SM/OC
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS
- la SCP SOREL
Expédition TJ
LE : 22 AOUT 2024
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 22 AOUT 2024
N° 413 - Pages
N° RG 23/00700 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DSGL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES en date du 02 Juin 2023
PARTIES EN CAUSE :
I - Mme [B] [P]
née le 01 Juillet 1969 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES
Plaidant par l'AARPI Pisan Avocats, avocat au barreau de PARIS
timbre fiscal acquitté
APPELANTE suivant déclaration du 11/07/2023
INCIDEMMENT INTIMÉE
II - M. [AD] [V]
né le 05 Décembre 1981 à [Localité 5]
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représenté et plaidant par la SCP SOREL, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
INTIMÉ
INCIDEMMENT APPELANTE
22 AOUT 2024
N° 413 /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024 hors la présence du public, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CIABRINI, Conseiller chargée du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre
M. Richard PERINETTI Conseiller
Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseiller
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. [AD] [V] exerce l'activité de vigneron dans le Sancerrois.
Au début de l'année 2022, sa clientèle danoise a attiré son attention sur une lanceuse d'alerte danoise ayant relayé sur internet des témoignages anonymes qui évoquaient, sans mentionner de nom, l'existence d'un vigneron français auteur de faits de harcèlement et d'agression sexuels commis lors de ses déplacements professionnels au Danemark.
Plusieurs clients français de M. [V] ont également attiré son attention sur le compte Instagram @paye-tonpinard tenu par Mme [B] [P], vigneronne dans le Beaujolais et militante contre les violences sexuelles faites aux femmes dans le monde viticole.
Le 16 mai 2022, Mme [P] a publié sur ce compte une photographie d'un panneau d'affichage posé devant une cave à vins à [Localité 7], sur lequel étaient inscrits les propos suivants : « [AD] [V] Wines getting removed from Stores in Europe after Wine Maker stalked, assaulted & raped multiple Women ».
Dans deux publications datées des 14 et 15 juin 2022, elle a évoqué des accusations de harcèlement et agressions sexuelles émanant de plusieurs femmes, désignant M. [V] comme l'auteur des faits, et pris position sur la tribune publiée par le collectif de soutien de ce dernier en dénonçant notamment la « culture du viol ».
Le 16 juin 2022, M. [V] a déposé plainte du chef de diffamation auprès de la gendarmerie de [Localité 4] en raison de ces publications.
Par lettre en date du 23 juin 2022, le conseil de M. [V] a demandé à Mme [P] de retirer de son compte Instagram tous les propos, images et commentaires mettant en cause son client comme auteur de crimes ou délits.
Un constat d'huissier de justice en date du 1er juillet 2022 a relevé que les publications litigieuses n'avaient pas été effacées à cette date.
Par actes de commissaire de justice en date des 5 et 8 août 2022, signifiés respectivement à Mme [P] et au ministère public, M. [V] a saisi le président du tribunal judiciaire de Bourges en sa qualité de juge des référés afin de solliciter le retrait de toute mention constitutive de diffamation sur le compte Instagram @paye-tonpinard et sur tous autres supports et la condamnation de Mme [P] à publier l'ordonnance de référé sur la page d'accueil de son compte Instagram.
Par ordonnance en date du 22 septembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourges a ordonné à Mme [P] de retirer la photographie du panneau d'affichage devant la cave à vin de New York de son compte Instagram et de tous autres supports, dans les trois jours de la signification de l'ordonnance et sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard, et renvoyé l'affaire devant la juridiction du fond.
Mme [P] a exécuté cette décision.
Devant le tribunal, M. [V] a notamment demandé la condamnation de Mme [P] à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral et celle de 260 000 euros en réparation de son préjudice matériel pour diffamation, à retirer de son compte Instagram les trois publications des 16 mai, 14 juin et 15 juin 2022 et à publier la décision à intervenir sur la page d'accueil de son compte.
Par jugement en date du 2 juin 2023, le tribunal judiciaire de Bourges a :
- dit recevables les offres de preuve de Mme [P] au titre de la bonne foi ;
- dit que les publications au sujet de M. [V] mises en ligne par Mme [P] sur son compte Instagram @paye-tonpinard les 16 mai, 14 et 15 juin 2022 étaient constitutives d'une diffamation ;
- condamné Mme [P] à verser à M. [V] les sommes suivantes :
* 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
* 24 421 euros à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice économique subi au regard d'une responsabilité arrêtée à 25 % des pertes subies ;
- débouté les parties de toutes autres demandes ;
- condamné Mme [P] aux dépens ;
- condamné Mme [P] à verser à M. [V] une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont les frais d'huissier engagés ;
- écarté l'exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a retenu le caractère diffamatoire des publications de Mme [P], dès lors qu'elles contenaient des allégations publiques portant sur la commission d'une infraction pénale et qu'elles étaient ainsi susceptibles de porter atteinte à l'honneur et à la considération de M. [V]. Il a ensuite considéré que l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires faite par Mme [P] était irrecevable en ce que les imputations concernaient la vie privée de M. [V]. Il a enfin rejeté l'exception de bonne foi invoquée par Mme [P] en relevant le caractère péremptoire des propos diffamatoires, l'absence de mesure attendue au regard de la sensibilité du sujet et l'absence de rappel du principe cardinal de la présomption d'innocence malgré la gravité des faits imputés à M. [V].
Par déclaration en date du 11 juillet 2023, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement, sauf en ce qu'il a dit recevables ses offres de preuve au titre de la bonne foi.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 avril 2024, Mme [P] demande à la cour de :
- à titre liminaire, constater que les propos litigieux ont été publiés le 16 juin 2022,
- à titre principal, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les publications au sujet de M. [V] mises en ligne sur son compte Instagram @paye-tonpinard les 16 mai, 14 et 15 juin 2022 sont constitutives d'une diffamation,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- à titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable son offre de preuve,
- déclarer recevable son offre de preuve notifiée le 18 août 2022,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- à titre très subsidiaire, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté le bénéfice de la bonne foi,
- débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- en tout état de cause, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [V] la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral, la somme de 24 421 euros en réparation de son préjudice économique et la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et l'a déboutée de ses demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [V] de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son prétendu préjudice moral,
- débouter M. [V] de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 260 000 euros en réparation de son prétendu préjudice économique,
- débouter M. [V] de sa demande de condamnation à lui verser la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [V] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du caractère abusif de la présente procédure,
- condamner M. [V] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 14 285,72 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 avril 2024, M. [V] demande à la cour de :
- débouter Mme [P] de toutes ses prétentions, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il juge diffamatoires les publications à son sujet mises en ligne par Mme [P] sur son compte Instagram @paye-tonpinard,
- infirmer le jugement entrepris sur l'appel incident,
- déclarer Mme [P] entièrement responsable de son préjudice subi à raison de la publication d'écrits et propos diffamatoires, y compris par voie de reproduction de la photo d'un panneau d'affichage comportant des imputations diffamatoires,
- ordonner à Mme [P] de publier sur la page d'accueil du compte @paye-tonpinard du réseau social Instagram accessible à l'adresse internet https://www.instagram.com/paye-tonpinard/'hl=fr le communiqué judiciaire suivant : « Par arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du (date de l'arrêt), Mme [B] [P] a été jugée responsable de publications diffamatoires émises à l'encontre de Monsieur [AD] [V] pour l'avoir accusé d'avoir commis des crimes et délits de nature sexuelle »,
- dire que cette publication sera placée sous le titre « Condamnation judiciaire de Mme [B] [P] à la demande de M. [AD] [V] » rédigé en majuscules et en caractères gras de police 13 et devra être accessible dans les huit jours qui suivront la signification à personne de la présente décision et pendant une durée de deux mois, sur le premier écran de la page d'accueil du compte @paye-tonpinard du réseau social Instagram,
- infirmer le jugement entrepris sur le quantum des dommages-intérêts alloués,
- condamner Mme [P] à lui payer une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, sous déduction de la provision octroyée par l'ordonnance de référé en date du 22 septembre 2022,
- condamner Mme [P] à lui payer une somme de 260 000 euros en réparation de son préjudice matériel,
- condamner Mme [P] à lui payer une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne Mme [P] à une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposé en première instance ainsi qu'aux entiers dépens,
- y ajoutant, dire que ces dépens comprendront le coût des constats d'huissier dressés à sa requête les 16 juin, 1er juillet, 17 août, 9 août, 19 août 2022 et 29 novembre 2023,
- condamner Mme [P] aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2024.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.
SUR CE
À titre liminaire, il est rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater », « déclarer » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile, sauf exception, mais des moyens invoqués par les parties. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur la diffamation
Aux termes de l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
L'atteinte à l'honneur ou à la considération ne peut résulter que de la réprobation unanime qui s'attache, soit aux agissements constitutifs d'infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue (voir notamment en ce sens Cass. civ. 1re, 17 décembre 2015, no 14-29.549).
L'intention coupable, en matière de diffamation, est présumée et se déduit des imputations diffamatoires mêmes (voir notamment en ce sens Cass. crim., 3 mai 1966, no 65-90.515).
En l'espèce, M. [V] reproche à Mme [P] trois publications sur son compte Instagram contenant des écrits et images dont il allègue le caractère diffamatoire :
- une publication du 16 mai 2022 contenant une photographie d'un panneau d'affichage prise devant une cave à vin à [Localité 7], sur lequel est écrit : « [AD] [V] Wines getting removed from Stores in Europe after Wine Maker stalked, assaulted and raped multiple Women », traduit par : « les vins de [AD] [V] retirés des magasins en Europe après que le vigneron a harcelé, agressé et violé plusieurs femmes »,
- une publication du 14 juin 2022 reproduisant une tribune de soutien contenant les nom et prénom de M. [V], accompagnée du commentaire suivant de Mme [P] : « Petit rappel des faits et depuis hier cette tribune (en lien dans une story), rédigée par des vigneron-ne-s, qui circule en soutien à leur confrère que des femmes accusent d'agressions sexuelles et harcèlement. Le monde du vin s'organise pour affirmer que les victimes mentent, on plaint l'agresseur, on n'a aucune empathie ni bienveillance envers les victimes. On met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité. Le but de cette tribune ' Faire taire celles qui oseraient encore parler. Leur faire comprendre qu'on ne les croira pas. C'est un bel exemple de la culture du viol. Cette belle culture à la française » et du texte suivant en image sur fond rouge : « On appelle cela la culture du viol »,
- une publication du 15 juin 2022 constituée d'une image sur fond jaune contenant le texte suivant : « BACKLASH. On assiste à un phénomène, très connu des féministes, que l'on appelle le Backlash dans cette affaire de violences sexuelles et de la tribune qui nous informe de quelques signataires supplémentaires qui viennent s'ajouter aux soutiens de [AD] [V], accusé de violences sexuelles par une dizaine de femmes. En effet, chaque petite avancée des femmes, ici qui concerne la libération de la parole, provoque des réactions excessives d'hommes réactionnaires, qui ne veulent pas de changement dans leur mode de fonctionnement patriarcal. Un retour de bâton en quelques sortes, pour nous punir de l'ouvrir et nous inviter à la fermer ».
La première de ces publications impute nommément à M. [V] la commission d'agissements constitutifs d'infractions pénales. L'intimé rappelle à bon droit que l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 incrimine tant la publication directe que la reprise d'une allégation diffamatoire, de sorte que Mme [P] est réputée s'approprier les propos figurant sur le panneau d'affichage reproduit en image.
La deuxième publication présente M. [V] comme étant accusé d'agressions sexuelles et de harcèlement par plusieurs femmes, le qualifie d' « agresseur » et affirme l'existence de « victimes ». Elle contient des propos ironiques sur la présomption d'innocence, en questionnant de manière sous-entendue le bien-fondé de sa primauté sur une hypothétique présomption de « culpabilité ». L'analyse faite par Mme [P] de la tribune de soutien comme s'inscrivant dans la « culture du viol » impute également à M. [V], par voie d'insinuations, la commission de cette infraction pénale.
La troisième publication qualifie les révélations concernant M. [V] d'« affaire de violences sexuelles », mentionne l'existence de « victimes » et rappelle que l'intimé est « accusé de violences sexuelles par une dizaine de femmes ». En déplorant l'existence d'un phénomène de backlash, que Mme [P] décrit comme un « retour de bâton ['] pour punir [les femmes] et [les] inviter à la fermer », elle considère nécessairement comme établis les faits de violences sexuelles rapportés à l'égard de M. [V] et lui impute donc, par voie d'insinuations, la commission d'une infraction pénale.
C'est de manière inopérante que Mme [P] réplique que plusieurs des propos poursuivis ne visent pas directement M. [V] mais consistent en une remise en cause de la société patriarcale. Le fait que les publications litigieuses contiennent des propos généraux relatifs à la culture du viol et au backlash ne remet pas en cause l'existence des propos imputant à M. [V] la commission d'infractions pénales.
En particulier, Mme [P] ne peut sérieusement alléguer que la deuxième publication contenant les termes : « le monde du vin s'organise pour affirmer que les victimes mentent, on plaint l'agresseur, on n'a aucune empathie ni bienveillance envers la victime. On met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité » ne constitue pas des propos visant directement M. [V], alors que cette publication a pour objet de commenter la tribune rédigée en soutien à ce dernier.
C'est également en vain que Mme [P] prétend que ses propos relèvent de l'expression d'une opinion, qu'ils ne sont pas suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat probatoire et contradictoire et qu'ils sont donc insusceptibles de caractériser l'élément matériel de la diffamation. Elle soutient ainsi ne pas avoir imputé à M. [V] la commission d'une infraction pénale, avoir uniquement procédé à une analyse politico-sociologique d'une situation et informé que des femmes accusaient une personne de faits pouvant revêtir une qualification pénale.
Les publications litigieuses ne se contentent cependant pas de remettre en cause la culture du viol et de dénoncer le backlash dont peuvent être victimes les militantes féministes, propos qui constituent effectivement des affirmations présentant un caractère vague et insusceptibles de faire l'objet d'un débat contradictoire. Elles contiennent également des propos précis imputant à M. [V] la commission d'infractions pénales, à savoir de harcèlement, d'agressions sexuelles et de viols.
Pour ces mêmes motifs, c'est enfin vainement que Mme [P] fait valoir que l'« essentiel » de ses propos participe d'un débat d'idées relatif à la conduite à tenir lorsque des personnes témoignent avoir été victimes de faits pouvant être qualifiés de harcèlement ou d'agression sexuelle et qu'ils ont été tenus dans le cadre d'une communication militante, de sorte qu'ils seraient insusceptibles de constituer une diffamation.
Les propos de Mme [P] ne se sont pas limités à une prise de position dans le cadre d'un débat d'idées relatif à la révélation de faits de harcèlement et d'agression sexuelle.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que les publications litigieuses, en ce qu'elles présentent M. [V] comme l'auteur d'infractions pénales, portaient atteinte à son honneur et à sa considération.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que les publications au sujet de M. [V] mises en ligne par Mme [P] sur son compte Instagram @paye-tonpinard les 16 mai, 14 et 15 juin 2022 étaient constitutives d'une diffamation.
Sur l'exception de vérité
En vertu de l'article 35, alinéas 3 et 4, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne.
Le troisième alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur. La preuve contraire est alors réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.
L'article 55, alinéas 1 à 5, de la même loi dispose que quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :
1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;
2° La copie des pièces ;
3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.
Cette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d'être déchu du droit de faire la preuve.
Sur la recevabilité de l'exception de vérité
L'article 641, alinéa 1, du code de procédure civile prévoit que lorsqu'un délai est exprimé en jours, celui de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.
L'article 642 du même code précise que tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures.
Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
En l'espèce, Mme [P] soutient que les propos poursuivis ne peuvent donner lieu à condamnation car ils sont justifiés sur le fondement de l'exception de vérité.
M. [V] fait valoir en réplique que l'offre de preuve signifiée par Mme [P] le 16 août 2022 est irrecevable en ce qu'elle n'a pas été formulée dans les délais de l'article 55 de la loi précitée et que les faits diffamatoires concernent sa vie privée.
Sur le premier moyen, il résulte des pièces versées à la procédure que l'assignation en justice de M. [V] a été signifiée à Mme [P] le 5 août 2022 et que l'offre de preuve de Mme [P] a été signifiée à M. [V] le 16 août 2022.
Contrairement à ce qu'allègue M. [V], le délai de dix jours prévu à l'article 55 de la loi précitée n'a pas expiré le lundi 15 août 2022. Cette date correspondant à un jour férié, le délai a été prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant, soit le mardi 16 août 2022.
L'offre de preuve a donc été faite le dernier jour du délai légal, de sorte que ce premier moyen n'est pas fondé.
Sur le second moyen, M. [V] expose que l'offre de preuve concerne des imputations relevant de sa vie privée, dès lors qu'il est accusé d'avoir commis des infractions de nature sexuelle sans qu'elles ne concernent des mineurs. Il fait valoir que l'article 35, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881, qui fixe un régime spécifique pour les crimes et délits à caractère sexuel, ne fait exception à l'irrecevabilité de l'offre de preuve en cette matière que lorsque les faits concernent des mineurs. Il soutient également que la vie sexuelle relève, par essence, de la vie privée protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La Cour de cassation n'a jamais eu à déterminer si une infraction de nature sexuelle commise sur la personne d'un majeur relevait de la vie privée au sens de l'article 35 de la loi sur la liberté de la presse. Les arrêts cités par Mme [P] portent sur l'exception de bonne foi (voir notamment en ce sens Cass. civ. 1re, 11 mai 2022, no 21-16.497) ou sur des infractions à caractère sexuel commises sur des mineurs (voir notamment en ce sens Cass. crim., 30 mars 2010, no 09-85.225 ; cass. crim., 20 février 2007, no 06-84.310) et ne sont donc pas applicables à la question d'interprétation soumise à la cour.
La réserve prévue par l'alinéa 4 pour les infractions pénales à caractère sexuel commises contre un mineur n'appelle pas nécessairement une interprétation a contrario de l'alinéa 3 selon laquelle ces infractions relèveraient de la vie privée lorsqu'elles sont commises contre un majeur. L'alinéa 4 peut n'avoir été instauré que dans le seul but de ne laisser aucune marge d'interprétation quant à la possibilité de prouver la vérité d'allégations diffamatoires portant sur des faits graves concernant des mineurs.
Par ailleurs, aucune considération juridique ne commande de donner à la notion de vie privée au sens de l'article 35 de la loi sur la liberté de la presse les mêmes contours que ceux retenus pour l'application de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il convient au contraire d'interpréter cette notion à la lumière des évolutions sociétales et de politique pénale intervenues depuis son introduction à l'article 35 de la loi sur la liberté de la presse en 1881 par l'ordonnance du 6 mai 1944 relative à la répression des délits de presse, en prenant particulièrement en considération les réformes législatives récentes manifestant la volonté du législateur d'instaurer une protection accrue des victimes, y compris majeures, en matière d'infractions à caractère sexuel.
Admettre que les crimes et délits de nature sexuelle relèvent de la vie privée en raison de leur caractère intime aurait pour conséquence d'empêcher toute preuve de la vérité d'allégations portant sur de tels agissements lorsqu'elles relèvent du champ d'application de la loi sur la liberté de la presse. Cela faciliterait la condamnation pour diffamation des personnes les dénonçant, y compris lorsqu'il s'agirait de victimes, dans la mesure où ne resterait à la disposition de l'auteur de la diffamation que le fait justificatif reposant sur la bonne foi. Une telle interprétation de l'alinéa 3 de la loi sur la liberté de la presse serait en contradiction avec les évolutions législatives susmentionnées.
Il y a donc lieu d'interpréter la notion de vie privée au sens de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 comme ne s'appliquant pas aux faits relevant d'infractions pénales à caractère sexuel, y compris lorsqu'ils ont été commis sur des majeurs, peu important les circonstances dans lesquelles ils ont été commis.
En conséquence, l'offre de preuve signifiée le 16 août 2022 par Mme [P] sera déclarée recevable.
Sur la déchéance du droit à faire la preuve
L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 exige que le prévenu spécifie les faits articulés et qualifiés dans la citation, dont il entend prouver la vérité ; cette spécification est nécessaire alors même que le prévenu entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation (cass. crim., 27 avril 2004, no 03-84.682).
M. [V] soutient que Mme [P] n'a pas respecté les exigences prévues par l'article 55 de la loi sur la liberté de la presse et doit être déchue du droit de faire la preuve. Il prétend qu'elle n'a pas spécifié les faits articulés et qualifiés dans la citation dont elle entend prouver la vérité. Il fait plus précisément valoir que Mme [P] n'a fait aucune offre de preuve pour les faits de viols et l'imputation selon laquelle il serait « accusé de violences sexuelles par une dizaine de femmes ».
Il ressort de l'offre de preuve du 16 août 2022 que Mme [P] a indiqué entendre prouver la vérité des faits suivants :
- la photographie du panneau d'affichage devant la cave à vins de [Localité 7] sur lequel sont écrits les propos suivants : « [AD] [V] Wines getting removed from Stores in Europe after Wine Maker stalked, assaulted and raped multiple Women »,
- les écrits et commentaires suivants :
* « Petit rappel des faits et depuis hier cette tribune (en lien dans une story), rédigée par des vigneron-ne-s, qui circule en soutien à leur confrère que des femmes accusent d'agressions sexuelles et harcèlement. Le monde du vin s'organise pour affirmer que les victimes mentent, on plaint l'agresseur, on n'a aucune empathie ni bienveillance envers les victimes. On met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité. Le but de cette tribune ' Faire taire celles qui oseraient encore parler. Leur faire comprendre qu'on ne les croira pas. C'est un bel exemple de la culture du viol. Cette belle culture à la française »,
* « On appelle cela la culture du viol »,
* « BACKLASH. On assiste à un phénomène, très connu des féministes, que l'on appelle le Backlash dans cette affaire de violences sexuelles et de la tribune qui nous informe de quelques signataires supplémentaires qui viennent s'ajouter aux soutiens de [AD] [V], accusé de violences sexuelles par une dizaine de femmes. En effet, chaque petite avancée des femmes, ici qui concerne la libération de la parole, provoque des réactions excessives d'hommes réactionnaires, qui ne veulent pas de changement dans leur mode de fonctionnement patriarcal. Un retour de bâton en quelques sortes, pour nous punir de l'ouvrir et nous inviter à la fermer ».
Contrairement à ce que soutient M. [V], l'offre de preuve mentionne donc les faits articulés et qualifiés dans la citation dont Mme [P] entend prouver la vérité, puisque l'appelante se propose expressément d'apporter la preuve de la véracité des allégations contenues dans les trois publications litigieuses des 16 mai, 14 et 15 juin 2022, en ce compris l'imputation de faits de viol et l'allégation selon laquelle M. [V] serait accusé de violences sexuelles par une dizaine de femmes.
Mme [P] n'est donc pas déchue de son droit à faire la preuve.
Sur l'examen des moyens de preuve
Mme [P] fait valoir qu'elle dispose d'éléments permettant d'établir la preuve parfaite, complète et corrélative des propos tenus dans les trois publications litigieuses à travers les témoignages de Mmes [M] [S] et [A] [G] [W].
La Cour de cassation juge qu'il résulte des termes impératifs de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, applicable devant la juridiction civile, qu'une pièce non notifiée dans le délai de rigueur édicté par ce texte ne peut être produite pour appuyer l'offre de preuve, et la juridiction saisie ne peut en faire état pour former sa conviction (voir notamment en ce sens Cass. civ. 2e, 20 janvier 2000, no 98-12.575).
Au regard de cette jurisprudence, seuls les éléments de preuve mentionnés dans l'offre de preuve peuvent être présentés devant la cour, Mme [P] ne disposant pas de la faculté d'en présenter de nouveaux.
C'est donc à juste titre que M. [V] soutient qu'elle ne peut se fonder sur ses pièces nos 14, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 25, 26, 27, 28, 33, 34, 35, 36 et 37 invoquées dans ses dernières conclusions, dès lors qu'elles ne sont pas visées dans l'offre de preuve du 16 août 2022. Mme [P] peut uniquement se fonder sur les témoignages de Mmes [M] [S] et [A] [G] [W] au titre du débat sur la vérité des faits diffamatoires.
Si ces deux témoins ont été entendus lors de l'audience devant le juge de première instance, Mme [P] ne produit pas les notes d'audience en cause d'appel et n'a pas demandé que les témoins soient réentendus devant la cour. Les seuls éléments dont la cour dispose relativement au contenu de ces témoignages résultent du jugement de première instance, aux termes duquel :
« L'affaire a été appelée à l'audience du 6 avril 2023 au cours de laquelle les témoins ont été entendus, la question de la recevabilité de l'offre de preuve étant jointe au fond.
Mme [M] [S], sommelière, rapporte avoir subi une agression sexuelle en avril 2019, lors de sa rencontre avec M. [V], à l'occasion d'une visite de ses vignobles. Celle-ci aurait passé la soirée chez lui avec ses associés, au cours de laquelle M. [V] lui aurait porté une main aux fesses, en présence de ses deux associés.
Mme [A] [G] [W], sommelière, dit avoir mené une enquête en qualité de donneuse d'alerte et, de sa propre initiative, car ses amies auraient été violées par M. [V]. Elle fait état de 13 témoignages, 6 de violences sexuelles et 2 de viols et qu'elle confirme avoir communiqué ces témoignages à Mme [P] avec laquelle elle a pris contact du fait de son combat contre le sexisme et les violences faites aux femmes.
Mme [H] [X] épouse de M. [V] affirme que les faits rapportés par Mme [M] [S] n'ont pas pu se produire, estimant que s'ils s'étaient effectivement déroulés, elle s'en serait nécessairement aperçue puisqu'elle était présente à la soirée. »
L'examen de ces éléments fait apparaître le caractère indirect, imprécis et non circonstancié du témoignage de Mme [W] et les contradictions entre les témoignages de Mmes [S] et [X], qui sont de nature à créer des doutes ne pouvant être levés par aucun autre élément recevable au titre de l'offre de preuve.
Ces circonstances doivent conduire à retenir que Mme [P] échoue à apporter la preuve parfaite, complète et corrélative des propos diffamatoires.
Sur l'exception de bonne foi
Il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression (voir notamment en ce sens Cass. civ. 1re, 11 mai 2022, no 21-16.497).
Sur l'existence d'un débat d'intérêt général
Mme [P] fait valoir que les publications poursuivies s'inscrivent dans le contexte de la dénonciation par de nombreuses femmes des faits commis par M. [V], figure du milieu du vin, qu'elle s'est attachée à démontrer l'existence d'une culture du viol et du phénomène de backlash et qu'elle a entendu dénoncer les comportements qui banalisent ou encouragent les violences sexuelles.
M. [V] soutient en réponse que la dénonciation individuelle d'une personne présentée comme harceleur, agresseur sexuel ou violeur à l'égard de femmes n'ayant pas porté plainte, ne répond pas à un but légitime d'information. Il affirme que l'objectif de Mme [P] était de jeter l'opprobre sur sa personne afin de provoquer des mesures de rétorsion sur ses vins.
Le premier juge a justement retenu que les publications litigieuses s'inscrivaient dans un mouvement de libération de la parole des femmes victimes d'infractions sexuelles et que Mme [P] avait agi dans le cadre de son combat féministe, notoire avant même lesdites publications.
Au regard de l'enjeu sociétal de la lutte contre les agressions sexuelles et les comportements sexistes, le public a un intérêt particulier à être informé de l'existence de faits délictuels ou criminels à caractère sexuel commis par une personne jouissant d'une réputation dans un milieu professionnel donné, peu important que ces faits ne soient pas directement dénoncés par les victimes mais que leur parole soit relayée par un tiers.
Il convient donc d'admettre que les propos tenus par Mme [P] dans ses publications des 16 mai, 14 juin et 15 juin 2022 relèvent d'un débat d'intérêt général.
Sur l'existence d'une base factuelle suffisante
La bonne foi du prévenu ne peut être déduite ni de faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux, ni de pièces établies postérieurement à celle-ci, sauf le cas d'attestations rapportant des faits antérieurs et établissant que le prévenu en avait connaissance au moment de cette diffusion (voir notamment en ce sens Cass. crim., 3 novembre 2020, no 19-84.700).
Le prévenu qui n'est pas un professionnel de l'information n'est pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu'un journaliste (voir notamment en ce sens Cass. crim., 11 juin 2013, no 12-83.487).
En l'espèce, M. [V] allègue que les pièces produites par Mme [P] en langue étrangère et non accompagnées d'une traduction certifiée en langue française doivent être écartées, dans la mesure où leur communication ne respecte pas le principe du contradictoire. Il prétend par ailleurs qu'elles sont dépourvues de force probatoire dans une matière où l'exactitude du propos est primordiale.
M. [V] ne formule cependant aucune demande dans le dispositif de ses dernières conclusions tendant à voir écarter les pièces adverses concernées.
Il n'est pas contesté que les pièces produites par Mme [P] en langue étrangère sont accompagnées d'une traduction libre en langue française. M. [V] ne fait valoir aucune difficulté de compréhension ni aucune erreur dans les traductions, étant observé qu'il s'exprime lui-même en anglais dans son communiqué du 25 avril 2022, que la cour dispose d'une connaissance suffisante de cette langue pour apprécier la fidélité des traductions concernées et qu'aucun élément ne permet de remettre en cause la traduction de la seule pièce en langue danoise qui sera étudiée par la cour, à savoir l'article de Mme [F] [XH] publié le 17 février 2022 dans le Frihedsbrevet.
Aucune circonstance ne justifie donc de dénier force probante aux pièces produites par Mme [P] en langue étrangère et à leur traduction.
Sur le fond, Mme [P] démontre qu'elle avait connaissance de l'enquête menée par Mme [W], qui a donné lieu à un article intitulé « Bon appétit » paru en anglais dans le magazine danois Atlas le 20 janvier 2022 et révélant l'existence de témoignages de harcèlement, agressions sexuelles et viols commis par un producteur de vin naturel réputé, que ces agissements étaient quasiment de notoriété publique dans le milieu danois du vin et qu'ils étaient connus d'un important importateur de vins naturels et du sommelier d'un restaurant gastronomique danois inscrit au Guide Michelin.
Contrairement à ce que soutient M. [V], les accusations de viol sont étayées par des pièces du dossier puisqu'elles ressortent de l'enquête menée par Mme [W].
Mme [P] prouve qu'elle a pris connaissance de l'article de Mme [W] au plus tard le 28 février 2022, date à laquelle elle l'a republié sur le compte Instagram @paye-tonpinard. À cette même date, Mme [W] lui a confirmé sur la messagerie d'Instagram que le vigneron concerné était M. [V], lui a indiqué avoir recueilli des témoignages dans dix affaires le concernant et lui a précisé que M. [EW] [Y], importateur danois des vins de M. [V], était également informé.
Au cours de cette même conversation, Mme [W] a envoyé à Mme [P] un article de Mme [F] [XH] publié le 17 février 2022 sur le site du journal danois Frihedsbrevet. La journaliste écrit que le journal a pu s'entretenir avec des femmes du secteur de la restauration à propos de leurs expériences avec un vigneron étranger, que ces femmes ont fait part de faits de harcèlement et de comportements inappropriés, dont une agression sexuelle ' faits relatés en détail dans l'article ' et que le journal a notamment pu consulter les messages que le vigneron avait envoyés à ces femmes.
Mme [P] produit ensuite le communiqué de l'importateur danois [Y] & [Y], par lequel il annonce à ses clients sa décision de retirer de la vente, à compter du « 19 janvier », les vins d'un vigneron qui a été accusé sur les réseaux sociaux de comportements déplacés à l'encontre de femmes.
Le message téléphonique que Mme [P] a envoyé à un dénommé « [EW] » le 28 février 2022 démontre qu'elle avait connaissance de ce communiqué à cette date, puisqu'elle écrit : « le nom de [Y] & [Y] apparait et je lis que vous avez retiré [les] vins [de [AD] [V]] ». Il est sans incidence que l'identité du destinataire, que Mme [P] présente comme M. [EW] [Y], ne soit pas certaine, puisque le contenu du message suffit à apporter la preuve de la connaissance du communiqué.
Mme [P] se fonde encore sur une publication du 27 février 2022 de Mme [L] [U] [JF], vigneronne allemande, sur son compte Instagram @terroirmerroir, dans laquelle elle relate qu'elle était informée des rumeurs de harcèlement concernant le producteur de vin naturel depuis des années.
Mme [P] produit une attestation de Mme [U] [JF] du 11 janvier 2023 dans laquelle cette dernière affirme avoir contacté Mme [P] après cette publication pour lui parler de cette affaire, lui avoir raconté que Mme [S], une amie, avait été agressée par M. [V], lui avoir donné les coordonnées de Mme [S] et lui avoir parlé de Mme [C] [R], témoin d'une agression sexuelle et de harcèlement de M. [V].
Mme [P] verse également à la procédure une attestation du 11 janvier 2023 de Mme [R], qui certifie avoir été mise en contact avec Mme [P] par l'intermédiaire de Mme [U] [JF] à la suite de sa publication du 27 février 2022 car Mme [P] enquêtait sur l'affaire et recherchait des témoignages. Mme [R] atteste qu'elle a raconté à Mme [P] avoir vu M. [V], dans le restaurant suédois dans lequel elle travaillait à l'automne 2021, prendre par la taille, toucher le cou et le visage, tenir dans ses bras, frotter le dos, attraper les fesses et tenter d'embrasser une femme qui essayait de le repousser.
Si Mmes [U] [JF] et [R] ne précisent pas dans leurs attestations la date exacte à laquelle elles sont entrées en contact avec Mme [P], il résulte du contexte de ces témoignages que ces échanges sont intervenus peu de temps après la publication de Mme [U] [JF] du 27 février 2022 et donc avant la première publication diffamatoire de Mme [P] du 16 mai 2022, et que Mme [P] a également nécessairement pris connaissance, avant cette dernière date, de la publication de Mme [U] [JF].
Mme [P] prétend enfin avoir réuni, dans les mois ayant suivi les publications litigieuses, d'autres éléments de preuve, dont le communiqué de M. [J] [T] du 21 mai 2022 ; l'article de Mme [TL] [O] publié le 20 mai 2022 dans la revue Le Fooding ; le communiqué de soutien à M. [V] du 28 mai 2022 ; la tribune de soutien du 12 juin 2022 et sa publication sur les réseaux sociaux du 28 juin 2022 ; les messages téléphoniques échangés avec M. [T] à partir du 15 juin 2022 ; la plainte de M. [V] du 16 juin 2022 ; le procès-verbal d'audition de Mme [P] du 11 mars 2023 ; les réponses aux questions de Mme [Z] [E], journaliste, posées à Mme [W] dans un document du 17 mars 2023 ; la plainte de Mme [S] du 19 juillet 2023.
Eu égard à la date de la première publication diffamatoire, ces éléments ne peuvent cependant être pris en compte pour démontrer que Mme [P] disposait d'une base factuelle suffisante, dans la mesure où il incombe à l'auteur des propos diffamatoires de disposer, au moment de leur formulation, des éléments propres à établir sa bonne foi (voir notamment en ce sens Cass. crim., 5 septembre 2006, no 05-86.567).
Il en va de même des éléments suivants, dont M. [P] ne démontre pas avoir eu connaissance antérieurement à la première publication litigieuse : les témoignages et messages téléphoniques qui auraient été reçus par Mme [W] de la part de femmes se prétendant victimes de M. [V] ; la publication de Mme [S] du 28 février 2022 sur son compte Instagram @luamorenalua, racontant l'agression sexuelle que M. [V] aurait commise à son encontre ; le communiqué de M. [V] du 25 avril 2022 ; les échanges de messages téléphoniques entre Mme [U] [JF] et M. [T].
Si M. [V] soutient à juste titre qu'un article de presse ou un propos préalablement diffusé par un tiers ne constitue pas, pris individuellement, une base factuelle suffisante, il résulte des pièces produites par Mme [P] que ses sources ne reposent pas uniquement sur des articles de presse et communiqués, mais qu'elle a également été en contact avec une journaliste, des lanceuses d'alerte et une personne affirmant avoir été témoin direct d'une agression sexuelle de M. [V].
Il est sans incidence que certains éléments de preuve étudiés au titre de la base factuelle ne comportent pas explicitement le nom de M. [V], dès lors que la concordance entre les différents éléments démontre qu'ils concernent une même affaire.
De même, le fait que la majorité des témoignages recueillis soient anonymes n'exclut pas l'existence d'une base factuelle suffisante dans un domaine aussi sensible que celui des infractions à caractère sexuel, dans lequel les victimes et témoins sont souvent réticents à renoncer à leur anonymat.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a donc lieu de considérer que Mme [P], qui n'est pas une professionnelle du journalisme, a procédé à suffisamment de recoupements et qu'elle disposait d'une base factuelle suffisante pour tenir les propos litigieux à l'encontre de M. [V].
Sur la prudence et la mesure dans l'expression
Mme [P] estime qu'au regard du contexte militant dans lequel s'inscrivent ses propos, ils ont été rédigés dans un ton mesuré, sans verser dans l'attaque personnelle, la grossièreté ou l'outrance. Elle considère que les imputations en cause ont été réalisées avec la prudence requise, dans la mesure où elles étaient en adéquation avec les informations dont elle disposait. Elle affirme encore avoir rappelé à deux reprises l'application de la présomption d'innocence.
La Cour de cassation juge que la nécessité de faire respecter le principe de la présomption d'innocence requiert une exigence particulière de prudence dans l'expression (voir notamment en ce sens Cass. crim., 23 novembre 2010, no 10-81.847).
Force est de constater que Mme [P] n'a employé aucune précaution de langage dans ses publications des 16 mai, 14 et 15 juin 2022. Elle affirme sans nuances que M. [V] « a harcelé, agressé et violé plusieurs femmes » et le qualifie d'« agresseur ». En écrivant « on met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité », Mme [P] ne rappelle pas le principe de la présomption d'innocence, mais ironise sur son application à M. [V] en laissant sous-entendre qu'une présomption de « culpabilité » pourrait être plus pertinente.
C'est donc à bon droit que le premier juge a relevé le caractère péremptoire des propos tenus par Mme [P], l'absence de mesure attendue au regard de la sensibilité du sujet et l'absence de rappel du principe fondamental de la présomption d'innocence, qu'il a estimé d'autant plus nécessaire au regard de la gravité des faits dénoncés et du média choisi, qui facilite la diffusion desdits propos.
Ni le contexte militant dans lequel les propos diffamatoires s'inscrivent, ni la souplesse requise par la jurisprudence de la Cour de cassation dans l'appréciation de la condition de prudence et mesure dans l'expression lorsque les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ' au demeurant contrebalancée par la rigueur exigée lorsqu'il est nécessaire de faire respecter le principe de la présomption d'innocence ' ne permettent d'aboutir à une appréciation différente.
Mme [P] échoue donc à démontrer que les propos diffamatoires aient été exprimés avec prudence et mesure.
Ainsi, sans qu'il ne soit nécessaire de se prononcer sur l'absence d'animosité personnelle, dernière condition requise, il convient de retenir que c'est à bon droit que le premier juge a écarté l'exception de bonne foi invoquée par Mme [P].
Sur la liberté d'expression
C'est enfin en vain que Mme [P] se fonde, à titre infiniment subsidiaire, sur l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour alléguer que les publications litigieuses ne dépasseraient pas les limites de la liberté d'expression en présence d'un sujet d'intérêt général.
L'incidence de cette liberté fondamentale et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le régime juridique de la diffamation a été spécifiquement prise en compte par la Cour de cassation dans la définition et l'appréciation des conditions de l'exception de bonne foi, de sorte que la liberté d'expression ne saurait être utilement invoquée pour justifier une diffamation lorsque les conditions de cette exception ne sont pas remplies.
Au regard de l'ensemble de ces considérations, Mme [P] sera donc condamnée à réparer les préjudices subis de son fait par M. [V].
Sur la réparation des préjudices de M. [V]
Sur le lien de causalité
M. [V] fait grief au jugement attaqué d'avoir considéré que Mme [P] n'était que partiellement responsable de ses préjudices. Il fait valoir qu'aucune publication antérieure à celles de Mme [P] ne l'a jamais mis en cause nommément.
Il ressort cependant des pièces produites par Mme [P] que les rumeurs concernant M. [V] étaient connues dans le milieu du vin naturel au moins dès le mois de janvier 2022, que ses vins ont été retirés de la vente par son importateur danois [Y] & [Y] dès le 19 janvier 2022 et que son nom a été cité pour la première fois sur le réseau social Instagram dans un commentaire posté en-dessous de la publication de Mme [U] [JF] du 27 février 2022.
Il convient en particulier de relever que M. [V] a reconnu lui-même être la personne visée par les rumeurs circulant sur les réseaux sociaux dans son communiqué du 25 avril 2022 envoyé à ses partenaires commerciaux, soit plus de trois semaines avant la première publication de Mme [P].
Par ailleurs, la publication de Mme [P] du 16 mai 2022 consistait à partager une photographie d'un panneau d'affichage devant une cave à vins de [Localité 7] comportant des accusations à l'encontre de M. [V], qui ont donc nécessairement été exprimées par une personne tierce avant que Mme [P] ne partage cette image.
Dans ce contexte, il convient de relativiser la portée des courriers produits par M. [V] émanant de ses contacts professionnels mentionnant qu'ils ont eu connaissance des faits diffamatoires par le biais (notamment) du compte @paye-tonpinard.
N'ayant que partiellement contribué à la survenance des dommages de M. [V], Mme [P] ne pourra donc être tenue qu'à l'indemnisation partielle de ses préjudices, dans les proportions déterminées ci-après.
En réponse aux développements de M. [V] relatifs au comportement de Mme [P], il convient enfin de rappeler que la gravité de la faute commise par l'auteur du fait dommageable est sans incidence sur l'appréciation du préjudice de la victime.
Sur le préjudice moral
M. [V] sollicite l'infirmation du jugement attaqué en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 1 500 euros et demande à la cour de condamner Mme [P] à lui payer la somme de 20 000 euros à ce titre.
Il soutient que la violence des accusations portées à son encontre, relayées sur internet pendant plusieurs mois par des personnes qui ne le connaissent pas, lui a causé un préjudice psychologique important et a aussi touché sa compagne et ses enfants.
Mme [P] rappelle à juste titre que M. [V] est le seul demandeur dans la présente procédure, en conséquence de quoi il est irrecevable à solliciter la prise en compte dans le cadre de l'évaluation de son propre préjudice, des éventuels préjudices moraux subis par sa compagne et ses enfants.
M. [V] ne produit, pas plus à hauteur de cour qu'en première instance, d'élément de nature médicale permettant d'apprécier l'étendue de son préjudice moral.
Ce nonobstant, le premier juge a justement retenu, sur la base des attestations de MM. [N] [I] et [D] [K], l'existence d'un retentissement important des propos diffamatoires sur le moral de M. [V], lié à l'atteinte à son honneur et à sa réputation.
Eu égard à la contribution seulement partielle de Mme [P] à la survenance du dommage de M. [V], c'est à bon droit que le tribunal a limité sa condamnation en paiement de dommages-intérêts à la somme de 1 500 euros.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
Sur le préjudice matériel
M. [V] forme appel incident sur le montant de dommages-intérêts octroyé en réparation de son préjudice matériel et sollicite la condamnation de Mme [P] à lui payer la somme de 260 000 euros à ce titre.
Il expose que ses ventes de vin se sont effondrées à compter du mois de juin 2022 à la suite des publications diffamatoires de Mme [P]. Il fait valoir que les ventes non réalisées sont définitivement perdues et qu'il n'est pas certain que la clientèle revienne vers ses vins. Il conteste que la baisse de son activité s'explique par la conjoncture du marché viticole, exposant que les volumes exportés dans l'appellation Sancerre ont augmenté de 3 % entre 2022 et 2023 et sont quasiment stables sur le marché national.
Mme [P] pointe la carence probatoire de M. [V], qui ne verse que trois documents comptables pour justifier du lien entre sa mise en cause publique et la baisse de son chiffre d'affaires. Elle soutient que le monde viticole connaît une crise économique depuis de nombreuses années, en lien avec les aléas climatiques et le contexte économique mondial dégradé. Elle en conclut que son préjudice est sans lien avec les publications litigieuses.
Pour justifier de son préjudice, M. [V] produit des tableaux d'analyse des ventes pour la période de janvier 2019 à septembre 2023 certifiés par le cabinet d'expertise comptable Fiducial Expertise, qui font apparaître que son chiffre d'affaires était de 1 054 212 euros en 2019, 926 329 euros en 2020, 1 108 320 euros en 2021, 737 094 euros en 2022 et 331 466 euros pour les neuf premiers mois de 2023.
Son chiffre d'affaires a été particulièrement bas en avril, juin, juillet, octobre et décembre 2022 par rapport aux trois années précédentes, mais présente des niveaux comparables pour les autres mois de l'année 2022.
M. [V] a subi une perte moyenne de chiffre d'affaires de 1 416 euros en mai 2022, 68 780 euros en juin 2022, 98 381 euros en juillet 2022 et 292 192 euros sur l'année complète.
Il convient cependant de remarquer qu'il s'abstient de produire son chiffre d'affaires pour les trois derniers mois de l'année 2023 ainsi que pour les premiers mois de 2024, de même que des indicateurs plus représentatifs, tels que le résultat net, pour l'appréciation de son préjudice économique.
En outre, il ne peut être exclu qu'une partie de la baisse de chiffre d'affaires soit due à des circonstances extérieures aux rumeurs ayant circulé au sujet de M. [V], en particulier s'agissant de l'année 2023, le premier juge ayant justement retenu que l'absence de production d'une expertise financière par l'intimé empêchait de déterminer avec certitude les causes de la baisse de chiffre d'affaires et, plus particulièrement, dans quelles proportions elle serait imputable aux publications diffamatoires de Mme [P].
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et à la contribution seulement partielle de Mme [P] à la survenance du dommage de M. [V], il convient de fixer le montant des dommages-intérêts dus en réparation de son préjudice économique à la somme de 25 000 euros.
Le jugement entrepris sera ainsi infirmé de ce chef, et Mme [P] condamnée à verser cette somme à M. [V].
Sur la publication d'un communiqué judiciaire
M. [V] sollicite enfin la condamnation de Mme [P] à publier sur la page d'accueil du compte @paye-tonpinard le communiqué judiciaire suivant : « Par arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du (date de l'arrêt), Mme [B] [P] a été jugée responsable de publications diffamatoires émises à l'encontre de M. [AD] [V] pour l'avoir accusé d'avoir commis des crimes et délits de nature sexuelle », placé sous le titre « Condamnation judiciaire de Mme [B] [P] à la demande de M. [AD] [V] » rédigé en majuscules et en caractères gras de police 13, dans les huit jours suivant la signification à personne de l'arrêt et pendant une durée de deux mois.
Il soutient que le parallélisme des formes, consistant en la publication d'un communiqué judiciaire sur le compte Instagram de Mme [P], est nécessaire à la réparation intégrale de ses préjudices.
Eu égard au fait que les publications litigieuses ont été retirées du compte Instagram @paye-tonpinard au jour du prononcé du présent arrêt, la cour estime que le préjudice subi par M. [V] a été intégralement réparé par l'octroi de dommages-intérêts, sans qu'il ne soit plus nécessaire d'ordonner la publication d'un communiqué judiciaire.
De manière surabondante, le premier juge a pertinemment retenu que cette publication ne serait pas opportune eu égard à la forte médiatisation du procès.
Le jugement attaqué sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de cette demande.
Sur la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive
Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, Mme [P] formule une demande reconventionnelle en cause d'appel par laquelle elle sollicite la condamnation de M. [V] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Dans la mesure néanmoins où M. [V] a obtenu gain de cause en première instance et en appel, Mme [P] échoue à caractériser à son encontre un abus de son droit d'ester en justice.
Il convient en conséquence de la débouter de sa demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance.
Partie succombante, Mme [P] sera condamnée aux dépens d'appel.
M. [V] sera débouté de sa demande tendant à voir juger que les dépens comprendront le coût des constats d'huissier de justice dressés à sa requête les 16 juin, 1er juillet, 17 août, 9 août, 19 août 2022 et 29 novembre 2023, en ce que ces constats n'ont pas été ordonnés judiciairement.
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance, afin que les frais d'huissier de justice qui seront pris en charge au titre de l'article 700 du code de procédure civile soient précisément définis.
Mme [P] sera condamnée à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, en ce compris les frais des seuls constats d'huissier de justice dressés à la requête de M. [V] les 16 juin et 1er juillet 2022.
L'issue de la procédure et l'équité commandent enfin de la condamner à payer à M. [V] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de la débouter de sa propre demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a condamné Mme [B] [P] à payer à M. [AD] [V] la somme de 24 421 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique, au regard d'une responsabilité arrêtée à 25 % des pertes subies, et à lui verser une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont les frais d'huissier engagés,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DÉCLARE recevable l'offre de preuve signifiée par Mme [B] [P] à M. [AD] [V] le 16 août 2022 au titre de l'exception de vérité,
CONDAMNE Mme [B] [P] à payer à M. [AD] [V] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique,
DÉBOUTE Mme [B] [P] de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE Mme [B] [P] aux dépens de l'instance d'appel,
CONDAMNE Mme [B] [P] à payer à M. [AD] [V] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, en ce compris les frais des constats d'huissier de justice dressés à la requête de M. [AD] [V] les 16 juin et 1er juillet 2022,
CONDAMNE Mme [B] [P] à payer à M. [AD] [V] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
DÉBOUTE Mme [B] [P] de sa propre demande à ce titre.
En l'absence du Président empêché, l'arrêt a été signé par M-M. CIABRINI, Conseiller la plus ancien ayant participé au délibéré et par Mme MAGIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Conseiller,
S.MAGIS M-M. CIABRINI