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17/10/2006 | FRANCE | N°02/3078

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre civile 1, 17 octobre 2006, 02/3078


AFFAIRE : N RG 02/03078

Code Aff. :

ARRET N

J B. J B.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG en date du 08 Juillet 2002

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIERE CHAMBRE - SECTION CIVILE

ARRET DU 17 OCTOBRE 2006

APPELANTS :

Monsieur Gérard X...

...

Madame Marie Josèphe Z... épouse X...

...

Monsieur Nicolas X...

...

Mademoiselle Valérie X...

...

représentés par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués

assistés de Me A..., avocat au barreau de CHERBOUR

G

INTIMES :

Monsieur Jean-Luc B...

...

représenté par Me TESNIERE, avoué

assisté de la SELARL THILL -LANGEARD, avocats au barreau de CAEN

LA CAISSE PRIMAIRE...

AFFAIRE : N RG 02/03078

Code Aff. :

ARRET N

J B. J B.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG en date du 08 Juillet 2002

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIERE CHAMBRE - SECTION CIVILE

ARRET DU 17 OCTOBRE 2006

APPELANTS :

Monsieur Gérard X...

...

Madame Marie Josèphe Z... épouse X...

...

Monsieur Nicolas X...

...

Mademoiselle Valérie X...

...

représentés par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués

assistés de Me A..., avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMES :

Monsieur Jean-Luc B...

...

représenté par Me TESNIERE, avoué

assisté de la SELARL THILL -LANGEARD, avocats au barreau de CAEN

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

Montée du Bois André - ...

Prise en la personne de son représentant légal

représenté par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. BOYER, Président de Chambre,

Madame BEUVE, Conseiller, rédacteur

Mme CHERBONNEL, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 07 Septembre 2006

GREFFIER présent aux débats : Madame GALAND

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2006 et signé par M. BOYER, Président de Chambre, et Madame GALAND, Greffier

* * *

Monsieur Gérard X..., électricien, a, le 20 octobre 1994, ressenti sur son lieu de travail une violente douleur au genou gauche en se relevant suite à une station prolongée à genoux.

Le Docteur B..., médecin généraliste, a été appelé le jour même au domicile de Monsieur X... puis de nouveau le 24 octobre 1994 et, constatant que celui-ci présentait alors une jambe gauche "rouge, purpurique et oedématiée", a prescrit un antibiotique et demandé des examens biologiques.

Monsieur X... a été hospitalisé le lendemain à la Clinique Chirurgicale de Coutances puis transféré en urgence à l'Hôpital de Saint-Lô où il a été placé en réanimation.

Le diagnostic de fasciite nécrosante étant posé, il a subi le 26 octobre 1994 une intervention chirurgicale pour mise à plat des lésions hypodermiques, avec une antibothérapie majeure.

Faisant état de ce qu'il présente, suite à la consolidation de son état, de très importantes séquelles, à savoir un déficit auditif bilatéral et des troubles trophiques du membre inférieur gauche, il a obtenu, par ordonnance de référé du 4 décembre 1998, la désignation d'un expert, le Docteur D....

Celui-ci a établi le 2 mars 1999 un rapport aux termes duquel il conclut que la responsabilité du Docteur B... est engagée à raison d'une erreur de diagnostic et d'un retard à hospitalisation liés à une mauvaise appréciation de l'état général de Monsieur X....

Monsieur Gérard X..., Madame Marie-Josèphe X..., son épouse, Nicolas X... et Valérie X... ses enfants, ont fait assigner Monsieur Jean-Luc B... en réparation de leurs préjudices et paiement des sommes suivantes :

- 2 288 913,64 Francs à Monsieur Gérard X... en réparation de ses préjudices corporel et économique.

- 1 001 500 Francs à Madame X....

- 142 170 Francs et 175 710 Francs respectivement à

Nicolas X... et Valérie X... en réparation de leurs préjudices moraux et matériels.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Manche, appelée sur l'instance, a sollicité la condamnation du Docteur B... au paiement de la somme de 1 177 499,77 Francs, montant provisoire de ses débours.

Vu le jugement rendu le 8 juillet 2002 par le Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG déclarant le Docteur B... responsable à 80 % du préjudice subi par Mr X..., son épouse et ses deux enfants et liquidant leur préjudice.

Vu l'arrêt rendu par cette Cour le 30 septembre 2003 ordonnant une nouvelle expertise médicale confiée à un collège d'experts.

Vu le rapport d'expertise déposé le 11 avril 2005 par les Professeurs LEMERLE, MOREL et ELBAZ

Vu les conclusions déposées au greffe pour :

- Mr Gérard X..., Mme Marie-Josèphe X..., Nicolas X... et Valérie X..., appelants, le 6 février 2006

- le Docteur Jean-Luc B..., intimé et appelant incident, le 3 février 2006

- la CPAM de la Manche, intimée, le 2 mars 2006

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 septembre 2006

Un rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience, avant les plaidoiries.

* * *

MOTIFS

Les appelants critiquent la décision déférée en ce qu'elle a limité à 80 % la responsabilité du Docteur B... alors que celui-ci qui a commis des fautes - erreur de diagnostic et retard d'hospitalisation - ayant un lien de causalité certain avec les séquelles présentées par Mr X..., est entièrement responsable des préjudices subis.

Le Docteur B... conclut, par voie d'appel incident, au rejet des demandes formées à son encontre au motif, d'une part, que l'erreur de

diagnostic commise ne constitue pas une faute eu égard à l'atypie des symptômes présentés par Mr X... lors des deux examens pratiqués et d'autre part, que

la preuve n'est pas rapportée d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes alléguées et le préjudice subi.

Le collège d'experts désigné par la Cour a estimé que "les soins pratiqués ont été conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à ceci près que le diagnostic de fasciite nécrosante aurait peut-être pu être porté le 24 octobre."

Le Docteur B... qui a examiné Mr X... le 20 octobre 1994, a constaté que celui-ci présente "un genou gauche chaud, tuméfié et rouge" ainsi que deux petites plaies superficielles préexistantes.

Si le premier expert judiciaire a considéré que les signes locaux relevés par le Docteur B... devaient lui faire envisager une infection profonde et faire effectuer un bilan biologique de base et éventuellement prescrire une antibiothérapie à large spectre, le collège d'experts a pour sa part retenu qu'aucun élément ne permettait de poser le diagnostic, dès lors que le déclenchement brutal des douleurs, l'absence de fièvre et de frissons ainsi que l'absence de gonflement du genou évoquaient plus un accident mécanique ou une inflammation qu'une infection débutante.

Ils ajoutent que la prescription de Voltarène pendant trois jours était donc concevable.

S'agissant du rôle potentiellement aggravant de la prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens au cours des infections sous-cutanées, le collège d'experts indique que, si une controverse médicale récente a conduit les spécialistes à les déconseiller en cas de suspicion d'infection des tissus sous cutanés, il ne peut être reproché au Docteur B... d'avoir, en 1994 soit à une date antérieure à cette controverse médicale, prescrit du Voltarène.

Le Docteur B... a de nouveau été appelé au domicile de Mr X... le 24 octobre 1994 à 9 heures et constaté "une jambe gauche rouge, purpurique (aspect lié à la pommade), oedématiée avec petite plaie de ripage - température 36o8, tension artérielle 10/7, pouls 100, quelques rales bronchiques, mollet souple."

Il a prescrit un antibiotique, une radiographie du genou et une prise de sang.

Le Docteur D... a estimé que, devant l'importance des signes locaux, - purpura - et l'existence de signes généraux pouvant évoquer un choc septique débutant, le Docteur B... aurait du suspecter une origine

infectieuse et faire hospitaliser immédiatement Mr X..., les résultats des bilans ne pouvant être connus que le lendemain et l'antibiothérapie n'étant pas adaptée.

Quant au collège d'experts, il estime que la seule erreur commise par le Docteur B... concerne l'interprétation du purpura constaté qui n'était pas lié à l'application de la pommade mais à une infection profonde en cours de constitution.

L'erreur de diagnostic commise par le Docteur B... ne peut être fautive que si elle révèle l'ignorance de données médicales qu'il aurait dû connaître, une négligence caractérisée ou un défaut de précautions.

Dès lors que le collège d'experts désigné par la Cour, formé de professeurs de médecine de grande compétence et relevant de plusieurs spécialités, a estimé que, le 20 octobre 1994, les signes cliniques présentés par Mr X... ne permettaient pas de suspecter une infection naissante mais évoquaient une inflammation, il ne peut être reproché au docteur B... dont il n'est pas contesté qu'il ait procédé à un examen complet du patient de ne pas avoir posé le diagnostic ni de ne pas avoir prescrit des examens complémentaires.

En ce qui concerne l'examen suivant du 24 octobre, les experts sont d'accord pour considérer que le Docteur B... qui a relevé la présence sur la jambe du patient d'un purpura, l'a interprété de façon erronée et que cette erreur a eu une incidence sur la prise en charge du patient dès lors que l'infection naissante qu'il révélait aurait dû conduire à une hospitalisation de

Mr X....

Les seconds experts précisent toutefois que les autres signes cliniques présentés par ce dernier étaient trompeurs dès lors que la fasciite nécrosante s'accompagne habituellement de signes généraux sévères et qu'en l'espèce Mr X... n'avait pas de fièvre, élément qu'ils qualifient de tout à fait atypique pour une infection des parties molles du genou.

Ils contredisent le Docteur D... qui a estimé que les signes généraux présentés par le malade évoquaient un choc septique débutant en rappelant que les signes de gravité sont apparus surtout dans l'après-midi du même jour, donc plusieurs heures après la visite du Docteur B....

L'avis des seconds experts qui se sont livrés à analyse précise de l'évolution de l'état de Mr X... apparaît plus pertinent que celui du Docteur D....

Eu égard aux éléments susvisés, au caractère extrêmement rare de la fasciite nécrosante, à la difficulté de poser un diagnostic d'infection eu égard à l'absence de l'un des signes évocateurs d'une telle infection, l'erreur

commise par le Docteur B..., médecin généraliste, qui a examiné de façon sérieuse et approfondie le patient et a ordonné les examens complémentaires nécessaires, ne constitue pas une faute engageant sa responsabilité non plus que le retard d'hospitalisation qui en est la conséquence.

Il convient d'ajouter que, lorsque, le lendemain, le médecin remplaçant le Docteur B... a décidé de faire hospitaliser Mr X..., les signes locaux et généraux s'étaient aggravés de façon significative, étant observé que le diagnoste de fasciite nécrosante ne sera évoqué que dans l'après-midi du 26 octobre à l'hôpital de Saint- Lô.

Enfin, les experts estiment qu'en tout état de cause, il n'est nullement certain que les conséquences médico-chirurgicales présentées par Mr X... eussent été différentes en cas d'hospitalisation plus précoce.

Ils indiquent en effet que l'aggravation qui s'est produite dans l'après midi du 24 octobre 1994 aurait pu se produire en milieu hospitalier et font observer que les débridements chirurgicaux qui ont été effectués le 26 octobre 1994 donc en tout état de cause vingt heures après l'hospitalisation auraient été certainement aussi importants.

Il convient donc d'infirmer la décision déférée qui a retenu la responsabilité du docteur B... et de rejeter l'intégralité des demandes formées à son encontre.

La CPAM de la Manche est, par suite, elle-même déboutée de ses demandes.

L'instance engagée par les consorts X... à l'encontre du Docteur B... n'étant pas fondée, ils doivent supporter les dépens de première instance et d'appel et ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Il convient, pour des considérations tenant à la situation économique des demandeurs et à l'équité, de débouter le Docteur B... de sa demande présentée sur le fondement susvisé.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme la décision déférée

Déboute Mr Gérard X..., Mme Marie-Josèphe X..., Nicolas X... et Valérie X... de l'intégralité de leurs demandes.

Déboute la CPAM de la Manche de ses demandes.

Déboute Mr Jean-Luc B... de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Dit que les dépens de première instance et d'appel sont supportés par Mr Gérard X..., Mme Marie-Josèphe X..., Nicolas X... et Valérie X... et recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

C. GALAND J. BOYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 02/3078
Date de la décision : 17/10/2006
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Cherbourg, 08 juillet 2002


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;2006-10-17;02.3078 ?
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