COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- SELARL AVELIA AVOCATS
- SCP BRIZIOU-HENNERON
LE : 04 MAI 2023
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 04 MAI 2023
N° - Pages
N° RG 22/00555 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DOS2
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal de commerce de CHATEAUROUX en date du 30 Mars 2022
PARTIES EN CAUSE :
I - M. [L] [M]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL AVELIA AVOCATS, avocat au barreau de CHATEAUROUX
aide juridictionnelle totale numéro 18033 2022/001483 du 02/06/2022
APPELANT suivant déclaration du 25/05/2022
II - CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 2] agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 5]
[Localité 2]
N° SIRET : 314 602 491
Représentée par la SCP BRIZIOU-HENNERON & ANCIENNEMENT PERROT, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. TESSIER-FLOHIC Président de Chambre
M. PERINETTI Conseiller
Mme CIABRINI Conseillère
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
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ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] a consenti à la SARL [M] suivant acte sous seing privé du 31 juillet 2015 à un prêt professionnel d'un montant de 60'000 € au taux contractuel de 2,60 % soit un taux effectif global de 5,30 %, remboursable en 84 mensualités, destiné au financement de travaux de rénovation de son fonds de commerce de boulangerie-terminal de cuisson qu'elle exploitait sous l'enseigne « la mie Câline » à [Localité 2].
En garantie, Monsieur [L] [M] se portait caution solidaire sans bénéfice de discussion à hauteur de 36'000 € couvrant le principal les intérêts et le cas échéant les pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 9 ans.
La SARL [M] a été placée en redressement judiciaire par jugement du 2 octobre 2019, par le tribunal de commerce de Châteauroux et la SCP Olivier ZANNI désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Dès lors, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire le 26 septembre 2019. Cependant le redressement judiciaire de la SARL [M] a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 18 décembre 2019.
C'est dans ces conditions qu'elle s'est adressée directement à [L] [M] afin d'obtenir en sa qualité de caution, le remboursement du solde restant dû sur ce prêt, soit 32'277,64 €, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 7 janvier 2020, cependant resté vaine.
La banque a présenté une injonction de payer devant le tribunal de commerce de Châteauroux et par ordonnance du 7 octobre 2020 il a été fait droit à cette demande et enjoint à [L] [M] de lui régler les sommes de :
13'187,94 € en principal outre,
80,30 € au titre des intérêts,
35,21 € au titre des frais de requête.
L'ordonnance a été signifiée par huissier le 26 octobre 2020 à [L] [M] et ce dernier y a formé opposition le 5 novembre 2020.
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Par jugement du tribunal de commerce de Châteauroux du 30 mars 2022, l'opposition a été déclarée recevable et [L] [M] a été condamné à payer en qualité de caution solidaire à la caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] la somme de 13'187,94 € en principal majorée des intérêts au taux légal depuis le 7 janvier 2020, avec 24 mois de délai de paiement c'est-à-dire sous forme de 24 versements consécutifs le 10 de chaque mois, d'un montant chacun pour les 23 premiers mois de 549€ le solde étant réglé le 24e mois avec les frais et accessoires de la dette.
Une clause de déchéance du terme en cas de non-paiement d'une échéance était prévue et il était accordé en outre à la banque une somme de 800 € au titre de ses frais d'avocat.
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Monsieur [L] [M] interjetait appel de l'entier dispositif de la décision par déclaration au greffe le 25 mai 2022.
Au terme de ses dernières écritures régulièrement échangées le 5 janvier 2023, l'appelant soutient que l'engagement de caution était manifestement disproportionné au regard de ses ressources lors de la souscription et qu'en conséquence la banque avait failli à son devoir de mise en garde pour avoir parfaitement connu l'état d'endettement du débiteur principal et commis une faute. Il sollicite la décharge pure et simple de l'engagement qu'il a souscrit et la condamnation de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] à lui régler 2000 € au titre de ses frais d'avocat.
Il soutient en bref qu'alors que la banque avait connaissance des revenus mensuels du couple de 3450 € nets, les charges mensuelles d'emprunt totalisaient 1777, 31 € par mois comprenant le crédit de la maison et des travaux, un crédit de voiture, soit un taux supérieur à 50 % des revenus du ménage. En outre, le foyer était composé de 4 personnes dont 2 enfants en bas âge (2 et 6 ans) et le montant des charges fixes mensuelles ressortait déjà à 994,15 € par mois. Dans de telles conditions l'engagement ainsi souscrit était manifestement disproportionné à ses revenus.
Il conclut en conséquence à une décharge de l'engagement de caution ainsi souscrit et au paiement de 2.000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
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La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2], par conclusions régulièrement échangées le 5 novembre 2022, conclut au principal à la confirmation du jugement entrepris et de surcroît à la condamnation de l'appelant au paiement de 1500 € au titre de ses frais irrépétibles.
Rappelant que le prêt professionnel était destiné à financer les travaux de rénovation du magasin, elle avait obtenu la caution solidaire de chacun des époux dans la limite de 36'000 €.
Elle réplique que les revenus mensuels du couple selon la fiche de renseignements apparaissaient de 3450 € auxquels il fallait ajouter selon les propres déclarations des époux [M] une somme de 393,55 €au titre des versements de la CAF. Leurs revenus déclarés pour l'année 2014 étaient de 45'694 € annuels soient 3807,66 € mensuels ce qui était conforme à la déclaration sur l'honneur qu'ils avaient souscrites.
La fiche de renseignements était donc conforme à la réalité et si des baisses de revenus sont intervenues à partir de 2015, il ne saurait en être fait grief à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2].
De même, si les époux devaient s'acquitter de deux autres prêts souscrits en 2013 pour l'acquisition de leur résidence principale, le taux d'endettement bancaire était de 927,31 € soit moins d'un tiers au jour de la souscription de cet acte de caution. En outre, il convient d'ajouter que les époux avaient indiqué dans le cadre d'une demande de prêt pour un aménagement d'un portail qu'ils disposaient de 11'449 € d'épargne et des revenus mensuels de 3955 €. Mieux, ils se déclaraient propriétaires du bien immobilier d'une valeur de 200'000 €.
La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 2] en déduit que le cautionnement appelé pour 13'000 € de façon solidaire n'apparaissait dès lors pas disproportionné.
Actuellement, il convient de rappeler que le salaire de Madame [M] est de l'ordre de 1396 € et celui de Monsieur [M] de 1707 € , ce qui permet au couple de régler le montant de la caution.
Subsidiairement, pour le cas où la cour estimerait le cautionnement disproportionné, seule l'inopposabilité de ce cautionnement pourrait être retenu et non l'octroi de dommages-intérêts.
L'ordonnance de clôture est en date du 21 février 2023. L'affaire a été appelée à l'audience du 14 mars 2023 date à laquelle elle a été mise en délibéré et l'arrêt a été mis à la disposition des parties le 4 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.
Sur le fond :
Les parties ne discutent pas la régularité matérielle de l'engagement de caution souscrit par M. [L] [M] au profit de la SARL éponyme dont il était gérant d'un montant de 60.000€ au taux de 2,60% le 31 juillet 2015.
Sur la proportionnalité de l'engagement et le manquement à l'obligation de mise en garde :
In limine litis, si les dispositions de l'article 2299 du code civil ne sont entrées en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2022, il n'en demeure pas moins qu'au jour de la souscription de l'acte d'engagement de la caution, la banque était tenue de vérifier la viabilité de l'opération et dans la négative d'en informer la caution. Cependant le commerçant qui se porte caution de la SARL qu'il dirige ne peut qu'être considéré comme étant suffisamment averti de la situation financière de celle-ci.
En outre, selon l'article L341- 4 du code de la consommation, en vigueur du 5 août 2003 et jusqu'au 1er juillet 2016 et donc applicable au cautionnement du 31 juillet 2015, « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
Ces dispositions sont applicables lorsque la caution est une personne physique. (Arrêt n°09-67.814)
Le prêt avait pour objet la rénovation du magasin de boulangerie qu'il exploitait à [Localité 2]; à l'appui de l'acte de caution était joint une fiche patrimoniale faisant apparaître qu'il était le gérant de la boulangerie depuis octobre 2006, soit depuis 9 ans à la date de la souscription, pour un salaire déclaré de 2.000 € outre une rémunération en sa qualité de gérant de 1.450 €/mois, en outre, était déclaré un forfait kilométrique, soit un total annuel de 46.200 €, soit 3.850 €/mois pour le couple.
Encore au titre de son patrimoine, M. [L] [M] affirmait qu'il disposait d'un immeuble en commun avec son épouse d'une valeur de 200.000 €.
En regard il déclarait en charges, le coût du remboursement de trois crédits, deux immobiliers de 258,98€ et 668,66 € au titre de prêts habitat et un crédit à la consommation devant prendre fin en avril 2018 de 850€/mois.
Ainsi au total les engagements passés s'élevaient à 1.777,64 € soit 46,17 % de ses revenus, et ce sans prendre en compte l'exigibilité possible de la créance née de l'engagement de la caution et ce même s'il convient de relever que M. [L] [M] s'était engagé sur un prêt consenti de 60.000 €, à hauteur de la moitié suivant acte sous seing privé en principal intérêts et pénalités sur 108 mois, renonçant en outre au bénéfice de discussion.
Ainsi, contrairement à l'analyse des premiers juges qui ont considéré que le cautionnement de 13.187,94€ n'apparaissait pas disproportionné, le montant de l'engagement excédait plus du tiers des revenus du foyer.
En outre, l'immeuble déclaré à l'actif était en fait grevé des deux prêts habitat mentionnés plus haut et ne pouvait être utilement pris en compte au titre des garanties offertes par le boulanger.
Sans qu'il y ait lieu à vérifier que la banque ait mis en garde M. [L] [M] du caractère excessif de l'engagement ainsi souscrit, la cour doit constater que son engagement en qualité de caution, et ce même pour la moitié des 60.000 € empruntés, excédait ses capacités de remboursement.
Il s'en déduit que la sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de celui-ci ; qu'il en résulte que cette sanction qui n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice, ne s'apprécie pas à la mesure de la disproportion et qu'en conséquence, la banque ne peut pas se prévaloir de ce contrat de cautionnement et ne peut rien réclamer à l'appelant.
La cour doit donc réformer la décision et décharger [L] [M] de son obligation de caution vis à vis de la Banque Crédit Mutuel.
La décision doit donc être intégralement infirmée.
Sur les frais irrépétibles :
Il est particulièrement équitable de laisser à la charge de [L] [M], les frais irrépétibles qu'il a engagé.
[L] [M] succombant supportera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Constate que l'engagement de M. [L] [M] envers la banque Crédit Mutuel au jour de la souscription de l'acte de cautionnement du 31 juillet 2015, était manifestement disproportionné au regard de ses revenus et charges.
Décharge en conséquence M. [L] [M] de son obligation envers la banque Crédit Mutuel.
Laisse les dépens de l'instance à charge de M. [L] [M].
L'arrêt a été signé par M. TESSIER-FLOHIC, Président, et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
S. MAGIS A. TESSIER-FLOHIC