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22/09/2022 | FRANCE | N°18/03547

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 2, 22 septembre 2022, 18/03547


AFFAIRE : N° RG 18/03547

N° Portalis DBVC-V-B7C-GG3M

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 05 Novembre 2018 RG n° 16/00527











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022



APPELANT :



Monsieur [X] [R]

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représenté par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN

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INTIMES :



Maître [A] [G] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL JUHERE COURSES

[Adresse 1]

[Adresse 5]



Représenté par Me Xavier BOULIER, et par Me Laura MORIN, avocats au barreau de CAEN



L...

AFFAIRE : N° RG 18/03547

N° Portalis DBVC-V-B7C-GG3M

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 05 Novembre 2018 RG n° 16/00527

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 2

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022

APPELANT :

Monsieur [X] [R]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN

INTIMES :

Maître [A] [G] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL JUHERE COURSES

[Adresse 1]

[Adresse 5]

Représenté par Me Xavier BOULIER, et par Me Laura MORIN, avocats au barreau de CAEN

L'Unédic Délégation AGS-CGEA DE [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Xavier ONRAED, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

Mme ACHARIAN, Conseiller,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 28 avril 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 22 septembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [R] à l'encontre d'une décision rendue le 5 novembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Caen dans un litige l'opposant à M. [G], mandataire liquidateur de la société Juhere courses et à l'AGS de [Localité 7].

EXPOSE DU LITIGE

M. [X] [R] a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2003 en qualité de chauffeur coursier par la société Juhere courses (la société) exerçant une activité de transports de messageries, de fret express, de taxi et transport de voyageurs.

Le contrat de travail était régi par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transports du 21 décembre 1950.

La société a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Coutances en date du 31 juillet 2012.

Par jugement du 14 septembre 2012, le tribunal de commerce de Coutances a prononcé la liquidation judiciaire de la société avec maintien de l'activité jusqu'au 21 septembre 2012, et désigné M. [A] [G] en qualité de mandataire liquidateur.

Aux termes d'un courrier du 25 septembre 2012, M. [G] a adressé au salarié une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 2 octobre 2012, mesure notifiée par lettre du 5 octobre 2012.

M. [R] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 2 octobre 2012.

S'estimant créancier d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, sollicitant en outre une résiliation judiciaire de son contrat de travail et contestant le licenciement pour motif économique, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Caen le 3 octobre 2014.

Par jugement du 5 novembre 2018, cette juridiction a :

- débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [G], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société de sa demande reconventionnelle,

- condamné M. [R] aux dépens.

M.  [R] a interjeté appel de cette décision notifiée le 13 novembre 2018, par déclaration du 10 décembre 2018.

Le 12 novembre 2021, a été fixé un calendrier de procédure permettant aux parties de conclure avant les dates suivantes : pour le salarié, avant le 7 janvier 2022, pour le mandataire liquidateur, avant le 18 février 2022 et pour l'AGS de [Localité 7], avant le 25 mars 2022.

La clôture de l'instruction était prévue pour le 6 avril 2022.

M. [R] a déposé des écritures de la façon suivante :

- conclusions n°3 le 7 juillet 2021,

- conclusions n°4 le 22 mars 2022,

- conclusions n°5 le 5 avril 2022,

- conclusions n°6 le 13 avril 2022.

Par conclusions déposées le 5 avril 2022, M. [G], ès qualités de mandataire liquidateur, et l'AGS sollicitent notamment que soient déclarées irrecevables les pièces et conclusions de l'appelant signifiées les 22 mars 2022 et 5 avril 2022 et qu'à défaut, le dossier soit renvoyé à la mise en état.

A l'audience du 28 avril 2022, l'affaire a été retenue et les conclusions de M. [R] postérieures au 7 juillet 2021 (conclusions n°4, 5, 6) ont été écartées comme tardives, contraires au principe du contradictoire compte tenu des caractéristiques sérielles de l'affaire et comme étant au surplus non conformes au calendrier de procédure fixé le 12 novembre 2021.

Par conclusions n°3 déposées le 7 juillet 2021, M.  [R] demande à la cour :

- de réformer le jugement déféré,

- de déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :

- 3 835 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 383,50 euros au titre des congés payés afférents,

- 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Subsidiairement,

- de dire et juger justifiée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail,

- de dire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes suivantes :

- 3 835 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 383,50 euros au titre des congés payés afférents,

- 45 000 euros à titre d'indemnité,

- de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 51 473,93 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 5 147,39 euros au titre des congés payés afférents,

- de débouter les intimés de leurs demandes,

- de déclarer commune et opposable à l'AGS la décision à intervenir,

En toute hypothèse :

- de condamner les organes de la procédure collective à lui verser la somme de 500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Aux termes de ses écritures déposées le 5 avril 2022, la société, représentée par M. [G], mandataire liquidateur, demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les pièces et conclusions de l'appelant signifiées les 22 mars et 5 avril 2022,

A défaut,

- de renvoyer le dossier à la mise en état,

- A titre principal,

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celle le déboutant

de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter 'M. [I]' de ses demandes,

Subsidiairement,

- de réduire à de plus justes proportions l'ensemble des demandes formées par M. [R],

- de limiter les éventuels dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués aux six mois fixés à l'article L. 1235-3 du code du travail,

Reconventionnellement :

- de condamner M. [R] à lui verser la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel,

- de condamner M. [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Selon conclusions déposées le 5 avril 2022, l'AGS de [Localité 7] demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les conclusions signifiées par l'appelant les 22 mars et 5 avril 2022,

- de confirmer le jugement déféré 'déboutant le demandeur de ses prétentions indemnitaires ainsi que de ses rappels de salaire,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaire et de débouter M. [R] de cette demande',

- de rejeter les demandes de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,

- de condamner l'appelant aux dépens,

En tout état de cause,

- de lui déclarer opposable le 'jugement' à intervenir dans la limite de la garantie légale et des plafonds applicables selon les dispositions des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 et suivants du code du travail et des articles D. 3253-2, D. 3253-4 et D.3253-5 du code du travail, les seules créances garanties étant celles découlant de l'exécution du contrat de travail.

Il sera renvoyé aux conclusions pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail : les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il est admis qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées, des dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié demandeur doit donc produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire.

La cour, ayant constaté l'existence d'heures supplémentaires, en évalue souverainement l'importance et fixe en conséquence les créances salariales s'y rapportant, en fonction des éléments de faits qui lui sont soumis.

Selon contrat de travail du 2 janvier 2003, M. [R] percevait un salaire de 1 092,88 euros pour

une durée de travail mensuelle de 152 heures ou 151,67 heures suivant les bulletins de paie versés au dossier à compter du 1er janvier 2007.

A l'appui de sa demande, le salarié produit un tableau dactylographié récapitulant, pour la période de la semaine 1 de l'année 2007 à la semaine 39 de l'année 2012 (du 1er janvier 2007 au 30 septembre 2012), les heures de travail hebdomadaires effectuées ainsi que les sommes dues au titre des heures supplémentaires.

Au terme de ce document, tenant compte des sommes déjà versées par l'employeur au titre des heures supplémentaires, M. [R] évalue le total du rappel de salaire à 51 473,94 euros outre 5 147,39 euros au titre des congés payés afférents.

Toutefois, aucun élément produit ne mentionne les heures de prise et fin de poste qui permettraient un calcul de l'amplitude horaire par jour puis par semaine de travail.

Aucune autre pièce n'étant versée au dossier de M. [R] à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires et les bulletins de paie indiquant en outre que de telles heures de travail ont été réglées, il convient de constater que le salarié ne met pas l'employeur ou son représentant en mesure de répondre précisément à sa demande ni n'étaye celle-ci.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire au titre de heures supplémentaires.

II- Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

A- Sur la modification dans la situation juridique de l'employeur

L'article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

M. [R] fait valoir que la société a cédé partiellement son activité, si bien que les contrats de travail rattachés à celle-ci auraient dû faire l'objet d'un transfert au nouvel employeur par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et non d'une rupture par licenciement pour motif économique.

Il invoque ce moyen en l'appliquant aux sociétés Euralis Normandie et Normandie transport.

M. [G] et l'AGS s'opposent à cette analyse en précisant que tous les actes de cession ont été réalisés par le mandataire liquidateur et que tous les salariés mentionnés ont fait l'objet d'une mesure de licenciement notifiée par ses soins.

Il convient préalablement de souligner que, contrairement à ce que prétend le salarié, si une offre de reprise de la société a été formée, elle a été adressée à l'administrateur judiciaire par la société

Malherbe et non par la société Euralis Normandie.

Par ailleurs, cette dernière a effectivement acquis partie de l'actif mobilier de la société débitrice en achetant des véhicules. Toutefois, ces biens ont été cédés par le mandataire liquidateur et la cession a été autorisée par ordonnance du juge commissaire en date du 1er octobre 2020, dans le cadre de la procédure de liquidation et non d'une cession antérieure à la procédure collective.

La société a par ailleurs cessé d'honorer ses obligations à l'égard de l'un de ses clients, la société Agrial, sans que le salarié justifie que le contrat liant ces deux entités ait été transféré à la société Euralis Normandie.

De plus, si certains salariés comme M. [L] et lui-même ont signé des contrats de travail avec la société Euralis Normandie, ceux-ci sont intervenus après la décision du 14 septembre 2012 plaçant la société en liquidation judiciaire et après même la période de maintien d'activité.

Le contrat produit mentionne par ailleurs qu'il est conclu en application d'un reclassement externe du salarié dans une entreprise tierce et non de l'article L. 1224-1 du code du travail.

Enfin, le salarié n'établit aucunement le transfert d'une entité économique, la société ayant été placée en liquidation judiciaire et l'appelant ne justifiant pas que les actifs repris constituent les outils d'une activité autonome au sein de celle-ci et qu'il aurait été rattaché à celle-ci si bien que le courrier signifiant à M. [R] que son contrat de travail serait transféré à la société Euralis Normandie n'engage que cette dernière, ce salarié ayant enfin fait l'objet d'un licenciement dans le cadre de la procédure collective et son ancienneté dans la société n'étant pas reprise.

En ce qui concerne la société Normandie transport, la reprise alléguée par le salarié de contrats à l'égard de plusieurs clients n'est pas établie.

Les contrats de travail signés par des salariés de la société Juhere courses l'ont été postérieurement à la période de maintien d'activité de la société placée en liquidation totale d'activité.

La cession d'une entité économique n'est enfin pas établie.

Dans ces conditions, la modification dans la situation juridique de l'employeur n'est pas justifiée.

B- Sur la date de notification au salarié du motif économique du licenciement

Il est admis que lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L.1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation.

En l'espèce, le salarié a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 2 octobre 2012, date de l'entretien préalable au licenciement.

Par courrier du 25 septembre 2012, le liquidateur l'a convoqué à cet entretien préalable aux termes d'une lettre ainsi rédigée : 'je vous informe que par jugement du tribunal de commerce de Coutances en date du 14 septembre 2012, votre employeur a été déclaré en liquidation judiciaire avec une poursuite d'activité qui s'est achevée le 21 septembre, et que ce même jugement m'a désigné aux fonctions de liquidateur.

Compte tenu de cette situation, votre licenciement pour motif économique est envisagé.'

Cet écrit, antérieur à l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le salarié, fait mention du jugement du tribunal de commerce ordonnant une mesure de liquidation judiciaire de la société et de la date de la fin d'activité de celle-ci.

La mesure de liquidation judiciaire entraîne la suppression de tous les emplois de l'entreprise si bien que le salarié s'est trouvé informé non seulement du motif économique de son licenciement antérieurement à son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle mais aussi de la suppression de son emploi.

Ce moyen tendant à voir déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ne sera donc pas retenu.

C- Sur le défaut de qualité du signataire de la lettre de licenciement

L'article L. 641-4 du code de commerce, en sa version applicable au litige, dispose que le liquidateur exerce les missions dévolues à l'administrateur et au mandataire judiciaire.

Les licenciements auxquels procède le liquidateur en application de la décision ouvrant ou prononçant la liquidation, le cas échéant au terme du maintien provisoire de l'activité autorisé par le tribunal, sont soumis aux dispositions des articles L. 321-8 et L. 321-9 du code du travail devenus l'article L. 1233-58 du code du travail.

L'article L. 812-1 du code de commerce, en sa version applicable, prévoit que les mandataires judiciaires sont les mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder à la liquidation d'une entreprise.

Les tâches que comporte l'exécution de leur mandat leur incombent personnellement. Ils peuvent toutefois, lorsque le bon déroulement de la procédure le requiert et sur autorisation motivée du président du tribunal, confier sous leur responsabilité à des tiers une partie de ces tâches.

Par jugement du 14 septembre 2012, le tribunal de commerce de Coutances a notamment prononcé la liquidation judiciaire de la société, autorisé le maintien de l'activité pour une semaine pour permettre à l'administrateur judiciaire d'apprécier le sérieux des offres et des garanties de financement, désigné M. [G] en qualité de liquidateur, rappelé que la décision entraîne la dissolution de la personne morale.

Il appartenait donc à M. [G], désigné en qualité de liquidateur par la décision précitée, de procéder au licenciement des salariés de l'entreprise.

La lettre de licenciement du 5 octobre 2012 adressée à M.  [R] a cependant été signée par Mme [T] [Y], collaboratrice stagiaire du liquidateur, à qui ce dernier avait donné pouvoir, par courrier du 4 octobre 2012, de signer en son absence les lettres de licenciement des salariés employés par la société.

L'accès à la profession d'administrateur judiciaire est soumis à la condition fondamentale et préalable de l'inscription sur la liste nationale des administrateurs judiciaires établie par une commission nationale instituée par les articles L. 812-2 et L. 812-4 du code de commerce.

Le décret numéro 98-1232 du 29 décembre 1998 modifiant les décrets numéro 85-1388 et 85-1389 du 27 décembre 1985 relatifs aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et à la liquidation des entreprises, repris par l'article A. 814-1 du code de commerce et particulièrement l'annexe 8, a défini les conditions dans lesquelles le mandataire peut déléguer sa signature à des salariés de son étude et peut valablement donner mandat à son collaborateur pour lui confier certaines tâches, à la condition qu'il conserve la maîtrise et le contrôle de la mission qui lui a été confiée et exerce seul les prérogatives attachées à sa fonction.

Le collaborateur doit être le salarié exclusif de l'administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises ou celui de la personne morale dans le cadre de laquelle le professionnel exerce son activité.

Il doit exercer son activité sous l'autorité directe de l'administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises et disposer d'une expérience et d'une compétence suffisantes.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [T] [Y], collaboratrice stagiaire de M. [G] dont l'expérience professionnelle n'a pas été remise en cause, a reçu une délégation de signature le 4 octobre 2012 exclusivement aux fins de signer les lettres de licenciement des salariés de la société.

Par ailleurs, le certificat de fin de stage établi le 20 février 2013 par M. [C], commissaire du gouvernement, secrétaire de la commission nationale d'inscription et de discipline des mandataires judiciaires, précise que Mme [Y] 'a été régulièrement inscrite sur le registre de stage des mandataires judiciaires à compter du 1er mai 2011, en qualité de collaboratrice stagiaire de M. [A]

[G]. Par décision du 9 novembre 2011, la commission nationale d'inscription et de discipline des mandataires judiciaires a pris en compte pour une période de quinze mois de la durée du stage de Mme [Y] les services antérieurs effectués par celle-ci en qualité de collaboratrice de Mme [F], mandataire judiciaire à [Localité 6] (Orne). Il résulte de l'attestation de fin de stage établie par M. [G] que Mme [Y] a mené à bien divers travaux qui lui ont été confiés. Elle a accompli, sous le contrôle de son maître de stage, toutes les tâches habituellement dévolues à un mandataire judiciaire. [...]

En conséquence, le présent certificat de fin de stage est délivré à Mme [Y] en application de l'article R. 812-10 du code de commerce.'

Il ressort de ces éléments que Mme [Y] a été régulièrement déléguée pour signer des actes précis, établis à l'en-tête de M. [G] qui a effectué et signé tous les autres actes de la procédure de licenciement, et sous le contrôle de celui-ci.

Elle a ainsi effectué, comme le prévoit l'attestation de stage et conformément à la finalité de cette formation, tous actes habituellement dévolus à un mandataire judiciaire.

Mme [Y] n'a donc pas agi en son nom et pour son compte et elle a signé les lettres de licenciement au nom et pour le compte de M. [G], liquidateur désigné par le tribunal de commerce, duquel elle avait reçu délégation de signature en sa qualité de stagiaire de mandataire judiciaire, pour lequel elle n'était pas un tiers puisqu'ils étaient liés par une convention de stage conforme aux dispositions légales et réglementaires, comme en atteste le commissaire du gouvernement.

L'irrégularité de la notification du licenciement ne pourra donc être retenue sur ce fondement.

D- Sur l'existence d'un groupe au sein duquel devait intervenir le reclassement du salarié

L'article L.1233-4 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, dispose que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Il est admis par ailleurs que si l'entreprise appartient à un groupe, le reclassement intervient dans le cadre du groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu de travail ou d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.

M. [R] fait valoir que la société a failli à son obligation de reclassement en omettant de rechercher un poste au sein du groupe qu'elle constitue avec la société Normandie transport, les deux entreprises disposant d'une direction et d'un actionnariat communs et exerçant une activité similaire.

M. [G] et l'AGS s'opposent à cette analyse, indiquant que la société n'appartenait à aucun groupe et ne présentait avec la société Normandie transport aucun actionnaire, outil de travail ou de communication communs ni n'offrait la possibilité d'une permutation des salariés.

Le liquidateur établit, par la production d'une fiche d'information sur les entreprises, qu'en l'état de la dernière modification des représentants légaux de l'entreprise, les gérants de la société étaient, au 13 mai 2012, MM. [P] et [E] et que M. [W], précédent gérant et nouveau gérant de la société Normandie transports, n'exerçait plus ces fonctions à l'ouverture de la procédure collective.

Contrairement à ce qu'affirme le salarié, les sociétés Juhere courses et Normandie transport n'avaient donc pas les mêmes dirigeants au moment des licenciements.

Par ailleurs, la note accompagnant la convocation pour la réunion exceptionnelle du mardi 25 septembre 2012 (pièce 13 du salarié), précise que M. [P] est gérant de la société depuis l'acquisition de 70 % des parts le 1er avril 2011 et M. [E] est devenu cogérant depuis l'acquisition de 30 % des parts de la société en décembre 2011, ce que corrobore la fiche d'information sur la société également produite par M. [R].

Aucune pièce ne vient enfin étayer des possibilités de permutation des personnels, les contrats de travail signés entre des salariés de la société Juhere courses et la société Normandie transports ayant été signés après l'échéance de la période de maintien de l'activité dans le cadre d'une liquidation judiciaire.

Ainsi la notion de groupe entre les sociétés Juhere courses et Normandie transport n'est pas établie et l'obligation de reclassement pesant sur l'employeur, représenté par le liquidateur, ne le contraignait pas à rechercher un reclassement du salarié auprès de cette dernière.

E- Sur la demande subsidiaire de résiliation judiciaire du contrat de travail

La demande de résiliation judiciaire a été introduite lors de la saisine du conseil de prud'hommes tendant également à la contestation du licenciement.

Le contrat de travail ayant été préalablement rompu par le licenciement, la demande de résiliation se trouve sans objet.

Toutefois, il est admis que le juge doit, pour apprécier le bien fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation.

M. [R] fait subsidiairement valoir que la résiliation judiciaire du contrat de travail doit intervenir aux torts de l'employeur pour les raisons suivantes :

- il n'a bénéficié d'aucune visite médicale d'embauche,

- l'employeur n'a sollicité aucune visite médicale de reprise après un arrêt de travail le justifiant,

- les heures supplémentaires effectuées n'ont pas été rémunérées,

- les primes d'ancienneté n'ont pas été versées,

- l'employeur lui a imposé une falsification des documents sur le temps de conduite.

Les éléments ainsi énumérés ne sont pas de nature à influencer l'appréciation de la cour sur le bien fondé du licenciement qui a été notifié pour un motif économique, conséquence de la liquidation judiciaire de la société.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que la demande de résiliation judiciaire.

III- Sur les demandes relatives aux conséquences de la rupture du contrat de travail

A- Sur la demande d'indemnité de préavis

L'article L. 1233-67 du code du travail dispose que l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail. Cette rupture du contrat de travail, qui ne comporte ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis ouvre droit à l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 et à toute indemnité conventionnelle qui aurait été due en cas de licenciement pour motif économique au terme du préavis.

Les demandes tendant à voir déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ont été rejetées si bien que la demande d'indemnité de préavis le sera également, par voie de confirmation.

B- Sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il a été précédemment retenu que le licenciement ne se trouve pas dépourvu de cause réelle et sérieuse de sorte qu'aucune indemnité ne pourra être accordée au salarié sur ce fondement et qu'il convient de confirmer le jugement déféré sur ce point.

C- Sur le sort des créances salariales

Compte tenu de l'ouverture d'une procédure collective et de l'antériorité de l'origine des créances à celle-ci, il convient, en application des articles L. 622-21, L. 622-22 et L. 625-6 du code de commerce, de fixer les créances salariales afin qu'elles soient portées sur l'état des créances.

A cet égard, aucune créance de nature salariale n'étant reconnue à M. [R] , les articles précités ne reçoivent pas application.

En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, il sera rappelé que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels.

Enfin, l'article L. 3253-8 du code du travail dispose que l'assurance contre le risque de non-paiement des sommes qui sont dues aux salariés en exécution du contrat de travail en cas de procédure collective couvre :

1° les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.

2° les créances résultant de la rupture de contrats de travail intervenant :

a) pendant la période d'observation,

b) dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession,

c) dans les quinze jours ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation,

d) pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré suivant la fin de ce maintien d'activité.

Le présent arrêt sera donc déclaré opposable à l'AGS de [Localité 7].

IV- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie succombante en appel, M. [R], sera condamné aux dépens d'appel, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé sur ce point.

Enfin, l'équité ne commande pas que M. [R] soit condamné à verser à la société une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés durant la procédure d'appel. La demande de M. [G], ès qualités de liquidateur de la société, sera donc rejetée et le jugement déféré également confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS :

La cour

Rappelle que les conclusions de M.  [R] n°4 déposées le 22 mars 2022, n°5 déposées le 5 avril 2022 et n°6 déposées le 13 avril 2022 ont été écartées des débats,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant :

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels,

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS de [Localité 7],

Condamne M. [R] aux dépens d'appel,

Rejette la demande de la société Juhere courses, représentée par M. [G], ès qualités de mandataire liquidateur, tendant à la condamnation de M.  [R] à lui verser une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 2
Numéro d'arrêt : 18/03547
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;18.03547 ?
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