AFFAIRE : N RG 06/00959
Code Aff. :
ARRET N
MH/AC
ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 21 Mars 2006 - RG no 05/0030
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE - SECTION CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 22 NOVEMBRE 2007
APPELANT :
Monsieur Ange X...
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14860 RANVILLE
représenté par la SCP PARROT LECHEVALLIER ROUSSEAU, avoués
assisté de Me Pascale LAGOUTTE, avocat au barreau de CAEN
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022006003061 du 30/08/2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
INTIMEE :
LA COMMUNE DE RANVILLE
Mairie - 100 Rue Airbornes
14860 RANVILLE
Prise en la personne de son représentant légal
représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués
assistée de Me THOUROUDE, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame HOLMAN, Conseiller faisant fonction de Président, Rédacteur
Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,
Mme VALLANSAN, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 16 Octobre 2007
GREFFIER : Mme LE GALL
ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2007 et signé par Madame HOLMAN, Conseiller, faisant fonction de Président, et Mme LE GALL, Greffier
Monsieur Ange X... a interjeté appel du jugement rendu le 21 mars 2006 par le Tribunal de Grande Instance de Caen dans un litige l'opposant à la commune de Ranville.
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Par acte authentique du 20 mai 1960, Monsieur A... a donné à bail commercial à Monsieur X... un immeuble dans lequel celui-ci exploitait un garage automobile et comportant un pavillon d'habitation dans lequel est domicilié Monsieur X....
Le bail s'est tacitement renouvelé jusqu'en 1989, (le loyer s'élevant alors à 1.350 francs) date à laquelle Monsieur A... a cédé l'immeuble à la commune de Ranville.
Le 3 février 1990 un contrat a été signé entre les parties intitulé "bail", aux termes duquel la commune mettait à disposition de Monsieur X..., d'une part le bâtiment dans lequel il exerçait son activité commerciale, laissé gratuitement à sa disposition "sans possibilité de céder son droit d'occupation en tout ou en partie", d'autre part le pavillon antérieurement occupé par lui, "pour une période d'un an renouvelable par tacite reconduction, et ce moyennant une "indemnité d'occupation" d'un montant inchangé par rapport à la situation antérieure soit 1.350 francs.
Monsieur X... a cessé son activité le 31 janvier 2003 mais n'a pu vendre son fonds, à raison de la clause ci-dessus énoncée.
Par acte du 7 décembre 2004, il a fait citer devant le Tribunal la commune de Ranville afin de voir constater la nullité du bail du 3 février 1990 et en toute hypothèse celle de la clause interdisant la cession du fonds, et d'obtenir paiement des sommes de 43.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, 2.000 euros en application de la loi sur l'aide juridictionnelle.
Par le jugement déféré le Tribunal s'est déclaré compétent et a débouté Monsieur X... de ses demandes.
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Vu les écritures signifiées
* Le 29 mars 2007 par Monsieur X... qui conclut à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives à la compétence, à la réformation pour le surplus et au bénéfice de son assignation devant le Tribunal, la réclamation au titre des frais irrépétibles étant cependant portée à 2.500 euros.
* Le 8 décembre 2006 par la commune de Ranville qui conclut à l'infirmation du jugement, à l'incompétence du juge judiciaire, subsidiairement à la confirmation du jugement et demande paiement d'une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
I - Sur la compétence
La commune de Ranville soutient qu'eu égard au caractère administratif du contrat litigieux, le juge judiciaire est incompétent au profit du juge administratif.
Les contrats conclus entre une personne publique et une personne privée sont administratifs s'ils apparaissent comme des actes de gestion publique en raison de leur clause exorbitante du droit commun ou de leur objet ou encore de leur régime.
Les contrats conclus pour la gestion du domaine privé sont considérés comme des actes administratifs s'ils comportent une clause exorbitante du droit commun, laquelle se définit comme étant celle qui confère aux parties des droits ou qui met à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales.
Le fait qu'une clause exorbitante puisse être jugée nulle est sans incidence sur la qualification du contrat en un contrat administratif dès lors que la qualification de la clause, et par conséquent celle du contrat, doit être examinée avec la validité de ladite clause.
En l'espèce, le fait qu'une clause déroge au statut des baux commerciaux en conférant un caractère précaire au droit concédé à l'occupant ne suffit pas à lui seul à la qualifier de clause exorbitante du droit commun.
Par ailleurs, le fait de laisser le garage à la disposition de Monsieur X..., à titre gratuit sans que celui-ci ait la possibilité de céder son droit d'occupation emporte que la convention de 1990 pourrait s'analyser comme un prêt à usage "susceptible d'être consenti par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales".
C'est donc à juste titre que le Tribunal a rejeté l'exception d'incompétence et le jugement sera confirmé de ce chef.
II - Sur la validité de la convention
Conformément aux dispositions d'ordre public régissant les baux commerciaux, le bail commercial consenti à Monsieur X... le 20 mai 1960 s'est tacitement poursuivi à la charge de la commune de Ranville postérieurement à l'acquisition des murs réalisée par celle-ci.
La commune avait donc obligation, si elle souhaitait mettre fin au bail, d'adresser un congé au locataire avec offre d'indemnité d'éviction, conformément à l'article L145-26 du Code de Commerce.
La convention établie le 3 février 1990 au mépris des dispositions d'ordre public de la propriété commerciale est donc nulle et de nul effet, étant précisé surabondamment que ce bail, portant à la fois sur un local commercial et sur un local d'habitation puisque ces deux entités sont successivement décrites en début d'acte, comme "mises à la disposition de Monsieur X..." et ensuite nommées ensemble sous le terme générique "immeuble" ou "lieux" constitue un bail indivisible, commercial pour le tout, sans que l'exclusivité du loyer -curieusement affecté au seul logement d'habitation alors qu'il est égal au montant du loyer antérieurement pratiqué pour les deux locaux-, ne puisse modifier la qualification du bail, puisqu'il n'y a pas lieu de rechercher l'importance effective de chaque affectation, de sorte que la clause d'interdiction de cession est nulle en application de l'article L145-16 du Code du Commerce.
Enfin, alors que la renonciation ne se présume pas, que le bailleur doit démontrer la volonté non équivoque du locataire et que celui-ci ne peut renoncer au statut dans le contrat lui-même, l'intimée ne produit aucun élément de nature à démontrer, ainsi qu'elle le prétend, que Monsieur X... aurait renoncé au statut des baux commerciaux.
En s'opposant à la vente, la Commune de Ranville a commis une faute générant pour Monsieur X... un préjudice dont elle doit réparation et le jugement sera réformé de ce chef.
III - Sur le préjudice
Eu égard à la spécificité du commerce exercé par Monsieur X..., le fonds, privé de l'élément incorporel essentiel que constitue le droit au bail, et non exploité depuis 2003, est aujourd'hui dénué de toute valeur.
Il y a donc lieu de l'indemniser de la perte du fonds, exclusivement générée par l'impossibilité de cession, laquelle doit être fixée à la valeur marchande de celui-ci en 2003 soit 38.000 euros ainsi qu'il résulte des deux attestations produites par Monsieur X... et non utilement contestées par l'intimée.
A titre de dommages et intérêts complémentaires, cette somme portera intérêts à compter du 7 décembre 2004, date de l'assignation.
En application du principe "nemo auditur"... l'intimée est infondée à prétendre que Monsieur X... n'aurait subi aucun préjudice compte tenu de l'économie par lui réalisée sur le loyer du garage mis à sa disposition à titre gratuit qu'il lui appartenait de thésauriser, puisque son loyer global est demeuré identique postérieurement à l'acte litigieux, qu'il n'a donc bénéficié d'aucun avantage, et que l'affectation exclusive à la maison d'habitation constituait pour la commune un subterfuge destiné à tenter de contourner à son seul profit la législation relative aux baux commerciaux.
Par ailleurs, l'impossibilité de vendre son fonds alors qu'après une vie de labeur, Monsieur X..., né en 1937, avait besoin du prix de cession pour améliorer sa modeste retraite lui a causé des soucis et tracas importants dont la cour évalue le montant, au vu de l'ensemble des éléments susvisés, à 5.000 euros.
IV - Sur les frais irrépétibles
Monsieur X... a été contraint d'exposer des frais irrépétibles qui seront en équité fixés à 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
- Confirme le jugement en ses dispositions relatives à la compétence ;
- Le réforme en ses autres dispositions ;
- Condamne la commune de Ranville à payer à Monsieur X... la somme de 43.000 euros avec intérêts au taux légal sur la somme de 38.000 euros à compter du 7 décembre 2004 à titre de dommages et intérêts et celle de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles en application de la loi régissant l'aide juridictionnelle ;
- Condamne la commune de Ranville aux dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
N.LE GALL M.HOLMAN