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01/12/2022 | FRANCE | N°18/02788

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 2, 01 décembre 2022, 18/02788


AFFAIRE : N° RG 18/02788

N° Portalis DBVC-V-B7C-GFLY

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CAEN en date du 23 Août 2018 RG n° 13/00795











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022





APPELANTE :



SA GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adr

esse 4]



Représentée par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Anaïs QURESHI, avocat au barreau de PARIS







INTIMES :



Madame [T] [I]

[Adresse 1]



Syndicat UN...

AFFAIRE : N° RG 18/02788

N° Portalis DBVC-V-B7C-GFLY

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CAEN en date du 23 Août 2018 RG n° 13/00795

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

SA GUY DAUPHIN ENVIRONNEMENT, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

Représentée par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Anaïs QURESHI, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Madame [T] [I]

[Adresse 1]

Syndicat UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS CGT DU CALVADOS Prise en la personne de son secrétaire dûment habilité à cet effet

[Adresse 2]

Représentés par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 15 septembre 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 01 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société Guy Dauphin Environnement d'un jugement rendu le 23 août 2018 par le conseil de prud'hommes de Caen dans un litige l'opposant à Mme [I].

FAITS et PROCEDURE

Mme [I] a été engagée par la société Guy Dauphin Environnement (ci-après 'la société'), pour une durée indéterminée à compter du 20 novembre 2006, en qualité d'assistante gestion commerciale.

Les sites de la société se classent en deux grandes catégories : les sites de collectes et les sites de production.

Elle appartient au groupe ECORE (ci-après 'le groupe') et emploie environ 1 300 salariés.

En juin 2012, la société a consulté les instances représentatives du personnel sur son projet consistant à transférer certaines fonctions administratives basées initialement à [Localité 7], près de [Localité 3], à [Localité 5] (entre [Localité 6] et [Localité 8]), lieu de domiciliation de la nouvelle équipe de direction.

Cette mobilité- mutation concernait les postes des 60 salariés des services administratifs basés au siège de [Localité 7].

Après plusieurs réunions du comité central d'entreprise de la société (les 13 juillet, 3 septembre, 19 septembre et 17 octobre 2012), la société a proposé diverses mesures d'accompagnement prévoyant un dispositif de départ volontaire de l'entreprise dans le cadre d'une rupture d'un commun accord du contrat de travail pour motif économique en cas de refus par les salariés concernés d'être mutés à [Localité 5].

Le 12 novembre 2012, le comité central d'entreprise ( CCE) a validé les mesures sociales d'accompagnement récapitulées dans un document intitulé 'proposition de la direction de mesures sociales du PSE en vue de la réunion du CCE du 17 octobre 2012", annexé dans le procès-verbal du CCE du 12 novembre 2012.

Le 5 novembre 2012, l'inspection du travail a adressé à la société des observations sur ce projet, rappelant notamment qu'il n'était pas possible de mettre en oeuvre des clauses de mobilité en lieu et place d'une procédure de licenciement pour motif économique.

Le 30 novembre 2012, le directeur de l'unité territoriale du Calvados de la DIRECCTE de Basse-Normandie a dressé un procès-verbal de carence à l'encontre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui avait été présenté par la société à son CCE.

La société a accepté de reprendre les consultations des représentants du personnel dans ce cadre afin de satisfaire aux observations de l'administration, 'sans reconnaître que le projet de transfert puisse s'inscrire dans un contexte économique'.

Après plusieurs réunions, le CCE a rendu un avis favorable sur l'opération projetée et les mesures sociales envisagées le 14 février 2013.

Les trois options proposées aux salariés concernés par le transfert vers la commune de [Localité 5] étaient les suivantes :

- acceptation de la mobilité sur le site de [Localité 5],

- acceptation de la mobilité, en dehors de [Localité 5], sur un autre poste du groupe Ecore,

- refus de la mobilité sur le site de [Localité 5] ou au sein du groupe Ecore et acceptation d'une mobilité externe.

Il était précisé qu'en cas de refus exprès ou tacite de l'ensemble de ces propositions, l'entreprise serait obligée d'imposer la mobilité des salariés concernés sur [Localité 5] et d'en tirer les conséquences en matière contractuelle.

Par courrier du 20 février 2013, la société a adressé un courrier à Mme [I] pour lui demander de faire un choix définitif pour l'une des trois options offertes aux salariés concernés par la mobilité sur le site de [Localité 5].

Le choix devait être fait dans un délai d'un mois, soit avant le 20 mars 2013.

Par courrier du 6 mars 2013, Mme [I] a fait part de son refus de s'inscrire dans l'une des trois options.

La société lui a répondu le 15 mars 2013 pour lui rappeler que le délai pour s'inscrire dans l'une des trois options expirait le 20 mars 2013.

Par courrier du 21 mars 2013, Mme [I] a confirmé son refus.

Par courrier du 22 mars 2013, la société lui a notifié sa mutation au 1er juillet 2013 sur le site de [Localité 5].

Mme [I] ne s'étant pas présentée sur le site de [Localité 5], la société lui a adressé un courrier le 3 juillet 2013 pour lui demander de prendre ses fonctions.

Saisie le 3 juin 2013 par la salariée et l'union départementale des syndicats CGT, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Caen a notamment, par ordonnance du 11 juillet 2013 :

- ordonné la suspension de la clause de mobilité mise en oeuvre à l'égard de la salariée,

- dit que la salariée doit être maintenue dans l'emploi qu'elle occupe sur le site de [Localité 7], sauf à l'employeur de décider de l'engagement d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique en la faisant bénéficier des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi.

Par arrêt du 22 novembre 2013, la cour d'appel de Caen a débouté la salariée et l'union départementale des syndicats CGT du Calvados de toutes leurs demandes.

Par arrêt du 10 juin 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la salariée.

Par lettre du 26 novembre 2013, Mme [I] a été convoquée pour le 10 décembre 2013 à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 13 décembre suivant pour faute (refus d'application de la clause de mobilité contenue dans son contrat de travail).

Saisi le 7 juin 2013 d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, le conseil de prud'hommes de Caen a le 23 août 2018 :

- déclaré irrecevable l'intervention volontaire de l'Union départementale des syndicats CGT du Calvados,

- débouté Mme [I] de sa demande formée au titre des heures supplémentaires,

- dit que la société a fait une application irrégulière de la clause de mobilité figurant au contrat de travail de Mme [I],

- dit, en conséquence, que la rupture du contrat de travail de Mme [I] relevait de la procédure de licenciement économique,

- prononcé la résiliation du contrat de travail liant la société et Mme [I] à compter du 13 décembre 2013 et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société à verser à Mme [I] la somme de 27 500 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2 015,58 euros,

- dit que la société devra rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [I] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- condamné la société à verser à Mme [I] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes des parties,

- ordonné l'exécution provisoire pour moitié de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et rappelé qu'elle est de droit au surplus dans les conditions et limites prévues par l'article R.1254-28 du code du travail,

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 28 septembre 2018, la société a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 17 juin 2021, le conseiller chargé de la mise en état a notamment déclaré recevable l'appel incident de Mme [I], s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande formée par Mme [I] au titre de l'action abusive et l'a déboutée de sa demande en dommages et intérêts au titre de l'action dilatoire de la société.

Par arrêt du 16 décembre 2021, la cour d'appel de Caen a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 17 juin 2021, sauf en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts de Mme [I] au titre de l'action abusive et dilatoire de la société, et a débouté Mme [I] des demandes présentées à ce titre.

Par conclusions déposées le 30 août 2022, la société demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que la société a fait une application irrégulière de la clause de mobilité figurant au contrat de travail de Mme [I],

- dit en conséquence que la rupture du contrat de travail de Mme [I] relevait de la procédure de licenciement économique,

- prononcé la résiliation du contrat de travail liant la société et Mme [I] et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société à verser à Mme [I] la somme de 27 500 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dit que la société devra rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [I] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- condamné la société à verser à Mme [I] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire pour moitié de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et rappelé qu'elle est de droit au surplus dans les conditions et limites prévues par l'article R.1254-28 du code du travail,

- condamné la société aux dépens.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que le licenciement pour refus d'application de la clause de mobilité de Mme [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- rejeter l'intégralité des demandes formulées par Mme [I],

- condamner Mme [I] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

A titre subsidiaire,

- limiter le montant de l'indemnité accordée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu à l'article L.1235-3 du code du travail équivalent à 6 mois de salaire, soit la somme de 12 093 euros,

- rejeter le surplus des demandes formulées par Mme [I],

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- juger à titre principal irrecevables les demandes nouvelles formulées par Mme [I] afférentes au harcèlement moral et à titre subsidiaire que Mme [I] n'a pas été victime de harcèlement moral.

Selon écritures déposées le 4 août 2022, Mme [I] demande à la cour de :

- se déclarer incompétent pour statuer sur la demande d'irrecevabilité de l'appel formulée par la société,

- dire irrecevable la contestation par la société de la recevabilité de l'appel incident,

- dire recevable l'appel incident régularisé par Mme [I],

- réformant la décision entreprise, condamner la société à verser à Mme [I] la somme de 3389,57 euros outre 338,95 euros au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents,

- confirmant la décision entreprise, qualifier la demande de résiliation judiciaire de justifiée,

- réformant la décision entreprise, qualifier la rupture du contrat de travail du salarié en licenciement nul et à titre subsidiaire, confirmant la décision entreprise qualifier la rupture du contrat de travail du salarié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- réformant la décision entreprise, condamner la société à verser à Mme [I] la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture nulle ou sans cause réelle et sérieuse,

- subsidiairement, confirmant la décision entreprise, dire que Mme [I] n'a pas conclu avec la société de clause de mobilité, l'autorisant à lui imposer une mobilité au sein de ses propres établissements,

- subsidiairement, confirmant la décision entreprise, qualifier la clause de mobilité de nulle ou d'inopposable à Mme [I],

- subsidiairement encore, réformant la décision entreprise, qualifier d'abusive la mise en oeuvre par la société de la clause de mobilité,

- subsidiairement encore, réformant la décision entreprise, retenir que la société a fait une application volontaire des règles du droit du licenciement pour motif économique dans le cadre de la présentation et de la mise en oeuvre de son projet de transfert d'activité, qu'elle ne pouvait plus dès lors faire application à l'égard du salarié de la clause de mobilité,

- subsidiairement encore, réformant la décision entreprise, retenir en toute hypothèse que la société ne pouvait exclure Mme [I] du bénéfice du plan de sauvegarde de l'emploi sur le seul critère de son refus de régulariser avec l'employeur une rupture d'un commun accord pour motif économique de son contrat de travail,

- subsidiairement, réformant la décision entreprise, qualifier la mesure de licenciement dont Mme [I] a fait l'objet de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- subsidiairement, réformant la décision entreprise, condamner la société à verser à Mme [I] la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement,

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,

- condamner en toute hypothèse la société à verser à Mme [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.

L'union départementale des syndicats CGT du Calvados a constitué avocat mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 août 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Il convient de noter, à titre liminaire, que la société ne soulève plus l'irrecevabilité de l'appel incident de Mme [I], de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.

Le jugement déféré n'est pas contesté en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de l'Union départementale des syndicats CGT du Calvados. Cette disposition est donc acquise.

I. Exécution du contrat de travail

- Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Aux termes de l'article L 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.

Aux termes de l'article L 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il est constant qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié demandeur doit donc produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire.

En l'espèce, Mme [I] produit un tableau détaillé, reprenant de façon quotidienne ses horaires de travail pour la période de l'année 2009 jusqu'au 3 janvier 2010.

Ce document même s'il a été établi unilatéralement par Mme [I] en vue de sa production en justice, étaye sa demande de paiement des heures supplémentaires et est suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

La société conteste la réalité des heures réclamées en faisant valoir que les tableaux :

- indiquent uniquement les heures de début et de fin de chaque demi-journée de travail,

- ne renseignent pas sur le travail effectif accompli,

- n'ont jamais été visés par l'employeur,

- ont été établis postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes,

- ont été établis pour les besoins de la cause,

- ne sont étayés par aucun autre élément objectif extérieur.

La société fait valoir en outre que la durée du travail de la salariée était conforme à la durée légale et qu'il s'agissait d'horaires collectifs de travail, affichés au sein de l'établissement.

Elle se réfère à un suivi des horaires de travail de Mme [I] pour affirmer qu'aucune heure supplémentaire n'a jamais été réalisée sur la période visée par la demande.

De fait, la société produit un document intitulé 'heures de travail de [I] [T]' pour la période allant du 3 janvier 2009 au 31 décembre 2009.

Il résulte de ce tableau que Mme [I] aurait travaillé très exactement 35 heures par semaine sur l'ensemble de la période.

Pour autant, la société a adressé à la salariée le 31 août 2009 un courrier ainsi libellé 'conscient que vous avez eu à faire face, ces derniers mois, à une charge de travail un peu exceptionnelle, j'ai le plaisir de vous informer que, sur proposition de votre responsable, il vous est attribué une prime de 1 000 euros bruts en remerciement de votre forte implication pour atteindre les objectifs assignés à l'équipe.'

Il en ressort que pendant la période visée par la réclamation salariale, l'employeur a reconnu que Mme [I] avait eu une charge de travail exceptionnelle, sans pour autant, selon le décompte produit par la société, qu'une seule heure supplémentaire ne soit constatée.

Cette circonstance, outre le fait que le décompte de la société ne soit pas contresigné par la salariée et qu'aucune information ne soit donnée sur son élaboration et les modalités de contrôles des horaires de travail, ôtent à ce document toute force probante.

Il apparaît ainsi que la société n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le décompte précis et détaillé présenté par la salariée.

Il convient par conséquent, par voie d'infirmation, de faire droit à la demande de Mme [I] au montant sollicité, soit 3 389,57 euros, outre 338,95 euros au titre des congés payés afférents.

II. Sur la rupture du contrat de travail

- Sur la demande de résiliation judiciaire

Il résulte des dispositions de l'article 1184 du code civil qu'un contrat peut être résilié aux torts d'une partie en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.

Lorsque le salarié est licencié postérieurement à sa demande de résiliation, cette dernière, si elle est accueillie, doit produire ses effets à la date du licenciement.

Lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur, elle produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La salariée fait valoir, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, qu'elle a été privée de travail pendant plusieurs mois, qu'elle a subi de nombreuses pressions pour accepter une mutation à [Localité 5], qu'elle a subi des agissements vexatoires de l'employeur, faits constitutifs de harcèlement moral, et qu'elle n'a pas été réglée de ses heures supplémentaires.

A. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié d'établir/de présenter des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En application des articles L. 1152-1 et L.1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

1° sur la recevabilité de la demande

La société soulève l'irrecevabilité de cette demande comme étant nouvelle en appel et comme n'ayant pas figuré dans son premier jeu de conclusions communiqué dans le délai imparti de trois mois en application de l'article 909 du code de procédure civile.

Mme [I] réplique qu'il s'agit d'un moyen nouveau et que le principe de l'unicité de l'instance était en vigueur au moment de la saisine du conseil de prud'hommes.

L'article 563 du code de procédure civile dispose : pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Il est constant que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Elle invoque en appel une situation de harcèlement moral, en soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, et non de façon autonome pour notamment caractériser un préjudice et former une demande de dommages et intérêts.

Il en ressort qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle, mais d'un moyen nouveau, que Mme [I] est recevable à soulever en appel.

Elle n'était pas tenue en conséquence de le faire figurer dans son premier jeu de conclusions selon les prescriptions de l'article 909 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen tiré de l'unicité de l'instance dès lors qu'il s'agit pour la salariée d'un moyen au soutien de sa demande, et non d'une prétention.

2 ° Sur les faits de harcèlement moral

Au fond, Mme [I] expose qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral caractérisés comme suit :

- les salariés ont subi des pressions très importantes pour accepter une mobilité vers [Localité 5],

- l'employeur a brutalement interdit aux salariés, dans des conditions vexatoires, l'accès aux locaux de l'entreprise et à leur poste de travail,

- l'employeur a privé les intéressés de prestation de travail, les laissant désoeuvrés sans aucune tâche à accomplir,

- les salariés avaient connaissance que leurs postes n'étaient pas transférés à [Localité 5], mais au Luxembourg ou externalisés, et il leur a été demandé de former leurs successeurs et de leur transférer leurs propres activités.

- Sur les pressions

Il résulte des courriers adressés à Mme [I] que la société GDE lui a fait savoir qu'elle mettrait en oeuvre la clause de mobilité si elle refusait l'une ou l'autre des options proposées, mentionnant la possibilité d'un licenciement en cas de refus.

Mme [D] [X] a indiqué à la société GDE par mail du 30 mai 2013 qu'elle considérait que les salariés concernés par la mutation sur le site de Montoir vivaient mal le fait d'avoir à former leurs successeurs.

Le député de la circonscription a écrit au président du directoire de la société GDE pour faire part de ses inquiétudes sur la souffrance au travail de plusieurs salariés, en lien avec la réorganisation de l'entreprise, mentionnant une pression semblant mise sur leurs épaules.

Toutefois, le mail de Mme [X] et le courrier du député ne mentionnent pas le nom de Mme [I].

- Sur l'interdiction d'accéder aux locaux

Le procès-verbal de constat d'huissier du 3 juillet 2013 précise que le badge de Mme [I] ne lui permettait plus d'accéder à l'intérieur de l'établissement de [Localité 7].

- Sur la privation de travail et le transfert des tâches

Il résulte des témoignages de Mmes [P] et [N] que Mme [I] a dû former M. [L], qui a effectivement exercé les fonctions de cette dernière à compter du mois de juin ou juillet 2013 sur un poste situé au Luxembourg.

Dans une attestation non datée, Mme [F] écrit que Mme [I] et d'autres collègues ont été délestés de leur charge de travail, soit pour absence de consignes, soit par réattribution de leur charge de travail à des salariés du Luxembourg.

En conclusion, Mme [I] étaye le fait que son employeur lui a demandé à plusieurs reprises de se rendre sur le site de [Localité 5] pour y travailler à compter du 1er juillet 2013, que son badge ne lui permettait pas d'accéder au site de [Localité 7] le 3juillet 2013, qu'une partie de ses tâches habituelles ne lui étaient plus confiées sur ce site et enfin que sa charge de travail ne permettait plus de l'occuper à temps complet à [Localité 7].

Ces éléments pris dans leur ensemble sont de nature à faire présumer des agissements caractéristiques du harcèlement moral.

Il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

La société explique que Mme [I] a refusé de s'inscrire dans l'un des trois dispositifs relatifs au transfert vers [Localité 5], de sorte que qu'elle a dû lui notifier sa mutation sur ce site au 1er juillet 2013 en application de la clause de mobilité.

Mme [I] ne s'est pas présenté sur son poste à [Localité 5] mais sur le site de [Localité 7].

L'employeur souligne que l'action introduite en référé devant le conseil de prud'hommes ne la contraignait pas à stopper le déménagement en cours, mais qu'elle s'est conformée à la décision du juge prud'homal et qu'à compter du 12 juillet 2013, la salariée a pu reprendre son activité sur le site de Rocquancourt.

La société note que la plupart des attestations produites ne concernent pas, pour l'essentiel, Mme [I], et que celles qui la mentionnent ont été rédigées par des salariés en contentieux avec l'employeur, et postérieurement au refus de Mme [I] de la mobilité à [Localité 5].

Elle ajoute que le 'transfert' prétendu de certaines fonctions vers le Luxembourg n'était que très partiel, ne concernant que 9 postes sur les 60 impactés par le transfert vers [Localité 5].

Il convient de noter que plusieurs salariés avaient saisi le conseil de prud'hommes de Caen pour solliciter la suspension du processus de réorganisation des activités de la société vers [Localité 5] à la date du 7 juin 2013. L'audience était fixée au 2 juillet 2013 et l'ordonnance a été rendue le 11 juillet 2013.

Il apparaît ainsi que c'est sans attendre la décision de la juridiction prud'homale que la société a procédé au déménagement.

Mme [I] a dénoncé cette situation par courrier du 3 juillet 2013.

Il ressort ensuite des pièces produites qu'après la suspension du transfert vers [Localité 5], de nombreux salariés se sont retrouvés désoeuvrés, privés de leur charge de travail habituelle.

La seule circonstance que les témoins attestant pour Mme [I] soient ou aient été en contentieux avec l'employeur ne prive pas leur témoignage de toute force probante.

La société procède par affirmation en soutenant que la salariée n'aurait été privée de sa charge de travail habituel qu'entre la date du déménagement, à savoir le 1er juillet 2013, et la décision en référé du conseil de prud'hommes. Elle ne justifie en effet que d'une période de congés payés en août et se montre taisante sur toute la période restante, jusqu'au licenciement.

La société argue enfin de ce que Mme [I] a volontairement refusé de se rendre sur son poste à [Localité 5].

Il convient de rappeler que la décision de suspension du déménagement prononcée en référé le 12 juillet 2013 n'a été réformée que le 22 novembre 2013, et qu'entre ces deux dates, la société devait permettre à Mme [I] de retrouver son poste à [Localité 7] dans des conditions habituelles et conformes à son contrat de travail.

En outre, la société ne peut se fonder sur le non-respect par la salariée d'une obligation qui découlerait de son contrat de travail pour justifier des agissements laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Or force est de constater qu'en l'espèce, le licenciement est intervenu le 11 décembre 2013, de sorte que la salariée a été volontairement privée de travail entre le 3 juillet 2013, date à laquelle il a été constaté par acte d'huissier qu'elle n'avait plus accès à son poste, jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Ces faits sont constitutifs d'un harcèlement moral.

B. Sur la résiliation judiciaire

Il résulte des développements qui précèdent que Mme [I] a :

- été volontairement privée de travail par son employeur durant plusieurs mois,

- été victime de harcèlement moral par son employeur, entraînant une importante dégradation de ses conditions de travail et la plaçant dans une situation d'incertitude quant à l'avenir de son poste,

- subi une absence de paiement d'heures supplémentaires.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de travail liant la société et Mme [I] mais de le réformer en ce qu'il a dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, compte tenu du harcèlement moral subi par la salariée, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul, à la date de sa rupture, soit le 13 décembre 2013.

Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur la régularité de la clause de mobilité mise en oeuvre par la société à l'égard de la salariée. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que la clause de mobilité figurant au contrat de travail est irrégulière et dans tous les cas inopposable à Mme [I] dans la mesure où elle ne concerne pas la société Guy Dauphin Environnement et dit en conséquence que la rupture du contrat de travail de Mme [I] relevait de la procédure de licenciement économique.

- Conséquences de la nullité du licenciement

L'entreprise comptant plus de dix salariés, Mme [I], qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au moment de la rupture, Mme [I], âgé de 32 ans, comptait 7 ans d'ancienneté. Elle justifie avoir été indemnisé par Pôle emploi du 10 avril 2014 au 31 août 2015, date à laquelle elle a retrouvé un emploi.

Compte tenu de cette situation, il convient de lui allouer une indemnité pour licenciement nul de 27 500 euros.

Sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient par voie d'infirmation de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage versées du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, à hauteur de trois mois d'indemnités de chômage.

Il convient de dire que les sommes sus-visées produiront intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil.

- Sur les demandes accessoires

Succombant au principal, la société sera condamnée aux dépens d'appel.

Ayant exposé des frais pour assurer sa défense, l'équité commande d'accorder à Mme [I] la somme complémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société est déboutée de la demande formée à ce titre.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné la société aux dépens de première instance et à payer à la salariée la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable l'intervention volontaire de l'Union départementale des syndicats CGT du Calvados,

- prononcé la résiliation du contrat de travail liant la société et Mme [I],

- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2 015,58 euros,

- condamné la société à verser à Mme [I] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes des parties,

- ordonné l'exécution provisoire pour moitié de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et rappelé qu'elle est de droit au surplus dans les conditions et limites prévues par l'article R.1254-28 du code du travail,

- condamné la société aux dépens.

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] produit les effets d'un licenciement nul, à la date de sa rupture soit le 13 décembre 2013,

Condamne la société Guy Dauphin Environnement à payer à Mme [I]':

- à titre d'indemnité pour licenciement nul : 27 500 euros

- à titre de rappel de salaires : 3 389,57 euros

- à titre de congés payés afférents : 338,95 euros

- en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile : 1 500 euros ;

Dit que les sommes allouées produiront intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil ;

Ordonne le remboursement à Pôle Emploi par la société Guy Dauphin Environnement des indemnités de chômage versées à Mme [I], dans la limite de trois mois d'indemnités ;

Y ajoutant,

Déboute la société Guy Dauphin Environnement de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Guy Dauphin Environnement aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 2
Numéro d'arrêt : 18/02788
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;18.02788 ?
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