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08/01/2008 | FRANCE | N°06/1101

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre civile 1, 08 janvier 2008, 06/1101


PREMIERE CHAMBRE - SECTION CIVILE

APPELANT :

Monsieur Jean X...... 14360 TROUVILLE SUR MER

représenté par la SCP PARROT LECHEVALLIER ROUSSEAU, avouésassisté de Me RIONDET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

La SARL COLLEN DEMENAGEMENT6 Avenue de la République 14800 DEAUVILLEprise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avouésassistée de Me BERNARD, avocat au barreau de CAEN

LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES10 Boulevard Alexandre Oyon 72030 LE MANSprise en la personne de son représentant lé

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représentée par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTEassistée de Me VALERY, avocat au barreau ...

PREMIERE CHAMBRE - SECTION CIVILE

APPELANT :

Monsieur Jean X...... 14360 TROUVILLE SUR MER

représenté par la SCP PARROT LECHEVALLIER ROUSSEAU, avouésassisté de Me RIONDET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

La SARL COLLEN DEMENAGEMENT6 Avenue de la République 14800 DEAUVILLEprise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avouésassistée de Me BERNARD, avocat au barreau de CAEN

LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES10 Boulevard Alexandre Oyon 72030 LE MANSprise en la personne de son représentant légal
représentée par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTEassistée de Me VALERY, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
M. BOYER, Président de Chambre,Mme CHERBONNEL, Conseiller,M. VOGT, Conseiller, rédacteur,

DEBATS : A l'audience publique du 06 Novembre 2007
GREFFIER : Madame GALAND

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 Janvier 2008 et signé par M. BOYER, Président de Chambre, et Madame GALAND, GreffierExposé de la procédure et des demandes

Par sa décision contradictoire en date du 8 mars 2006, le premier juge avait* retenu la responsabilité de la société Collen, garde-meubles rémunéré, pour avoir subrepticement déposé le mobilier appartenant à M. X... dans un entrepôt différent de celui stipulé (convention de garde-meubles établie en septembre 1998), et ultérieurement incendié (le 3 juin 2004), ce qui a occasionné sa perte intégrale,* limité l'indemnisation du préjudice matériel à la valeur déclarée du mobilier (100 000 F, soit 15 245 EUR), très largement inférieure à la valeur réelle que le déposant connaissait lors de la conclusion du contrat de garde-meubles, somme déjà versée par l'assureur du dépositaire, la société Mutuelles du Mans Assurances (MMA),* reconnu que M. X... était recevable et fondé à obtenir le remboursement des frais de gardiennage « engagés en pure perte », pour la somme non contestée de 21 769,75 EUR, avec la garantie de l'assureur du dépositaire, la somme due à ce client restant dans les limites générales prévues pour l'incendie de l'entrepôt,* retenu « une somme de principe », fixée à 1500 EUR, en indemnisation du préjudice moral résultant de la disparition de biens de famille et de souvenirs ayant pour M. X... une valeur sentimentale, à la seule charge du dépositaire, le contrat d'assurance ne garantissant que les préjudices pour des choses détruites et des « frais et pertes »,* arbitré l'indemnisation des frais irrépétibles exposés par M. X..., demandeur, à la charge des deux défendeurs, également tenus in solidum des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal de Grande Instance de Lisieux a ainsi* condamné la SA Collen à verser à M. X... la somme de 1500 EUR au titre du préjudice moral,* condamné in solidum la SA Collen et les MMA à régler à M. X... les sommes de- 21 769,75 EUR à titre de préjudice matériel, déduction faite de celle de 15 245 EUR déjà versée,- 1500 EUR, au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,* ordonné l'exécution provisoire « s'agissant de réparer les conséquences d'un sinistre déjà ancien » ,* dit que les dépens seront supportés in solidum par les sociétés défenderesses et seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

Les dernières conclusions, auxquelles il est fait exprès référence, ont été régularisées* le 11 août 2006 par M. X..., appelant,* le 8 octobre 2007 par la société Mutuelles du Mans Assurances, intimée,* le 15 octobre 2007 par la SARL Collen Déménagements, intimée.

L'ordonnance de clôture est intervenue en cet état, sans discussion, le 31 octobre 2007.

Motivation

Sur la responsabilité
Selon l'article 1915 du Code civil, « Le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature ».
Le contrat de garde-meubles souscrit en tant que suite du déménagement de M. X..., également confié à la Société Collen, s'analyse en un contrat de dépôt, en l'espèce volontaire, puisque cette convention « se forme par le consentement réciproque de la personne qui a fait le dépôt et de celle qui le reçoit », selon l'article 1921 du Code civil.
Dès lors, « Le dépositaire doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue » (article 1932), étant rappelé que « Le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent » (article 1927), et que cette disposition « doit être appliquée avec plus de rigueur » si ce dernier « a stipulé un salaire pour la garde du dépôt » (article 1928), alors que « Le dépôt proprement dit est un contrat essentiellement gratuit » (article 1917).

En dehors des questions, litigieuses, afférente au lieu d'entrepôt du mobilier intégralement détruit par l'incendie et à la valorisation du mobilier déposé, il n'existe pas de discussion sur la responsabilité de la Société Collen, dépositaire s'étant stipulé salarié, et qui n'a pas été en mesure de « rendre identiquement la chose même qu'il a reçue » à la suite de l'incendie du lieu où les choses étaient à sa garde, sans qu'il soit à tout le moins établi que l'accident (au sens étymologique) soit de force majeure pour le dépositaire (article 1929).

Sur l'indemnisation des préjudices

Certes, la SARL Collen Déménagements, professionnelle du déplacement et de la conservation des meubles meublants, décrits sur un document à son en-tête et qu'elle a pu individuellement manipuler (article 1931 inapplicable), confiés à sa garde salariée (le descriptif fait référence - « GM : 2/09/98/D »- au contrat de garde-meubles), avait nécessairement connaissance du décalage, manifestement important entre la valeur déclarée et la valeur réelle du mobilier, même s'il n'était pas alors chiffré.
Pour autant, il ne peut lui être fait reproche de ne pas avoir informé M. X... (d'ailleurs cogérant d'une SCI à caractère commercial comme en témoigne l'existence d'une carte de visite professionnelle à ces nom et qualité) des conséquences d'une déclaration insuffisante de la valeur du mobilier, eu égard aux indications explicites y afférentes, figurant dans le contrat produit par le client qui s'en prévaut (sa pièce no 3).
En conséquence, le manquement à une obligation de conseil n'est pas caractérisé.
Cela étant, dans leur accord (écrit), faisant leur loi, les parties ont librement convenu (article 5) que « Le contrat mentionne le lieu où se trouve entreposé le mobilier confié. En cas de changement du lieu d'entreposage en cours de gardiennage, l'entreprise doit en informer le client par courrier en accusé de réception. Le client est en droit de refuser le changement du lieu de gardiennage ce qui constitue un motif de rupture du contrat de garde-meubles, sans indemnité de part et d'autre ».
Le contrat prévoyait expressément un lieu d'entreposage (ZA Saint Arnoult - 14800 Deauville), existant au jour du sinistre survenu en un autre lieu, sur la presqu'île de la Touques, zone dans laquelle la municipalité de Deauville prévoyait, à pareille époque, des travaux d'aménagement (expropriations projetées), selon l'article de la presse locale.
Néanmoins, M. X... n'a pas été informé d'un lieu effectif de dépôt de son mobilier (autre que celui contractuellement prévu),
* ni à l'origine, puisque « la lettre de voiture de déménagement » en date du 3 septembre 1998 (pièce no 3 de la SA Collen), supporterait-elle sa propre signature (déniée malgré une apparence d'imputabilité), mentionne « garde-meubles » sans précision sur le lieu de « livraison », de sorte que cette pièce de prise en charge ne peut s'interpréter qu'en référence au contrat de garde-meubles (les attestations de salariés du dépositaire n'indiquent pas que M. X... connaissait le lieu exact de leur destination),
* ni, ultérieurement, avant la survenance du sinistre, et ce n'est pas prétendu.
M. X..., qui résidait alors dans une commune limitrophe de celle de Deauville (à Trouville), n'a d'ailleurs pas manqué de relever, dans sa réponse du 24 août 2004 au dépositaire l'informant de l'incendie mais non de sa localisation précise, qu'il a pu l'apprendre, malgré ce silence, grâce à la relation faite dans la presse locale.
Reprenant les termes de la convention mentionnant un autre lieu d'entreposage que celui sinistré ainsi que les stipulations de son article 5, M. X... avait justement fait grief au dépositaire salarié de ne pas avoir été informé du déménagement de ses meubles dans un autre entrepôt, « d'ailleurs beaucoup plus vétuste » (affirmation contestée, et qui sera examinée en son temps).

En conséquence des développements qui précèdent, la défaillance du dépositaire dans l'exécution d'une stipulation (article 5) dont il était lui-même l'auteur (contrat sur formulaire soumis à l'adhésion du client), caractérise son manquement à une obligation que les parties considéraient comme suffisamment importante pour être un motif de rupture, si le client refusait le changement du lieu de gardiennage initialement stipulé (en dehors de la question, en tout cas inopérante en l'espèce, tenant au caractère abusif ou non, dans un équilibre contractuel effectif, de l'absence d'indemnisation du client refusant de se plier à une modification unilatérale émanant du dépositaire salarié).

Selon l'indication à cet égard non contestée de M. X..., la perte matérielle représente (en partie à dire d'expert) une somme de 101 454 EUR, dont il demande l'intégral paiement.

Néanmoins, pour résoudre le présent litige, la société Mutuelles du Mans Assurances, assureur tenu de garantir la société Collen des conséquences de sa responsabilité, apparaît fondée à placer dans le débat judiciaire (ses conclusions, page 6), la question de la perte de chance d'une résiliation du contrat, même si elle la considère, en fait, « nulle ».
En effet, la défaillance dans l'information due à M. X..., au moment (depuis le début, selon des personnes alors employées par la société Collen) où le dépositaire envisageait de ne pas respecter le lieu d'entreposage stipulé, a nécessairement été à l'origine d'un préjudice dont la nature et l'importance doivent être appréciées en référence* à la clause violée, laquelle ne prévoyait pas la résiliation de plein droit du contrat, mais en offrait la simple faculté pour le client,* à la volonté de M. X..., qui aurait pu aussi, avant la survenance du sinistre, accepter la modification du lieu d'entreposage, voulue par le prestataire.

On sait que la perte de chance représente une fraction, évaluée par le juge, du préjudice subi, celui-ci devant s'analyser en l'espèce, eu égard à l'importance des obligations pesant sur le dépositaire salarié et à sa violation d'une stipulation précise de la convention, selon les développements qui précèdent, non plus en référence à la valeur de la chose, déclarée par le déposant, mais à sa valeur réelle, c'est-à-dire à la perte effectivement subie (outre, s'il y a lieu, le gain manqué).
M. X... rappelle que l'entrepôt litigieux, vétuste, se situait, sur une zone en cours d'expropriation, à 3,6 km du lieu où les meubles devaient être entreposés (conclusions, page 2/3).
À cet égard, la société Collen produit diverses attestations non contestées de façon précise, émanant
* d'un commissaire-priseur local, ayant eu professionnellement accès à l'entrepôt litigieux, que ce soit pour des ventes aux enchères publiques, des inventaires, des estimations, des enlèvements de meubles ou d'objets mobiliers et qui certifie « n'avoir remarqué aucune anomalie dans l'usage et l'affectation du bâtiment »,
* d'un régisseur de villas locales, attestant avoir y avoir fait entreposer à plusieurs reprises des meubles divers et précieux, pour de longues durées, sans avoir jamais constaté de détérioration d'aucune sorte, ni de vol de ces matériels, et déclarant avoir renouvelé, depuis l'incendie, sa totale confiance à la société pour un usage de garde-meubles ou de manutention,
* d'un maire honoraire de la ville de Deauville, en charge d'autres fonctions politiques, déclarant avoir confié, dans le passé, des meubles et objets entreposés dans les locaux litigieux, sans avoir jamais rencontré de problèmes.
S'agissant, par contre, de l'affirmation de l'assureur selon laquelle les deux entrepôts présentaient les mêmes caractéristiques techniques et que celui incendié était au moins aussi bien sécurisé que celui encore intact, ce dernier ne présente aucun autre élément de conviction que la constatation d'un certain alea.
En fait, deux autres données (outre celles, prudemment admissibles, issues des attestations recueillies par la société Collen) permettent d'acquérir la conviction raisonnable que M. X... n'aurait pas résilié le contrat s'il avait connu, en son temps, le lieu du dépôt du mobilier.
D'une part, en souscrivant, en pleine connaissance de cause, à une déclaration représentant à peine 15 % de la valeur désormais affirmée, d'autre part en ayant laissé en dépôt depuis de très nombreuses années un mobilier dont il envisageait la vente depuis plus longtemps encore, on n'aperçoit pas pour quel motif M. X... aurait, en l'espèce, résilié une convention pour des raisons tenant au lieu de l'entrepôt, dont le sinistre est le seul indice, aussi éventuel que tardif, d'un moins bon choix que celui stipulé.
Autrement dit, la perte de chance est nulle, en ce qui concerne le préjudice matériel.
Le préjudice moral découlant seulement de la perte du mobilier, selon M. X..., est également en lien direct avec la perte de chance, retenue comme nulle.
L'existence d'un préjudice spécifique, découlant de la violation intrinsèque, immatérielle (c'est-à-dire située en dehors de l'incidence sur le maintien de la relation contractuelle), de l'obligation d'information, doit être retenu.
On admet en effet, au bénéfice de M. X..., que « le remboursement des frais de gardiennage qu'il a engagées en pure perte », selon la motivation du premier juge, doit s'analyser, plus exactement, comme l'effet pratique d'une compensation opérée entre le prix de la prestation, du par le déposant sur la période de référence, et le manquement, connexe, à une obligation d'information contractuelle due par le dépositaire, dont il n'est pas établi que l'assureur, qui le conteste (conclusions page 6) doive la garantie.
S'agissant de l'évaluation de ce préjudice imputable au dépositaire, on retiendra qu'en dévalorisant plus qu'excessivement son propre mobilier, M. X... a contribué à la négligence du prestataire dans l'accomplissement de son obligation d'information sur le lieu du dépôt.
De ce chef, le préjudice de M. X... sera adéquatement réparé par une somme de 2000 EUR à titre de dommages et intérêts, venant en compensation de la somme due (21 769,75 EUR) au titre de la prestation de gardiennage.
En définitive, le jugement entrepris doit être réformé dans les termes du dispositif ci-dessous précisé, au-delà de la confirmation de la constatation selon laquelle, à la suite du sinistre, l'assureur a indemnisé le bénéficiaire des garanties de son préjudice matériel, à hauteur de la somme de 15 245 EUR, correspondant à la valeur totale du mobilier déclaré par l'intéressé.

Sur les autres demandes

Les données de l'espèce conduisent à laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens, ainsi que, en équité, de ses frais irrépétibles.

Par ces motifsLa Cour,statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu l'indemnisation de M. X..., déposant, à la suite du sinistre dont la responsabilité incombe à la société Collen, dépositaire salarié, à hauteur d'une somme de 15 245 EUR, déjà versée par la société MMA, assureur de ce prestataire,
Dit qu'une somme de 2.000 EUR, due à titre de dommages et intérêts réparant la violation intrinsèque de l'obligation d'information manquée par la société Collen à l'égard de M. X..., vient en compensation des sommes dues au dépositaire (21 769,75 EUR), en règlement des prestations de gardiennage,
Réforme le jugement entrepris pour le surplus,

Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel,

Accorde aux SCP d'avoués droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

C. GALAND J. BOYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 06/1101
Date de la décision : 08/01/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Lisieux, 08 mars 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;2008-01-08;06.1101 ?
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