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22/09/2022 | FRANCE | N°19/02642

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 2, 22 septembre 2022, 19/02642


AFFAIRE : N° RG 19/02642

N° Portalis DBVC-V-B7D-GM36

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de caen en date du 08 Août 2019 RG n° 17/00711











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022





APPELANT :



S.A.S. INDUSTRIE PAPETIÈRE CHARENTAISE (I.P.C.)

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Fabrice VID

EAU, avocat au barreau de CAEN







INTIMEE :



Madame [O] [L]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN







COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ ...

AFFAIRE : N° RG 19/02642

N° Portalis DBVC-V-B7D-GM36

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de caen en date du 08 Août 2019 RG n° 17/00711

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022

APPELANT :

S.A.S. INDUSTRIE PAPETIÈRE CHARENTAISE (I.P.C.)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabrice VIDEAU, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Madame [O] [L]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

Mme ACHARIAN, Conseiller,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 28 avril 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 22 septembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société Industrie Papetière Charentaise d'un jugement rendu le 8 août 2019 par le conseil de prud'hommes de Caen dans un litige l'opposant à Mme [L].

FAITS et PROCÉDURE

Mme [L] a été engagée par la société Industrie Papetière Charentaise (ci-après 'la société'), pour une durée indéterminée à compter du 3 septembre 2007, en qualité de chef de produit, avec le statut de cadre.

Par lettre du 27 mars 2017, Mme [L] a été convoquée pour le 10 avril 2017 à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 16 mai suivant pour motif économique.

La société emploie plus de dix salariés et la relation de travail est régie par la convention collective des industries du cartonnage.

Le 6 décembre 2017, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Caen pour obtenir diverses sommes au titre de la nullité du licenciement en raison d'un harcèlement moral, et subsidiairement au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 8 août 2019 le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Mme [L] est sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamné la société à payer et porter à Mme [L] les sommes de :

- 90 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ces sommes avec intérêts de droit à compter de la mise à disposition - qui vaut prononcé de la décision - conformément à l'article 1343-2 du code civil,

- dit que ces sommes produiront anatocisme au visa de l'article 1231-7 du code civil,

- ordonné le remboursement par la société des indemnités de chômage payées aux organismes concernés du jour du licenciement de Mme [L] jusqu'à la date du prononcé du jugement, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- rappelé que le greffier du conseil de prud'hommes, à l'expiration du délai d'appel, adressera à Pôle emploi une copie conforme de la décision en précisant si celle-ci a fait ou non l'objet d'un appel,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté Mme [L] du surplus de ses demandes,

- débouté la société de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 12 septembre 2019, la société a relevé appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 15 mars 2022, la société demande à la cour de :

Sur l'appel principal de la société :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il débouté Mme [L] de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral et l'indemnisation y afférente,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a

- dit que le licenciement de Mme [L] était sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société au paiement des sommes suivantes :

90 000 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ces sommes avec intérêts de droit à compter de la mise à disposition et exécution provisoire,

- remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois,

- débouté la société de sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- constater la parfaite justification du licenciement économique prononcé, de la procédure suivie, des recherches de reclassement, de l'absence de remplacement sur le poste,

- constater que l'emploi concerné constituait le seul emploi d'une catégorie professionnelle spécifique et qu'il n'y avait dès lors pas à déterminer et appliquer des critères de licenciement,

- en conséquence, débouter Mme [L] de sa demande indemnitaire,

- débouter Mme [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- réduire très notablement la demande de Mme [L] à hauteur de 6 mois de dommages et intérêts, soit 24 865,98 euros,

Y ajoutant,

- condamner Mme [L] à payer la somme de 3 000 euros à la société au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

- condamner Mme [L] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- condamner Mme [L] aux dépens,

Sur l'appel incident de Mme [L] :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas de harcèlement moral et a débouté Mme [L] de ses demandes qui en sont la conséquence,

- rejeter la demande d'article 700 du code de procédure civile formulée par Mme [L] au titre de la procédure d'appel.

Par écritures déposées le 14 mars 2022, Mme [L] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce que le conseil de prud'hommes a refusé de qualifier de harcèlement moral les faits décrits par Mme [L],

- infirmer le jugement en ce que Mme [L] a été déboutée de sa demande de condamnation de la société à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des faits de harcèlement subis,

- infirmer à titre principal le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de requalification de son licenciement en licenciement nul,

- infirmer le jugement à titre principal en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de condamnation de la société à lui verser la somme de 99 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la nullité de son licenciement,

- à titre subsidiaire, réformer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse et de condamner la société à lui verser la somme de 99 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse de rupture des relations contractuelles,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les sommes obtenues porteront intérêts au taux légal et produiront anatocisme,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société au versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ainsi qu'aux dépens de première instance,

Mme [L] demande de statuer à nouveau et :

- qualifier les agissements subis et décrits en harcèlement moral,

- condamner la société à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des faits de harcèlement moral,

- qualifier à titre principal la rupture de son contrat de travail en licenciement nul,

- condamner la société à lui verser en quittances ou en deniers la somme de 99 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la nullité de son licenciement,

- à titre subsidiaire, qualifier la rupture des relations contractuelles en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- à titre subsidiaire, condamner la société à lui verser la somme de 99 500 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse de 'préjudice',

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société au versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu' à supporter les dépens de l'instance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mars 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la demande au titre du harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En application des articles L. 1152-1 et L.1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [L] fait valoir qu'elle a subi une profonde dégradation de ses conditions de travail, caractérisée par :

- des griefs injustifiés formulés à son égard par son supérieur hiérarchique, M. [P],

- des menaces de rupture de son contrat de travail,

- une éviction de son poste de travail

1° Les griefs injustifiés formulés par le supérieur hiérarchique

Il ressort des pièces produites que Mme [L] a été interrogée une fois sur ses frais d'hôtel (nombre de nuitées), qu'il lui a été demandé s'il était opportun de renouveler un abonnement de train alors que son congé maternité approchait, et enfin qu'il lui a été demandé de voyager en seconde classe et non en première.

2° Des menaces de rupture de son contrat de travail

Les parties s'accordent à reconnaître, quoiqu'aucune pièce ne soit produite à ce titre, qu'une procédure de licenciement a été envisagée à l'encontre de Mme [L] à la fin de l'année 2014, suspendue en raison d'un arrêt maladie de la salariée. Il se serait agi, selon la salariée, d'un projet de rupture du contrat de travail pour motif économique.

Il est justifié qu'une procédure de licenciement a été engagée le 26 octobre 2015, pour motif économique, lequel lui a été notifié le 3 décembre 2015. Suite au courrier du 9 décembre 2015 de Mme [L] informant son employeur de son état de grossesse, elle a été réintégrée au sein de la société.

Le 9 décembre 2015 également, Mme [L] a adressé un courrier à la médecine du travail, pour l'informer de sa demande d'annulation du licenciement et à la Direccte pour le même motif et pour signaler des pressions de son employeur pour supprimer son poste.

Aucune information n'est apportée sur la suite qui aurait pu être donnée à ces deux courriers.

Elle a enfin fait l'objet d'une procédure de licenciement pour motif économique au cours de l'année 2017, objet de la présente procédure.

3° l'éviction du poste de travail

Mme [L] fait valoir qu'elle a été évincée de ses fonctions au profit de Mme [X], alors que celle-ci exerçait les fonctions d'assistante de direction.

Elle produit de nombreux échanges par courriels, essentiellement entre Mme [X] et elle au sujet du lancement d'une nouvelle gamme de produits de la marque Oxford.

Elle produit également l'attestation de Mme [E] [I], 'responsable service clients I.R.C. et responsable achats groupe Bong France' laquelle écrit qu' 'en mai 2017, lors d'une conversation téléphonique avec M. [S] [P], il m'a été donné pour consigne de ne plus la contacter (alors que je m'apprêtais à l'appeler) de transmettre cette interdiction verbalement à mon équipe. Lorsque je l'ai interrogé sur le motif de cette consigne, il m'a répondu qu'il agissait par prudence pour éviter une éventuelle accusation de harcèlement lié au fait qu'elle soit sollicitée à tort pendant une période d'arrêt...Nous n'avions eu aucune information quant à un arrêt en cours de Mme [L]. Il m'a ensuite évoqué que la procédure de licenciement qu'il souhaitait mettre en place depuis 2 ans était enfin en cours, son projet ayant été reporté à 2 reprises en raison des grossesses de Mme [L].

J'avais déjà entendu M. [P] décrédibiliser Mme [L] à 2 ou 3 reprises au cours des derniers mois devant quelques collègues. Il exprimait 'qu'il n'y avait aucune différence entre ses périodes de présence et ses périodes d'absence' (je le cite) et il estimait que sa rémunération était bien trop élevée 'par rapport aux résultats qu'elle fournissait', il critiquait la façon dont le contrat de Mme [L] avait été conclu par celle qui l'avait précédé.

J'avais également remarqué que Mme [L] était parfois tenue à l'écart de certaines missions qui lui incombaient pourtant (création d'une nouvelle gamme de produits Oxford, revenu interne B-connect, élaboration de supports outils marketing clients) et que M. [P] les affectait à d'autres collègues et en particulier à son assistante de direction, Mme [X].[...]'.

Il découle de ce qui précède que le salarié apporte la preuve de la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

La société rappelle que Mme [L] travaillait dans les locaux du groupe situés à [Localité 5], tandis que M. [P] avait son bureau à [Localité 6] (Eure), de sorte qu'il y avait peu de contacts entre Mme [L] et M. [P].

Elle souligne que sur les six années qui ont précédé le licenciement de Mme [L], cette dernière a toujours été déclarée apte sans restriction par le médecin du travail.

Elle explique avoir procédé en 2015 au licenciement pour motif économique de Mme [L], n'avoir été informée de la situation de grossesse de la salariée que le 9 décembre 2015, et avoir alors annulé le licenciement et réintégré la salariée dans ses effectifs. Elle considère s'être conformée à la réglementation.

Elle estime que les courriers adressés au médecin du travail et à la Direccte le 9 décembre 2015 par Mme [L] reprennent les opinions de celle-ci, et elle note qu'il n'est fait état d'aucune réponse de l'un ou de l'autre, laissant supposer qu'aucune suite n'y a été donnée.

La société explique par ailleurs qu'il a été demandé à Mme [L] d'optimiser ses déplacements pour limiter le nombre de nuitées, qu'il lui a été rappelé la politique de frais de déplacements, en particulier de déplacement en train en seconde classe, soulignant que c'est l'employeur qui est maître de la politique de frais de déplacements.

Elle indique qu'alors que Mme [L] était en arrêt maladie, le dirigeant de la société a décidé d'arrêter une gamme de produits au profit d'une nouvelle gamme Oxford et que, sans lisibilité sur la date de retour de Mme [L], Mme [X] a été chargée d'y travailler. Il ajoute que Mme [X] a conservé la gestion de ce dossier par souci de cohérence, en s'appuyant sur l'aide technique de Mme [L], notant que celle-ci n'a émis aucune réserve, dans les échanges produits, à cette organisation.

Enfin, elle souligne que l'attestation de Mme [I] a été rédigée le 13 mars 2019, alors que le témoin avait également engagé une procédure à l'encontre de la société. Elle note que Mme [I] utilise des éléments du dossier de Mme [L] pour alimenter son propre dossier. Enfin, M. [P] conteste les propos qui lui sont prêtés.

Les premiers éléments allégués, relatifs aux nuitées et aux voyages en train en seconde classe, ressortent du pouvoir de direction de l'employeur et de sa politique de voyage et de frais de déplacement.

Les deux procédures de licenciement évoquées, dont une seule a été effectivement engagée et menée à son terme selon les pièces produites, ne peuvent, sans analyse du contexte économique de la société à l'époque des faits, être retenues comme constitutives d'agissements caractérisant un harcèlement moral. Il ressort en effet du pouvoir de direction de l'employeur de diligenter une mesure de rupture du contrat de travail s'il en estime les conditions remplies, selon la nature du licenciement envisagé. Il doit seulement être retenu que, pour la seule procédure de licenciement engagée, le 26 octobre 2015, la société a respecté ses obligations légales lorsqu'elle a eu connaissance de la situation de grossesse de la salariée, c'est-à-dire postérieurement à la ladite procédure.

S'agissant de l'éviction de ses fonctions au profit de Mme [X], en particulier durant la période du lancement d'une nouvelle gamme 'Oxford', il convient de constater d'abord qu'il n'est pas produit d'organigramme de la société qui aurait permis de déterminer les fonctions et attributions précises de Mme [L] et celles de Mme [X]. Les échanges de courriels produits ne font apparaître ni plainte, doléance ou récrimination de Mme [L] sur des attributions qui lui auraient été retirées, ou sur des compétences qui n'auraient pas été celles de Mme [X].

La seule circonstance que celle-ci aurait alors exercé les fonctions d'assistante de direction ne permet pas d'en conclure qu'elle se serait vue attribuer des compétences étrangères à ses attributions, ni surtout que Mme [L] aurait été illégitimement écartée de ses propres fonctions.

D'une manière générale, aucun élément du dossier ne permet de retenir que le lancement de la gamme 'Oxford' aurait particulièrement ressorti des attributions de Mme [L].

Enfin, concernant l'attestation de Mme [I], le fait qu'elle soit également en contentieux avec la société n'ôte pas à son témoignage toute valeur probante.

Cependant, force est de constater que le témoin écrit en début d'attestation avoir eu pour consigne, en mai 2017, de ne plus contacter Mme [L]. Or, le licenciement de celle-ci a été effectif le 16 mai 2017, date du courrier formalisant la rupture du contrat de travail, de telle sorte que cette consigne alléguée du supérieur de Mme [L] est difficilement compréhensible à une époque où la relation de travail était soit terminée, soit sur le point de l'être.

Le témoin ajoute qu'il s'agissait pour l'employeur d'éviter une éventuelle accusation de harcèlement liée au fait qu'elle [Mme [L]] soit sollicitée à tort pendant une période d'arrêt. Cette déclaration de l'employeur, si elle doit être retenue pour exacte, exprime le souci de celui-ci de ne pas contrevenir à ses obligations en contactant un salarié durant un arrêt de travail. En tout état de cause, la période considérée, ainsi qu'il vient d'être rappelé, correspondait à celle de la rupture effective du contrat de travail de Mme [L].

Les autres parties du témoignage de Mme [I] ne sont pas époquées, ni circonstanciées. L'affirmation relative à l'éviction de Mme [L] de la création d'une nouvelle gamme Oxford ne se trouve pas confirmée par les éléments du dossier, ainsi que cela a été précédemment analysé.

Il apparaît ainsi que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande en dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.

Il doit également être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande tendant à déclarer nul le licenciement de Mme [L].

- Sur le licenciement pour motif économique

Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder la compétitivité pour prévenir des difficultés économiques à venir constitue un motif valable de licenciement économique.

L'article L.1233-4 du code du travail dans sa version applicable dispose que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Aux termes de l'article L. 1233-4-1 du code du travail alors applicable, lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises.

Mme [L] soutient que :

- le périmètre des recherches de reclassement retenu par son employeur n'est pas exact puisque ce périmètre devait inclure le groupe Hamelin,

- à supposer que le périmètre des recherches de reclassement soit limité au groupe Bong, ces recherches sont insuffisantes puisque toutes les entités du groupe Bong n'ont pas été interrogées.

La société réplique que les recherches de reclassement ont été réalisées dans l'ensemble des entités du groupe, et au-delà, notamment la société Hamelin, laquelle est seulement un actionnaire parmi d'autres, ne disposant pas même de minorité de blocage.

Elle fait valoir que cette recherche de reclassement externe, qui n'est ni prévue par les textes, ni prévue par la jurisprudence, est également intervenue auprès de la Fédération Française du Cartonnage.

Il résulte des pièces produites que le 27 mars 2017, l'employeur a interrogé la société Hamelin dans le cadre de la recherche de reclassement de Mme [L], en indiquant dans son courrier 'pour satisfaire à cette obligation, nous sommes conduits à recenser tous les postes disponibles dans les différentes structures du groupe'.

Un courrier portant la même date a été adressé à la Fédération Française du Cartonnage, avec cette précision que 'à ce jour, nous n'avons recensé aucun poste disponible ou pouvant correspondre au profil recherché, en interne ou auprès des filiales étrangères au groupe.'

Il apparaît ainsi, à la lecture de ces deux courriers, que l'employeur distinguait lui-même entre d'une part, la société Hamelin, dont il indiquait qu'elle faisait partie des structures du groupe, et d'autre part, la Fédération Française du Cartonnage, laquelle était une 'filiale étrangère au groupe'.

Ceci se trouve confirmé par les termes de la lettre de licenciement qui mentionne 'nous avons procédé à une recherche active et individualisée de solutions de reclassement. Ainsi, nous avons recherché toutes les possibilités de reclassement au sein de la vingtaine de sociétés du groupe Bong situées en France et à l'étranger, ainsi qu'auprès du groupe Hamelin. Nous avons également contacté la Fédération Française du Cartonnage'.

Il en ressort que la recherche de reclassement devait être réalisée auprès de la société Hamelin, ce à quoi l'employeur a certes procédé par son courrier du 27 mars 2017, mais sans justifier de la réponse qui y a été apportée.

Il est établi que Mme [L] avait identifié un poste disponible au sein de la société Hamelin, pour lequel elle a postulé par courriel du 4 janvier 2017. Le 13 avril 2017, M. [P] a reçu un courriel indiquant que Mme [L] 'n'a pas été retenue car elle ne correspondait pas au profil du poste'.

La preuve n'est donc pas rapportée d'une recherche réelle de reclassement au sein de la société Hamelin, dans la mesure où la seule réponse dont il est justifié est celle correspondant à la demande de candidature formulée par la salariée elle-même et non celle de la société au courrier du 27 mars 2017.

Le non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré mérite par conséquent confirmation en ce qu'il a déclaré le licenciement de Mme [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'entreprise comptant plus de dix salariés, Mme [L], qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au moment de la rupture, Mme [L], âgé de 40 ans, comptait 9,5 ans d'ancienneté.

Son salaire moyen, au dernier état des relations contractuelles, était de 4 489,60 euros.

Par décision de la maison départementale des personnes handicapées, la qualité de travailleur handicapé lui a été reconnue une première fois du 23 août 2013 au 22 août 2018, puis du 23 août 2018 au 22 août 2023, pour le motif suivant 'vos possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d'une altération de fonction(s)'.

Son contrat de travail s'est achevé le 24 septembre 2017. Elle a été indemnisée par Pôle emploi du 13 novembre 2017 au 3 décembre 2018 et du 1er au 30 avril 2018.

Elle justifie avoir déménagé en Gironde à la fin du mois d'août 2018 en raison de la mutation de son conjoint dans ce département.

Elle a retrouvé un emploi à compter du mois de mai 2019, selon l'unique bulletin de salaire produit. Celui-ci mentionne un salaire brut de 3586 euros, sans information sur les primes éventuelles, faute de disposer du contrat de travail correspondant.

Compte tenu de cette situation, il convient, par voie d'infirmation, de lui allouer une indemnité de 53 500 euros.

Cette somme produira intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil et il sera fait application de celles de l'article 1343-2 du même code.

Sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage.

Le jugement sera infirmé à ce titre.

- Sur les autres demandes

En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande de condamner la société à payer à Mme [L] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts en cause d'appel, et qu'il convient de fixer à 1 200 euros.

Partie succombante, la société sera condamnée aux dépens d'appel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer à Mme [L] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral

- débouté Mme [L] de sa demande au titre du licenciement nul,

- dit que le licenciement de Mme [L] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Industrie Papetière Charentaise à payer à Mme [L] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Industrie Papetière Charentaise de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société Industrie Papetière Charentaise aux dépens.

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Industrie Papetière Charentaise à payer à Mme [L]':

- à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 53 500 euros

Dit que cette somme produira intérêt au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil et que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code ;

Ordonne le remboursement à Pôle emploi par la société Industrie Papetière Charentaise des indemnités de chômage versées à Mme [L], dans la limite de trois mois d'indemnités ;

Y ajoutant,

Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 4 489,60 euros.

Condamne la société Industrie Papetière Charentaise à payer à Mme [L] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Industrie Papetière Charentaise aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 2
Numéro d'arrêt : 19/02642
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;19.02642 ?
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