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25/06/2024 | FRANCE | N°23/00227

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre premier président, 25 juin 2024, 23/00227


R.G : N° RG 23/00227 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DQ45



















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M. [W] [F] [O]





C/





M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, M. LE PROCUREUR GENERAL

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COPIE + CE

LE :



COUR D'APPEL DE BOURGES



PREMIÈRE PRÉSIDENCE



ORDONNANCE DU 25 JUIN 2024



N° 25 - 7 Pages









NOUS, Ala

in VANZO, premier président, assisté de Annie SOUBRANE greffier.



Statuant sur requête en réparation à raison d'une détention provisoire,







ENTRE :



I - Monsieur [W] [F] [O]

DOM ELU chez Me FLEURIER

[Adresse 1]

Représenté par Me Jean-michel FLEURIER, avocat au barreau de BOURGES subst...

R.G : N° RG 23/00227 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DQ45

-------------------

M. [W] [F] [O]

C/

M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, M. LE PROCUREUR GENERAL

-------------------

COPIE + CE

LE :

COUR D'APPEL DE BOURGES

PREMIÈRE PRÉSIDENCE

ORDONNANCE DU 25 JUIN 2024

N° 25 - 7 Pages

NOUS, Alain VANZO, premier président, assisté de Annie SOUBRANE greffier.

Statuant sur requête en réparation à raison d'une détention provisoire,

ENTRE :

I - Monsieur [W] [F] [O]

DOM ELU chez Me FLEURIER

[Adresse 1]

Représenté par Me Jean-michel FLEURIER, avocat au barreau de BOURGES substitué par Me DALLOIS,

REQUERANT

ET :

II - Monsieur l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Pascale LÉAL, avocat au barreau de CHATEAUROUX

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D'APPEL DE BOURGES

PARTIES DEFENDERESSES

La cause a été appelée à l'audience publique tenue par Monsieur le premier président, assisté de Madame SOUBRANE, greffier ;

MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur le Procureur Général,

DÉBATS :

- Monsieur le premier président ayant donné lecture des éléments du dossier,

- Maître DALLOIS, avocat au soutien des intérêts du requérant en ses observations,

- Maître LÉAL, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, en ses observations,

- Monsieur le procureur général, en ses réquisitions,

- Le requérant ayant eu la parole en dernier.

Monsieur le premier président a, pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'ordonnance contradictoire à l'audience publique du 25 Juin 2024

A la date ainsi fixée a été rendue l'ordonnance dont la teneur suit :

***************

Le 26 novembre 2020, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bourges a mis en examen Monsieur [W] [F] [O] des chefs d'extorsion commise avec arme et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime.

Monsieur [F] [O] a été placé en détention provisoire le même jour, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire le 16 avril 2021.

Par ordonnance de mise en accusation du 29 mars 2022, le juge d'instruction l'a renvoyé devant la cour d'assises des mineurs du Cher, laquelle l'a acquitté par arrêt en date du 17 janvier 2023.

Selon requête déposée au greffe de la cour d'appel le 7 mars 2023, Monsieur [F] [O] a demandé l'indemnisation des préjudices résultant de la détention provisoire dont il a fait l'objet entre le 26 novembre 2020 et le 16 avril 2021, sollicitant le versement des indemnités suivantes :

- 12 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- 7 139,98 euros en réparation de son préjudice matériel, se décomposant comme suit :

. 3 639,98 euros au titre d'une perte de salaires ;

. 3 500 euros au titre d'une perte de chance de continuer d'être normalement rémunéré ;

- 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'audience, il maintient ces demandes.

Par conclusions écrites, l'agent judiciaire de l'Etat conclut principalement à l'irrecevabilité de la requête, faute pour Monsieur [F] [O] de justifier du caractère définitif de la décision d'acquittement en l'absence de production d'un certificat de non-appel.

Subsidiairement, il demande à la juridiction de :

- juger satisfactoire son offre de verser la somme de 10'000 euros à Monsieur [F] [O] au titre du préjudice moral ;

- le débouter de sa demande au titre de la perte de salaire et de la perte de chance ;

- réduire à de plus justes proportions la demande formulée au titre des frais irrépétibles.

Aux termes de ses conclusions écrites, le ministère public conclut à l'irrecevabilité de la requête, sauf à ce qu'un certificat de non-appel soit versé aux débats le jour de l'audience et, subsidiairement, propose d'allouer à Monsieur [F] [O] les indemnités suivantes:

- 6 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 0 euro en indemnisation du préjudice matériel ;

- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

A l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général ne contestent plus la recevabilité de la requête, Monsieur [F] [O] ayant finalement produit un certificat de non-appel et admettent, en son principe, son droit à être indemnisé de son préjudice matériel

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens respectifs.

DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes

Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

L'article 149-2 du même code précise que le premier président doit être saisi à cette fin par une requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Ce délai ne court que si, lors de la notification de la décision, la personne a été avisée de son droit de demander une réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 (1er alinéa) du code de procédure pénale, qui en fixent les modalités procédurales.

En l'espèce, ni l'arrêt ni aucune autre pièce ne permet de se convaincre que cette information ait été délivrée à Monsieur [F] [O], de sorte qu'il doit être considéré que le délai de six mois n'a pas commencé à courir.

En conséquence, les demandes de Monsieur [F] [O] sont recevables.

Sur le préjudice moral

Au soutien de sa prétention, Monsieur [F] [O] fait valoir que :

- il a été écroué à la maison d'arrêt de [Localité 6], alors que sa famille réside à [Localité 4] ;

- interdiction lui a été faite initialement de téléphoner aux membres de sa famille et il n'a obtenu l'autorisation de téléphoner à sa mère que le 14 décembre 2020, puis au domicile de sa famille et à sa petite amie que le 15 janvier 2021 ;

- il a appris le décès de sa grand-mère maternelle durant sa détention ;

- il avait déjà été incarcéré, mais le choc psychologique enduré en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont on se sait innocent n'est pas amoindri par des incarcérations antérieures à l'occasion de procédures correctionnelles et le choc carcéral est accentué par la gravité des faits reprochés, de nature criminelle et susceptibles d'entraîner une lourde peine ;

- la crise sanitaire a imposé un régime carcéral plus strict et rigide dans tous les établissements pénitentiaires, des mesures de limitation des circulations et des activités ayant été mises en 'uvre, ce qui a rendu sa détention plus pénible et angoissante.

La souffrance morale résulte du choc carcéral ressenti par une personne brutalement privée de liberté.

Elle peut être aggravée par une séparation familiale mais aussi par la connaissance du risque de la peine encourue. En revanche, les périodes d'incarcération déjà effectuées sont de nature à minorer le choc psychologique résultant d'un placement en détention provisoire.

En l'espèce, Monsieur [F] [O] n'établit pas avoir été privé de contacts téléphoniques avec ses proches, ne justifie pas du décès de sa grand-mère alors qu'il était détenu et ne prouve pas avoir été soumis à des conditions de détention particulièrement pénibles du fait des mesures prises en vue d'éviter la propagation du covid-19.

Il est exact, en revanche, que le choc carcéral a été aggravé par la perspective d'être condamné à une peine criminelle. A l'inverse, il a été minoré par le fait que Monsieur [F] [O] avait été déjà incarcéré, du 20 août au 19 décembre 2019, comme l'atteste le bulletin n°1 de son casier judiciaire.

En considération de ces éléments et eu égard à la durée de son incarcération, de 142 jours, son préjudice moral sera exactement réparé par l'allocation d'une indemnité de 10 000 euros.

Sur le préjudice matériel

En premier lieu, Monsieur [F] [O] sollicite l'indemnisation de pertes de salaires.

Il est de principe que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice matériel subi pendant la détention du fait de la privation de sa rémunération, qui correspond à la perte de salaire net.

Selon contrat à durée déterminée du 27 octobre 2020, Monsieur [F] [O] avait été embauché par la SAS [5] jusqu'au 31 janvier 2021, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 819,99 euros.

Sa détention provisoire l'a privé de deux mois de salaire.

Dans la mesure où il ne produit pas de bulletins de paie afférents à des mois travaillés, son salaire net sera estimé par une simulation effectuée sur le site https://www.salaire-brut-en-net.fr/, dont il résulte qu'il était de 1 413 euros par mois.

En conséquence, il doit lui être alloué une indemnité de 2 826 euros.

En second lieu, Monsieur [F] [O] sollicite l'indemnisation d'une perte de chance de continuer à être normalement rémunéré entre la fin de son premier contrat à durée déterminée, le 1er février 2021, et la régularisation de son nouveau contrat à durée déterminée, le 26 avril 2021.

Donne droit à réparation la perte de chance de percevoir des salaires lorsque celle-ci est sérieuse, l'indemnité devant être mesurée à la chance perdue et ne pouvant être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Cette perte de chance s'apprécie notamment à partir d'éléments tirés de la qualification et du passé professionnel du requérant ainsi que du fait qu'il retrouve un emploi dès sa remise en liberté.

Il ressort d'une attestation du responsable logistique de la société [5] en date du 1er décembre 2020 que Monsieur [F] [O] avait donné toute satisfaction dans son travail et que, s'il persévérait dans cette voie, il pourrait prétendre à un contrat à durée indéterminée.

Cette satisfaction de l'employeur s'est traduite par le fait que, placé sous contrôle judiciaire le 16 avril 2021, Monsieur [F] [O] a signé avec la société [5] un contrat à durée déterminée de trois mois dès le 26 avril 2021, que ce contrat a été reconduit par avenant du 20 juillet 2021 jusqu'au 30 janvier 2022 et qu'un nouvel avenant d'une durée indéterminée a été conclu le 28 janvier 2022.

Monsieur [F] [O] avait donc une chance très sérieuse de poursuivre la relation de travail avec son employeur à compter du 1er février 2021, soit par la conclusion d'un nouveau contrat de travail à durée déterminée, soit par la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Sa perte de chance de percevoir des salaires entre le 1er février 2021 et le 25 avril 2021 sera donc indemnisée par l'allocation d'une indemnité équivalent à 80 % du salaire net qu'il aurait pu percevoir pendant cette période, soit durant 84 jours.

Le salaire net de Monsieur [F] [O], tel que calculé ci-dessus, s'élevait à 47,10 euros par jour sur trente jours.

L'indemnité qui lui est due est donc de 47,10 x 84 x 80/100, soit 3 165,12 euros.

Pour assurer sa représentation en justice dans le cadre de la présente instance, Monsieur [F] [O] a dû engager des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. Aussi l'agent judiciaire de l'Etat devra-t-il lui régler une indemnité de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement par mise à disposition au greffe,

DÉCLARONS recevables les demandes de Monsieur [W] [F] [O] ;

FIXONS à :

- 10 000 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre du préjudice moral ;

- 2 826 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre de la perte de revenus ;

- 3 165,12 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre d'une perte de chance ;

- 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS l'Etat à verser ces sommes à Monsieur [F] [O] ;

DÉBOUTONS Monsieur [F] [O] du surplus de ses demandes ;

LAISSONS les dépens à la charge de l'Etat.

Ordonnance rendue le 25 juin 2024, par Monsieur A. VANZO, premier président qui en a signé la minute avec Madame A. SOUBRANE, greffier.

LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT

A. SOUBRANE A. VANZO


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 23/00227
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.00227 ?
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