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19/07/2024 | FRANCE | N°23/01046

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 19 juillet 2024, 23/01046


SD/EC





N° RG 23/01046

N° Portalis DBVD-V-B7H-DTBK





Décision attaquée :

du 05 octobre 2023

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







--------------------





S.A.S.U. SEMM LOGGING





C/



Mme [N] [T]









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Expéd. - Grosse



Me FOURCADE 19.7.24



Me PEPIN 19.7.24











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COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 19 JUILLET 2024



N° 86 - 17 Pages





APPELANTE :



S.A.S.U. SEMM LOGGING

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Antoine FOURCADE de la SELARL ARÈNES AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES









INTIMÉE :
...

SD/EC

N° RG 23/01046

N° Portalis DBVD-V-B7H-DTBK

Décision attaquée :

du 05 octobre 2023

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES

--------------------

S.A.S.U. SEMM LOGGING

C/

Mme [N] [T]

--------------------

Expéd. - Grosse

Me FOURCADE 19.7.24

Me PEPIN 19.7.24

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 19 JUILLET 2024

N° 86 - 17 Pages

APPELANTE :

S.A.S.U. SEMM LOGGING

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Antoine FOURCADE de la SELARL ARÈNES AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

Madame [N] [T]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Présente, assistée de Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme CHENU, conseiller rapporteur

en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CHENU, conseillère

Arrêt n° 86 - page 2

19 juillet 2024

DÉBATS : À l'audience publique du 07 juin 2024, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 19 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 19 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :

La SASU SEMM Logging, spécialisée dans le secteur de l'ingénierie et des études techniques, notamment de la diagraphie, employait moins de 11 salariés au jour de la rupture du contrat de travail. Elle applique la convention collective des bureaux d'étude technique.

À compter du 1er janvier 2003, Mme [N] [T], née le 15 mars 1973, a été engagée par cette société dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en date du 30 décembre 2002, en qualité d'ingénieur géophysicienne, niveau 2, échelon 1, coefficient 115 pour une rémunération brut mensuelle de 2 100 euros, contre 35 heures de travail hebdomadaire.

Les parties s'accordent sur une reprise d'ancienneté au 11 février 2002.

Selon acte de cession en date du 13 août 2021, M. [L] et Mme [T] ont cédé les parts qu'ils détenaient dans cette société, représentant l'intégralité du capital social, à M. [H].

Malgré cette cession, les relations contractuelles se sont poursuivies et Mme [T] percevait, en dernier lieu, un salaire mensuel de base de 6 505,17 euros, pour 151,67 heures mensuelles, outre 17,33 euros supplémentaires majorées à 25%, en qualité de directrice commerciale.

Par lettre remise en main propre contre décharge en date du 30 novembre 2021, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, initialement fixé au 7 décembre et qui s'est déroulé le 10 décembre 2021, à l'issue duquel l'employeur lui a remis un courrier énonçant le motif économique et une proposition de contrat de sécurisation professionnelle (CSP), qu'elle a acceptée le 27 décembre 2021.

Réclamant le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail, contestant la réalité du motif économique de son licenciement et invoquant le manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, Mme [T] a saisi, le 7 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Bourges, section encadrement.

Par jugement en date du 13 avril 2023, ce dernier a rejeté la demande formulée par la SASU SEMM Logging visant à voir écarter des débats les pièces n°1 et 22 de la salariée et a ordonné aux parties de produire aux débats les contrats de travail et avenants antérieurs et postérieurs à la cession de la société.

Par jugement en date du 5 octobre 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, ce même conseil de prud'hommes a :

- débouté Mme [T] de sa demande de communication du contrat de cession, celui-ci ayant été fourni,

- jugé le licenciement de Mme [T] sans cause réelle et sérieuse,

- fixé le salaire moyen de Mme [T] à la somme de 8 555,17 euros,

Arrêt n° 86 - page 3

19 juillet 2024

- condamné la SASU SEMM Logging à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 7 611,58 euros de rappel de salaire au titre de la revalorisation du salaire de base de 25 %, outre 761,16 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 093,36 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre 209,34 euros au titre des congés payés afférents,

- 13 468,43 euros au titre de complément d'indemnités de licenciement,

- 28 000 euros au titre des dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SASU SEMM Logging à remettre à Mme [T] une nouvelle attestation Pôle emploi conforme dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement,

- condamné la SASU SEMM Logging à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,

- débouté la SASU SEMM Logging de toutes ses demandes,

- condamné la SASU SEMM Logging aux entiers dépens.

Le 3 novembre 2023, par voie électronique, la SASU SEMM Logging a régulièrement relevé appel de cette décision, laquelle lui avait été notifiée le 9 octobre 2023 (procédure enregistrée au répertoire général sous le numéro 23/1046).

Le 6 novembre 2023, par voie électronique, Mme [T] a régulièrement relevé appel de cette décision, laquelle lui avait été notifiée le 9 octobre 2023 (procédure enregistrée au répertoire général sous le numéro 23/1056).

Par ordonnance du 17 avril 2024, la présidente de chambre chargée de la mise en état a ordonné la jonction des procédures respectivement enregistrées sous les numéros 23/1056 et 23/1046 et dit qu'elles se poursuivraient sous ce dernier numéro.

Par ordonnance de référé du 27 février 2024, le premier président de la cour d'appel de Bourges a notamment déclaré irrecevable la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du conseil de prud'hommes de Bourges du 5 octobre 2023 formée par la SASU SEMM Logging, et autorisé cette dernière à consigner la somme de 24 143,87 euros auprès de la Caisse des dépôts et consignations dans le délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance pour garantir le montant de la condamnation prononcée à son encontre.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2024 aux termes desquelles la SASU SEMM Logging demande à la cour de :

- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté Mme [T] de sa demande de communication du contrat de cession, le contrat de cession ayant été fourni,

- in limine litis, écarter des débats le contrat de cession d'actions régularisé en date du 13 août 2021 et communiqué par cette dernière ainsi que sa pièce n°22 et d'en tirer toutes les conséquences,

- en tout état de cause, infirmer la décision querellée en ce qu'elle :

- a jugé le licenciement de Mme [T] sans cause réelle et sérieuse et fixé son salaire moyen à la somme de 8 555,17 euros,

- l'a condamnée à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

o 7 611,58 euros à titre de rappel de salaire pour revalorisation du salaire de base de 25%, outre 761,16 euros au titre des congés payés afférents,

o 2 093,36 euros à titre de rappels de salaire pour heures supplémentaires, outre 209,34 euros au titre des congés payés afférents,

o 13 468,43 euros à titre de complément d'indemnités de licenciement,

Arrêt n° 86 - page 4

19 juillet 2024

- l'a condamnée à payer Mme [T] la somme de 28 000 à titre des dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à lui remettre une nouvelle attestation Pôle emploi conforme dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement,

- l'a condamnée à verser à Mme [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a déboutée de toutes ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens.

- confirmer, pour le surplus, le jugement déféré et notamment en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande au titre des heures travaillées pendant les congés et des congés payés afférents, au titre des jours de récupération (SD) ainsi que d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,

- statuant à nouveau, débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre plus subsidiaire, si la cour d'appel entrait en voie de condamnation à son encontre, dire que la rémunération brute mensuelle de Mme [T] est de 6 505,17 euros et la débouter de toutes les demandes formulées sur un salaire de référence contraire,

- débouter Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la ramener à une proportion moindre, soit la somme de 19 515,51 euros, correspondant à trois mois de salaire,

- subsidiairement, confirmer la décision déférée en ce qu'elle a alloué la somme de 28 000 euros à Mme [T],

- débouter Mme [T] du surplus de ses demandes et, le cas-échéant, ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées,

- y ajoutant et en tout état de cause, condamner Mme [T] à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les éventuels frais de commissaire de justice.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 mai 2024, aux termes desquelles Mme [T] demande à la cour de :

- rejeter la demande de la SASU SEMM Logging visant à voir écarter des débats l'acte de cession (Cf. pièce n°1) ainsi que sa pièce n°22,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SASU SEMM Logging à lui payer les sommes suivantes :

- 7 611,58 euros de rappel de salaire au titre de la revalorisation de salaire de base, outre 761,16 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 093,36 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents,

- 13 468,43 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des heures travaillées pendant les congés et des congés payés afférents, de sa demande au titre des jours de récupération et à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et en ce qu'il a limité le montant des dommages intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 28 000 euros,

- en conséquence, condamner la SASU SEMM Logging à lui payer les sommes suivantes :

- 961,66 euros à titre de rappel de salaire pour les heures travaillées pendant les congés et arrêt maladie, outre 96,17 euros au titre des congés afférents,

- 10 829,30 euros au titre du solde des jours de récupération,

- 128 327,55 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 25 665,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 566,55 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Arrêt n° 86 - page 5

19 juillet 2024

- condamner la SASU SEMM Logging à lui remettre une nouvelle attestation France Travail conforme à la décision à intervenir dans un délai de 8 jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- dire que la cour d'appel se réserve la possibilité de liquider ladite astreinte,

- débouter la SASU SEMM Logging de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la SASU SEMM Logging en tous les dépens ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 mai 2024 ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

MOTIFS :

1) Sur la demande visant au rejet des pièces n°1 et 22 produites par la salariée :

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, chaque partie doit prouver les faits qu'elle invoque conformément à la loi.

Il en résulte que même si la preuve est libre en matière prud'homale, son administration doit être loyale.

Cependant, la Cour de cassation a, par un revirement de jurisprudence, récemment jugé que lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entre en conflit avec d'autres droits et libertés, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.

Il en résulte donc que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats, le juge confronté à une telle demande devant apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit de la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Ass. Plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648).

En l'espèce, l'employeur demande à la cour d'écarter des débats les pièces n°1 et 22 de la salariée, à savoir le contrat de cession du 13 août 2021 et un échange de mails préparatoires à cette cession, en arguant de leur confidentialité.

Mme [T] réplique que cet acte de cession a un effet sur la relation contractuelle persistant entre elle et la société cédée. Elle considère donc que sa production, comme celle des échanges de mails antérieurs, est indispensable à la compréhension des débats et la preuve de sa qualité de salariée, et qu'il convient de rejeter la demande tendant à les voir écarter du débat.

Il est acquis que le paragraphe 6.5.1 de l'acte de cession du 13 août 2021 comporte une clause de confidentialité aux termes de laquelle les parties s'interdisent de divulguer tout ou partie du contrat à un tiers, quel qu'il soit, sans l'accord préalable des autres parties, jusqu'au 21 décembre 2026. Il n'est de même pas contesté que cette confidentialité s'étend aux échanges de mails préparatoires produits par la salariée en sa pièce n°22.

Pour autant, l'acte de cession précité, comme les mails préparatoires, formalisent, outre la

Arrêt n° 86 - page 6

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cession proprement dite de la SASU SEMM Logging, une série d'engagements réciproques entre cette dernière, en sa qualité d'employeur, et la salariée.

Seule la production de cet acte et des échanges préalables, permet à Mme [T] de démontrer le contenu de ses engagements et donc leurs éventuelles conséquences, que la cour d'appel doit apprécier, sur la relation contractuelle née du contrat de travail du 1er janvier 2003.

Au surplus, l'employeur ne détaille pas, ni ne justifie, de la sensibilité particulière des informations contenues dans les pièces litigieuses qui justifierait la protection d'un intérêt supérieur.

Il en résulte que la production des pièces n°1 et 22 de la salariée est indispensable à l' exercice par elle du droit de la preuve et que l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande visant au rejet des pièces n°1 et 22 produites par la salariée.

2) Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire pour majoration du salaire de base :

Le mode de rémunération d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié, ni dans son montant, ni dans sa structure, sans son accord.

En l'espèce, la SASU SEMM Logging s'oppose à la demande en paiement de rappel de salaire, et fait grief aux premiers juges d'y avoir fait droit, en soulignant qu'aucun engagement contractuel inhérent à la relation de travail n'est objectivé par la salariée.

Elle prétend à ce titre que Mme [T] n'a jamais réclamé cette augmentation de son salaire de base, ce d'autant qu'un avenant conditionnait les modifications envisagées dans le cadre de l'acte de cession, qui régit, selon elle, les seuls rapports entre le cédant et le cessionnaire.

Mme [T] invoque l'acte de cession du 13 août 2021 en relevant que la SASU SEMM Logging, dont le cessionnaire s'est porté fort, s'est expressément engagée, en sa qualité d'employeur, à augmenter sa rémunération de base de 25%.

Elle considère que cet acte concerne la relation contractuelle de travail dès lors qu'il entérine des engagements réciproques, tel que son engagement à poursuivre ses fonctions au sein de l'entreprise en qualité de directrice commerciale et l'augmentation de son salaire de base, sans que ceux-ci soient soumis à la condition d'établir un avenant.

Le paragraphe 6.3.1 de l'acte de cession intitulé 'situation de Mme [N] [T]', est ainsi rédigé :

' Mme [N] [T] est salariée de la Société en qualité d'Ingénieur Géophysicienne à temps complet.

Afin de faciliter la transition après la cession et aider à pérenniser l'activité de la société, Mme [N] [T] s'engage à poursuivre ses fonctions en tant que Directrice Commerciale de la Société pendant au moins vingt-quatre (24) mois à compter de la date de Réalisation. Dans ce cadre suivant, il est convenu qu'à compter du Jour de réalisation : - la rémunération (de base) de Mme [N] [T] sera augmentée de 25% ;

- Mme [N] [T] pourra bénéficier d'un temps partiel (50%) et rester en télétravail cinq jours par semaine ;

- elle assurera les déplacements liés à ses fonctions.

En outre, il sera prévu, dans un avenant au contrat de travail de Mme [N] [T], une clause de non-concurrence conclue pour une durée de 2 ans à compter de la cessation dudit contrat de travail ayant les mêmes caractéristiques que celles visées à l'article 6.3.2 a uniquement. (...)

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L'avenant au contrat de travail sera signé au plus tard le 31 octobre 2021 entre [N] [T] qui s'y engage et la Société, dont le Cessionnaire se porte fort.

L'avenant au contrat de travail inclura également une clause de non-démarchage'

Ainsi, en intégrant à l'acte de cession des engagements réciproques entre Mme [T] et la société SASU SEMM Logging, dont le cessionnaire s'est porté fort, affectant la relation issue du contrat de travail du 30 décembre 2002, les parties ont clairement accepté qu'il produise des effets juridiques sur la relation salariale.

Le mail de M. [H] en date du 31 août 2021 (pièce 26 de la salariée), par lequel il confirme l'accord intervenu sur la qualité de directrice commerciale accordée à Mme [T], confirme tant le principe de l'accord que ses conséquences effectives sur la relation contractuelle issue du contrat de travail du 30 décembre 2002.

L'engagement de l'employeur à procéder à une augmentation du salaire de base de la salariée étant acté, de même que l'accord de cette dernière, et alors même que le renvoi à la rédaction d'un avenant est limité par les parties à l'ajout de clauses de non-concurrence et de non-démarchage, il appartenait à l'employeur, sans autre formalité, de procéder au paiement de la rémunération due.

Le défaut de mise en oeuvre de la possibilité donnée par l'acte de cession à Mme [T] de bénéficier d'un temps partiel ne saurait conditionner l'application de l'engagement de l'employeur quant à l'augmentation de la rémunération invoquée, les deux n'étant pas conditionnés l'un à l'autre et les parties actant simplement d'une possibilité assortie d'aucune condition de délai s'agissant de l'évolution du temps de travail de la salariée.

Il en résulte que c'est exactement que les premiers juges ont fait droit à la demande de rappel de salaire présentée par Mme [T], dont le montant n'est pas utilement contesté, de sorte que la décision sera confirmée de ce chef.

3) Sur les demandes en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents :

En application de l'article L. 3121-8 du code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande et détermine souverainement, au vu des éléments produits par chacune des parties, l'existence d'heures de travail accomplies et la créance salariale s'y rapportant.

En l'espèce, la SASU SEMM Logging soutient que la salariée est défaillante sur le plan probatoire en relevant que le décompte produit, établi pour les seuls besoins de la cause, n'est objectivé par aucun élément, alors qu'elle n'avait jamais sollicité le paiement de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires antérieurement.

Elle rappelle qu'il appartient à la salariée de produire des éléments suffisamment précis et vérifiables, laissant apparaître l'existence d'heures supplémentaires qui n'auraient pas été

Arrêt n° 86 - page 8

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réglées et qui auraient été réalisées à sa demande, pour lui permettre d'y apporter une réponse.

Estimant que la salariée ne justifie pas d'une amplitude horaire, l'employeur s'étonne qu'elle ne fasse état d'heures supplémentaires non rémunérées qu'à compter de la date de cession de la société et conteste le taux horaire retenu pour formuler les demandes en paiement.

Mme [T] considère que les éléments qu'elle produit sont de nature à étayer sa demande en rappel de salaire pour heures supplémentaire alors même que l'employeur ne produit aucun élément de contrôle de son temps de travail.

Rappelant qu'elle avait déjà réclamé le paiement d'heures supplémentaires le 23 décembre 2021, elle invoque enfin une série de courriels envoyés tardivement pour corroborer le décompte produit.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, il importe peu que le relevé de temps de travail produit par Mme [T] fasse ou non apparaître, pour la période de septembre à novembre 2021, les heures d'arrivée sur le lieu de travail, et de départ, et la salariée a soustrait ses temps de pause.

En outre, c'est de manière inopérante que l'employeur soutient que Mme [T] n'a pas réclamé le paiement d'heures supplémentaires pendant la relation contractuelle, bien qu'elle justifie avoir alerté son employeur quant à leur existence dans un mail du 23 décembre 2021 (pièce 7 de la salariée) ou encore, que son décompte ait été établi postérieurement à la relation de travail, voire pour les besoins de la cause.

Dès lors, Mme [T] présente des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande et il appartient à l'employeur d'y répondre.

Pour autant, celui-ci ne produit aucun élément de contrôle de la durée de travail de sa salariée et se contente de relever, d'une part, que celle-ci n'établit pas que les heures supplémentaires invoquées ont été réalisées à sa demande et, d'autre part, que les montants réclamés sont fondés, à tort selon lui, sur une moyenne mensuelle d'heures supplémentaires incompatible avec un décompte hebdomadaire applicable.

Pour autant, en droit, la salariée peut prétendre au paiement des heures supplémentaires soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Soc. 14 nov. 2018,

n° 17-16959).

Étant observé que l'employeur ne conteste pas que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches confiées à Mme [T], il est significatif de relever que les copies de mails produites par cette dernière attestent, d'une part, de la nécessité d'organiser les conséquences de la cession de la société dans les semaines et mois qui l'ont suivie, et d'autre part, de l'envoi régulier de mails par la salariée en dehors des heures habituelles de travail, certains étant particulièrement tardifs, et dont M. [H] avait, en partie, connaissance pour en être destinataire.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, le décompte des sommes réclamées établi par la salariée sur la base d'un volume d'heures supplémentaires détaillé pour chaque semaine concernée, permet un décompte des heures supplémentaires effectuées conforme aux dispositions de l'article L. 3121-28 du code du travail précité.

Il en résulte qu'au vu des éléments produits de part et d'autre, et, alors qu'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui ont été confiées à la

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salariée, la cour a la conviction que Mme [T] a effectué les heures supplémentaires alléguées, si bien que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fait droit à ses prétentions à hauteur de la somme de 2 093,36 euros, outre 209,34 euros au titre des congés payés, sans que la cour d'appel soit tenue de préciser le détail de son calcul s'agissant de leur importance et de la fixation des créances salariales s'y rapportant.

4) Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures travaillées et non rémunérées pendant les congés ou arrêts maladie :

En vertu de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, Mme [T], qui poursuit l'infirmation de ce chef du jugement déféré dans le cadre de son appel incident, soutient avoir travaillé régulièrement pendant des périodes où elle se trouvait en congés ou en arrêt maladie et avoir dû interrompre ses congés à la demande de M. [H].

Elle précise que la plupart des sollicitations, qui provenaient de la direction, concernaient des points qui ne pouvaient attendre sans risquer de perturber le bon fonctionnement de la société et demandaient un traitement sans délai.

Estimant qu'il appartient à Mme [T] d'apporter la preuve de ses allégations, la SASU SEMM Logging soutient qu'aucun élément objectif ne vient les corroborer. Elle fait valoir qu'un employeur ne peut demander à un salarié de travailler pendant ses congés, même pour maladie, et s'étonne que l'intimée ne lui ait pas opposé un refus légitime.

L'employeur ajoute que la situation invoquée par Mme [T] ne saurait se résoudre que dans un cadre indemnitaire en réparation d'un préjudice subi sous réserve qu'elle démontre préalablement qu'elle a été privée de ses congés par l'employeur et qu'elle a subi un préjudice avéré, ce que celui-ci conteste.

Pour fonder ses prétentions salariales, Mme [T] produit un listing des jours travaillés, soit 5 jours entre le 16 et le 27 août 2021 et les 10 novembre, 2 décembre et 10 décembre 2021, soit un total de 8 jours (pièce 6 de la salariée), ainsi qu'un planning faisant apparaître la situation des différents salariés de l'entreprise entre août et décembre 2021 en termes de présence, congés ou déplacement professionnel (pièce 27 de la salariée), et confirmant ses périodes de congés et d'arrêt maladie.

Si elle verse aux débats un certain nombre de mails émis ou reçus par elle entre le 16 et le 27 août 2021, leur contenu atteste toutefois qu'elle ne répondait pas à une sollicitation de l'employeur impliquant une réponse rapide, à l'exception du mail du 22 août 2021 qui se contentait de solliciter la confirmation de la présence de Mme [T] au sein de l'entreprise le mercredi suivant.

Aucune des pièces produites n'établit que Mme [T] a travaillé les journées du 10 novembre 2021 et le 10 décembre 2021 au titre desquelles elle revendique respectivement une et quatre heures de travail effectif non rémunéré.

S'agissant enfin de la journée du 2 décembre 2021, la salariée produit deux mails, dont l'un se limitant à la transmission de statistiques relatives à une publication LinkedIn de la société, dont il n'est pas établi qu'il répond à une sollicitation de l'employeur ou ait été rendu nécessaire, à cette date, par l'exercice de ses fonctions.

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L'employeur justifie, par ailleurs, de démarches réalisées le 12 décembre 2021 pour assurer la gestion des comptes de la société sur les réseaux LinkedIn, Facebook et Instagram en l'absence de la salariée pour congés maladie (pièce 4 de l'employeur).

Dès lors que Mme [T] n'établit pas l'existence du temps de travail effectif non rémunéré qu'elle revendique, sa demande de rappel de salaire ne peut prospérer, si bien que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle l'a rejetée.

5) Sur les demandes en paiement des jours de récupération acquis :

L'usage correspond à une pratique habituellement suivie dans l'entreprise en vertu duquel un avantage est accordé, de manière générale, constante et fixe, au personnel de l'entreprise par l'employeur.

Ces conditions étant cumulatives, l'usage n'est pas caractérisé si l'une d'elles fait défaut.

C'est au salarié qui invoque un usage d'apporter par tous moyens la preuve tant de son existence, que son étendue.

En l'espèce, Mme [T], qui poursuit l'infirmation de ce chef du jugement déféré dans le cadre de son appel incident, soutient qu'à la date de la rupture de son contrat de travail, 27 jours de récupération ne lui avaient pas été réglés. Elle prétend que ces jours, mentionnés sur ses bulletins de salaire jusqu'en novembre 2021 distinctement des congés payés, ont disparu ensuite alors qu'ils n'ont fait l'objet ni de repos, ni de paiement en compensation.

Elle précise qu'il résultait d'un usage au sein de l'entreprise, dont l'employeur ne justifie pas qu'il l'ait dénoncé, que l'ensemble des salariés bénéficiait de jours de récupération en compensation de jours travaillés en dehors des jours de travail habituels.

La SASU SEMM Logging se prévaut de la convention collective applicable pour soutenir que la période de prise des congés est de 13 mois maximum, sauf demande écrite auprès de l'employeur. Elle considère que la demande au titre de la rémunération des jours de récupération n'est pas fondée, ce d'autant qu'elle relève d'une pratique instituée à son seul profit par Mme [T] lorsqu'elle était actionnaire.

L'employeur conteste avoir donné son accord pour le maintien de cette pratique de report de congés.

Pour justifier de l'existence d'un usage au sein de l'entreprise permettant aux salariés de récupérer les journées travaillées en dehors des jours de travail habituels, elle produit les décomptes des jours de congés (solde CP) et de récupération (solde SD) des années 2020 et 2021 (pièce 21 de la salariée), sans contester qu'ils émanent du service comptable de la société, comme la salariée le prétend.

Ces tableaux, établis mensuellement pour chaque salarié concerné sur les années 2020 et 2021, font apparaître un décompte spécifique, sous la rubrique 'SD/WE récupérés', du nombre de jours à récupérer pour différents salariés.

Aux termes de ce document Mme [T] disposait d'un solde de 27 jours à récupérer, information qui figure également sur les bulletins de salaire produits jusqu'à celui de novembre 2021 inclus.

L'employeur est, par ailleurs, contredit lorsqu'il soutient que ce qu'il qualifie de pratique était organisée au seul profit de Mme [T], alors même qu'à l'instar des tableaux précités, les

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bulletins de salaire de Mme [Y], M. [C] ou encore M. [U] [S], versés aux débats, comportent la mention d'un solde de jours de récupération et attestent ainsi de l'application à d'autres salariés de l'entreprise.

Enfin, s'agissant de la rémunération des jours de récupération non pris à l'occasion du départ de l'entreprise, le solde de tout compte de Mme [E] en date du 31 août 2020 atteste de la compensation financière versée, de même que celui de Monsieur [B] (pièce 29 de la salariée)

Ainsi, si Mme [T] justifie d'une pratique bénéficiant à l'ensemble des salariés, reposant sur des critères fixes et objectifs liés à la réalisation d'heures de travail sur les journées de fin de semaine notamment, celle-ci, établie sur une durée limitée à deux années, ne présente toutefois pas la constance caractérisant l'usage.

L'une des conditions cumulatives précitées faisant défaut, il en résulte que n'est pas caractérisée l'existence de l'usage d'entreprise invoqué par Mme [T] pour fonder l'existence de la créance salariale dont elle se prévaut. Elle doit par suite être déboutée de sa demande en paiement des jours de récupération acquis ainsi que l'ont pertinemment retenu les premiers juges.

6) Sur la contestation du licenciement et les demandes financières afférentes :

a) Sur le motif économique du licenciement :

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° À des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.

2° À des mutations technologiques ;

3° À une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° À la cessation d'activité de l'entreprise.

En l'espèce, la SASU SEMM Logging soutient que les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise et ayant conduit au licenciement pour motif économique ont été indiquées avec

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précision à la salariée, qui les connaissait déjà dans la mesure où elle en était dirigeante jusqu'en août 2021 et où elle a, elle-même, procédé en cette qualité à des licenciements économiques en début d'année 2021.

Invoquant l'aggravation des difficultés financières préexistant à la cession, qu'il estime établies par les pièces comptables produites, l'employeur reprend les mentions de la lettre d'information relative au motif économique remise à la salariée, qui évoque la modification substantielle du marché de la société, les effets de la crise sanitaire et l'impossibilité de faire face aux charges salariales.

Il souligne que les pièces produites, et notamment l'attestation de l'expert-comptable de la société, établissent la suppression définitive du seul poste de la catégorie professionnelle de Mme [T] et de l'emploi occupé, sans qu'il y ait lieu, selon lui, de produire le registre du personnel.

Réfutant l'analyse de la salariée, la SASU SEMM Logging relève qu'elle avait elle-même pu reconnaître en première instance l'existence des difficultés financières rencontrées par son employeur.

Mme [T] conteste le motif économique invoqué en relevant que la restructuration ayant eu lieu en 2020, ne permet pas une comparaison pertinente des résultats des années 2020 et 2021. Elle estime que malgré l'actualisation de ses pièces, la SASU SEMM Logging ne justifie pas d'une baisse significative du chiffre d'affaires telle que visée par les dispositions précitées.

Elle s'étonne que l'employeur n'ait pas fait usage de la possibilité d'une activité à mi-temps offerte par l'acte de cession afin de faire face aux difficultés financières invoquées qu'elle attribue à des agissements fautifs de la part de M. [H], ou à tout le moins à sa légèreté blâmable, qui doivent conduire à confirmer que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il est constant que l'employeur a remis à Mme [T], en main propre, le 10 décembre 2021, une information relative au motif économique justifiant la mesure de licenciement économique envisagée et la proposition d'un CSP.

Le premier de ces documents comportant l'énonciation des motifs économiques a ainsi été valablement soumis à la salariée avant son acceptation du CSP qui est intervenue le 27 décembre 2021.

Dès lors, sans qu'il y ait eu lieu pour l'employeur de notifier une lettre de licenciement à la salariée, la rupture de la relation contractuelle est intervenue à la date d'expiration du délai de réflexion de 21 jours, soit le 31 décembre 2021 à minuit.

Pour justifier du motif économique de la suppression du poste de Mme [T], la SASU SEMM Logging invoque :

- la modification substantielle du marché de la société,

- les effets de la crise sanitaire sur son activité se traduisant par une baisse 'sans précédent' du chiffre d'affaires de la société, ainsi que du résultat d'exploitation,

- l'impossibilité de faire face aux charges sociales.

La définition du motif économique de licenciement a évolué avec la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels qui a, notamment, consacré un certain nombre d'indicateurs comptables permettant d'objectiver et de caractériser les difficultés économiques fondant le motif

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économique d'un licenciement.

Au nombre de ces indicateurs figure la baisse du chiffre d'affaires qui doit s'apprécier à la date de la rupture du contrat, dans les conditions posées par les dispositions L. 1233-3 du code du travail précitées, pour une entreprise de moins de onze salariés, tel que cela résulte des pièces soumises à la cour qui évoque un effectif de 8, voire 9 salariés.

Si les parties divergent quant à l'évolution du chiffre d'affaires de la SASU SEMM Logging, les chiffres retenus par l'une comme par l'autre (pièce n°14 de la salariée et n°7 de l'employeur) attestent d'une baisse importante du chiffre d'affaires du trimestre précédant la rupture du contrat de travail, à savoir le 4ème trimestre 2021, par rapport à la même période de l'année précédente, soit le 4ème trimestre 2020.

En effet, l'évolution du chiffre d'affaires, au regard des chiffres retenus par l'employeur, comme de ceux invoqués par la salariée, se traduit par une diminution de plus de moitié entre les deux périodes comparées selon les critères de l'article L. 1233-3 du code du travail, ce qui répond à la notion de baisse significative retenue par ce texte pour caractériser l'existence de difficultés économiques.

Ce faisant, l'employeur justifie des difficultés économiques alléguées.

La salariée fait valoir ensuite que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse lorsque les difficultés économiques, même établies, sont imputables à des agissements fautifs de l'employeur, ou à tout le moins à sa légèreté blâmable, et invoque à ce titre la présence de M. [H] sur le site de [Localité 2] de l'entreprise limitée à 22 jours sur les 100 jours ouvrés.

Pour autant, aucune des pièces produites ne lie les difficultés économiques ainsi établies à l'absence de M. [H] sur le site de l'entreprise, le recours au télétravail étant particulièrement développé au sein de celle-ci ainsi qu' en atteste l'acte de cession ayant permis à Mme [T] de travailler exclusivement sous cette forme.

Plus encore, le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels de l'exercice clos le 31 mai 2021 (pièce n°9 de la salariée) retrace la situation de l'entreprise en intégrant la restructuration du personnel intervenue en février 2021, mais également la grande incertitude induite par la crise sanitaire mondiale liée à l'épidémie de COVID-19.

Ce rapport est particulièrement prudent quant à l'impact financier de cette crise et mentionne 'À la date d'arrêté des comptes de l'entreprise, celle-ci n'est pas en mesure de chiffrer, à ce stade, l'impact de la crise sur son patrimoine, sa situation financière et son résultat'.

Il y est par ailleurs relevé que 'la société SEMM LOGGING estime que la poursuite de son exploitation n'est pas remise en cause. Et ce malgré les faits significatifs intervenus en 2020 et 2021 et rappelés succinctement :

- de la cession importante d'actifs immobilisés nécessaires à la réalisation d'une partie du chiffre d'affaire de l'entité,

- des cessions des filiales de l'entité (Canada - 2020 et Chili - 2021),

- de la crise sanitaire, du contexte économique actuel, de l'absence de visibilité sur les activités liées à celle de SEMM LOGGING'.

Enfin, ce même rapport du commissaire aux comptes conclut en ce sens, 'compte-tenu du contexte actuel, de la crise sanitaire COVID, de la situation du marché pétrolier, l'entreprise a peu de visibilité sur le volume d'activité à réaliser, dans les mois et années à venir. Les décisions de réorganisations évoquées ci-dessus ont pour objectif de s'adapter au contexte économique actuel et de permettre une pérennité de l'activité'.

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Cette analyse met ainsi en évidence certaines incertitudes sur l'évolution de la société au jour de la cession, qui excluent, en dehors de tout élément contraire, d'établir un lien entre la dégradation de la situation économique de la société et des agissements fautifs de l'employeur, ou à tout le moins sa légèreté blâmable.

Celui-ci n'est, par ailleurs, pas contredit lorsqu'il indique que d'autres licenciements économiques ont eu lieu au cours de l'année 2020, signe de l'antériorité des difficultés sur ce plan, ce qui est confirmé par les données comptables du rapport du commissaire aux comptes qui évoque l'impact de ces mesures sur les résultats financiers de l'année 2021.

Il n'est dès lors pas démontré que les difficultés économiques établies sont imputables à des agissements fautifs ou à la légèreté blâmable de l'employeur.

Au regard de ce qui précède, la cour retient que le licenciement est justifié par un motif économique.

b) Sur le manquement à l'obligation de reclassement :

Selon l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à l'espèce, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

En l'espèce, la SASU SEMM Logging soutient avoir respecté son obligation de reclassement en se prévalant de la lettre d'information remise à Mme [T] le 10 décembre 2021 qui mentionne non seulement que le poste est supprimé, mais qu'il était, en outre, le seul de sa catégorie professionnelle.

Elle fait grief aux premiers juges de lui avoir reproché de ne verser aux débats aucune autre pièce, alors même qu'elle considère avoir justifié du respect de son obligation de reclassement, qu'elle rappelle être une obligation de moyen.

Mme [T] soutient que l'employeur, qui s'est toujours refusé à communiquer le livre d'entrées et de sorties du personnel, ne justifie pas de démarches liées à son obligation d'adaptation et de reclassement. Elle fait valoir, à ce titre, que Mme [J], secrétaire comptable, a été promue sur son poste dès son départ de l'entreprise.

Il appartient à l'employeur de justifier de l'absence de poste disponible, pour un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'occupe le salarié, à l'époque du licenciement dans l'entreprise.

En se bornant à affirmer que le poste de Mme [T] était le seul de sa catégorie et en se fondant pour en attester sur la seule production de la lettre d'information du 10 décembre 2021 qui ne l'objective pas, et en ne produisant aucune autre pièce pour l'établir, l'employeur n'apporte pas la preuve dont il a la charge.

Alors que satisfait à son obligation de reclassement l'employeur qui propose à un salarié de

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transformer son emploi à temps plein en emploi à mi-temps, il est significatif, comme le prétend

la salariée, que la possibilité de bénéficier d'un mi-temps offerte par l'acte de cession du 13 août 2021, qui n'a jamais été appliquée au cours de la relation contractuelle, ne lui ait pas été soumise dans le cadre de la recherche de reclassement.

Ainsi, en l'absence de tout élément pour justifier de l'existence d'une recherche sérieuse et loyale des postes de reclassement, la SASU SEMM Logging ne justifie pas avoir satisfait à son obligation en la matière.

Il en résulte que le licenciement de Mme [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, comme l'ont retenu les premiers juges, et que la décision déférée doit être confirmée de ce chef.

c) Sur les demandes financières afférentes :

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, la salariée a droit à des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts pour licenciement injustifié.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, comme tel est le cas en l'espèce, le juge octroie au salarié, en l'absence de réintégration, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 15 mois de salaires pour un salarié ayant une ancienneté de 19 années, comme tel était le cas de Mme [T] au jour de la rupture de la relation contractuelle .

En l'espèce, l'employeur s'oppose au versement du complément d'indemnité de licenciement réclamé par la salariée dès lors qu'il conteste la créance de rappels de salaire réclamée par celle-ci et l'ancienneté qu'elle revendique. Il conclut, par ailleurs, à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a retenu que la salariée avait légalement reçu une indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis via Pôle emploi durant le CSP.

S'agissant de l'application des dispositions précitées, en retenant une ancienneté de 19 ans, il réclame la limitation de la somme allouée à la salariée à l'équivalent de 3 mois de salaire. Elle réfute l'existence d'un préjudice pour celle-ci au regard de l'ensemble des sommes perçues au titre de la vente d'action dans la société WLS ou au titre de dividendes.

Il ajoute enfin que le salaire de référence retenu par les premiers juges est erroné dès lors que la revalorisation salariale et les heures supplémentaires alléguées ne sont pas fondées, et qu'il correspond à un salaire mensuel moyen.

Mme [T] invoque une baisse significative de ses revenus et la persistance de difficultés à retrouver un emploi stable depuis la rupture du contrat de travail pour réclamer une indemnisation plus importante de son préjudice moral et financier subi.

Elle rappelle qu'en l'absence de motif économique fondant le licenciement, le CSP devient sans cause et qu'elle est donc légitime, contrairement à ce que soutient l'employeur, suivi en cela par les premiers juges, à percevoir l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents qu'elle sollicite.

Enfin, au regard des sommes réclamées au titre d'heures supplémentaires non rémunérées et de l'augmentation de son salaire de base, elle précise que le montant du salaire de référence doit être revu à la somme de 8 555,17 euros, de sorte qu'un complément d'indemnité de licenciement lui serait dû.

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Il n'est pas contesté que la convention collective applicable, en son article 4.5, prévoit le versement d'une indemnité de licenciement se calculant en mois de rémunération sur la base de 1/3 de mois pour chaque année de présence, pour les ingénieurs et cadres, ayant une ancienneté égale ou supérieure à 2 ans.

Cette convention collective, dont la salariée se prévaut, prévoit par ailleurs que le mois de rémunération s'entend comme 1/12 de la rémunération des 12 derniers mois précédant la notification de la rupture du contrat de travail. Cette rémunération inclut les primes prévues par le contrat de travail. Sont exclues les majorations pour heures supplémentaires et les majorations de salaire ou les indemnités liées à un déplacement ou à un détachement.

Dès lors, après application de la majoration du salaire de base retenue par la cour, le salaire de référence à retenir dans le cadre du calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement s'élève à la somme de 8 131,46 euros.

Au regard d'une ancienneté de 20 ans, déterminée après prise en compte du préavis d'une durée conventionnelle de 3 mois, que la salariée invoque à raison, il convient de retenir que la salariée justifie de sa créance de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement pour un montant de 10 626,75 euros. La décision déférée sera infirmée s'agissant du seul quantum de la somme due.

S'agissant de la demande en paiement formulée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, c'est à raison que la salariée rappelle qu'en l'absence de motif économique de licenciement, le CSP n'a pas de cause et l'employeur est alors tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents.

Il sera dès lors fait droit, par voie d'infirmation de la décision déférée, à sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 25 665,51 euros, outre 2 566,55 euros au titre des congés payés afférents.

S'agissant de l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 précité, la prise en compte de l'augmentation du salaire de base et des heures supplémentaires non rémunérées retenues par la cour, le salaire brut retenu sera de 8 555,17 euros.

Au regard des pièces et des explications fournies, et compte-tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée durant l'exécution du contrat de travail, de son âge (50 ans), de son niveau de formation, de sa situation actuelle justifiée par la production de deux contrats de mission de courte durée et des relevés de situation Pôle emploi, c'est exactement que les premiers juges lui ont alloué la somme de 28 000 euros à titre d'indemnité pour rupture anticipée de son contrat de travail dès lors qu'elle permet une réparation juste et adaptée de son préjudice.

7) Sur les autres demandes :

Compte-tenu de ce qui précède, la remise d'une attestation Pôle emploi conforme à la décision rendue est fondée, sans qu'il y ait lieu à fixation d'une astreinte, comme l'ont exactement retenu les premiers juges. La décision déférée sera donc confirmée de ce chef.

Le jugement est également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La SASU SEMM Logging, qui succombe devant la cour, sera condamnée aux dépens d'appel, étant précisé que le sort des éventuels frais d'exécution forcée sera réglé dans le cadre des procédures d'exécution mises en oeuvre, et déboutée en conséquence de sa demande d'indemnité

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de procédure.

Enfin, l'équité commande de condamner la SASU SEMM Logging à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :

DÉBOUTE la SASU SEMM Logging de sa demande visant au rejet des pièces n°1 et 22 produites par Mme [N] [T] ;

CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 8 555,17 euros le salaire moyen de Mme [N] [T], condamné la SASU SEMM Logging à lui payer la somme de 13 468,43 euros au titre du complément de l'indemnité de licenciement, et débouté la salariée de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS et AJOUTANT:

FIXE le salaire de référence applicable dans le calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 8 131,46 euros ;

CONDAMNE la SASU SEMM Logging à payer à Mme [N] [T] les sommes suivantes :

- 10 626,75 € au titre du complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 25 665,51 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 2 566,55 € de congés payés afférents ;

CONDAMNE la SASU SEMM à payer à Mme [N] [T] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SASU SEMM Logging aux dépens d'appel et la déboute de sa demande d'indemnité de procédure.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01046
Date de la décision : 19/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-19;23.01046 ?
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