SM/SLC
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à
- Me Muriel POTIER
- SELARL ISABELLE MAUGUERE
Expédition TJ
LE : 07 MARS 2024
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 07 MARS 2024
N° - Pages
N° RG 23/01122 - N° Portalis DBVD-V-B7H-DTIG
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nevers en date du 12 Octobre 2023
PARTIES EN CAUSE :
I - M. [G] [Y]
né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 9] (MAROC)
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
- Mme [D] [O] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentés par Me Muriel POTIER, avocat au barreau de NEVERS
Plaidant par Me MOYNARD, avocat au barreau d'AUXERRE
timbre fiscal acquitté
APPELANTS suivant déclaration du 29/11/2023
II - S.A.S. [11] venant aux droits de la société [14], agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 2]
[Localité 6]
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4]
Représentée par la SELARL ISABELLE MAUGUERE, avocat au barreau de NEVERS
Plaidant par la SELARL TAVIEAUX MORO-DE LA SELLE Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
07 MARS 2024
N° /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Février 2024, hors la présence du public, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme de LA CHAISE, Présidente chargée du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sabine de LA CHAISE Présidente de Chambre
Mme Valérie ALLEGUEDE Conseillère
Mme Elsa CHENU Conseillère
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
**************
FAITS ET PROCÉDURE
Par un arrêt rendu le 20 mars 2002 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a notamment condamné Mme veuve [S] [O] tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de feu [J] [O] et de représentante légale de son fils mineur [P] [O] et Mme [D] [O] à payer à la société [10] venait aux droits de la société [13], la somme de 122 513,15 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 1994.
Par assignation du 15 mars 2023, la société [11] a demandé, après qu'il soit dit qu'elle vient régulièrement aux droits de la société [14] laquelle vient aux droits de la société [10], anciennement [13], la mise en 'uvre des opérations de comptes-liquidation-partage et préalablement la licitation par voie judiciaire du bien indivis appartenant à Mme [D] [O] et M. [G] [Y].
Par conclusions d'incidents notifiées le 6 juin 2023, Mme [D] [O] et M. [G] [Y] ont saisi le juge de la mise en état d'une demande tendant à voir déclarer la demanderesse irrecevable en son action pour défaut de droit d'agir.
Par ordonnance du 12 octobre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nevers a notamment :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par [D] [O] et [G] [Y] ;
- réservé les dépens.
Par déclaration par voie électronique au greffe du 29 novembre 2023, Mme [D] [O] et M. [G] [Y] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 22 décembre 2023, Mme [D] [O] et M. [G] [Y] demandent à la Cour de :
- recevoir les concluants en leur appel et de les en dire bien-fondés ;
- réformer purement et simplement l'ordonnance critiquée ;
statuer à nouveau,
- juger la société [11] irrecevable en son action pour défaut de droit d'agir ;
- condamner la société [11] à leur payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2024, la société [11] demande à la Cour de :
- ordonner qu'elle a qualité à agir ;
- confirmer l'ordonnance critiquée ;
- débouter les appelants de toutes leurs demandes et moyens ;
- les condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner en tous les dépens de l'instance.
L'affaire a été appelée à bref délai à l'audience du 5 février 2024. Le présent arrêt est mis à la disposition des parties le 7 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir pour défaut de droit d'agir
L'article 32 du code de procédure civile dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
L'article 122 du même code prévoit que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, Mme [D] [O] épouse [Y] et M. [G] [Y] soutiennent que la société [11] n'a pas de droit d'agir en ce que la créance a fait l'objet d'une procédure collective, que Mme [D] [O] a renoncé à la succession la rendant débitrice de la créance revendiquée à son encontre et que, par ailleurs, la société ne démontre pas disposer effectivement d'un droit de créance à leur encontre.
Il convient néanmoins de constater que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 mars 2002 (pièce 4 ' intimée) ayant condamné Mme [D] [O] à payer à la [10] la somme de 122 513,15 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 1994 a été régulièrement signifié à la débitrice le 6 mai 2002 selon les dispositions prévues par l'article 657 du code de procédure civile alors en vigueur (pièce 5 ' intimée). Il a en conséquence, acquis force de chose jugée.
Ensuite, Mme [D] [O] soutient avoir renoncé à la succession de feu [J] [O], son père, par un acte du 20 septembre 2007 (pièce 2 ' appelante). Toutefois, cette déclaration unilatérale faite auprès du greffe du tribunal de grande instance de Grasse plus de 13 ans après le décès du de cujus ne peut anéantir son acceptation pure et simple de la succession conformément à la définition de l'acceptation tacite de l'article 782 du code civil en ce qu'elle s'est comportée comme une héritière par la contestation comme étant les siennes des dettes issues du passif patrimonial du de cujus lors de la procédure ayant conduit à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Ainsi, sa déclaration de 2007 ne peut avoir pour effet de remettre en cause ni l'acceptation de la succession plusieurs années auparavant, ni l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 20 mars 2002 rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Par ailleurs, si Mme [D] [O] verse aux débats une notification d'admission de créances du 25 novembre 2004 dans le cadre d'une procédure collective concernant Mme [S] [O] (pièce 1 ' appelante) d'un montant de 139 723,82 euros pour le compte de la société [10] avec comme observation la cession de cette créance à la société [14], l'appelante n'en déduit aucune conséquence sur la validité et l'exigibilité de la créance litigieuse à son encontre.
Enfin, il convient de vérifier si l'ensemble des transferts de la créance détenue à l'encontre de Mme [D] [O] permettant à la société [11] d'avoir qualité et intérêt à agir a été régulier.
La partie intimée verse au débat une copie certifiée conforme de l'exemplaire original, déposé au rang des minutes d'un office notarial, de l'acte sous seing privé du 30 septembre 2002 opérant cession de créances entre la société [10] et la société anglaise [14] (pièce 1 ' intimée), enregistrée à la Recette Principale de [Localité 12] le 8 octobre 2002, bordereau 2002/218, case 3.
Il y est inséré un acte complémentaire de cession de créances du 11 mars 2004 selon les mêmes formes, enregistrée à la Recette Principale de [Localité 12] le 23 mars 2004, bordereau 2004/137, case n°2, avec en annexe un extrait des créances cédées dont le numéro emprunteur « 019749 » porte le nom emprunteur « [O] ».
Il est indiqué pour chacun que la cession des titres de créance et leurs accessoires se fait par la signature de l'acte par les deux parties conformément à l'article 1689 du code civil.
L'ensemble de ces actes a été régulièrement signifié à Mme [D] [O] le 31 mai 2006 conformément aux prescriptions de l'article 1690 du code civil (pièce 2 ' intimée).
Il convient en conséquence, de constater que la preuve est apportée par l'intimée de la régularité du transfert de la créance litigieuse entre la société [10] et la société anglaise [14], celle-ci restant exécutoire à l'encontre de Mme [D] [O].
Concernant le transfert de la créance litigieuse entre la société anglaise [14] et la société [11], cette dernière verse au débat un extrait du contrat de trust en langue anglaise daté du 31 mars 2022 signé par les représentants des deux sociétés avec une annexe comprenant :
- un extrait des créances cédées comprenant le titre de créance portant le numéro en référence dossier « 019749 » dans lequel il est désigné en co-obligé Mme [D] [Y] née le [Date naissance 1] 1973 qui ne peut être que Mme [D] [O] ;
- une traduction française de l'extrait du contrat de trust qui n'est pas signé par les représentants des deux sociétés cocontractantes (pièce 3.1 ' intimée).
L'ensemble de ces pièces est certifié conforme par extrait littéral à l'original déposé au rang des minutes de l'office d'huissier de justice de M. [R] [H]. De plus, la société [11] communique un courrier adressé le 7 avril 2022 à Mme [D] [O], dans lequel elle indique être désormais son créancier (pièce 3.2 ' intimée). Ce courrier lui a été notifié le 8 avril 2022 (pièce 3.3 ' intimée). Par la suite, la société [11] a fait délivrer le 20 octobre 2022 à Mme [D] [O] un commandement de payer la somme de 187 052,68 € et lui a signifié le même jour, commandement aux fins de saisie-vente, transformé en procès-verbal de recherches infructueuses conformément aux prescriptions de l'article 659 du code de procédure civile (pièce 16 ' intimée).
Ce n'est qu'à l'issue de ces démarches que la société [11] a assigné Mme [D] [O] et M. [G] [Y] le 15 mars 2023 devant le tribunal judiciaire pour mettre en 'uvre les opérations de comptes-liquidation-partage et préalablement la licitation par voie judiciaire du bien indivis.
Il n'est pas contesté par les parties que les actes de cession de créance du 31 mars 2022 au profit de la société [11] ont été portés à la connaissance des appelants durant les échanges de pièces en première instance, permettant de rendre ledit acte opposable au débiteur.
Par ailleurs, la cour rappelle que si la France a signé mais n'a pas ratifié la Convention de la Haye du 1er juillet 1985 sur la reconnaissance du trust, il n'en demeure pas moins que l'article 792-0 bis du code général des impôts définit le trust et que, selon la jurisprudence civile et fiscale de la Cour de cassation développée dès 1996, il convient de s'attacher aux effets concrets du trust concerné tel qu'établi et régi par la loi étrangère applicable afin de déterminer s'il a réalisé, au sens du droit français, au profit du ou des bénéficiaires, un transfert de propriété (C. cass., crim., 6 janvier 2021, pourvoi n°18-84.570, §48).
Ainsi, concernant l'obligation de traduire les actes en langue française au visa des articles 455 du code de procédure civile et 111 de l'Ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539, il convient de rappeler que l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les actes de procédure et qu'il appartient au juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain, d'apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis (C. cass., 1re civ., 22 septembre 2016, pourvoi n° 15-21.176).
A la lecture de l'extrait du contrat de trust et de son annexe, il convient de qualifier le contrat passé entre la société anglaise [14] et la société [11] de trust et non de fiducie, dès lors que ledit contrat est soumis selon ses stipulations au droit anglais, que sa version anglaise prévaut et que cette dernière désigne ladite opération de trust. Toutefois et contrairement à ce que prétend la société [11] dans sa lettre adressée au débiteur le 7 avril 2022, il n'est pas question d'une liquidation amiable avec transfert automatique de l'ensemble du patrimoine au sein de l'extrait du contrat de trust mais d'un transfert de propriété de titres de créance et de leurs accessoires se faisant de manière définitive pour des titres désignés par des accords successifs.
C'est dans ce cadre que la créance critiquée détenue à l'encontre de Mme [D] [O] est désignée par l'annexe portant extrait de la liste des créances cédées et ce, sans aucune ambiguïté.
Ainsi, au regard de ces éléments, la preuve est apportée par la société [11] de sa qualité de propriétaire, au sens de l'article 544 du code civil, du titre de créance litigieux, ce qui lui confère la qualité à agir mais aussi l'intérêt à agir dès lors que son intérêt à vouloir recouvrer sa créance est personnel, direct, né et actuel.
Par conséquent, l'ordonnance du juge de la mise en état du 12 octobre 2023 est confirmée.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Eu égard à l'issue du litige d'incident, il convient de condamner les appelants aux entiers dépens d'incident sans préjudice de l'application des règles relatives à l'aide juridictionnelle. L'équité exige de ne pas appliquer l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 12 octobre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nevers,
Dit n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [D] [O] et M. [G] [Y] aux entiers dépens d'incident sans préjudice de l'application des règles relatives à l'aide juridictionnelle.
L'arrêt a été signé par Mme de LA CHAISE, Président, et par Mme SERGEANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
V. SERGEANT S. de LA CHAISE