plein

M. [T] fait valoir qu'en vertu de l'accord du 6 mars 2012, en son article 1.1.3.1, partie B intitulée ' projection des conditions d'obtention du taux plein inconnues au moment du départ en cessation anticipée d'activité', l'application de la projection conventionnelle ne s'entend qu'autant que les conditions légales d'obtention d'une retraite à taux plein demeurent inconnues, que le décret du 2 juillet 2012 et l'article D 351-1-1 du code de la sécurité sociale étant venus déterminer les conditions particulières liées à la durée d'assurance et à l'âge nécessaire pour faire valoir ses droits de manière anticipée (pour les salariés nés à compter de 1952 ) et l'article L 161-17-2 ayant fixé à 62 ans l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1955, que le mécanisme de projection conventionnelle n'étant que subsidiaire, les dispositions légales doivent automatiquement s'y substituer dès lors qu'elles sont connues.

Il ajoute que l'avenant n° 4 du 31 juillet 2018 ne modifie en rien cette analyse, celui -ci prévoyant expressément en son article 2 qu'il convient de ' déterminer conventionnellement les conditions d'obtention du taux plein des salariés dont les conditions légales sont encore inconnues afin de pouvoir gérer par prévision leur départ en cessation d'activité', qu'étant né en 1962, les conditions légales et réglementaires d'obtention d'une retraite à taux plein se trouvent déterminées, de sorte qu'indépendamment de l'avenant n° 4 , la projection conventionnelle ne pouvait lui être applicable.

Il demande que lui soit appliqué l'accord collectif en ce qu'il a prévu la substitution automatique des conditions légales d'obtention du taux plein aux projections conventionnelles, les conditions légales d'obtention de sa retraite à taux plein étant connues.

La société fait valoir que M. [T] fait une interprétation erronée de la notion de 'conditions connues', les conditions légales d'obtention du taux plein ne pouvant être connues en matière de retraite qu'au moment où le salarié fait liquider sa retraite.

L'accord du 6 mars 2012, en son article 1.1.3.1, partie B intitulée 'projection des conditions d'obtention du taux plein inconnues au moment du départ en cessation anticipée d'activité', dispose :

' Les conditions légales d'obtention du taux plein sont déterminées en fonction de l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite et du nombre de trimestres requis, au titre de l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale.

Chaque année, un décret, publié avant le 31 décembre du 56 ème anniversaire des salariés, fixe le nombre exact de trimestres requis afin de bénéficier d'une retraite du régime général à taux plein.

A la date de la signature du présent accord, la dernière année de naissance, pour laquelle l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite est fixé, est 1955. L'âge légal d'ouverture du droit à la retraite correspondant aux années de naissance postérieures est actuellement le même mais est susceptible d'être légalement modifié dans le futur.

Il convient dès lors de déterminer conventionnellement les conditions d'obtention du taux plein des salariés dont les conditions légales sont encore inconnues, afin de pouvoir gérer par prévision leur départ en cessation anticipée d'activité'.

Après avoir détaillé le nombre de trimestres conventionnels requis et l'âge conventionnel d'ouverture du droit, l'accord énonce :

'Dès que les conditions légales d'obtention du taux plein sont connues, celles - ci se substituent automatiquement aux conditions figurant dans les tableaux ci- dessus.

Dans le cas où les conditions légales d'obtention du taux plein seraient différentes des dispositions conventionnelles ci - dessus, la situation du salarié fera l'objet d'une régularisation dans les conditions suivantes ( ...)'.

Deux hypothèses sont alors précisées: selon que les conditions légales du taux plein sont obtenues soit plus tôt soit plus tard que prévu conventionnellement.

Si les conditions légales du taux plein sont obtenues plus tôt que prévu conventionnellement, le salarié peut choisir entre, soit demeurer en cessation anticipée jusqu'à épuisement de sa durée d'anticipation enregistrée, soit liquider sa pension de retraite à la date d'obtention du taux plein, selon les conditions légales et il percevra alors une indemnité compensatrice dont le montant sera calculé dans les mêmes conditions que celles prévues au 1.1.3.3. en fonction de la durée d'anticipation non consommée.

Si les conditions légales du taux plein sont obtenues plus tard que prévu conventionnellement, le salarié restera en cessation anticipée d'activité jusqu'à la date à laquelle il pourra liquider sa pension de retraite à taux plein, selon les conditions légales, le financement de l'écart étant réparti, à parts égales, entre le salarié et l'employeur: la moitié de l'écart à la charge du salarié sera déduite de l'indemnité de départ à la retraite dans la limite de 60% de son montant total et l'autre moitié de l'écart et le solde éventuel, à la charge de l'employeur.

Le fait que cet accord d'entreprise fasse référence à une régularisation, induit qu'il doit être tenu compte de la situation au moment de la liquidation de la retraite et non pas au moment de l'entrée dans le dispositif de cessation anticipée d'activité.

L'avenant du 31 juillet 2018, qui a supprimé la disposition prévoyant ' dès que les conditions légales d'obtention du taux plein sont connues, celles - ci se substituent automatiquement aux conditions figurant dans les tableaux ci- dessus', confirme que la régularisation offerte, selon les modalités qu'il précise, se situe au moment de la liquidation de la retraite.

En effet, le préambule de cet avenant a rappelé que la mise en place d'un dispositif de projection conventionnelle du taux plein était la contrepartie du maintien par la société d'un dispositif de cessation anticipée d'activité et que dans un contexte de certitude de réformes, ' le système de projection conventionnelle mis en place consiste à anticiper ces réformes( recul de l'âge du taux plein, augmentation du nombre de trimestres nécessaires) , tenant compte du fait que le salarié peut cesser son activité jusqu'à 7 ans avant de pouvoir liquider sa retraite à taux plein, les conditions de cette liquidation étant inconnues ( puisqu'elles ne seront connues qu'au moment où le salarié fait effectivement liquider sa retraite) et susceptibles, dans le contexte précité, d'évoluer postérieurement à la date à laquelle le salarié aura cessé de façon anticipée son activité'.

En outre, l'article 2 de cet avenant prévoit qu' 'à la date de la signature du présent accord, la dernière année de naissance, pour laquelle l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite est fixé, est 1955. L'âge légal d'ouverture du droit à la retraite correspondant aux années de naissance postérieures est actuellement le même mais est susceptible d'être légalement modifié dans le futur.

Il convient dès lors, de déterminer conventionnellement les conditions d'obtention du taux plein des salariés dont les conditions légales sont encore inconnues, afin de pouvoir gérer par prévision leur départ en cessation anticipée d'activité.'

Ainsi, en vertu du principe d'interprétation stricte des accords collectifs, les dispositions relatives à la substitution automatique des dispositions légales relatives au taux plein, ne s'appliquent pas au moment du départ en anticipation mais à la date à laquelle le salarié peut faire liquider de manière effective sa retraite à taux plein.

C'est donc à juste titre que la société souligne que M. [T] a fait une interprétation erronée de la notion de ' conditions connues'.

Par ailleurs, les parties signataires ont rappelé les derniers textes légaux qui étaient connus à la date de la signature de l'accord du 6 mars 2012, et repris dans l'avenant n° 4 du 31 juillet 2018, que ' ces textes n'ayant pas évolué depuis 2012, la projection conventionnelle résultant de l'accord du 6 mars 2012 reste valable et l'Entreprise continue à l'appliquer dans les conditions dans lesquelles elle a été signée.'

A juste titre, les premiers juges ont souligné qu'en vertu de l'article L 2251-1 du code du travail, l'accord collectif, dès lors qu'il institue un avantage non prévu par la loi, est totalement libre d'en fixer les conditions d'attribution et qu'en l'absence de dispositif légal de cessation anticipée permettant à un salarié d'acquérir des droits en vue d'anticiper son départ en retraite sous la forme d'une suspension de contrat de travail indemnisée, les parties signataires étaient libres de définir conventionnellement par la négociation, les conditions d'attribution et d'application de ce dispositif.

Cet accord , qui respecte le principe de faveur, ne déroge pas à la loi s'agissant des conditions légales d'obtention du taux plein puisqu'il prévoit que le salarié peut faire liquider sa pension dès que les conditions légales en sont réunies sans perdre le bénéfice des droits à anticipation enregistrés.

En revanche, il ne peut être dérogé à ces accords au nom du libre choix d'un salarié de se retrouver sans revenu.

Il convient donc de débouter M.[T] de sa demande tendant à voir fixer sa date de départ en cessation anticipée d'activité rétroactivement au 1er mars 2019 et de ses demandes subséquentes.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

1.2 - Sur la demande présentée au titre de l'inégalité de traitement et du refus abusif et injustifié de la société de procéder à la mise en oeuvre de l'accord CAFC du 6 mars 2012 conformément aux dispositions qui y sont convenues et notamment aux termes de son article 1.1.3.1

M. [T] fait valoir que la dérogation à l'application de la projection conventionnelle liée à l'âge, concernant les salariés dont le départ devait intervenir en 2015 et 2016, était prévue par l'article 3 de l'avenant n° 3 en date du 17 décembre 2014 tandis que l'article 4 prévoyait que les salariés devant cesser leur activité en 2017, se verraient appliquer la projection conventionnelle liée à l'âge, que cette distinction liée aux années de départ des salariés ne repose sur aucune considération pertinente ou objective. Il ajoute que l'avenant n° 4 du 31 juillet 2018 crée d'autres dérogations à l'application de la projection conventionnelle, toutes aussi discriminantes puisqu'elles sont exclusivement fonction soit de la durée d'anticipation acquise, soit de l'année de naissance, que l'application de la projection conventionnelle liée à l'âge aux salariés, et notamment à lui, susceptibles de cesser leur activité à compter de l'année 2017, est non seulement contraire aux dispositions de l'accord du 6 mars 2012 mais constitue une inégalité de traitement par rapport à une prise en compte, différenciée suivant les salariés, des dispositions du décret ' carrières longues' du 2 juillet 2012.

Il appartient à celui qui invoque une inégalité de traitement, salarié ou syndicat, de démontrer que les différences de traitement sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Force est de constater que M. [T] n'explique pas en quoi la disparité de traitement qu'il invoque serait injustifiée.

C'est à juste titre que la société fait valoir que la disparité alléguée est nécessairement justifiée de manière objective et pertinente au regard de la finalité du dispositif de projection conventionnelle qui a consisté, en contrepartie du maintien d'un dispositif conventionnel de cessation anticipée d'activité, à permettre d'anticiper une évolution de la réglementation des retraites qui pourrait impacter la date de liquidation à taux plein pour les salariés se trouvant déjà en cessation anticipée d'activité.

En outre, constitue un critère objectif et pertinent, pour un dispositif d'anticipation de départ en cessation d'activité, la prise en compte de l'année de naissance et donc de la date à laquelle, au regard de la réglementation existant à un instant T, un salarié peut prévoir de faire liquider sa retraite à taux plein ou sa durée d'anticipation enregistrée.

La disparité alléguée est donc justifiée de manière objective, pertinente et proportionnée à la finalité du dispositif .

Enfin, la demande présentée au titre du refus abusif et injustifié de l'employeur de mettre en oeuvre l'accord du 6 mars 2012 conformément aux dispositions qui y sont convenues et notamment aux termes de son article 1.1.3.1. doit être rejetée, M.[T] ayant été débouté de sa demande .

M. [T] sera donc, par voie de confirmation, débouté de ses demandes.

2- Sur les demandes du syndicat Sud Industries de Normandie et de la Mayenne

Les demandes de M. [T] ayant été rejetées, il convient de débouter le syndicat de sa demande en paiement de dommages et intérêts, aucun préjudice n'ayant été causé à l'intérêt collectif des salariés.

3- Sur les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [T] et le syndicat qui succombent, supporteront, chacun pour moité les dépens d'appel, et seront déboutés chacun de leur demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas de faire droit à la demande présentée par la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement déféré sera également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance et aux frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Déboute M. [T], le syndicat Sud Industries de Normandie et de la Mayenne et la société Orano Recyclage de leur demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] et le syndicat Sud Industries de Normandie et de la Mayenne aux dépens d'appel, chacun pour moitié .

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 2
Numéro d'arrêt : 19/01487
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;19.01487 ?
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