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29/11/2022 | FRANCE | N°19/02942

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 29 novembre 2022, 19/02942


AFFAIRE : N° RG 19/02942 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNRC





ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN du 01 Août 2019

RG n° 18/00572







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022





APPELANT :





Madame [Y], [E] [X] épouse [B]

agissant tant en son nom personnel qu' en sa qualité de conjoint survivant de [M] [B] né le 25 mai 1934 et décédé le 24 mars 2

022

née le 28 Avril 1932 à [Localité 6]

[Adresse 10]

[Localité 3]



représentés et assistés de Me Anne-Victoire MARCHAND, avocat au barreau D'ARGENTAN



INTIMÉS :



Monsieur [O], [W], [A] [U] e...

AFFAIRE : N° RG 19/02942 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNRC

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN du 01 Août 2019

RG n° 18/00572

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

Madame [Y], [E] [X] épouse [B]

agissant tant en son nom personnel qu' en sa qualité de conjoint survivant de [M] [B] né le 25 mai 1934 et décédé le 24 mars 2022

née le 28 Avril 1932 à [Localité 6]

[Adresse 10]

[Localité 3]

représentés et assistés de Me Anne-Victoire MARCHAND, avocat au barreau D'ARGENTAN

INTIMÉS :

Monsieur [O], [W], [A] [U] en qualité de représentant légal de sa fille [V] [U] née le 11 février 2009.

né le 25 Janvier 1971 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Madame [S] [P] en qualité de représentant légal de sa fille [V] [U] née le 11 février 2009

née le 05 Juillet 1977 à [Localité 11] (50) (50)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentés et assistés de Me Marie-Françoise BRODIN, avocat au barreau D'ARGENTAN

La VILLE DE [Localité 7] prise en la personne de son Maire en exercice

[Adresse 9]

[Localité 4]

représentée par Me Véronique BOUCHARD, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Vincent MESNILDREY, avocat au barreau D'EURE

INTERVENANT VOLONTAIRE :

Monsieur [D] [M] [G] [J] [B] en sa qualité d'héritier de [M] [B] né le 25 mai 1934 et décédé le 24 mars 2022

né le 09 Juillet 1960 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté et assisté de Me Anne-Victoire MARCHAND, avocat au barreau d'ARGENTAN

DÉBATS : A l'audience publique du 04 octobre 2022, sans opposition du ou des avocats, M. GARET, Président de chambre et Mme VELMANS, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme COLLET

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. GARET, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

Mme COURTADE, Conseillère,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 29 Novembre 2022 et signé par M. GARET, président, et Mme COLLET, greffier

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Du mariage entre M. [M] [B] et Mme [Y] [X] sont issus deux enfants, [D], né le 9 juillet 1960, lui-même père de deux enfants, et [I], né le 19 juillet 1961, célibataire sans enfants.

[I] [B] est décédé le 2 avril 2017, s'étant suicidé.

Il est alors apparu qu'il avait établi, en date du 26 janvier 2017, un testament olographe aux termes duquel il instituait pour légataire universelle la jeune [V] [U], née le 11 février 2009, fille de ses voisins [O] [U] et [S] [P], ou cas de prédécès de celle-ci ou de renonciation à succession, la Ville de [Localité 7].

Désirant renoncer à ce legs au nom de leur fille, M. [U] et Mme [P] ont saisi le juge des tutelles du tribunal de grande instance d'Argentan pour y être autorisés.

Par ordonnance du 31 janvier 2018, le magistrat a rejeté cette demande, contraire aux intérêts de la mineure.

Les parents de l'enfant ayant formé appel de cette décision, la cour de Caen l'a confirmée par arrêt du 27 juin 2018.

De leur côté, contestant la validité du testament, au motif de l'insanité d'esprit de leur fils [I] [B], M. [M] [B] et Mme [Y] [X] ont fait assigner M. [U] et Mme [P] en qualité de représentants légaux de leur fille ainsi que la Ville de [Localité 7] devant le tribunal de grande instance d'Argentan aux fins de le faire déclarer nul.

Par jugement du 1er août 2019 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions de première instance, le tribunal a :

- débouté les époux [B] de leur demande de comparution personnelle du Dr [T] ;

- débouté les époux [B] de leur demande d'annulation du testament établi le 26 janvier 2017 ;

- condamné les époux [B] à payer à M. [U] et Mme [P] ès qualités la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les époux [B] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 17 octobre 2019, les époux [B] ont interjeté appel de ce jugement.

[M] [B] étant décédé depuis, son fils [D] [B] est alors intervenu à l'instance en qualité d'héritier de celui-ci.

Les consorts [B] ont notifié leurs dernières conclusions le 1er septembre 2022, M. [U] et Mme [P] ès qualités les leurs le 1er avril 2020, enfin la Ville de [Localité 7] les siennes le 16 septembre 2022.

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 28 septembre 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [Y] [B], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de conjoint survivant de son mari [M] [B], et M. [D] [B] agissant lui-même en qualité d'héritier de [M] [B], demandent à la cour de :

- constater que M. [D] [B] intervient volontairement à l'instance devant la cour';

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;

En conséquence,

- réformer la décision dont appel ;

- ordonner avant dire droit la comparution personnelle du Dr [T] qui a indiqué ne pas pouvoir établir de certificat médical post mortem sur l'état de santé de M. [I] [B] en dehors d'une demande en justice ;

- constater l'insanité d'esprit de [I] [B] au moment de la rédaction du testament critiqué ;

- déclarer nul le testament ainsi établi au profit d'[V] [U] ou à défaut de la Ville de [Localité 7] ;

- dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et débouter M. [U] et Mme [P] de leur demande sur le fondement de l'article 700';

- statuer ce que de droit quant aux dépens, dont recouvrement au profit de Me Marchand, avocat sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Au contraire, M. [U] et Mme [P], agissant en qualité de représentants légaux de leur fille [V] [U], demandent à la cour de :

- déclarer M. et Mme [B] recevables mais mal fondés en leur appel ;

Par conséquent,

- confirmer la décision du 1er août 2019 en toutes ses dispositions ;

- condamner M. et Mme [B] à leur verser la somme de 1.000 € au titre de la procédure de première instance et celle de 1.000 € au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont recouvrement au profit de Me [H] sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Quant à la Ville de [Localité 7], elle s'en remet à la sagesse de la cour sur les demandes formulées par les parties et lui demande de statuer ce que de droit quant aux dépens.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 414-1 du code civil dispose que pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit, ajoutant que c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause qu'il appartient de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.

L'article 901 du même code dispose quant à lui que pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit, précisant que la libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

S'agissant de l'insanité d'esprit, qui est un fait matériel dont la preuve et la portée sont abandonnées à la prudence des juges du fond, elle recouvre toutes les formes d'affections mentales par l'effet desquelles l'intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée.

Enfin, il convient de rappeler, par application de l'article 916 du code civil, qu'en l'absence d'héritiers réservataires (ce qui était le cas de [I] [B], puisqu'il est décédé sans enfants ni conjoint survivant), une personne demeure libre de léguer ses biens à qui bon lui semble, le seul fait de le faire au bénéfice d'une personne extérieure à la famille n'étant pas en soi le signe d'un dérèglement mental.

Sur la demande tendant à voir ordonner la comparution personnelle du Dr [T], médecin traitant de [I] [B]':

Pour justifier cette demande, les consorts [B] font valoir que ce médecin leur a fait savoir qu'elle n'était pas en mesure de leur fournir un certificat médical post-mortem sur l'état de santé de [I] [B] au jour de son décès, mais qu'elle se tenait néanmoins à la disposition de la justice.

Cependant, le médecin a accepté d'établir un certificat, en date du 15 mars 2018, aux termes duquel elle a attesté qu'elle avait suivi [I] [B] de 2002 jusqu'à 2017 et qu'à sa connaissance, celui-ci ne souffrait d'aucune maladie physiologique grave qui aurait pu expliquer son suicide.

Dès lors et en l'état de ce certificat, la cour ne sait pas quel témoignage supplémentaire le médecin pourrait apporter à la justice qui puisse s'avérer utile à la solution du litige.

En tout état de cause et ainsi que le tribunal l'a justement retenu, il n'appartient pas aux juges de se substituer aux parties dans l'administration de la preuve qui leur incombe, une mesure d'instruction ne devant jamais être ordonnée pour suppléer leur carence en cette matière.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [B] de leur demande tendant à la comparution du médecin.

Sur le fond':

Pour se prévaloir de l'insanité d'esprit du testateur, les consorts [B] font essentiellement valoir, ainsi qu'il résulte de nombreuses attestations émanant de proches de l'intéressé':

- que depuis un certain temps déjà, [I] [B] adoptait des comportements étranges et inadaptés, souffrant notamment d'une véritable addiction aux vidéos pornographiques qu'il collectionnait en grandes quantités et qu'il passait ses journées à regarder, qu'il suivait des jeunes femmes voire des enfants dans la rue de sorte qu'il était à craindre qu'il passe à l'acte à tout moment';

- qu'il se désintéressait de son activité agricole au point d'errer dans les rues au moment où il aurait dû être au travail';

- qu'il était devenu menaçant voire violent avec ses proches, notamment avec ses deux parents, pourtant âgés, qu'il avait agressés physiquement quelques jours avant son suicide, au point que son frère avait dû le maîtriser par la force, la famille s'apprêtant à déposer plainte lorsque [I] [B] s'était donné la mort.

Les consorts [B] ajoutent qu'il est pour le moins étonnant qu'il ait voulu léguer l'ensemble de ses biens, notamment sa ferme, à une enfant quasi-inconnue, fille de ses voisins, alors qu'il était notoire jusqu'alors qu'il souhaitait transmettre son exploitation à son neveu, professionnel de l'agriculture, et qu'il est également étonnant qu'il ait entendu gratifier la Ville de [Localité 7] pour le cas où [V] [U] pré-décéderait ou renoncerait à la succession, alors que [I] [B] était en conflit avec la commune au sujet de ses impôts locaux.

Ces éléments, qui témoignent incontestablement d'un mal-être de [I] [B], plus particulièrement au cours des derniers mois de sa vie, sont attestés par plusieurs membres de son entourage.

Pour autant, l'insanité d'esprit, au sens de celle qui justifierait l'annulation du testament, ne saurait s'entendre d'un mal-être, d'une agressivité ou encore de pratiques obsessionnelles voire déviantes d'un individu.

L'insanité d'esprit suppose en effet une affection ou une pathologie mentale excédant le simple trouble de la personnalité, la colère ou l'agressivité, la bizarrerie ou encore la dépendance à tel produit toxique ou à telle pratique communément jugée anormale.

Or, il ne résulte pas des éléments qui précèdent, ni de l'attestation du médecin traitant de l'intéressé, que [I] [B] ait jamais été atteint d'une quelconque pathologie, ni physique ni mentale, qui ait porté atteinte à son intelligence comme à sa faculté de discernement.

D'ailleurs, M. [D] [B] a lui-même attesté (cf pièce n° 24) qu'à l'occasion d'une violente dispute au cours de laquelle, alors qu'il tentait de raisonner son frère, ce dernier, par ressentiment, lui avait dit qu'il «'donnerait toutes ses terres'» et que [D] «'n'aurait rien'».

Dans ces conditions, il n'est pas si étonnant que [I] [B], pour des raisons qui lui sont propres et que la cour n'a pas à juger, ait choisi de déshériter sa famille.

En tout état de cause, cette décision, bien que difficile à accepter de la part de ses proches, ne signe pas en elle-même un dérèglement mental de la part du testateur.

Enfin, il convient d'observer que le testament lui-même, en date du 26 janvier 2017, est parfaitement rédigé, d'une écriture appliquée et en des termes clairs et précis, traduisant par là même l'expression d'une volonté réfléchie de la part de son auteur.

Il n'est pas non plus établi que le consentement du testateur ait été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.

Au demeurant, la cour observe que le testament est antérieur de plusieurs mois par rapport aux événéments les plus marquants précédemment rappelés.

Ainsi les consorts [B] ne rapportent-ils pas la preuve de l'insanité d'esprit du testateur au moment de l'établissement de l'acte litigieux.

Partant, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [B] de leur demande tendant à son annulation.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné les consorts [B] à payer à M. [U] et Mme [P] ès qualités une somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance.

M. [U] et Mme [P] ès qualités seront déboutés de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

Enfin, parties perdantes, les consorts [B] supporteront les entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour':

- confirme le jugement en toutes ses dispositions';

- y ajoutant,

* déboute les parties du surplus de leurs demandes, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel';

* condamne M. [D] [B] et Mme [Y] [X] épouse [B] aux entiers dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET D. GARET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/02942
Date de la décision : 29/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-29;19.02942 ?
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