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05/07/2022 | FRANCE | N°19/01420

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 05 juillet 2022, 19/01420


AFFAIRE : N° RG 19/01420 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GKHS

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance d'ALENCON du 09 Avril 2019

RG n° 16/00880







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 05 JUILLET 2022





APPELANTE :



Madame [P] [J] épouse [X]

[Adresse 10]

[Localité 6]



représentée et assistée de Me Hubert GUYOMARD, avocat au barreau D'ALENCON



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INTIMÉS :



Monsieur [B] [T]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 18]

[Adresse 16]

[Localité 8]



Madame [W] [U] épouse [T]

née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 19]

[Adresse 15]

[Localité 8]



représentés...

AFFAIRE : N° RG 19/01420 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GKHS

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance d'ALENCON du 09 Avril 2019

RG n° 16/00880

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 05 JUILLET 2022

APPELANTE :

Madame [P] [J] épouse [X]

[Adresse 10]

[Localité 6]

représentée et assistée de Me Hubert GUYOMARD, avocat au barreau D'ALENCON

INTIMÉS :

Monsieur [B] [T]

né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 18]

[Adresse 16]

[Localité 8]

Madame [W] [U] épouse [T]

née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 19]

[Adresse 15]

[Localité 8]

représentés et assistés de Me Didier LEFEVRE, avocat au barreau D'ALENCON

La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'HERAULT

[Adresse 3]

[Localité 7]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Frédéric FORVEILLE, avocat au barreau de CAEN

INTERVENANTE VOLONTAIRE :

L'E.A.R.L. DE [Adresse 16]

N° SIRET : 390 298 826

[Adresse 21]

[Localité 9]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Didier LEFEVRE, avocat au barreau D'ALENCON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GANCE, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 03 mai 2022

GREFFIER : Mme LE GALL

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 05 Juillet 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et COLLET, greffier

* * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Le 12 octobre 2013, Mme [X] a été victime d'une chute dans une marnière.

Par ordonnance du 22 janvier 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Alençon a ordonné une expertise judiciaire et missionné le docteur [O] afin d'évaluer son préjudice corporel.

L'expert a déposé son rapport au mois d'août 2015.

Par acte du 6 juillet 2016, Mme [X] a fait assigner M. et Mme [T] et la Cpam de l'Hérault devant le tribunal de grande instance d'Alençon afin d'être indemnisée des préjudices subis.

Par jugement du 9 avril 2019 auquel il est renvoyé pour un exposé complet du litige en première instance, le tribunal de grande instance d'Alençon a :

- débouté Mme [X] de toutes ses demandes

- condamné Mme [X] à payer à M.et Mme [T] une indemnité de 1 000 euros et à la Cpam de l'Hérault une indemnité de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné Mme [X] aux entiers dépens, dit qu'il sera fait application au profit de Me Lefevre des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 10 mai 2019, Mme [X] a formé appel de ce jugement.

Aux termes de ses écritures notifiées le 3 décembre 2019, Mme [X] demande à la cour de :

-infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Alençon le 9 avril 2019

- dire que M. et Mme [T] sont solidairement responsables des dommages subis par elle à la suite de sa chute, en sa qualité de gardien de la chose instrument du dommage

- condamner M. et Mme [T] à lui verser la somme de 123 501, 81 euros sauf à parfaire à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel, se décomposant comme suit :

1) préjudices patrimoniaux

a) temporaires

* dépenses de santé actuelles à la Cpam : 23 066,35 euros

* perte de gains professionnels actuels : 4 997,71 euros

* assistance tierce personne : 2 070 euros

b) permanents

* dépenses de santé futures : à réserver

* perte de gains professionnels futurs : 330,84 euros

* incidence professionnelle : 30 000 euros

2) préjudices extra-patrimoniaux

a) temporaires

* déficit fonctionnel temporaire (La Cpam de l'Herault) : 2 229, 10 euros

* souffrances endurées (4/7) : 30 000 euros

* préjudice esthétique temporaire : 1 500 euros

b) permanents

* déficit fonctionnel permanent (Dfp) (10%) : 14 200 euros

* préjudice esthétique permanent (1,5/7) : 1 500 euros

* préjudice d'agrément : 2 000 euros

* préjudice sexuel : 6 000 euros

en toute hypothèse,

- condamner les époux [T] solidairement à payer les dépens et à régler la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs écritures notifiées le 20 novembre 2020, M. et Mme [T] et l'Earl de La Grande D'Asse demandent à la cour de :

- confirmer la décision du tribunal de grande instance d'Alençon en date du 9 avril 2019

- débouter en conséquence Mme [X] et la Cpam de l'Hérault de l'ensemble de leurs demandes

- dire recevable l'intervention volontaire de l'Earl La Grande D'Asse, exploitant la parcelle ZO n°[Cadastre 5]

à titre infiniment subsidiaire

- prononcer le partage de responsabilité et réduire de 3/4 l'indemnisation de Mme [X] au regard de la faute de la victime

- réduire très sensiblement les réclamations très excessives de Mme [X] et dire les propositions d'indemnisation formulées dans les présentes écritures satisfactoires

- la débouter de ses prétentions au titre :

* des PGPA en l'état des communications de pièces

* des DSF hors séances de kinésithérapie

* PET

* PGPF

* PA

* PS

en tout état de cause,

-condamner Mme [X] aux entiers dépens qui comprendront ceux de référé, dont distraction au profit de Me Lefevre, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 février 2021, la Cpam de l'Hérault demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur la responsabilité encourue par M. et Mme [T] et de l'Earl de [Adresse 16] dans l'accident dont a été victime Mme [X] le 12 octobre 2013

- pour le cas où la responsabilité de M. et Mme [T] et de l'Earl de [Adresse 16] serait consacrée

- condamner in solidum M. et Mme [T] et l'Earl de [Adresse 16] in solidum ou les uns à défaut des autres, à lui payer par priorité et à due concurrence de l'indemnité qui sera mise à la charge des responsables, la somme de 28 674,16 euros qu'elle a réglée pour le compte de Mme [X], se décomposant de la manière suivante :

* au titre du poste DSA : 23 066,35 euros se décomposant de la manière suivante :

¿ frais d'hospitalisation : 20 837,35 euros

¿ frais médicaux et pharmaceutiques : 1 555,12 euros

¿ frais de transport : 673,88 euros

* au titre du poste DSF : 5 607,81 euros

- lui donner acte de ce qu'elle fournit un état définitif des débours versés pour le compte de Mme [X]

- condamner M. et Mme [T] et l'Earl de [Adresse 16], in solidum ou les uns à défaut des autres, à lui payer la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire fixée par l'ordonnance n°96-51 du 24 janvier 1996

- condamner toute partie succombant au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [X] a notifié des conclusions écrites le 5 avril 2022.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 6 avril 2022.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 15 avril 2022, M. et Mme [T] et l'Earl de [Adresse 16] sollicitent le rejet des conclusions notifiées par Mme [X] le 5 avril 2022.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

I / Sur la procédure :

Aux termes de ses écritures du 15 avril 2022, les intimés soutiennent que les conclusions notifiées par Mme [X] le 5 avril 2022 à 15 h 53 doivent être rejetées au motif qu'elles sont tardives et violent le principe du contradictoire.

Les conclusions de Mme [X] ont été notifiées avant la clôture de l'instruction.

Toutefois, suivant avis de fixation du 29 juillet 2021, les parties ont été informées que la clôture serait prononcée le 6 avril 2022 à 8 heures 45.

Les dernières conclusions des époux [T] sur le fond du litige ont été notifiées le 20 novembre 2020.

Les écritures en réponse de Mme [X] notifiées le 5 avril 2022 comportent de nouvelles prétentions et de nouveaux développements en particulier en page 17.

Les intimés n'étaient pas en mesure d'y répondre avant la clôture.

En conséquence, en déposant des écritures comportant de nouvelles prétentions et de nouveaux développements dans la motivation seulement quelques heures avant la clôture de l'instruction dont la date était fixée depuis plus de huit mois, Mme [X] qui n'a pas mis les intimés en mesure d'y répondre utilement, a violé le principe du contradictoire.

Les conclusions notifiées par Mme [X] le 5 avril 2022 seront donc rejetées comme étant tardives.

Il convient donc de statuer sur le fondement de ses précédentes écritures notifiées le 3 décembre 2019.

II / Sur la responsabilité :

Il est établi que le 12 octobre 2013, Mme [X] a fait une chute de plusieurs mètres en tombant dans une marnière au lieu-dit [Localité 14] à [Localité 13] (61).

Secourue le lendemain, elle a été hospitalisée, présentant notamment une fracture de L1 avec un recul du mur postérieur.

Après consolidation fixée au 20 juin 2014, elle présente un déficit fonctionnel permanent de 10%.

Mme [X] invoque à titre principal la responsabilité de M. [T] et Mme [T] sur le fondement de l'article 1242 du code civil (anciennement 1384) soutenant en particulier que le gardien de la chose (terrain sur lequel se trouve la marnière) est M. [T] en sa qualité d'exploitant de la parcelle.

L'article 1384 du code civil dans sa version applicable au litige dispose que l'on est responsable des choses que l'on a sous sa garde.

La chose doit avoir été l'instrument du dommage. Le gardien de la chose est celui qui dispose sur elle des pouvoirs de surveillance et de contrôle.

En l'espèce, il résulte de la pièce n° 17 de Mme [X] (procès-verbal de gendarmerie indiquant le lieu d'intervention des secours, plan cadastral et photographie aérienne des lieux) ainsi que des photographies produites par les intimés que la marnière dans laquelle est tombée Mme [X] se trouve à quelques mètres de la voie publique.

Il résulte de manière évidente des photographies que cette marnière se trouve sur la parcelle ZO n° [Cadastre 5].

Aux termes d'une attestation de Me [E] notaire, Mme [T] a reçu la nue-propriété de cette parcelle par donation partage du 17 décembre 1997, l'usufruit appartenant à M. [F] [U].

Le jugement a rejeté les demandes de Mme [X] au motif que la jouissance du bien et donc la garde revenait à l'usufruitier M. [F] [H] qui n'avait pas été mis en cause.

Toutefois, il est justifié que M. [F] [U] est décédé le [Date décès 4] 2006.

Conformément à l'article 617 du code civil, son usufruit a donc pris fin le [Date décès 4] 2006 de telle sorte que depuis cette date, Mme [T] est seule propriétaire de la parcelle ZO n° [Cadastre 5].

Mme [X] soutient que l'exploitant de la parcelle est M. [T].

Les intimés ne contestent pas que ce terrain (qui est un terrain agricole) est exploité, mais prétendent que l'exploitant est l'Earl [Adresse 16] qui bénéficie à ce titre d'un bail passé devant Me [K] notaire à [Localité 20]. Ils en déduisent que cette Earl est le gardien de la chose.

Toutefois, ce bail n'est pas versé aux débats.

Ainsi, alors que la parcelle ZO n° [Cadastre 5] est une parcelle agricole exploitée, M. et Mme [T] ne produisent aucun document établissant l'identité de l'exploitant.

Au contraire, le procès-verbal de gendarmerie (pièce n° 17) mentionne que l'exploitant de la parcelle est M. [T] ce qui a été confirmé par le maire de la commune.

Il résulte de ces observations que Mme [T] a confié l'exploitation agricole de la parcelle ZO n° [Cadastre 5] à M. [T].

C'est donc lui qui exerce l'usage, la direction et le contrôle du terrain où se trouve la marnière. S'il avait eu connaissance de la présence de cette marnière, c'est à lui qu'aurait incombé la charge de protéger les abords de la marnière pour éviter que quelqu'un ne puisse y faire une chute.

Mme [T] a transféré la garde de la chose à M. [T] qui est donc le gardien de la parcelle ZO n° [Cadastre 5] au sens de l'article 1384 du code civil.

La marnière correspond à un trou de plusieurs mètres de profondeur qui n'était pas signalé d'une quelconque manière.

Un promeneur normalement diligent ne pouvait donc pas se douter de sa présence, étant rappelé que l'accident est survenu à la tombée de la nuit.

Comme rappelé précédemment, la chute dans la marnière est la cause des dommages physiques subis.

La parcelle ZO n° [Cadastre 5] sur laquelle se trouve cette marnière a été l'instrument du dommage.

Cette marnière ne constitue pas un fait extérieur à la parcelle ZO n° [Cadastre 5], il s'agit d'un vice inhérent à la chose dont M. [T] avait la garde.

Il n'est donc pas justifié d'un cas de force majeure c'est à dire d'un événement extérieur, imprévisible et irrésistible susceptible d'exonérer M. [T] de sa responsabilité en qualité de gardien de la chose.

Il est encore soutenu que Mme [X] a commis une faute en circulant sur la parcelle litigieuse.

Toutefois, l'accident est survenu à seulement quelques mètres de la voie publique. Aucune clôture n'interdisait l'accès à la parcelle litigieuse (Mme [X] rappelant que la clôture apparaissant sur les photographies a été installée après l'accident).

En suivant la chienne qu'elle promenait sur le talus, Mme [X] n'a donc pas franchi de clôture, étant rappelé que l'accident est survenu à la nuit tombée.

Si M. [T] avait clôturé la parcelle ZO n° [Cadastre 5] en limite de propriété, la chienne de Mme [X] ne serait pas allée sur ce terrain de telle sorte qu'elle n'aurait pas non plus eu à monter sur le talus comme elle l'a fait.

La preuve que Mme [X] a commis une faute en montant sur le talus situé à quelques mètres de la voie publique n'est pas rapportée.

M. [T] a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384 du code civil et il est donc tenu d'indemniser Mme [X] de la totalité de ses préjudices en lien avec sa chute du 12 octobre 2013.

Les demandes contre Mme [T] et l'Earl seront rejetées.

III / Sur la liquidation des préjudices de Mme [X] :

Comme rappelé précédemment, Mme [X] a fait une chute de plusieurs mètres le 12 octobre 2013 alors qu'elle se promenait. Les secours ne sont intervenus que le lendemain.

Elle a d'abord été transportée au centre hospitalier de [Localité 17] puis hospitalisée au centre hospitalier d'[Localité 11] où a été diagnostiquée une facture de L1 avec recul du mur postérieur.

Le 14 octobre 2013, elle a été opérée au centre hospitalier universitaire de [Localité 12] pour une ostéosynthèse de T 11 à L 3.

Elle a eu à subir plusieurs mois de rééducation (suivi orthopédique et kinési-thérapeutique).

Sur le plan professionnel, elle a été placée en arrêt de travail puis en congé maladie jusqu'au 30 septembre 2014. Elle a été reconnue travailleuse handicapée par décision du 26 août 2014 de la MDPH.

Les parties rappellent que le taux de déficit fonctionnel permanent fixé par l'expert est de 10% pour une femme âgée de 51 ans à la date de consolidation (20 juin 2014).

Compte tenu des principes applicables aux recours des tiers payeurs tels que définis aux articles 28 et suivants de la loi du 5 juillet 1985, il convient de distinguer les préjudices patrimoniaux (soumis à recours des tiers payeurs) et les préjudices extra-patrimoniaux (non soumis à recours sous réserve des dispositions de l'article 31 in fine).

A / Sur les préjudices patrimoniaux :

Sur les dépenses de santé :

Il s'agit des frais médicaux, hospitaliers, pharmaceutiques et paramédicaux consécutifs à l'accident qui ont été exposés par la victime ou les tiers payeurs.

La Cpam de l'Herault justifie avoir exposé des débours à hauteur de 23066,35 euros au titre des dépenses de santé actuelles et 5607,81 euros au titre des dépenses de santé futurs.

Mme [X] ne forme aucune demande d'indemnisation au titre des dépenses de santé.

M. [T] sera condamné à payer à la Cpam de l'Herault la somme de 28674,16 euros au titre des dépenses de santé (actuelles et futures).

Sur l'assistance par une tierce personne :

Ce poste correspond au besoin d'assistance par une tierce personne (professionnelle rémunérée à ce titre ou aide familiale non rémunérée) dans les actes de la vie courante, lié aux séquelles avant consolidation.

Mme [X] sollicite l'indemnisation de ce poste de préjudice pour la période du 22 octobre au 6 décembre 2013, soit pendant 46 jours.

Elle rappelle à juste titre que l'aide humaine bénévole apportée par ses proches ne fait pas obstacle à l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne.

Toutefois, les intimés rappellent que l'expert judiciaire n'a pas retenu ce poste (ce que l'appelante ne conteste pas) et les éléments avancés par Mme [X] sur les déplacements difficiles avec repos pratiquement continu, l'aide que sa famille lui aurait apportée ainsi que l'attestation du docteur [C] ne sont pas de nature à contredire les conclusions de l'expert judiciaire.

Ce poste ne sera donc pas retenu.

Sur la perte de gains professionnels actuels :

Ce poste indemnise la perte ou la diminution de revenus subie par la victime dans la sphère professionnelle du fait des séquelles dont elle demeure atteinte avant consolidation.

Mme [X] sollicite la somme de 4997,71 euros euros à ce titre se décomposant comme suit :

- manque à gagner de 412,20 euros bruts par mois au titre des primes et indemnité forfaitaire, soit 1236,60 euros d'octobre 2013 à janvier 2014

- manque à gagner de 3761,11 euros du 12 janvier au 30 juin 2014.

Les époux [T] ne formulent aucune proposition au titre de ce préjudice, concluant au contraire au débouté de la demande afférente.

Il résulte de ses bulletins de paie que Mme [X] avait droit chaque mois à une prime forfaitaire de 13,06 euros bruts, d'une prime spéciale de sujétion de 132,95 euros bruts et une indemnité de 41,36 euros pour chaque journée travaillée un dimanche ou un jour férié (généralement 2 à 3 journées par mois selon les bulletins de salaire).

Toutefois, le calcul opéré par Mme [X] est erroné en ce sens qu'il tient compte du revenu brut afférent à ces primes et indemnité avant imputation des charges.

Il convient au contraire de raisonner globalement en calculant le revenu avant l'accident et ce qui a été perçu effectivement au cours de la période avant consolidation, c'est à dire jusqu'au 20 juin 2014.

Il résulte des bulletins de paie produits que Mme [X] a perçu un revenu mensuel moyen de 1480,66 euros sur les 9 mois ayant précédé son accident en ce inclus, le salaire de base, les primes et indemnité (mais hors prime de fin d'année perçue au mois de décembre de chaque année).

Elle aurait donc dû percevoir la somme globale de 11351,63 euros d'octobre 2013 au 20 juin 2014 (sans tenir compte de la prime de fin d'année).

Or, elle n'a perçu que 6852,84 euros de traitement (hors prime de fin d'année qui a été maintenue et qui n'a donc pas été perdue) outre 2659,16 euros d'indemnités journalières de la caisse de prévoyance (mutuelle MNT), soit un total de 9512 euros.

La différence s'élève à 1839,63 euros.

La perte de gains professionnels actuels sera donc fixée à 1839,63 euros.

Sur la perte de gains professionnels futurs :

Ce poste indemnise la perte de ressources résultant de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi après consolidation.

Mme [X] a occupé un emploi d'animatrice au sein du même établissement à compter du mois de juillet 2014 (soit juste après consolidation) jusqu'au mois de janvier 2015, avant de retrouver son précédent emploi.

Il résulte de ces bulletins de paie sur la même période qu'elle a ainsi perdu les indemnités de travail pour les dimanche et jours fériés travaillés pour une somme mensuelle qu'il convient d'évaluer à 330,84 euros.

La perte de gains professionnels futurs sera donc fixée à 330,84 euros comme sollicitée.

Sur l'incidence professionnelle :

Ce poste indemnise la dévalorisation sur le marché du travail, l'augmentation de la pénibilité au travail ainsi qu'une perte de chance de promotion professionnelle.

Dans le cas présent, Mme [X] a pu reprendre son ancien emploi à compter du mois de février 2015 après avoir été à mi-temps thérapeutique et avoir occupé un emploi d'animatrice au sein du même établissement.

Toutefois, elle rappelle que l'expert judiciaire conclut qu'elle subit une diminution de ses capacités aux efforts avec nécessité à terme d'un éventuel aménagement ou d'une reconversion.

En effet, elle ne peut plus soulever de poids supérieurs à trois kilogrammes ou entreprendre des travaux ménagers impliquant une activité physique importante comme tourner des matelas.

L'accident de Mme [X] est survenu alors qu'elle était âgée de 50 ans. Au moment de la consolidation, elle avait 51 ans.

Les intimés proposent de fixer ce préjudice à 6 000 euros alors que Mme [X] sollicite 30 000 euros.

Compte tenu de ces observations, l'incidence professionnelle sera évaluée à hauteur de 20 000 euros.

B / Sur les préjudices extra-patrimoniaux :

Sur le déficit fonctionnel temporaire :

Ce poste a pour objet d'indemniser le préjudice résultant de la gêne dans les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique jusqu'à la date de consolidation. Ce préjudice intègre notamment la privation temporaire des activités privées et d'agrément ainsi que le préjudice sexuel.

Mme [X] rappelle que l'expert judiciaire a retenu un déficit fonctionnel temporaire total pendant la période d'hospitalisation jusqu'à la période intérmédiaire précédant la prise en charge en centre de rééducation (soit du 13 octobre au 27 décembre 2013 : 75 jours) et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 30 % entre le 28 décembre 2013 et le 13 janvier 2014 (soit pendant 17 jours) et enfin un déficit fonctionnel temporaire de 10 % du 14 janvier au 20 juin 2014.

S'agissant de la dernière période, il est indiqué par Mme [X] qu'elle correspond à 168 jours alors qu'il convient de retenir 158 jours.

Le préjudice sera évalué sur la base d'une indemnité de 23 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total comme sollicité.

Le déficit fonctionnel temporaire doit donc être évalué comme suit :

- 75 jours x 23 euros = 1725 euros

- 17 jours x 23 euros x 30 % = 117,30 euros

- 158 jours x 23 euros x 10 % = 363,40 euros

soit un total de 2205,70 euros.

Sur les souffrances endurées :

Ce poste indemnise les souffrances physiques et morales subies par la victime jusqu'à la date de consolidation.

Mme [X] rappelle que l'expert a évalué ce préjudice à 4 sur une échelle de 7, soit un niveau intermédiaire entre moyen et modéré.

Elle précise qu'elle a dû prendre des antalgiques suite aux douleurs ressenties et qu'elle a dû suivre un programme de rééducation pour lutter contre la douleur.

Il convient de rappeler en outre qu'elle a dû attendre les secours pendant une nuit après avoir chuté dans la marnière de telle sorte qu'il existe un préjudice d'angoisse particulier que Mme [X] invoque au titre de ses souffrances endurées.

Les souffrances endurées seront donc évaluées à hauteur de 20 000 euros.

Sur le préjudice esthétique temporaire :

Ce poste indemnise l'altération de l'apparence physique pendant la période allant de l'accident jusqu'à la date de consolidation.

Mme [X] rappelle que l'expert judiciaire n'a pas retenu ce poste. Toutefois, elle a bénéficié d'une ostéosynthèse qui a engendré des cicatrices sur la période avant consolidation.

Ce poste sera évalué à 750 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent :

Ce poste indemnise la réduction définitive (après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel et intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques (et notamment le préjudice moral) et les troubles dans les conditions de l'existence.

Mme [X] rappelle que l'expert a évalué ce préjudice à 10 % ce qui intègre à la fois la composante purement physique (séquelles douloureuses, raideur vertébrale) mais aussi psychique (stress suite aux éléments fractuaires).

À la date de la consolidation, elle était âgée de 51 ans.

Ce préjudice sera évalué à la somme de 14200 euros comme sollicité.

Sur le préjudice d'agrément :

Ce poste a pour objet d'indemniser l'impossibilité pour la victime de pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs.

Mme [X] ne justifie pas qu'elle pratiquait une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle ne peut plus pratiquer en raison des séquelles de l'accident.

Ce poste ne sera donc pas retenu.

Sur le préjudice esthétique permanent :

Ce poste indemnise l'altération physique de la victime consécutive aux lésions définitives subies.

Mme [X] rappelle que l'expert a évalué ce préjudice à 1,5 sur une échelle de 7 soit entre très léger et léger. Il correspond à la cicatrice liée à l'ostéosynthèse.

Ce poste sera évalué à la somme de 1500 euros.

Sur le préjudice sexuel :

Il est rappelé que l'expert judiciaire n'a pas retenu ce poste. Toutefois, il résulte de ses propres conclusions sur le déficit fonctionnel permanent que Mme [X] est gênée dans certains mouvements impliquant le bas du dos en raison des séquelles de l'accident.

Elle subit donc un préjudice sexuel lié à des difficultés positionnelles.

Compte tenu de l'âge de Mme [X] au moment de la consolidation, ce préjudice sera évalué à 1000 euros.

En conclusion, M. [T] sera condamné à payer à Mme [X] les sommes susvisées à titre de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Infirmé sur le principal, le jugement sera aussi infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Succombant, M. [T] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel (dont les frais d'expertise et dépens de référé) avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande.

Il est en outre équitable de le condamner à payer à Mme [X] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il sera condamné à payer à la Cpam de l'Hérault la somme de 1098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire fixée par l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996.

Les autres demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;

Rejette les conclusions écrites de Mme [X] notifiées le 5 avril 2022 comme étant tardives ;

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [B] [T] à payer à Mme [X] les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :

- 1 839,63 euros (perte de gains professionnels actuels)

- 330,84 euros (perte de gains professionnels futurs)

- 20 000,00 euros (incidence professionnelle)

- 2 205,70 euros (déficit fonctionnel temporaire)

- 20 000,00 euros (souffrances endurées)

- 750,00 euros (préjudice esthétique temporaire)

- 14 200,00 euros (déficit fonctionnel permanent)

- 1 500,00 euros (préjudice esthétique permanent)

- 1 000,00 euros (préjudice sexuel) ;

Condamne M. [B] [T] à payer à la Cpam de l'Herault la somme de 28 674, 16 euros au titre de ses débours ;

Condamne M. [B] [T] à payer les dépens de première instance et d'appel (en ce inclus les frais d'expertise judiciaire et dépens de référé) avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande ;

Condamne M. [B] [T] à régler 3500 euros à Mme [X] au titre des frais irrépétibles ;

Condamne M. [B] [T] à payer la somme de 1098 euros à la Cpam de l'Herault au titre de l'indemnité forfaitaire fixée par l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

COLLETG. GUIGUESSON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/01420
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-05;19.01420 ?
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