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30/05/2024 | FRANCE | N°22/00481

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre premier président, 30 mai 2024, 22/00481


R.G : N° RG 22/00481 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DONK



















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M. [U] [E]





C/





M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, M. LE PROCUREUR GENERAL

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Copie + ce le :30 mai 2024



COUR D'APPEL DE BOURGES



PREMIÈRE PRÉSIDENCE



ORDONNANCE DU 30 MAI 2024



N° 20 - 7 Pages





NOUS, Alain VANZO, premier

président, assisté de Annie SOUBRANE greffier.



Statuant sur requête en réparation à raison d'une détention provisoire,







ENTRE :



I - Monsieur [U] [E] [Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Béatrice BOUILLAGUET, avocat au barreau de BOURGES



REQUERANT,





E...

R.G : N° RG 22/00481 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DONK

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M. [U] [E]

C/

M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, M. LE PROCUREUR GENERAL

-------------------

Copie + ce le :30 mai 2024

COUR D'APPEL DE BOURGES

PREMIÈRE PRÉSIDENCE

ORDONNANCE DU 30 MAI 2024

N° 20 - 7 Pages

NOUS, Alain VANZO, premier président, assisté de Annie SOUBRANE greffier.

Statuant sur requête en réparation à raison d'une détention provisoire,

ENTRE :

I - Monsieur [U] [E] [Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Béatrice BOUILLAGUET, avocat au barreau de BOURGES

REQUERANT,

ET :

II - L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Pascale LÉAL, avocat au barreau de CHATEAUROUX

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

COUR D'APPEL DE BOURGES

[Localité 2]

DÉFENDEURS,

La cause a été appelée a l'audience publique tenue par Monsieur le premier président, assisté de Madame SOUBRANE, greffier ;

MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur le Procureur Général, représenté à l'audience par Monsieur Eyrignac, substitut général,

DÉBATS :

- Monsieur le premier président ayant donné lecture des éléments du dossier,

- Maître BOUILLAGUET, avocat au soutien des intérêts du requérant en ses observations,

- Maître LÉAL, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, en ses observations,

- Monsieur EYRIGNAC, substitut général, en ses observations,

- Le requérant ayant eu la parole en dernier.

Monsieur le premier président a, pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'ordonnance contradictoire à l'audience publique du 30 Mai 2024

A la date ainsi fixée a été rendue l'ordonnance dont la teneur suit :

Le 21 juin 2018, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Châteauroux a mis en examen Monsieur [U] [E] du chef de blanchiment de fraude fiscale en état de récidive légale.

Monsieur [E] a été placé en détention provisoire le même jour, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire le 19 octobre 2018.

Par ordonnance du 20 mai 2020, le juge d'instruction a ordonné le renvoi de Monsieur [E] devant le tribunal correctionnel de Châteauroux.

Par jugement du 24 septembre 2021, devenu définitif, ce tribunal a renvoyé Monsieur [E] des fins de la poursuite.

Selon requête déposée au greffe de la cour d'appel le 23 mars 2022, Monsieur [E] a demandé l'indemnisation des préjudices résultant de la détention provisoire dont il a fait l'objet entre le 21 juin 2018 et le 19 octobre 2018, sollicitant le versement des indemnités suivantes :

- 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- 7 200 euros au titre de la perte de revenus ;

- 18 600 euros en indemnisation de pertes de chance ;

- 3 424,80 euros au titre de frais d'avocat.

A l'audience, il maintient ses demandes.

Par conclusions écrites, développées à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat ne conteste pas le droit à réparation de Monsieur [E] mais demande à la juridiction de :

- juger satisfactoire son offre de lui verser les sommes de :

. 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

. 4 108 euros au titre du préjudice matériel se décomposant ainsi :

. perte de salaires : 1 108 euros ;

. perte de chance de trouver un emploi : 3 000 euros ;

- le débouter de sa demande au titre des frais d'avocat.

Aux termes de ses conclusions écrites, développées à l'audience, le ministère public conclut à la recevabilité de la requête de Monsieur [U] [E] et propose de lui allouer :

- 5 000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 3 424,80 euros au titre des frais d'avocat ;

- 9 201 euros en indemnisation du préjudice matériel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens respectifs.

DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes

Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

L'article 149-2 du même code précise que le premier président doit être saisi à cette fin par une requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Ce délai ne court que si, lors de la notification de la décision, la personne a été avisée de son droit de demander une réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 (1er alinéa) du code de procédure pénale, qui en fixent les modalités procédurales.

En l'espèce, ni le jugement ni aucune autre pièce ne permet de se convaincre que cette information ait été délivrée à Monsieur [E], de sorte qu'il doit être considéré que le délai de six mois n'a pas commencé à courir.

En conséquence, les demandes de Monsieur [E] sont recevables.

Sur le préjudice moral

Monsieur [E] fait valoir qu'il avait 33 ans lors de son incarcération, qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant et qu'il s'est retrouvé totalement isolé, les demandes de permis de visite formulées par son entourage ayant été refusées.

La souffrance morale résulte du choc carcéral ressenti par une personne brutalement privée de liberté.

Elle peut être aggravée par une séparation familiale. En revanche, les périodes d'incarcération déjà effectuées sont de nature à minorer le choc psychologique résultant d'un placement en détention provisoire.

Durant sa détention, Monsieur [E] a été privé de contacts avec son frère [V] et sa mère, qui étaient incarcérés concomitamment ainsi qu'avec d'autres membres de sa famille, qui ont fait l'objet, pour trois d'entre eux, de refus de permis de visite.

En revanche, la consultation de son casier judiciaire permet de constater que, contrairement à son affirmation, il avait déjà été incarcéré.

Monsieur [U] [E] a été incarcéré durant 121 jours, soit pendant près de quatre mois.

Eu égard à la durée de son incarcération, au choc psychologique qui en est résulté, minoré par une incarcération antérieure mais aggravé par la séparation d'avec ses proches, son préjudice moral sera exactement réparé par l'allocation d'une indemnité de 6 500 euros.

Sur le préjudice matériel

En premier lieu, Monsieur [E] sollicite l'indemnisation de pertes de salaire.

Il est de principe que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice matériel subi pendant la détention du fait de la privation de sa rémunération.

En l'espèce, Monsieur [E] fait valoir qu'à l'époque de son placement en détention, il travaillait en qualité d'intérimaire depuis juillet 2017 et percevait un salaire mensuel moyen de l'ordre de 1 800 euros, que cette mission longue durée devait s'achever à la fin du mois de décembre 2018 mais a pris fin le 19 juin 2018 par la force des choses, alors qu'elle aurait dû se poursuivre au moins de juillet à octobre 2018, ce qui représente une perte de 7 200 euros.

Monsieur [E] produit des bulletins de paie datant de 2017 et 2018, qui font apparaître un salaire mensuel net de 1 749 euros, et un contrat de mission couvrant la période du 20 mai au 30 juin 2018, avec un terme reporté au 9 juillet 2018.

En revanche, il n'établit par aucune pièce avoir été engagé jusqu'à la fin du mois de décembre 2018, ni même jusqu'à la fin du mois d'octobre 2018.

Dans ces conditions, il ne peut prétendre, comme l'affirme avec raison l'agent judiciaire de l'Etat, qu'à l'indemnisation de la perte de ses salaires entre le 21 juin 2018 et le 9 juillet suivant, soit durant 19 jours.

Cette perte s'élève donc à (1 749/30) x 19 = 1 107,70 euros, arrondis par l'agent judiciaire de l'Etat à 1 108 euros, somme qui doit être allouée à Monsieur [E].

En second lieu, Monsieur [E] sollicite l'indemnisation d'une double perte de chance, exposant à ce sujet que :

- d'une part, l'entreprise d'intérim a mis fin à sa mission qui devait s'achever au 31 décembre 2018, de sorte qu'il n'a pas été rémunéré pour les mois de novembre et décembre 2018 et a donc subi une perte de chance de percevoir deux mois de salaire, soit l'équivalent de 3 600 euros ;

- d'autre part, il avait été envisagé que la société [5], entreprise utilisatrice, l'embauche à compter de janvier 2019 sous contrat à durée indéterminée, qu'il aurait pu ainsi bénéficier d'un emploi stable avec des perspectives de progression mais qu'elle a perdu confiance en raison de la période de détention provisoire, ce qui justifie une indemnisation à hauteur de 15'000 euros.

Donne droit à réparation la perte de chance de percevoir des salaires lorsque celle-ci est sérieuse, l'indemnité devant être mesurée à la chance perdue et ne pouvant être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Cette perte de chance s'apprécie notamment à partir d'éléments tirés de la qualification et du passé professionnel du requérant ainsi que du fait qu'il retrouve un emploi dès sa remise en liberté.

Or, Monsieur [E] ne justifie pas d'un contrat de mission jusqu'au 31 décembre 2018 ni de l'éventualité d'un projet d'embauche sous contrat à durée indéterminée auprès de la société [5]. Il n'établit pas davantage avoir retrouvé un emploi dès sa remise en liberté.

Il n'est donc pas prouvé qu'il ait eu des chances sérieuses de percevoir une rémunération en novembre et décembre 2018 ni d'occuper un emploi sous contrat à durée indéterminée à compter de janvier 2019.

En conséquence, les pertes de chance invoquées par lui ne sont pas sérieuses.

Dans ces conditions, l'offre de l'agent judiciaire de l'Etat de l'indemniser à hauteur de 3 000 euros doit être déclarée satisfactoire.

En troisième lieu, Monsieur [E] sollicite le remboursement d'honoraires payés à son conseil.

Les honoraires d'avocat ne peuvent être remboursés que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures destinées à y mettre fin. Il appartient au requérant d'en justifier, notamment par la production de factures permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté, le juge de l'indemnisation de la détention n'ayant pas à procéder lui-même à cette individualisation.

Au soutien de sa prétention, Monsieur [E] produit une facture de son conseil en date du 7 novembre 2018, d'un montant de 3 424,80 euros TTC, distinguant :

- d'une part, des honoraires de 2 350 euros HT dus au titre des prestations suivantes : rendez-vous, téléphone, correspondances, frais d'ouverture de dossier, étude du dossier pénal, assistance lors de la mise en examen, assistance lors de la comparution devant le JLD, formalités d'appel de l'ordonnance de placement en détention provisoire, assistance à l'audience de la chambre de l'instruction, formalités pour demande de mise en liberté et visites à la maison d'arrêt ;

- d'autre part, des frais de déplacement de 504 euros HT pour deux visites à la maison d'arrêt et un déplacement à la cour d'appel de Bourges.

Or, en l'espèce, les prestations en lien avec le contentieux de la liberté ne peuvent donner lieu à remboursement, faute d'avoir été facturées distinctement des diligences afférentes au fond de l'affaire.

En revanche, Monsieur [E] peut prétendre au remboursement des frais de déplacement de son avocat à la maison d'arrêt de [Localité 6], où il était incarcéré ainsi qu'à l'audience de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bourges, saisie d'un appel contre l'ordonnance de placement en détention provisoire, dans la mesure où ces frais n'ont dus être engagés qu'en raison de la mesure de privation de liberté.

Il doit donc lui être alloué une somme de 504 euros HT, outre la TVA de 20 %, soit 604,80 euros TTC.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement par mise à disposition au greffe,

DÉCLARONS recevables les demandes de Monsieur [U] [E] ;

FIXONS à :

- 6 500 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre du préjudice moral ;

- 1 108 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre de la perte de revenus ;

- 3 000 euros le montant de l'indemnité due par l'Etat au titre d'une perte de chance ;

- 604,80 euros en remboursement de frais d'avocat ;

CONDAMNONS l'Etat à verser ces sommes à Monsieur [E] ;

DÉBOUTONS Monsieur [E] du surplus de ses demandes :

LAISSONS les dépens à la charge de l'Etat.

Ordonnance rendue le 30 Mai 2024, par M. A. VANZO, premier président qui en a signé la minute avec Madame A. SOUBRANE, greffier.

LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT

A. SOUBRANE A. VANZO


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 22/00481
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.00481 ?
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