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23/06/2022 | FRANCE | N°19/02627

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 23 juin 2022, 19/02627


AFFAIRE :N° RG 19/02627 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GMZ2

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DECISION en date du 19 Juillet 2019 du Tribunal de Commerce de LISIEUX

RG n° 2017002458





COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 23 JUIN 2022













APPELANTES :



Compagnie d'assurances MMA, appelante et intimée

N° SIRET : 775 652 126 01603

[Adresse 1]

[Localité 4]

pri

se en la personne de son représentant légal



représentée par Me Gilles VIAUD, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Jérôme MARAIS, avocat au barreau de CAEN





SAS SEA INVEST, appelante et intimée

N° SIRET : 415 0...

AFFAIRE :N° RG 19/02627 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GMZ2

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION en date du 19 Juillet 2019 du Tribunal de Commerce de LISIEUX

RG n° 2017002458

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 23 JUIN 2022

APPELANTES :

Compagnie d'assurances MMA, appelante et intimée

N° SIRET : 775 652 126 01603

[Adresse 1]

[Localité 4]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Gilles VIAUD, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Jérôme MARAIS, avocat au barreau de CAEN

SAS SEA INVEST, appelante et intimée

N° SIRET : 415 086 354

[Adresse 7]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Mathieu CROIX, avocat au barreau du HAVRE,

et de Me Patrick EVRARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

SASU TOLSA FRANCE

N° SIRET : 339 597 932

[Adresse 10]

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me MOSQUET, avocat au barreau de ROUEN,

assistée de Me Joaquim RUIVO DE SOUSA LOPES, avocat au barreau de PARIS

S.A. SURVEYFERT

N° SIRET : 379 245 111

[Adresse 12]

[Localité 6]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Franck DOLLFUS, avocat au barreau de PARIS

SA PELTIER BOIS

N° SIRET : 639 200 807 00019

[Adresse 11]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Sandrine MONTI, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me Hélène LAUDIC BARON, avocat au barreau de RENNES,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 28 avril 2022

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement le 23 juin 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS

La société Peltier bois a pour activité l'importation et la distribution de bois. Son assureur est la société MMA.

La société Sea invest Seine Estuaire (la société Sea invest) était chargée par cette société du dépotage des conteneurs, du dédouanement, du stockage des marchandises et du rechargement des bois à [Localité 8].

La société Peltier bois s'est fait livrer par conteneurs des fardeaux d'Ipé, bois semi-précieux en provenance du Brésil servant notamment à la construction de terrasses extérieures, destiné à la société Bois import.

Ce bois a été entreposé à l'extérieur par la société Sea invest, sur le quai de ce port.

La société Tolsa importe et conditionne de l'attapulgite, produit naturel utilisé dans la fabrication de litières pour chat, et exerce son activité sur le port de [Localité 8], à proximité des locaux de la société Sea invest.

La société Surveyfert exerce une activité de manutentionnaire pour le compte de la société Tolsa.

Suivant procès-verbal de constat d'huissier du 19 octobre 2015, la société Peltier bois a fait constater que ce bois était recouvert d'une fine couche de poussière blanche incrustée que l'huissier instrumentaire ne parvenait pas à retirer en grattant le dessus du bois avec l'ongle.

La société Bois import a refusé de prendre livraison dudit bois.

Par ordonnances des 18 décembre 2015 et 9 septembre 2016, le juge des référés du tribunal de commerce de Lisieux a ordonné une expertise, confiée à M. [S] [O], expert près la cour d'appel de Rouen.

Le 13 avril 2017, l'expert judiciaire a établi son rapport.

Suivant acte d'huissier du 4 juillet 2017, la société Peltier bois a fait assigner les sociétés Sea invest et Tolsa devant le tribunal de commerce de Lisieux afin, notamment, de les voir condamner au paiement des sommes de 329.949,92 euros et 24.697 euros.

Par acte d'huissier du 21 juillet 2017, la société Sea invest a fait assigner en garantie les sociétés Tolsa et Surveyfert.

La société MMA, assureur de la société Peltier bois, est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement du 19 juillet 2019, le tribunal de commerce de Lisieux a :

- ordonné la jonction des affaires n°17-2458, 17-2577 et 18-2394,

- débouté la société Peltier bois des demandes formées à l'encontre des sociétés Tolsa et Surveyfert,

- débouté la société MMA de toutes ses demandes,

- condamné la société Peltier bois à payer aux sociétés Tolsa et Surveyfert la somme de 4.000 euros chacune à titre d'indemnité de procédure,

- condamné la société Sea invest à payer à la société Peltier bois la somme de 68.600 euros, celle de 8.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire pour un montant de 12.165,60 euros, le coût du procès-verbal de constat du 19 octobre 2015 pour un montant de 320,36 euros et les frais de greffe liquidés à la somme de 157,70 euros.

Selon déclaration du 11 septembre 2019, la société MMA a interjeté appel de cette décision.

Suivant déclaration du 24 septembre 2019, la société Sea invest a relevé appel de cette décision.

La jonction de ces affaires a été ordonnée le 10 août 2020.

Par dernières conclusions du 2 juin 2020, la société Sea invest poursuit la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société MMA de toutes ses demandes.

À titre principal, outre des demandes de « dire et juger » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, elle demande à la cour, statuant à nouveau, de dire et juger que la société MMA est dépourvue d'intérêt à agir, de débouter les sociétés Peltier bois et MMA de toutes leurs demandes à son encontre.

Subsidiairement, elle demande à la cour de limiter toute indemnisation mise à sa charge à la somme de 68.600 euros.

En tout état de cause, elle demande à la cour de dire et juger les sociétés Tolsa et Surveyfert solidairement responsables de la pollution par attapulgite relevée sur les colis de bois, de condamner solidairement celles-ci à indemniser directement la société Peltier bois et/ou la société MMA pour l'ensemble des préjudices qui seraient justifiés et/ou à la garantir de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre, de condamner solidairement les sociétés Tolsa et Surveyfert à lui verser la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens et de condamner solidairement la société Peltier bois à lui verser la somme de 7.500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 8 mars 2021, la société MMA demande à la cour d'infirmer totalement le jugement attaqué, de condamner les sociétés Tolsa et Sea invest « conjointement et solidairement » à lui payer la somme de 200.000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2017 jusqu'à complet paiement, celle de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens et d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions du 3 mars 2020, la société Peltier bois, outre des demandes de « consacrer » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demande à la cour de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 68.600 euros et en ce qu'il n'a pas statué sur la responsabilité de la société Tolsa, de déclarer la société Sea invest responsable des désordres qui ont affecté les lames de bois d'Ipé déposées sur son site, de fixer son préjudice à la somme de 329.949,32 euros, de condamner « conjointement et solidairement » les sociétés Sea invest et Tolsa à lui verser la somme de 129.949,32 euros déduction faite de l'indemnité perçue de son assureur, la société MMA, de dire que cette somme sera indexée sur un indice BT 01 calculé à compter du 13 avril 2017 jusqu'au paiement effectif de cette somme et que les intérêts seront calculés conformément à l'article 1343-2 du code civil, de confirmer l'indemnité de 10.000 euros qui lui a été accordée en première instance, de condamner « conjointement et solidairement » les sociétés Sea invest et Tolsa à lui payer cette somme de 10.000 euros et de condamner celles-ci sous la même solidarité au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et du procès-verbal de constat du 19 octobre 2015.

Par dernières conclusions du 5 mai 2021, la société Surveyfert, outre des demandes de « constater » et « dire et juger » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que ni la société MMA ni la société Peltier bois ne démontraient leur intérêt à agir contre elle, de juger les sociétés MMA et Peltier bois irrecevables en toutes leurs demandes, de débouter par conséquent la société Sea invest de ses demandes en garantie contre elle et de condamner tout succombant à lui payer la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Subsidiairement, elle demande à la cour de juger qu'elle n'était pas gardienne de l'attapulgite au sens de l'article 1242 du code civil de débouter la société Sea invest de ses demandes formées à son encontre, de débouter en conséquence la société Sea invest de ses demandes à son encontre et de condamner celle-ci à lui verser la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Plus subsidiairement, la société Surveyfert demande à la cour de juger que les fautes commises par la société Sea invest et la société Peltier bois sont la cause exclusive du dommage de débouter la société Sea invest de ses demandes à son encontre et de condamner la société Sean invest à lui régler la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Encore plus subsidiairement, elle demande à la cour de limiter le préjudice de la société Peltier bois au coût du nettoyage des lames endommagées et de condamner tout succombant au paiement de la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Par dernières conclusions du 31 mai 2021, la société Tolsa, outre des demandes de « constater » et de « dire et juger » ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a « confirmé que ni MMA, ni Peltier bois ne démontrent leurs intérêts à agir à l'encontre de la société Tolsa », de juger les sociétés MMA et Peltier bois irrecevables en toutes leurs demandes, de débouter en conséquence la société Sea invest de ses demandes en garantie à son encontre et de condamner les sociétés MMA, Peltier bois et Sea invest au paiement de la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Subsidiairement, elle demande de limiter le préjudice de la société Peltier bois au coût du nettoyage des lames endommagées.

La mise en état a été clôturée le 2 juin 2021.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIVATION

1. Sur la recevabilité des prétentions des sociétés Peltier bois et MMA

Les sociétés Surveyfert et Tolsa soutiennent que les sociétés Peltier bois et MMA n'ont pas d'intérêt à agir au sens des articles 31 et 32 du code de procédure civile, dès lors que la société Peltier bois était assurée par la société Covea risks et non par la société MMA, que cette dernière ne justifie pas de l'absorption de la société Covea risks en 2015 et que le mandat de représentation produit date de décembre 2014 soit antérieurement à la police d'assurance souscrite le 1er janvier 2015 par la société Peltier bois auprès de la société Covea risks.

Elles affirment encore que la société MMA ne peut se prévaloir de la subrogation légale fondée sur l'article L. 121-12 du code des assurances en ce que le versement de 200.000 euros invoqué n'est pas intervenu par application des termes et conditions du contrat d'assurance produit, les biens endommagés n'étant pas situés dans les locaux de l'assurée au moment du sinistre, et constitue un geste commercial dont l'assureur ne peut réclamer le remboursement au responsable que sur le fondement de la subrogation conventionnelle en produisant une quittance subrogative, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Enfin, les sociétés Surveyfert et Tolsa font valoir que la preuve du versement de 200.000 euros invoqué n'est pas rapportée à suffisance par la société MMA.

La société Sea invest fait observer qu'en première instance la société Peltier bois indiquait avoir perçu la somme de 200.000 euros « dans le cadre de ses relations commerciales avec sa compagnie d'assurances » au titre d'une « avance de trésorerie partielle de l'ordre de 200.000 euros, laquelle somme devra être remboursée à la compagnie d'assurances ».

La société MMA soutient, au visa de l'article L. 121-12 du code des assurances, avoir intérêt à agir pour avoir versé le 22 novembre 2017 à la société Peltier bois la somme de 200.000 euros au titre de la garantie « autres événements non dénommés » et produit un mandat de représentation, une police d'assurance multirisque, la lettre d'acceptation sur indemnité signée par la société Peltier bois le 22 novembre 2017 et une planche comptable simplifiée.

Elle indique que la société Covea risks a été absorbée courant 2015 par la société MMA IARD, qu'une partie du risque de chacun des contrats assurés par la société Covea risks a été transférée à la société MMA IARD assurances mutuelles, les contrats initialement assurés par la société Covea risks se trouvant assurés par les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, et produit à cet égard un mandat de représentation.

À hauteur d'appel, la société MMA produit la police d'assurance souscrite le 1er janvier 2015 par la société Financière Peltier pour le compte de plusieurs assurés dont la société Peltier bois, une lettre du 21 novembre 2017 par laquelle celle-ci indique avoir perçu en exécution de ce contrat d'assurance la somme de 200.000 euros à titre d'indemnité pour la garantie « autres événements non dénommés » et subroge son assureur dans ses droits conformément aux articles L. 121-12 du code des assurances ainsi que 1250 et suivants du code civil.

Cependant, la société MMA ne justifie pas davantage en cause d'appel qu'en première instance de son absorption de la société Covea risks et de la reprise des engagements de cette dernière auprès de laquelle la société Peltier bois était assurée au moment du sinistre en cause, le mandat de représentation en justice produit est établi le 5 décembre 2014, soit antérieurement à la souscription par la société Peltier bois de la police d'assurance auprès de la société Covea risks ainsi qu'à l'absorption invoquée, entre les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles ayant leur siège au Mans et non la société MMA dont le siège est situé à [Localité 9], seule partie à la présente instance, de sorte que la société MMA ne démontre pas avoir qualité pour agir sur le fondement de la subrogation légale qu'elle invoque et ses prétentions doivent être déclarées irrecevables.

En revanche, la société Peltier bois justifie d'un intérêt légitime à agir contre les sociétés Surveyfert et Tolsa au sens des articles 30 et 31 du code de procédure civile, dès lors qu'elle invoque des fautes délictuelles imputables à ces dernières dans la garde de l'attapulgite ayant endommagé les lames de bois lui appartenant, si bien que ces prétentions seront déclarées recevables.

2. Sur la responsabilité de la société Sea invest

Aux termes de l'article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature.

En l'espèce, les relations d'affaires entre la société Peltier bois et la société Sea invest ont pour cadre l'offre tarifaire adressée le 23 octobre 2009 par la société Sea invest portant sur le dépotage, dédouanement, stockage et rechargement de bois à [Localité 8].

La société Peltier bois est donc fondée à se prévaloir des dispositions relatives au dépôt salarié à l'égard de la société Sea invest, les factures produites par cette dernière afin de démontrer que le stockage n'était pas facturé à la société Peltier bois ne concernant pas les conteneurs en cause et n'étant ainsi pas de nature à contredire l'offre tarifaire adressée par ses soins le 23 octobre 2009 tout comme le seul fait que la société Peltier bois sollicite le remboursement des frais de stockage facturés par la société Sea invest pour le bois litigieux après le sinistre et non avant celui-ci.

Il résulte de la combinaison des articles 1927, 1928 et 1933 du code civil que le dépositaire n'est tenu que d'une obligation de moyens et qu'en cas de détérioration de la chose déposée, il peut s'exonérer en prouvant que le dommage n'est pas imputable à sa faute.

Il n'est pas discuté que jusqu'en mars 2015 les lames de bois en cause, produits finis, étaient stockées à l'intérieur des locaux de la société Sea invest, qu'en 2015 la celle-ci a sollicité l'autorisation de les entreposer à l'extérieur afin de réaliser dans ses locaux les travaux de construction d'un mur et que, le 6 mars 2015, la société Peltier bois l'a autorisée à stocker dehors « les 4 conteneurs à dépoter », soit les lames de bois protégées par leur conteneur et non les lames de bois directement exposées à l'extérieur comme le relève exactement l'expert judiciaire.

En entreposant de manière prolongée, au-delà du temps nécessaire aux travaux réalisés à l'intérieur de ses locaux, à l'extérieur et sans protection les lames de bois d'Ipé extraites de leurs conteneurs, sur une aire du port de [Localité 8] pour laquelle elle bénéficiait d'une autorisation d'occupation temporaire, proche des locaux de la société Tolsa, laquelle a pour activité le déchargement et le conditionnement d'attapulgite, matière volatile, au moyen d'une grue, d'une trémie munie d'un aspirateur et d'un tapis évacuateur couvert doté d'un aspirateur, la société Sea invest, dépositaire, a commis une faute ayant directement causé le dommage affectant les lames de bois en cause, consistant en le dépôt d'une couche de poussière d'attapulgite et d'humidité rendant ce bois impropre à sa commercialisation au prix neuf.

Il ne saurait être reproché à la société Peltier bois d'avoir prolongé abusivement le dépôt de son bois dans les locaux de la société Sea invest, alors que ce stockage était compris dans l'offre tarifaire adressée par la société Sea invest, que la détérioration des bois litigieux acheminés en mars 2015 est survenue, selon cette dernière, au cours de l'été 2015, sans que la société Sea invest n'ait mis en demeure la société Peltier bois de prendre en charge ces bois.

3. Sur la responsabilité des sociétés Tolsa et Surveyfert

En premier lieu, sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er ancien applicable à la cause, devenu 1242 du code civil, la société Peltier bois soutient que la société Tolsa était le gardien de l'attapulgite déchargée pour son compte sur le port de [Localité 8] ayant endommagé les lames de bois lui appartenant et qu'il lui incombait de prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter que ce produit volatile ne se répande dans le port et notamment sur l'aire de stockage de la société Sea invest.

En second lieu, les sociétés Peltier bois et Tolsa ne forment aucune demande à l'encontre de la société Surveyfert. En revanche, au visa de l'article 1384 alinéa 1er ancien, devenu 1242 du code civil, la société Sea invest demande à la cour de dire et juger les sociétés Tolsa et Surveyfert solidairement responsables de la pollution par attapulgite relevée sur les colis de bois, de condamner solidairement celles-ci à indemniser directement la société Peltier bois et/ou la société MMA pour l'ensemble des préjudices qui seraient justifiés et/ou à la garantir de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que l'attapulgite est un minéral volatile, que le déchargement de cette marchandise appartenant à la société Tolsa par la société Surveyfert du navire l'ayant acheminée jusqu'au quai du port de [Localité 8], au moyen d'une grue, d'une trémie munie d'un aspirateur et d'un tapis évacuateur couvert, entraîne le dégagement d'une fine poussière blanche susceptible de se répandre sur l'aire de stockage exploitée à proximité par la société Sea invest.

Selon le rapport d'expertise judiciaire, non utilement discuté, les lames de bois appartenant à la société Peltier bois et entreposées dans les locaux de la société Sea invest, exposées aux intempéries, aux aléas liés aux activités portuaires, ont été détériorées par le dépôt de poussière d'attapulgite et l'humidité.

Le rôle actif de l'attapulgite dans la réalisation du dommage se trouve ainsi démontré.

Si la société Tolsa était propriétaire de l'attapulgite ayant endommagé les lames de bois en cause, la société Surveyfert, entreprise de manutention en charge du déchargement de cette marchandise au moyen d'une benne, d'une trémie munie d'un aspirateur et d'un tapis évacuateur couvert, doit être considérée comme le gardien des poussières d'attapulgite qui se sont échappées lors du déchargement de ce produit volatile du navire et lors de l'ouverture des grappins de la grue au-dessus de la trémie comme l'a justement retenu l'expert judiciaire, la société Surveyfert disposant alors de l'usage, de la direction et du contrôle de la chose ayant causé le dommage.

Les demandes formées à l'encontre de la société Tolsa seront donc rejetées.

La société Surveyfert ne saurait, comme elle se borne à le demander, s'exonérer totalement de sa responsabilité en invoquant le fait pour la société Sea invest d'avoir stocké contrairement à la réglementation et de manière prolongée les lames de bois d'Ipé en cause à l'extérieur, sans protection et sans dépoussiérage, dès lors que ce fait d'un tiers exerçant son activité en vertu d'une autorisation d'occupation temporaire d'une partie du port de [Localité 8] située à proximité de celle où opérait la société Surveyfert n'était pas imprévisible.

La société Surveyfert ne saurait davantage, comme elle se borne à le demander, s'exonérer totalement de sa responsabilité en invoquant le fait pour la société Peltier bois de s'être désintéressée du suivi de ses marchandises et de leur stockage et de ne pas avoir pris des mesures conservatoires après la découverte du dommage afin de minimiser ceux-ci, alors que la société Peltier bois avait confié la garde de ses marchandises à la société Sea invest qui en était le dépositaire et devait y apporter les mêmes soins que ceux qu'il apporte à ses propres biens, si bien qu'aucune faute à l'origine exclusive de son dommage n'est imputable à la victime.

Il résulte des dispositions de l'article 1384 alinéa 1er ancien, devenu 1242 du code civil, que le gardien de la chose qui a été l'instrument du dommage, hors le cas où il établit un événement de force majeure totalement exonératoire, est tenu, dans ses rapports avec la victime, à réparation intégrale, sauf son recours éventuel contre le tiers qui aurait concouru à la production du dommage.

La société Peltier bois ne forme aucune demande contre la société Surveyfert. La société Surveyfert ne saurait être condamnée à indemniser celle-ci à la demande du tiers qu'est la société Sea invest.

Ainsi, la société Sea invest sera condamnée à indemniser intégralement la société Peltier bois de son préjudice et la société Surveyfert sera condamnée à garantir la société Sea invest des condamnations prononcées à son encontre de ce chef.

4. Sur le préjudice

La société Peltier estime son préjudice tel qu'estimé par l'expert judiciaire à la somme de 329.949,32 euros, correspondant à la dépréciation de 60 % de la valeur des bois endommagés ainsi qu'aux frais de transport et de stockage lors des opérations d'expertise et réclame le paiement de la somme de 129.949,32 euros déduction faite de l'indemnité perçue de son assureur, sollicitant que cette somme produise un intérêt indexé sur un indice BT 01 calculé à compter du 13 avril 2017 jusqu'au paiement effectif de cette somme en réparation du préjudice résultant de la nécessité d'acquérir d'autres bois d'Ipé pour satisfaire sa clientèle.

Il ressort du rapport d'expertise, non utilement discuté, que les dommages affectaient l'ensemble des lames de bois entreposées à l'extérieur et que différentes méthodes de nettoyage ont été vainement mises en 'uvre, le nettoyage simple et à jet basse pression étant insuffisants, celui à jet haute pression entraînant l'apparition d'échardes rendant ces produits finis destinés à la fabrication de terrasse impropres à leur commercialisation.

La dépréciation des lames de bois endommagées a été exactement estimée à 60 % de leur valeur.

En revanche, la réalité du préjudice tenant à la nécessité d'acquérir d'autres bois d'Ipé pour satisfaire sa clientèle n'est établie par aucune des pièces produites par la société Peltier bois.

Comme le soutient la société Sea invest sans être contredite par la société Peltier qui n'articule aucun moyen de fait ni de droit sur ce point aux motifs de ses conclusions, le tribunal a limité à juste titre l'indemnisation de la société Peltier bois à la somme de 68.600 euros en application du plafond fixé par les conditions générales de l'offre tarifaire régissant les relations contractuelles des parties et les conditions générales de vente relatives aux opérations effectuées par les opérateurs de transport et/ou de logistique. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

5. Sur les demandes accessoires

Le présent arrêt n'étant pas susceptible de recours suspensif d'exécution, il n'y a pas lieu de statuer sur l'exécution provisoire.

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens de première instance seront confirmées.

La société Sea invest, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à la société Peltier bois la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes d'indemnité de procédure seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare recevables les prétentions de la société Peltier bois ;

Déclare irrecevables les prétentions de la société MMA ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Peltier bois de ses demandes formées à l'encontre de la société Tolsa et en ce qu'il a condamné la société Sea invest Seine Estuaire à payer à la société Peltier bois la somme de 68.600 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

Condamne la société Surveyfert à garantir la société Sea invest Seine Estuaire des condamnations prononcées à son encontre ;

Rejette toutes autres demandes ;

Dit n'y avoir lieu de statuer sur l'exécution provisoire ;

Condamne la société Sea invest Seine Estuaire aux dépens d'appel et à payer à la société Peltier bois la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes d'indemnité de procédure.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

N. LE GALLF. EMILY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/02627
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-23;19.02627 ?
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