Code Aff. : ARRÊT N MH NP
ORIGINE : DECISION en date du 15 Novembre 2006 du Tribunal de Grande Instance de LISIEUX- RG no 05 / 00324
PREMIÈRE CHAMBRE- SECTION CIVILE ET COMMERCIALE ARRÊT DU 22 MAI 2008
APPELANTE :
LA S. A. R. L. A LA PETITE JEANNETTE 190, Avenue de la République 14800 DEAUVILLE prise en la personne de son représentant légal
représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués assistée de Me Anne RABAEY, avocat au barreau de CHERBOURG
INTIMES :
Madame Francine Z...... 14100 MAROLLES
Madame Nicole Z...... 14100 MAROLLES
représentées par la SCP GRAMMAGNAC- YGOUF BALAVOINE LEVASSEUR, avoués assistées de Me Stéphane PIEUCHOT, avocat au barreau de CAEN
Maître A..., Commissaire à l'exécution du plan de continuation de la SARL A LA PETITE JEANNETTE... 14600 HONFLEUR
représenté par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués assisté de Me Anne RABAEY, avocat au barreau de CHERBOURG
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame HOLMAN, Conseiller, faisant fonction de Président, rédacteur, Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller, Madame VALLANSAN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 08 Avril 2008
GREFFIER : Mme ALLAIN, greffier
ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2008 et signé par Madame HOLMAN, Conseiller, faisant fonction de Président, et Mme LE GALL, Greffier
* * *
La SARL A LA PETITE JEANNETTE a interjeté appel du jugement rendu le 15 novembre 2006 par le tribunal de grande instance de LISIEUX dans un litige l'opposant à Mme Francine Z... et Mme Nicole Z..., en présence de Maître A... ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société A LA PETITE JEANNETTE.
* * *
Par acte authentique du 7 février 1992, les consorts Z... ont donné à bail commercial à la SA " A LA PETITE JEANNETTE " un immeuble situé... comprenant :
* au rez- de- chaussée : magasin et entrée,
* au premier étage : cuisine, salle à manger et pièce de rangement,
* au deuxième étage : deux chambres, salle de bains,
* au troisième étage : deux chambres mansardées et une petite pièce,
et ce pour une durée de neuf années commençant à courir le 8 février 1992, les lieux loués devant servir à tous commerces hormis ceux de poissonnerie et ceux portant atteinte aux bonnes moeurs et / ou bruyants et malodorants, ainsi qu'à l'habitation personnelle du preneur.
Le 12 février 1999, la SA A LA PETITE JEANNETTE a cédé à la SARL A LA PETITE JEANNETTE le fonds de commerce de bonneterie, lingerie exploité dans les lieux.
Le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.
Par exploits des 22 et 30 décembre 2003, le preneur a notifié au bailleur une demande de renouvellement du bail.
Le 17 février 2004, le bailleur a notifié au preneur une mise en demeure et un commandement visant la clause résolutoire dénonçant d'une part la cessation de toute exploitation du fonds depuis le 15 novembre 2003, d'autre part le défaut d'entretien des locaux, lui impartissant le délai légal d'un mois prévu à l'article L 145-17 du code de commerce pour régulariser la situation et se conformer aux clauses contractuelles.
Le 22 mars 2004, le bailleur a notifié au preneur un refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes sans indemnité d'éviction.
Par jugement du 17 septembre 2004, le tribunal de commerce de HONFLEUR a mis la société A LA PETITE JEANNETTE en redressement judiciaire et par jugement du 21 septembre 2005, un plan de redressement par voie de continuation a été adopté.
Par acte du 14 décembre 2004 la société A LA PETITE JEANNETTE a fait citer les consorts Z... devant le tribunal afin de voir ordonner le renouvellement du bail commercial à compter du 8 février 2004 moyennant un loyer de 20. 713, 76 €.
Les consorts Z... ont formé des demandes reconventionnelles et par le jugement déféré, le tribunal a :
* fait droit à la demande de renouvellement du bail pour une durée de neuf ans à compter du 8 février 2004 aux conditions prévues dans le contrat conclu le 7 février 1992,
* prononcé la résolution judiciaire, à compter du 17 mars 2004, de ce bail et en conséquence l'expulsion de la " SARL A LA PETITE JEANNETTE ",
* fixé la créance des consorts Z... au passif du redressement judiciaire de la SARL " A LA PETITE JEANNETTE " à la somme de 5. 169, 13 € à titre d'indemnités d'occupation dues trimestriellement depuis le 17 mars 2004 jusqu'à la date de redressement judiciaire,
* condamné la SARL " A LA PETITE JEANNETTE " à payer aux consorts Z... une somme trimestrielle de 5. 169, 13 € à titre d'indemnités d'occupation dues depuis la date de redressement judiciaire jusqu'à la libération effective des lieux,
* rejeté la demande de dommages et intérêts formulées par le bailleur.
* * *
Vu les écritures signifiées :
* le 3 mars 2008 par la société A LA PETITE JEANNETTE et Maître A... ès qualités qui concluent à la réformation du jugement en ses dispositions relatives à la résiliation judiciaire du bail et au rejet de cette réclamation, à la confirmation du jugement pour le surplus, et demandent paiement des sommes de 5. 000 € à titre de dommages et intérêts, 5. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* le 4 mars 2008 par les consorts Z... qui concluent à la réformation partielle du jugement, au rejet des réclamations de la société A LA PETITE JEANNETTE et sollicitent la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire, subsidiairement la confirmation du jugement, très subsidiairement la nomination d'un expert, et demandent paiement d'une somme de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts, du coût des six commandements délivrés, outre 6. 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
I Sur le refus de renouvellement du bail
En application de l'article L 145-17 du code de commerce, le renouvellement sans indemnité d'éviction peut être refusé pour motif grave et légitime ou s'il y a eu interruption non justifiée de l'exploitation du fonds dans les trois ans précédant la demande.
Cependant, si le motif invoqué est une inexécution contractuelle, ou s'il s'agit de la cessation d'exploitation injustifiée, le motif ne peut être invoqué qu'après mise en demeure restée infructueuse après un mois.
Toutefois cette mise en demeure n'est pas nécessaire quand la faute du locataire présente un caractère irrémédiable.
En l'espèce le refus de renouvellement du 22 mars 2004 est motivé par les manquements suivants :
* sous- location interdite,
* atteinte à la destination des lieux (usage des étages pour stockage et bureaux, au lieu de l'habitation),
* défaut de garnissement et d'exploitation des locaux à compter de novembre 2003,
* défaut d'entretien de la devanture et de ravalement de la façade.
Le commandement notifié le 17 février 2004 mettait la société locataire en demeure de faire cesser les manquements suivants :
* la cessation d'exploitation depuis le 15 novembre 2003 et le défaut de garnissement,
* le défaut d'entretien.
Par ailleurs, l'omission par le preneur de respecter les dispositions de l'article L 145-31 du code de commerce selon lesquelles le propriétaire est appelé à concourir à l'acte de sous- location constituant un manquement instantané et irréversible qui ne peut ni se poursuivre ni se régulariser, la mise en demeure prévue par l'article L 145-17 du code de commerce ne peut être exigée.
Par ailleurs, ce fait constitue un motif grave et légitime de nature à justifier le refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.
En l'espèce, outre le rappel des dispositions légales susvisées, les stipulations du bail prévoyaient que la sous- location devait être réalisée par acte authentique.
Contrairement aux termes du jugement, la sous- location irrégulière était expressément visée dans l'acte du 22 mars 2004, page 2.
Elle est contestée par le preneur.
Cependant il résulte de l'extrait Kbis produit que M. B..., gérant de la SARL A LA PETITE JEANNETTE a exploité en son nom personnel du 5 novembre 1999 au 19 septembre 2003, date de sa radiation, dans les lieux loués, une activité de commerce d'articles d'habillement, dont il est mentionné que l'établissement principal est situé..., cette adresse étant précisément celle de la société A LA PETITE JEANNETTE.
Le preneur soutient qu'il s'agit d'une domiciliation administrative, que par ailleurs l'activité ainsi exercée est saisonnière et que seuls étaient conclus des baux de courte durée.
Cependant, le domicile est le lieu dans lequel une personne est présumée demeurer et exercer une activité personnelle en permanence et le fait que divers baux précaires aient été conclus concernant d'autres locaux n'est pas à lui seul de nature à renverser cette présomption, étant précisé surabondamment que ces actes, non enregistrés au registre du commerce n'ont aucune date certaine et ne sont pas opposables au bailleur.
Nonobstant le caractère saisonnier allégué de l'activité exercée, il est admis par la société appelante dans ses écritures qu'est assurée à l'adresse litigieuse " la gestion commerciale et la vie administrative " de l'activité exercée en nom propre par M. B... laquelle doit nécessairement être exercée tout au long de l'année, de même que le stockage des articles hors périodes des baux précaires, ceux- ci étant conclus chaque année entre les mois de septembre et de mars uniquement.
Est ainsi démontré l'exercice d'une activité effectivement gérée à titre personnel par M. B... dans les locaux donnés à bail par Mmes Z... à la SARL A LA PETITE JEANNETTE.
Cette situation est corroborée par le constat d'huissier dressé le 2 mars 2004, le rapport établi par le cabinet LEBERTRE le 30 janvier 2004à la requête du gérant de la société locataire, et le courrier adressé par celui- ci au bailleur le 17 février 2004, dont il résulte que contrairement à la désignation contractuelle des locaux ci- dessus rappelée- le bail étant dans son ensemble soumis au statut des baux commerciaux, et une partie des locaux étant réservée à l'habitation-, le premier étage est utilisé pour stocker des vêtements répartis dans deux pièces et rangés dans des meubles ou sur des portants, que des bureaux pourvus d'appareils informatiques et télécom ont été installés au deuxième étage, et que le troisième étage est également utilisé en réserves et bureaux.
Or, la destination des lieux se caractérise par l'affectation contractuelle donnée par les parties conformément à leur commune intention et non comme prétendu par le preneur par la destination réelle qui en est faite.
Par ailleurs, une personne morale ne pouvant occuper bourgeoisement un appartement, la clause d'habitation contenue dans le bail doit être entendue comme l'autorisation d'en accorder la jouissance à l'un des représentants personnes physiques de la société locataire.
S'il est vrai que ces constatations sont postérieures à la cessation d'activité de M. B..., celui- ci dans son courrier du 17 février 2004, ainsi que dans ses écritures, admet que les étages de l'immeuble ont toujours été utilisés antérieurement, et donc au temps de son exploitation personnelle, de manière identique aux constat et rapport susvisés.
Est ainsi caractérisée la mise à disposition, par la société A LA PETITE JEANNETTE, de locaux dans lesquels sont exercés une activité commerciale et ce sans l'autorisation du bailleur, c'est- à- dire l'existence d'une sous- location irrégulière et interdite, laquelle constitue un motif grave et légitime de refus de renouvellement sans indemnité d'éviction, sans que ne puisse être exigée la mise en demeure exigée par l'article L 145-17 du code de commerce.
En conséquence, le jugement sera réformé et la SARL A LA PETITE JEANNETTE et Maître A... ès qualités seront déboutés de leur demande de renouvellement de bail, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'argumentation respectivement développée par les parties sur les autres griefs.
II Sur l'application de la clause résolutoire et le prononcé de la résiliation du bail
Le preneur étant débouté de sa demande de renouvellement, il ne sera pas statué sur ces demandes reconventionnelles désormais sans objet.
III Sur l'expulsion, les loyers et l'indemnité d'occupation
Les dispositions du jugement, non contestées sur ce point, seront confirmées par motifs adoptés.
IV Sur les dommages et intérêts
Ainsi que l'a indiqué le tribunal, si Mmes Z... produisent aux débats des coupures de presse élogieuses quant à la renommée de leur boutique, elles n'apportent pas d'éléments au soutien de leurs allégations relatives à un préjudice psychologique lié aux manquements contractuels de la société locataire.
La demande en dommages et intérêts a donc été justement rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef.
V Sur l'article 700 du code de procédure civile
Succombant principalement en son appel, la société A LA PETITE JEANNETTE a contraint les intimées à exposer des frais irrépétibles qui seront en équité fixés à 5. 000 €, en ce compris le coût des six commandements.
Pour le même motif, elle sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Réforme le jugement en ses dispositions relatives au refus de renouvellement du bail ;
- Déboute la société A LA PETITE JEANNETTE et Maître A... ès qualités de leur demande de renouvellement du bail ;
- Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Y additant,
- Condamne la SARL A LA PETITE JEANNETTE à payer à Mme Francine Z... et Mme Nicole Z... la somme de 5. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL A LA PETITE JEANNETTE aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
N. LE GALL M. HOLMAN