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22/08/2024 | FRANCE | N°23/00666

France | France, Cour d'appel de Bourges, 1ère chambre, 22 août 2024, 23/00666


SM/MMC













































































COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- SCP ROUAUD & ASSOCIES

- SCP AVOCATS CENTRE



Expédition TJ



LE : 22 AOUT 2024

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 22 AOUT 2024


>N° - Pages







N° RG 23/00666 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DSC2



Décision déférée à la Cour :

Jugementdu tribunal judiciaire de BOURGES en date du 31 Mai 2023



PARTIES EN CAUSE :



I - Mme [X] [G]

née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 1]



- M. [C] [G]

né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 10]

[Adresse 8]

[Localité 3]
...

SM/MMC

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- SCP ROUAUD & ASSOCIES

- SCP AVOCATS CENTRE

Expédition TJ

LE : 22 AOUT 2024

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 22 AOUT 2024

N° - Pages

N° RG 23/00666 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DSC2

Décision déférée à la Cour :

Jugementdu tribunal judiciaire de BOURGES en date du 31 Mai 2023

PARTIES EN CAUSE :

I - Mme [X] [G]

née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 1]

- M. [C] [G]

né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 10]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentés par la SCP ROUAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

APPELANTS suivant déclaration du 30/06/2023

INCIDEMMENT INTIMÉS

II - S.A. MATMUT PROTECTION JURIDIQUE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:

[Adresse 6]

[Localité 7]

N° SIRET : 423 49 9 3 91

Représentée par la SCP AVOCATS CENTRE, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

INTIMÉE

INCIDEMMENT APPELANTE

22 AOUT 2024

N° /2

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CIABRINI, Conseillère chargée du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre

M. Richard PERINETTI Conseiller

Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseillère

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSE

En janvier 2018, Mme [X] [G] accueillait deux enfants mineures, en sa qualité d'assistante familiale, dans le cadre d'un contrat de travail conclu avec le conseil départemental du Val-de-Marne. Les deux enfants lui ont été retirées le 25 janvier 2018.

Le 23 mai 2018, son agrément lui a été retiré par le président du conseil départemental du Cher. Elle a de ce fait été licenciée par le conseil départemental du Val-de-Marne.

M. et Mme [G] ont alors mobilisé leur assurance protection juridique, la société Matmut protection juridique, afin d'exercer un recours gracieux à l'encontre de la décision du président du conseil départemental du Cher.

La Matmut protection juridique a procédé à un recours gracieux, le 18 juillet 2018, à l'encontre de la décision de retrait d'agrément et de la décision de licenciement.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 12 septembre 2018 adressée à la Matmut protection juridique, le conseil départemental du Cher a rejeté le recours introduit par le mandataire de Mme [G]. La société Matmut protection juridique n'a pas informé cette dernière de cette décision de rejet.

Supposant que son recours avait fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 21 septembre 2018, Mme [G] a saisi le tribunal administratif d'Orléans en contestation de la décision du conseil départemental du Cher, le 21 novembre 2018, Mme [G] a appris, le 5 février 2019, le rejet de sa requête au motif que le délai de recours contentieux avait expiré le 15 novembre 2018 et non le 22 novembre, ainsi qu'elle l'avait supposé, du fait de la notification à la Matmut protection juridique d'une décision explicite de rejet, le 14 septembre précédent.

Suivant acte d'huissier en date du 21 décembre 2020, M. et Mme [G] ont fait assigner la société Matmut protection juridique devant le tribunal judiciaire de Bourges aux fins de voir, en l'état de leurs dernières demandes,

prononcer la responsabilité de la société Matmut protection juridique à l'égard de Mme [X] [G] et de M. [C] [G],

condamner la SA Matmut protection juridique à payer à M. et Mme [G] la somme de 200.000 euros au titre de la perte de chance qu'ils ont subie,

condamner la SA Matmut protection juridique à payer à M. et Mme [G] la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral,

condamner la SA Matmut protection juridique à payer à M. et Mme [G] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la SA Matmut protection juridique aux entiers dépens.

En réplique, la société Matmut protection juridique a demandé au tribunal de :

à titre principal,

juger que M. [C] [G] et Mme [X] [G] n'avaient subi ou ne subissaient aucun préjudice réparable suite à la non communication du courrier du conseil départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

en conséquence,

juger que la société Matmut protection juridique n'engageait pas sa responsabilité civile,

débouter M. et Mme [G] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la Matmut protection juridique,

mettre hors de cause la société Matmut protection juridique,

subsidiairement,

juger que Mme [X] [G] ne justifiait pas du montant du préjudice financier qu'elle subirait en lien avec la non communication du courrier du conseil départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

juger que M. et Mme [G] ne justifiaient pas de l'existence d'un préjudice moral en lien avec la non communication du courrier du conseil départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

en conséquence,

débouter les époux [G] de leur demande visant à condamner la société Matmut protection juridique,

mettre hors de cause la Matmut protection juridique,

très subsidiairement,

juger que M. et Mme [G] n'avaient pas subi d'incidence professionnelle,

juger que M. et Mme [G] justifiaient d'un préjudice financier à hauteur de 5.334,60 euros sur la base d'un salaire annuel de 12.440 euros, un délai de délivrance d'agrément de quatre mois et une prime d'ancienneté de 36,234 euros,

fixer à 5.334,60 euros le préjudice financier de M. et Mme [G],

débouter M. et Mme [G] du surplus,

en tout état de cause,

condamner M. et Mme [G] à payer à la Matmut protection juridique la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 31 mai 2023, le tribunal judiciaire de Bourges a :

dit que la Matmut protection juridique avait commis une faute en ne communiquant pas à Mme [G] la décision de rejet explicite prise le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher ;

dit que cette non communication n'avait pas eu de répercussion au titre de la perte de chance pour Mme [G] d'obtenir l'annulation de la décision prise par le président du conseil départemental du Cher ;

débouté M. et Mme [G] de leur demande de réparation au titre du préjudice financier qu'aurait subi Mme [G] ;

dit que la non communication par la Matmut protection juridique à Mme [G] de la décision prise le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher avait eu un retentissement d'ordre moral sur Mme et M. [G] ;

dit que M. et Mme [G] avaient subi un préjudice moral en lien direct avec la non communication par la Matmut protection juridique de la décision prise le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher ;

condamné la Matmut protection juridique à payer à Mme [X] [G] et à M. [C] [G] la somme globale de 6.000 euros en réparation de leur préjudice moral ;

condamné la Matmut protection juridique à payer aux époux [G] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

condamné la Matmut protection juridique aux entiers dépens.

Le tribunal a notamment retenu que le défaut de communication par la société Matmut protection juridique de la décision de rejet du recours gracieux formé devant le président du conseil départemental du Cher avait amené Mme [G] à supposer que le délai de recours contentieux expirerait à une date plus tardive qu'en réalité, qu'elle avait de ce fait été privée de la possibilité de faire valoir son argumentation visant à être rétablie dans ses fonctions d'assistante familiale par l'effet de l'annulation espérée de la décision du 23 mai 2018, que ce défaut de communication caractérisait une légèreté fautive de l'assureur, que toutefois, au vu des circonstances ayant entouré la décision de retrait d'agrément, la chance de voir ses demandes accueillies dont Mme [G] avait été privée était infime, voire nulle, que le préjudice financier subi par Mme [G] résultait du retrait d'agrément et non de la privation de son droit à un recours contentieux, que la négligence commise par la société Matmut protection juridique avait entraîné des répercussions d'ordre moral sur M. et Mme [G], liées au désarroi issu de la privation de cette dernière de son droit effectif d'ester en justice.

M. et Mme [G] ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 30 juin 2023.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 21 mars 2024, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'ils développent, M. et Mme [G] demandent à la Cour de :

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que cette non communication n'a pas eu de répercussion au titre de la perte de chance pour Mme [G] d'obtenir l'annulation de la décision prise par le Président du Conseil départemental du Cher et débouté les consorts [G] de leur demande en réparation au titre du préjudice financier qu'aurait subi les consorts [G],

Le réformant et statuant à nouveau :

Condamner la SA Matmut protection juridique à payer à Mme [X] [G] et à M. [C] [G] la somme de 200 000€ au titre de la perte de chance subie par les demandeurs,

Confirmer le jugement pour le surplus,

Débouter la SA Matmut protection juridique de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la SA Matmut protection juridique à payer à Mme [X] [G] et à M. [G] la somme de 2 500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la SA Matmut protection juridique aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 décembre 2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la société Matmut protection juridique demande à la Cour de :

A titre principal

' Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Bourges en date du 31 mai 2023 (RG N°21/00057) entrepris en toutes ses dispositions,

Subsidiairement

' Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que Mme [X] [G] ne justifie pas du montant du préjudice financier qu'elle subirait en lien avec la non-communication du courrier du Conseil Départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

' Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Matmut à verser aux époux [G] la somme de 6 000 € au titre d'un retentissement moral.

' Juger que M. [C] [G] et Mme [X] [G] ne justifient pas de l'existence d'un préjudice moral en lien avec la non-communication du courrier du Conseil Départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

En conséquence,

' Débouter M. [C] [G] et Mme [X] [G] de leur demande visant à condamner la société Matmut Protection Juridique,

' Mettre hors de cause la société Matmut Protection Juridique,

Très subsidiairement, si la Cour réformait le jugement des chefs de préjudice,

' Juger que M. [C] [G] et Mme [X] [G] ne justifient pas de l'existence d'un préjudice moral en lien avec la non-communication du courrier du Conseil Départemental du Cher en date du 12 septembre 2018,

' Juger que M. [C] [G] et Mme [X] [G] n'ont pas subi d'incidence professionnelle,

' Juger que M. [C] [G] et Mme [X] [G] justifient d'un préjudice financier à hauteur de 5.334,60 € sur la base d'un salaire annuel net de 12.440 €, un taux de perte de chance de 50 %, un délai de délivrance d'agrément de quatre (4) mois et une prime d'ancienneté de 36,234 €,

' Fixer à 5.334,60 € le préjudice financier de M. [C] [G] et Mme [X] [G],

' Débouter M. [C] [G] et Mme [X] [G] du surplus,

En tout état de cause

' Condamner Mme [X] [G] et M. [C] [G] à payer à la société Matmut Protection Juridique la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

MOTIFS

Sur les demandes indemnitaires présentées par M. et Mme [G] :

Les articles 1103 et 1104 du code civil posent pour principe que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être exécutés de bonne foi.

L'article 1991 du même code énonce que le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

Il est tenu de même d'achever la chose commencée au décès du mandant, s'il y a péril en la demeure.

Sur la perte de chance

Il est constant que toute perte de chance ouvre droit à réparation (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 2ème, 20 mai 2020, n° 18-25.440).

En l'espèce, il est établi que Mme [G] a mandaté la société Matmut protection juridique aux fins d'engager un recours gracieux à l'encontre des décisions de retrait d'agrément et de licenciement qui lui avaient été notifiées les 23 mai et 6 juin 2018 par le président du conseil départemental du Cher, que le recours à l'encontre de la décision de retrait d'agrément a été rejeté par celui-ci suivant décision en date du 12 septembre 2018, que cette dernière décision a été communiquée à la société Matmut protection juridique le 14 septembre suivant et que celle-ci n'en a pas informé Mme [G].

Cette abstention a eu pour effet de laisser Mme [G] former la conviction que son recours avait fait l'objet d'un rejet implicite caractérisé par un silence gardé deux mois durant par l'administration, et qu'elle disposait de ce fait d'un délai de recours contentieux jusqu'au 22 novembre 2018.

Ayant saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une requête en contestation de la décision de retrait d'agrément, le 21 novembre 2018, Mme [G] a découvert à la lecture de la décision rendue par cette juridiction le 5 février 2019 que du fait de la notification de la décision de rejet de son recours, le 14 septembre 2018, à la société Matmut protection juridique, son délai pour initier un recours contentieux avait expiré le 15 novembre 2018.

La société Matmut protection juridique ne conteste pas s'être abstenue de communiquer à Mme [G] la décision de rejet de son recours gracieux prononcée le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher. Elle ne conteste au demeurant pas davantage en ses écritures le caractère fautif de l'abstention qui lui est reprochée (cf conclusions notifiées le 3 mai 2024, page 4) ni n'en explique le motif.

Cette abstention a directement amené Mme [G] à estimer, de façon légitime, qu'elle disposait d'un délai de recours contentieux expirant le 22 novembre 2018 et à déposer, le 21 novembre 2018, une requête en contestation qui ne pouvait qu'être jugée irrecevable comme ayant été formée hors délai par la juridiction administrative.

Le défaut de communication à Mme [G] de la décision de rejet de son recours gracieux a ainsi privé celle-ci de la possibilité de voir le tribunal administratif examiner le bien-fondé de sa contestation, ce qui caractérise une faute de la société Matmut protection juridique dans l'exécution du contrat qui la liait à l'intéressée, par lequel elle était supposée assurer sa protection juridique de manière générale et, en l'occurrence, exercer les recours nécessaires à l'encontre de la décision de retrait d'agrément. Le lien de causalité entre cette faute et le préjudice de Mme [G], consistant en une perte de chance de voir son recours soumis au tribunal administratif et, in fine, la décision de retrait d'agrément annulée, se trouve démontré.

L'appréciation de cette perte de chance impose de déterminer quelles auraient été les chances de succès de l'action en contestation de la décision de retrait d'agrément introduite par Mme [G] si elle avait effectivement pu être portée devant le tribunal administratif.

Eu égard à l'existence d'une enquête préliminaire mise en 'uvre sous l'autorité du procureur de la République à la suite de déclarations d'une fillette confiée à Mme [G] en sa qualité d'assistante familiale, dont il résultait que l'enfant avait mis en cause un membre de la famille de l'appelante pour avoir commis sur sa personne des violences de nature sexuelle, au déroulement de cette enquête du mois de janvier 2018 au 10 septembre 2021 et à l'impératif de protection et de préservation des conditions de vie des mineurs protégés, les chances pour Mme [G] de voir le tribunal administratif statuer au fond en sa faveur avant le classement sans suite de la procédure auraient été infimes. Il est en effet raisonnable d'envisager qu'un délai de 34 mois (de novembre 2018 à septembre 2021) aurait été suffisant pour permettre au tribunal administratif de statuer.

Il convient néanmoins de rappeler, d'une part, qu'il ne peut être estimé que de telles chances eussent été inexistantes et, d'autre part, que l'éventualité d'une annulation de la décision de retrait d'agrément pour irrégularité formelle ne saurait être écartée.

À la lumière de ces éléments, la perte de chance d'obtenir devant le tribunal administratif une annulation de la décision de retrait de son agrément peut être évaluée pour Mme [G] à hauteur de 5 % et ouvre de ce fait pour elle droit à indemnisation.

Il sera précisé, au regard de l'argumentation développée par Mme [G] selon laquelle le retrait de l'agrément ne s'était fondé que sur les déclarations de l'enfant sans élément complémentaire, que l'existence d'une enquête préliminaire constitue en elle-même un élément sérieux indiquant que de telles déclarations n'ont pas été considérées ab initio comme infondées ou fantaisistes dès leur recueil par les services administratifs de protection de l'enfance, qui ont procédé à leur examen avant d'en informer le procureur de la République.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est avancé par Mme [G], le président du conseil départemental du Cher n'avait pas la possibilité de prolonger la suspension de son agrément plutôt que d'en ordonner le retrait, l'article R421-24 du code de l'action sociale et des familles énonçant en son second alinéa que la décision de suspension d'agrément fixe la durée pour laquelle elle est prise qui ne peut en aucun cas excéder une période de quatre mois, durée qui se trouve rappelée par l'article L423-28 du même code. Aucun texte dudit code ne prévoit la possibilité pour le président du conseil départemental de prolonger la suspension d'agrément au-delà de quatre mois.

Il y a lieu dès lors d'apprécier le préjudice subi par Mme [G] du fait de cette perte de chance.

Il est raisonnable d'évaluer à 18 mois à compter de la requête le délai qu'aurait mis le tribunal administratif à statuer sur le recours à l'encontre de la décision de retrait d'agrément qui aurait pu être introduit par Mme [G]. La décision de la juridiction administrative serait donc intervenue au mois de mai 2020.

Compte tenu du délai d'obtention d'un nouvel agrément d'assistante familiale, dont les pièces produites démontrent qu'il est délivré par l'administration dans un délai de quatre mois à compter du dépôt d'un dossier complet par la demanderesse, et de la possibilité qu'avait Mme [G] de procéder normalement à un tel dépôt sans pouvoir se voir opposer de motifs spécifiques de refus à compter du classement sans suite de la procédure pénale le 10 septembre 2021, il sera estimé que la période durant laquelle Mme [G] aurait pu de nouveau percevoir un salaire en qualité d'assistante familiale en cas de décision favorable du tribunal administratif s'étend sur une durée de 20 mois.

Le montant global des salaires qu'elle aurait pu percevoir durant cette période s'élève à 31.304,40 euros, étant précisé que l'indemnité d'entretien n'est versée à l'assistante familiale qu'en cas d'accueil effectif de mineurs à son domicile et qu'il ne peut être établi que Mme [G] se serait effectivement vu confier des enfants par le conseil départemental, même après l'annulation de la décision de retrait d'agrément, dès lors que l'enquête pénale aurait toujours suivi son cours. Ce montant comprend en revanche celui de la majoration d'ancienneté qu'elle percevait pour un montant mensuel de 58,56 euros.

L'application à ce montant du pourcentage de perte de chance retenu ci-dessus, soit 5 %, permet de déduire que la société Matmut protection juridique, en raison de la faute qu'elle a commise dans l'exécution de son contrat de protection juridique, est redevable envers M. et Mme [G] de la somme de 1.565,22 euros au titre du préjudice lié à la perte de revenus subie par l'intéressée.

Si Mme [G] invoque un préjudice d'« incidence professionnelle » issu des perturbations à venir dans le calcul de ses droits à la retraite du fait de l'existence de plusieurs années d'inactivité consécutives au retrait de son agrément, qu'elle chiffre à hauteur de 100.000 euros, aucune des pièces produites ne permet de procéder à l'évaluation chiffrée de ce préjudice. La demande présentée par M. et Mme [G] sur ce point sera donc rejetée.

Il sera en outre indiqué que bien que Mme [G] affirme que le calcul de son ancienneté serait remis à zéro en cas de délivrance d'un nouvel agrément d'assistante familiale, la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, applicable selon son article 1er aux assistants familiaux, prévoit en son article 38 la prise en compte de l'intégralité de l'ancienneté acquise dans les emplois antérieurs soumis à la même convention en cas de nouvelle embauche par un autre établissement ou organisme. L'existence d'un tel préjudice n'est ainsi pas démontrée.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le défaut de communication de la décision de rejet du recours gracieux par la société Matmut protection juridique n'avait pas eu de répercussion au titre de la perte de chance pour Mme [G] d'obtenir l'annulation de la décision prise par le président du conseil départemental du Cher et débouté M. et Mme [G] de leur demande de réparation au titre du préjudice financier qu'aurait subi Mme [G]. La société Matmut protection juridique sera condamnée à verser à M. et Mme [G] la somme de 1.565,22 euros en réparation de leur préjudice matériel.

Sur le préjudice moral

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la négligence fautive commise par la société Matmut protection juridique a privé Mme [G] de son droit effectif d'ester en justice et d'accéder à un juge aux fins de faire valoir ses explications et ses demandes, alors même que le contrat qui les liait avait pour objet la protection juridique des assurés et la facilitation de leur accès au droit et à la justice.

Contrairement en revanche à ce qu'a retenu le tribunal, les chances pour Mme [G] de voir son recours aboutir n'étaient pas nulles mais très réduites, ainsi qu'il a été précédemment démontré. Le préjudice moral subi par M. et Mme [G] s'en trouve d'autant plus établi.

En outre, M. et Mme [G] soulignent à juste titre la mauvaise foi dont a pu faire preuve la société Matmut protection juridique qui leur a expressément déclaré n'avoir jamais reçu la décision de rejet du recours gracieux, alors même que son propre tampon a été appliqué sur l'avis de réception du pli de notification de cette décision.

La prise en compte de l'ensemble de ces éléments conduit à confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la non-communication par la société Matmut protection juridique à Mme [G] de la décision prise le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher avait eu un retentissement d'ordre moral sur M. et Mme [G], dit que ces derniers avaient subi un préjudice moral en lien direct avec ce défaut de communication et condamné la société Matmut protection juridique à payer à M. et Mme [G] la somme globale de 6.000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Sur l'article 700 et les dépens :

L'équité et la prise en considération de l'issue du litige commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Matmut protection juridique, qui succombe pour partie en ses prétentions, à verser à M. et Mme [G] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. La société Matmut protection juridique sera pour sa part déboutée de la demande qu'elle forme à ce titre.

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. Au vu de l'issue du litige déterminée par la présente décision, il y a lieu de condamner la société Matmut protection juridique à supporter la charge des dépens de l'instance d'appel.

Le jugement entrepris sera enfin confirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME partiellement le jugement rendu le 31 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Bourges en ce qu'il a :

dit que la non-communication à Mme [G] de la décision de rejet explicite prise le 12 septembre 2018 par le président du conseil départemental du Cher n'avait pas eu de répercussion au titre de la perte de chance pour Mme [G] d'obtenir l'annulation de cette décision ;

débouté M. et Mme [G] de leur demande de réparation au titre du préjudice financier qu'aurait subi Mme [G] ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;

Et statuant de nouveau des chefs infirmés,

DIT que le défaut de communication à Mme [G] de la décision de rejet de son recours gracieux a privé celle-ci de la possibilité de voir le tribunal administratif examiner le bien-fondé de sa contestation ;

FIXE à hauteur de 5 % la perte de chance d'obtenir devant le tribunal administratif une annulation de la décision de retrait de Mme [G] ;

CONDAMNE la société Matmut protection juridique à verser à M. et Mme [G] la somme de 1.565,22 euros en réparation de leur préjudice matériel

Et y ajoutant,

CONDAMNE la société Matmut protection juridique à verser à M. et Mme [G] la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Matmut protection juridique aux entiers dépens de l'instance d'appel.

En l'absence du Président empêché, l'arrêt a été signé par M-M CIABRINI, Conseiller la plus ancien ayant participé au délibéré et par Mme MAGIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,

S.MAGIS M-M CIABRINI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/00666
Date de la décision : 22/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-22;23.00666 ?
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