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14/06/2022 | FRANCE | N°19/01163

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 14 juin 2022, 19/01163


AFFAIRE : N° RG 19/01163 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GJVV

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX du 14 Avril 2017

RG n° 15/00048







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 JUIN 2022





APPELANTE :



Madame [Y] [O] épouse [I]

née le 11 Novembre 1949 à [Localité 4]

[Adresse 9]

[Localité 4]



représentée et assistée de Me Aurélie VIELPEAU

, avocat au barreau de CAEN







INTIMÉES :



Madame [N] [O] épouse [S]

née le 02 Mars 1956

[Adresse 7]

[Localité 2]



Madame [X] [O] épouse [Z]

née le 14 Août 1962

[Adresse 6]

[Localité 5]



Madame [G] [O] é...

AFFAIRE : N° RG 19/01163 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GJVV

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX du 14 Avril 2017

RG n° 15/00048

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

APPELANTE :

Madame [Y] [O] épouse [I]

née le 11 Novembre 1949 à [Localité 4]

[Adresse 9]

[Localité 4]

représentée et assistée de Me Aurélie VIELPEAU, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉES :

Madame [N] [O] épouse [S]

née le 02 Mars 1956

[Adresse 7]

[Localité 2]

Madame [X] [O] épouse [Z]

née le 14 Août 1962

[Adresse 6]

[Localité 5]

Madame [G] [O] épouse [R]

née le 28 Août 1952 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Toutes représentées et assistées de Me Laurence MARTIN, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GANCE, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 26 avril 2022

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 14 Juin 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier

* * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [F] [O], exploitant agricole, est décédé le 11 mars 1993 et son épouse Mme [B] [O] le 3 novembre 2013.

Ils ont laissé pour leur succéder leur quatre filles : Mme [Y] [O] épouse [I], Mme [G] [O] épouse [R], Mme [N] [O] épouse [S] et Mme [X] [O] épouse [Z].

Par actes du 18 et 23 décembre 2014, Mme [I] a fait assigner ses trois soeurs devant le tribunal de grande instance de Lisieux aux fins de faire reconnaître à son profit une créance de salaire différé et de voir ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de leurs parents.

Par jugement du 14 avril 2017 auquel il est renvoyé pour un exposé complet du litige en première instance, le tribunal de grande instance de Lisieux a :

- déclaré recevable comme étant non prescrite la demande formée par Mme [I] tendant à la reconnaissance d'une créance de salaire différé

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de M. et Mme [O]

- désigné pour procéder à l'ensemble de ces opérations Me [K], notaire à [Localité 8]

- désigné Mme le président de la chambre civile du tribunal de grande instance de Lisieux pour surveiller ces opérations

- dit que Mme [I] est titulaire d'un entier droit de créance de salaire différé pour la période allant du 11 novembre 1967 au 11 novembre 1977 à l'encontre de la succession de sa mère

- dit qu'il appartiendra au notaire en charge des opérations de compte, liquidation et partage des successions de calculer le montant de cette créance de salaire différé en application de la règle édictée par l'article L321-13 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime, le taux du salaire minium interprofessionnel de croissance à prendre en compte devant être celui en vigueur au jour du partage

- rejeté la demande formée par les défenderesses tendant à voir ordonner le rapport aux successions par Mme [I] des sommes correspondant au coût du matériel agricole

- dit que le notaire devra déduire des droits de Mme [I] dans les successions de ses auteurs le montant des fermages non versés par elle entre 1992 et 2013 inclus

- dit qu'il appartiendra aux parties de fournir au notaire toutes pièces utiles permettant de chiffrer cette dette de Mme [I] à l'encontre des successions de ses auteurs

- rejeté la demande formée par Mme [R] tendant à la reconnaissance d'un droit de créance de salaire différé pour la période allant d'octobre 1971 à mai 1972

- rejeté les demandes formées par les parties au titre des frais irrépétibles

- condamné Mme [I] à payer la moitié des dépens de l'instance et condamné in solidum Mme [S], [Z] et [R] à payer l'autre moitié des dépens de l'instance.

Par jugement du 23 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Lisieux a :

- rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle formée par Mme [I] relative au jugement rendu le 14 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Lisieux

- condamné Mme [I] aux dépens.

Par déclaration du 8 avril 2019, Mm [I] a formé appel des jugements susvisés.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 23 décembre 2019, elle demande à la cour de :

- infirmer les jugements rendus par le tribunal de grande instance de Lisieux en date des 14 avril 2017 et 23 janvier 2018, en ce qu'ils ont dit qu'elle est titulaire d'un entier droit de créance de salaire différé pour la période allant du 11 novembre 1967 au 11 novembre 1977 à l'encontre de la succession de sa mère [B] [V] veuve [O]

- dire et juger qu'elle est titulaire d'un entier droit de créance de salaire différé pour la période allant du 11 novembre 1967 au 11 novembre 1977 à l'encontre de la succession de sa mère [B] [V] veuve [O] et de la succession de son père [F] [O]

- infirmer le jugement du 14 avril 2017 en ce qu'il a dit qu'il appartiendra au notaire en charge des opérations de compte liquidation et partage des successions de calculer le montant de cette créance de salaire différé

- dire et juger qu'elle bénéficie d'une créance de salaire différé d'un montant de 132 149,33 euros (taux horaire du Smic en vigueur au 1er janvier 2014, 9,53 euros X 2 080 X 2/3 X 10 ans), sauf compte à parfaire au jour du partage

- dire et juger Mmes [S], [Z] et [R] irrecevables en leur demande de rapport dans les successions de M. et Mme [O] du montant des fermages non versés par elle entre 1992 et 2013, comme étant prescrite

subsidiairement,

- dire et juger que la succession de [F] [O] sera tenue pour moitié de la créance de salaire différé

- dire et juger que le notaire devra déduire des droits de Mmes [R] et [S] dans les successions de M. et Mme [O] le montant des fermages non versés par elles entre 1987 et 2013

- déclarer Mmes [S], [Z] et [R] irrecevables en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, et subsidiairement les en débouter

en toute hypothèse

- condamner in solidum Mmes [S], [Z] et [R] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner in solidum Mmes [S], Mme [Z] et [R] aux entiers dépens dont distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl Medeas.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 1er octobre 2019, Mme [S], Mme [Z] et Mme [R] demandent à la cour de :

- déclarer Mme [I] autant irrecevable que mal fondée en son appel

l'en débouter

- les déclarer recevables et bien fondées en leur appel incident, et statuer à nouveau

- réformer les jugements des 14 avril 2017 et 23 janvier 2018 en ce qu'il a :

* dit que Mme [I] est titulaire d'un entier droit de créance de salaire différé pour la période allant du 11 novembre 1967 au 11 novembre 1977 à l'encontre de la succession de sa mère [B] [V] veuve [O]

* dit qu'il appartiendra au notaire en charge des opérations de compte liquidation et partage des successions de calculer le montant de cette créance de salaire différé en application de la règle édictée par l'article L 321-13 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime, le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance à prendre en compte devant être celui en vigueur au jour du partage

* dit que le notaire devra déduire des droits de Mme [I] dans les successions de ses auteurs le montant des fermages non versés par elle entre 1992 et 2013 inclus

* rejeté les demandes formées par les parties au titre des frais irrépétibles

* condamné Mme [I] à payer la moitié des dépens de l'instance

et,

* rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle formée par Mme [I] relative au jugement rendu le 14 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Lisieux

* condamné Mme [I] aux dépens

- déclarer Mme [I] autant irrecevable que mal fondée en ses demandes et l'en débouter

- constater que la demande de Mme [I] est prescrite

subsidiairement

- débouter Mme [I] de sa demande de salaire différé

très subsidiairement

- dire que Mme [I] n'a droit à un salaire différé que pour un travail à temps partiel, et uniquement pour la moitié de sa créance sur l'actif de la succession de Mme [O]

- déduire de cette somme le salaire qu'elle a déjà perçu sous forme de rémunération, de véhicule, permis de conduire, réception de mariage

à titre infiniment subsidiaire

- constater que la créance de salaire différé a déjà été perçue par l'ensemble des avantages qu'elle a perçus

si par impossible la cour retenait un principe de salaire différé

- déclarer Mme [I] irrecevable en sa demande tendant à dire et juger que la succession de [F] [O] sera tenue pour moitié de la créance de salaire différé

- dire que le Notaire chargé des opérations de compte liquidation et partage des successions, calculera de manière définitive le montant de la créance de salaire différé

- dire que Mme [I] devra rapporter à la succession les avantages que ses parents lui ont consentis : fermages de 1992 à 2013, matériels agricoles

- déclarer Mme [I] irrecevable en sa demande tendant à dire et juger que le notaire devra déduire des droits de Mmes [R] et [S] dans les successions de M. et Mme [O] le montant des fermages non versés par elle entre 1987 et 2013

en tout état de cause

- constater que Mmes [R] et [S] n'ont jamais exploité les terres

- condamner Mme [I] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 6 avril 2022.

Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, on relèvera que c'est à juste titre que le jugement du 23 janvier 2018 a rejeté la demande de rectification du jugement du 14 avril 2017, aucune erreur matérielle n'affectant cette décision.

Le jugement du 23 janvier 2018 sera donc confirmé.

Sur le fond, M. [F] [O] et son épouse Mme [B] [O] sont décédés respectivement les 11 mars 1993 et 3 novembre 2013 laissant pour leur succéder leur quatre filles : Mme [Y] [O] épouse [I], Mme [G] [O] épouse [R], Mme [N] [O] épouse [S] et Mme [X] [O] épouse [Z].

Sur le salaire différé :

Mme [I] soutient qu'elle a travaillé sur l'exploitation agricole de ses parents sans être rémunérée d'aucune façon du 11 novembre 1967 (date de ses 18 ans) jusqu'au 11 novembre 1977.

Elle sollicite en conséquence une créance de salaire différé à l'encontre des successions de chacun de ses parents, et ce sur le fondement des articles L 321-13 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

Les intimés contestent cette créance considérant que la demande est irrecevable comme étant prescrite et qu'elle est en outre mal fondée.

- sur la prescription :

L'action de Mme [I] aux fins de voir juger qu'elle bénéficie d'une créance de salaire différé à l'encontre de la succession de son père et de celle de sa mère est une action personnelle et mobilière.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 n° 2008-561, le délai de prescription afférent à une telle action a été ramené à 5 ans sans pouvoir excéder le précédent délai de prescription qui était de trente ans.

Le point de départ du délai de prescription est la date d'ouverture de la succession, c'est à dire le décès du de cujus.

Le point de départ de l'action de Mme [I] aux fins de voir juger qu'elle bénéficie d'une créance de salaire différé à l'encontre de la succession de son père est donc le 11 mars 1993, date du décès de ce dernier. En effet, à compter de cette date, Mme [I] était en mesure d'agir pour faire juger qu'elle était créancière de la succession de son père au titre d'un salaire différé.

Or, elle ne justifie d'aucun acte interruptif de la prescription antérieur aux actes d'assignation en justice délivrés à ses soeurs les 18 et 23 décembre 2013, soit plus de cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

L'action de Mme [I] aux fins de voir juger qu'elle bénéficie d'une créance de salaire différé à l'encontre de la succession de son père ouverte depuis le 11 mars 1993 est donc prescrite.

Cette action sera déclarée irrecevable.

En revanche, le point de départ de l'action de Mme [I] aux fins de voir juger qu'elle bénéficie d'une créance de salaire différé à l'encontre de la succession de sa mère est le 3 novembre 2013 date du décès de cette dernière.

Les assignations ayant été délivrées les 18 et 23 décembre 2014, soit environ une année après, cette action n'est manifestement pas prescrite.

Il résulte de la motivation du jugement que le chef du dispositif ayant déclaré recevable comme non prescrite la demande de salaire différé porte uniquement sur la demande formée à l'égard de la succession de Mme [B] [O] et non celle de M. [F] [O].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré recevable comme étant non prescrite la demande de salaire différé contre la succession de Mme [B] [O].

- sur le bien fondé :

L'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime dispose que les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

Les descendants peuvent rapporter la preuve des conditions d'un droit à salaire différé par tous moyens. En cas de coexploitation par les ascendants, le descendant est réputé titulaire d'un seul contrat de travail et l'action peut être exercée contre l'une ou l'autre des successions (sous réserve de l'éventuelle prescription de l'action contre l'une ou l'autre des susccessions comme dans le cas présent).

Il convient donc de déterminer si Mme [B] [O] avait la qualité de coexploitante agricole sur la période du 11 novembre 1967 au 11 novembre 1977 (ce qui est contesté) et si Mme [I] justifie avoir participé directement et effectivement à l'exploitation de sa mère sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et sans percevoir de salaire.

Il est établi que les parents de Mme [I] ont signé deux baux ruraux en qualité de preneurs, baux qui ont couru pendant la période 1967/1977. De même, ils se sont engagés comme co-emprunteurs en 1972 afin d'acquérir un cheptel.

De même, Mme [B] [O] a été déclarée comme 'conjointe d'exploitation participante' entre 1952 et 1982.

Par ailleurs, plusieurs témoins font état de 'l'exploitation' des parents de Mme [I]. M. [M] indique par exemple que Mme [I] a travaillé sur la ferme qu'exploitaient ses parents (ce qui implique que sa mère exploitait aussi la ferme). Mme [D] précise encore dans son attestation que M. et Mme [O] étaient 'agriculteurs'.

Compte tenu de ces observations, il est démontré que Mme [B] [V] épouse [O] était coexploitante de la ferme et de l'exploitation agricole avec son époux.

Mme [I] produit de multiples témoignages écrits qui confirment qu'elle a travaillé sur l'exploitation familiale de 1967 à 1977 sans être rémunérée (pièces n° 5 à 12, 21 à 24, 29 à 33), étant observé qu'au cours de la dernière année, il est fait état d'un autre travail dans une boulangerie à temps partiel à compter du mois de juillet 1977 (date à laquelle Mme [I] s'est mariée).

Ainsi, sa mère confirme dans une déclaration écrite du 7 juillet 2005 : 'ma fille Mme [Y] [I] ... était bien aide familiale agricole sans rémunération du 1er juillet 1963 au 31 décembre 1977'. Il est donc faux comme l'indiquent les intimés qu'aucun témoignage n'émane d'un proche de la famille.

De même, il est soutenu que les témoignages produits émanent de personnes qui ne venaient jamais sur l'exploitation familiale. Cette affirmation est manifestement erronée s'agissant de la mère des intimés. Il en est de même par exemple de M. [C] qui explique qu'il était représentant depuis juillet 1967 en alimentation de bétail et engrais, et qu'il avait donc l'occasion de se rendre régulièrement sur l'exploitation du couple [O].

Par ailleurs, les témoins ne se contentent pas d'affirmer la participation de Mme [I] à l'exploitation parentale, mais plusieurs d'entre eux expliquent les circonstances dans lesquelles ils ont constaté cette participation et ce qu'ils ont précisément vu. Par exemple, M. [M] indique que Mme [I] trayait les vaches et utilisait un carcan pour porter les bidons de lait, qu'elle aidait ses parents à charrier les bestiaux, faire le foin et ranger les balles de foin, qu'elle ramassait les pommes vendues à la cidrerie ou encore qu'elle aidait son père à refaire les clôtures. Il explique aussi que Mme [I] avait dû arrêter ses études après son certificat d'études pour aider ses parents qui n'avaient pas les moyens de rémunérer un salarié. Il précise qu'elle n'a jamais été rémunérée pour le travail fourni. Mme [U] ou M. [C] confirment eux aussi la réalité du travail fourni (traite des vaches, faire et ramasser le foin, ramassage des pommes etc..) à temps complet et sans rémunération.

Enfin, en réponse aux éléments avancés par les intimés sur la crédibilité de leurs déclarations écrites, plusieurs témoins ont déclaré clairement qu'ils maintenaient leurs témoignages (par exemple, M. [M], M. [C], Mme [U]).

Il est aussi justifié que Mme [I] a été déclarée comme aide familiale auprès de la Msa par ses parents de 1971 à 1977.

Les intimés prétendent que Mme [I] percevait une 'petite rémunération de ses parents'.

Il est ainsi fait référence à son permis de conduire, à un véhicule AMI 8 et à son mariage.

Le paiement du permis de conduire allégué s'analyse en l'exécution de l'obligation d'entretien et d'éducation incombant aux parents à l'égard de leur enfant. S'agissant du véhicule Ami 8, il est seulement fourni une attestation qui montre qu'un tel véhicule a été vendu à M. [F] [O] le 24 juin 1974. Par ailleurs, Mme [I] s'est mariée en juillet 1977 de telle sorte que le financement du mariage allégué serait intervenu à la fin de la période de dix ans de salaire différé.

Mme [I] s'est mariée à compter de juillet 1977 ce dont on peut déduire qu'elle ne vivait plus à la ferme de ses parents. Il est aussi mentionné par Mme [A] qu'elle a travaillé à temps partiel à compter du mois de juillet dans une boulangerie (3 fois 3 heures par semaine).

La créance de salaire différé ne sera donc pas retenue sur cette dernière période.

Compte tenu de ces observations, il est établi que Mme [I] a participé directement et effectivement à l'exploitation de ses parents sans être associée aux bénéfices ni aux pertes et sans recevoir de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration sur la période du 11 novembre 1967 (date de ses 18 ans) jusqu'au 30 juin 1977.

Elle justifie donc d'un droit à salaire différé pendant cette période de 9, 6329 années.

Par voie d'infirmation, il sera donc dit que Mme [I] justifie à l'encontre de la succession de Mme [B] [V] veuve [O] d'une créance de salaire différé de 127298,12 euros (soit 9,6329 ans x 9,53 euros x 2/3 x 2080) en valeur 2014 (la créance étant calculée sur la base du Smic 2014), sauf à parfaire cette somme à la date du partage seule date à retenir.

Sur les rapports à succession :

A titre liminaire, les demandes nouvellement formées en cause d'appel sont recevables si elles ont pour objet de permettre de parfaire le réglement de la succession soumis au juge en première instance. En effet, il s'agit alors de prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles formées en première instance et qui sont donc recevables en vertu de l'article 565 du code de procédure civile.

La demande formée par Mme [I] contre Mme [R] et Mme [S] au titre des fermages de 1987 à 2013 est donc recevable.

Par ailleurs, les parties peuvent invoquer en cause d'appel des moyens nouveaux (comme la prescription) conformément à l'article 563 du code de procédure civile et à l'article 122 du code de procédure civile, s'agissant d'une fin de non recevoir.

Mme [I] est donc recevable à s'opposer aux demandes de ses soeurs en invoquant la prescription de leur action.

Sur le fond, Mme [S], Mme [Z] et Mme [R] prétendent que Mme [I] a continué d'exploiter les terres familiales depuis 1987 sans régler de fermage et qu'elle a en outre conservé le matériel d'exploitation sans régler ses parents (tracteur faucheuse, faneuse, remorque, tronçonneuse).

Elles demandent le rapport de 'l'avantage consenti' à ce titre, précisant que Mme [I] a occupé la totalité de la ferme en gardant l'ensemble du matériel de ses parents et renvoyant sur ce point à leurs pièces n° 14, 15 et 16.

Il s'agit de déclarations écrites de deux témoins, Mme [H] et Mme [J]. Ces pièces ne sont pas susceptibles d'établir que Mme [S], Mme [Z] et Mme [R] a joui de terres familiales depuis 1987 et qu'elle a conservé du matériel agricole appartenant à ses parents. En effet, elles sont insuffisamment précises et circonstanciées sur ce point. On retiendra juste qu'un cadenas avait été posé sur la barrière de la propriété, cadenas qui n'empêchait toutefois pas les intimées de venir sur les lieux puisque Mme [H] précise qu'elles venaient entretenir le jardin et l'herbage (ce qui implique qu'elles pouvaient pénétrer dans la propriété).

Par ailleurs, la preuve d'une intention libérale n'est pas plus rapportée.

Le jugement a retenu que Mme [I] reconnaissait dans ses écritures la jouissance de terres appartenant à ses parents. C'est ce motif principal qui a justifié qu'il soit fait droit à la demande relative aux fermages à l'encontre de Mme [I].

Toutefois, il s'agit d'un aveu judiciaire et Mme [I] ne reconnaît pas uniquement ce fait, mais y ajoute la circonstance indivisible que les époux de deux de ses soeurs auraient bénéficier de la même façon de la jouissance de terres appartenant à ses parents pour une superficie d'un hectare et de trois hectares.

Aucune pièce ne permet d'infirmer cette dernière allégation sur les avantages dont auraient bénéficier indirectement les deux soeurs.

L'aveu judiciaire étant indivisible, il ne peut être retenu contre Mme [I] qu'elle reconnaît avoir joui à titre gratuit de terres agricoles appartenant à ses parents, sauf à retenir dans le même temps que ses deux soeurs ont indirectement bénéficié de mêmes avantages.

Cette dernière allégation est contestée par les intimées.

Pour démontrer que les époux de ses soeurs ont joui des superficies agricoles susvisées, Mme [I] se réfère à sa pièce n° 30. Or, il s'agit d'une simple déclaration écrite sans pièce d'identité dont la valeur probante n'est pas suffisante pour établir cette jouissance.

En conclusion, la preuve n'est pas rapportée que Mme [I] a bénéficié seule d'avantages liés à la jouissance de terres agricoles appartenant à ses parents. Il n'est pas plus démontré que Mme [I] a joui ou conservé du matériel agricole de ses parents. Enfin, il n'est pas établi que ses soeurs ont bénéficié d'avantages liés à la jouissance de terres agricoles appartenant à leurs parents.

Les demandes de rapport afférentes aux fermages et au matériel agricole seront donc rejetées (le jugement étant infirmé en ce qu'il a dit que le notaire devrait déduire des droits de Mme [I] le montant des fermages non versés de 1992 à 2013).

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement étant partiellement confirmé, il sera aussi confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.

Il est équitable eu égard à la nature du litige de rejeter l'ensemble des demandes au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement du 23 janvier 2018 ayant rejeté la demande de rectification d'erreur matérielle ;

Confirme le jugement du 14 avril 2017 sauf en ce qu'il a :

- dit que Mme [I] bénéficie d'une créance de salaire différé sur une période de dix ans allant du 11 novembre 1967 jusqu'au 11 novembre 1977 et dit que le notaire devra évaluer cette créance

- dit que le notaire devra déduire des droits de Mme [I] le montant des fermages non versés par elle entre 1992 et 2013 et dit qu'il appartiendra aux parties de fournir les pièces nécessaires pour le chiffrer ;

Infirme le jugement de ces chefs ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de salaire différé de Mme [I] contre la succession de M. [F] [O] comme étant prescrite ;

Dit que Mme [I] justifie à l'encontre de la succession de Mme [B] [V] veuve [O] d'une créance de salaire différé de 127 298,12 euros (en valeur 2014) pour la période du 11 novembre 1967 au 30 juin 1977, sauf à parfaire cette somme à la date du partage dans les conditions prévues à l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime ;

Déboute Mme [I] de sa demande de réduction des droits de Mme [R] et de Mme [S] au titre des fermages non versés par elles de 1987 à 2013 ;

Déboute Mme [S], Mme [Z] et Mme [R] de leur demande de réduction des droits de Mme [I] au titre des fermages non versés par elle de 1992 à 2013 ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires comme précisé aux motifs.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

M. COLLETG. GUIGUESSON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/01163
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;19.01163 ?
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