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24/03/2023 | FRANCE | N°22/00646

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 24 mars 2023, 22/00646


SD/CV





N° RG 22/00646

N° Portalis DBVD-V-B7G-DOZL





Décision attaquée :

du 08 juin 2022

Origine :

conseil de prud'hommes - formation de départage de CHÂTEAUROUX







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Mme [Z] [N]





C/



Me Stéphane GORRIAS, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE



Me Didier COURTOUX, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE



C.G.E.A ILE DE FRANCE OUEST

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Expéd. - Grosse



Me GUIET 24.3.23



Me LE ROY DES

BARRES 24.3.23



Me THEVENARD 24.3.23























COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 24 MARS 2023



N° 50 -...

SD/CV

N° RG 22/00646

N° Portalis DBVD-V-B7G-DOZL

Décision attaquée :

du 08 juin 2022

Origine :

conseil de prud'hommes - formation de départage de CHÂTEAUROUX

--------------------

Mme [Z] [N]

C/

Me Stéphane GORRIAS, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE

Me Didier COURTOUX, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE

C.G.E.A ILE DE FRANCE OUEST

--------------------

Expéd. - Grosse

Me GUIET 24.3.23

Me LE ROY DES

BARRES 24.3.23

Me THEVENARD 24.3.23

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 24 MARS 2023

N° 50 - 9 Pages

APPELANTE :

Madame [Z] [N]

[Adresse 3]

Représentée par Me Daniel GUIET de la SCP AVOCATS CENTRE, avocat au barreau de CHÂTEAUROUX

INTIMÉS :

Maître Stéphane GORRIAS, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE

[Adresse 1]

Représenté par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat postulant, du barreau de BOURGES et par Me Pierre-Emmanuel FENDER du LLP GIBSON, DUNN & CRUTCHER, avocat plaidant, du barreau de PARIS

Maître Didier COURTOUX, ès-qualités de co-mandataire liquidateur de la SA LA HALLE

Représenté par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat postulant, du barreau de BOURGES et par Me Pierre-Emmanuel FENDER du LLP GIBSON, DUNN & CRUTCHER, avocat plaidant, du barreau de PARIS

C.G.E.A ILE DE FRANCE OUEST

[Adresse 2]

Ayant pour avocat postulant Me Anne-Claire THEVENARD de la SELARL ARÈNES AVOCATS CONSEILS, du barreau de BOURGES et représentée par Me Franck MOREL de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat plaidant, du barreau de PARIS

Arrêt n° 50 - page 2

24 mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre, rapporteur

en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CLÉMENT, présidente de chambre

DÉBATS : A l'audience publique du 17 février 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 24 mars 2023 par mise à disposition au greffe.

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 24 mars 2023 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :

La Société Compagnie Européenne de la Chaussure exploitait sous les enseignes commerciales 'La Halle aux Chaussures', 'La Halle aux Chaussures et Maroquinerie' et 'Chaussland' une activité de vente de chaussures aux particuliers. Le 1er janvier 2019, elle a été absorbée par fusion au sein de la SAS La Halle.

Les salariés de la SAS La Halle étaient répartis sur environ 500 sites, dont l'un situé à [Localité 4] (Indre), qui comprenait plusieurs bâtiments, et notamment un entrepôt désigné sous l'appellation ' Bâtiment JB', et qui était destiné à l'origine au stockage des marchandises retournées.

Il a été détecté le 13 avril 2010 que ce bâtiment contenait de l'amiante dans certaines dalles de sols, les plaques ondulées et rives du toit, de sorte qu'il a fait l'objet de contrôles périodiques. Le 10 octobre 2019, l'inspecteur du travail qui s'est rendu sur les lieux a ordonné l'arrêt immédiat de l'activité et l'évacuation des personnels y travaillant, si bien que la fermeture du site a été décidée lors d'une réunion du Comité Social et Economique du 28 octobre 2019.

Suivant contrat à durée indéterminée, Mme [Z] [N] a été engagée par cette société à compter du 3 octobre 1994 en qualité d'agent logistique cariste.

Par jugement du 2 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a converti en redressement judiciaire la mesure de sauvegarde prise à l'égard de la SAS La Halle le 21 avril précédent.

Par jugement du 8 juillet 2020, il a arrêté un plan de cession de la société, a ordonné le transfert de 3267 contrats de travail et autorisé le licenciement pour motif économique de 1938 salariés.

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Le 26 juin 2020, Mme [N] a, avec 242 autres salariés de la SAS La Halle, saisi le conseil de prud'hommes de Châteauroux d'une demande tendant à l'indemnisation du préjudice d'anxiété qu'elle estime avoir subi en raison de son exposition à l'amiante.

L'AGS, intervenant par l'Unedic-CGEA Ile de France Ouest, a été appelée en garantie.

Par jugement du 30 octobre 2020, la liquidation judiciaire de la société a été prononcée et la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane Gorrias, ainsi que la Selarl Axyme, prise en la personne de Me Didier Courtoux, ont été désignées en qualité de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle.

Les liquidateurs judiciaires, ès-qualités, se sont opposés aux demandes formées devant le conseil de prud'hommes, en sollicitant à titre principal leur rejet et à titre subsidiaire la réduction des sommes allouées, ainsi qu'en tout état de cause l'allocation d'une indemnité de procédure.

L'AGS, intervenant par l'Unedic-CGEA Ile de France Ouest, s'est également opposée aux prétentions de la salariée.

Par jugement du 8 juin 2022 , auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes, statuant en sa formation de départage, a déclaré irrecevable la demande en paiement d'une indemnité de procédure formée par les liquidateurs judiciaires ès-qualités, a débouté Mme [N] de l'ensemble de ses prétentions, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la salariée aux dépens.

Le 21 juin 2022, par voie électronique, Mme [N] a régulièrement relevé appel de cette décision.

Cet appel a été régularisé par une seconde déclaration en date du 1er juillet 2022. Les deux procédures, qui ont été enregistrées par le greffe au répertoire général sous deux numéros distincts, ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 4 juillet 2022.

DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.

1 ) Ceux de Mme [N] :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 20 septembre 2022, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, Mme [N] demande à la cour de :

- fixer sa créance au passif de la SAS La Halle à la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété,

- déclarer la décision opposable à l'Unedic agissant par l'AGS-CGEA d'IDF Ouest,

- condamner la SCP BTSG et la Selarl Axyme à titre personnel et ès-qualités de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle au paiement d'une indemnité de procédure de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et la même somme au titre de ceux engagés en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

2 ) Ceux de la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane Gorrias, et de la Selarl Axyme, prise en la personne de Me Didier Courtoux, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle :

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Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe le 21 décembre 2022, elles demandent à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la salariée de l'intégralité de ses prétentions et de le réformer en ce qu'il les a déboutées de leur demande d'indemnité de procédure.

A titre subsidiaire, elles réclament la réduction à de plus justes proportions des réparations susceptibles d'être mises à la charge de la société.

En tout état de cause, elles sollicitent la condamnation de la salariée aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3 ) Ceux de l'Association pour la Gestion du Régime de garantie des créances des salariés (AGS), intervenant par l'Unedic-CGEA Ile de France Ouest :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 12 décembre 2022, le CGEA qui fait siennes les observations des mandataires liquidateurs, sollicite à titre principal que le jugement soit confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire, il réclame que le montant des réparations mises à sa charge soit réduit à de plus justes proportions et fixé dans les limites de sa garantie, qu'il soit dit que les dommages et intérêts mettant en oeuvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ainsi que les indemnités de procédure sont exclus de sa garantie et qu'il soit statué ce que de droit quant aux frais d'instance qui pourraient être mis à sa charge.

* * * * * *

La clôture de la procédure est intervenue le 25 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété :

L'article L. 4121-1 du code du travail prévoit que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En application de ce texte qui régit l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

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Le salarié doit d'abord rapporter la preuve de son exposition à l'amiante.

En l'espèce, Mme [N] expose avoir travaillé régulièrement et pendant de nombreuses années sur le site'JB' et avoir ainsi été au contact de l'amiante qui s'y trouvait sans que l'employeur, informé de sa détection depuis un diagnostic technique établi le 21 avril 2010, ne prenne de mesure particulière pour protéger les salariés dans l'exercice de leurs missions.

Elle invoque avoir subi un préjudice d'anxiété après avoir eu connaissance des risques élevés encourus par son exposition à ce matériau toxique, risques encore aggravés par la présence sur le site d'un générateur d'air chaud générant un brassage des fibres d'amiante. Elle insiste sur sa dangerosité même lorsque les taux relevés étaient inférieurs aux valeurs limites d'exposition et ce d'autant que les méthodes de comptage de l'amiante sous-estiment selon elle toujours l'exposition.

Me Gorrias et Me Courtoux, ès-qualités, font valoir que la preuve de l'exposition personnelle de la salariée à l'amiante générant un risque de développer une pathologie grave n'est pas rapportée, notamment parce qu'aucun élément ne précise la période de présence sur le site d'[Localité 4], la localisation de son poste et son affectation à celui-ci, les tâches qui lui étaient confiées, ni les conditions dans lesquelles elle a exercé ses fonctions.

Le CGEA, pour sa part, reprend ces arguments mais invoque que la SAS La Halle n'ayant pas été un établissement figurant sur une liste établie par arrêté ministériel permettant le versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata), le salarié ne peut réclamer la réparation de son préjudice d'anxiété. Cependant, ainsi qu'il vient d'être dit, les salariés n'ouvrant pas droit au régime de l'Acaata peuvent désormais obtenir réparation de leur préjudice d'anxiété en invoquant le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Cass.Ass.plèn.,5 avril 2019, n° 18-17.442).

Il ne fait pas débat que l'utilisation de l'amiante, substance fibreuse largement utilisée dans l'industrie ou le bâtiment, a été interdite à compter du 1er janvier 1997 par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996, mais que pour autant, de nombreux bâtiments construits avant cette date en contiennent toujours de sorte que des travailleurs ont continué à y être exposés dans l'exercice de leurs missions.

Le risque de développer, après inhalation de fibres amiantées présentes dans l'air, des lésions irréversibles du poumon (asbestoses), ainsi que des cancers du poumon et de la plèvre après un délai de latence n'est pas non plus discuté.

Il est également admis que l'inhalation de poussières d'amiante est provoquée par la manipulation ou la dégradation des matériaux amiantés.

Il résulte des pièces du dossier que de nombreux salariés ont travaillé sur le site 'JB' selon une organisation postée en 3x8 alors que la présence d'amiante avait été détectée en 2010 dans certaines dalles de sols, les plaques ondulées et rives du toit ce qui a contraint l'employeur à faire procéder à des contrôles périodiques du bâtiment.

L'article R. 4412-100 du code du travail prévoit que la concentration moyenne en fibres d'amiante, sur huit heures de travail, ne dépasse pas dix fibres par litre. Elle est contrôlée dans l'air inhalé par le travailleur.

Cette valeur limite d'exposition a été introduite par le décret n° 2012-639 du 4 mai 2012 et est applicable depuis le 2 juillet 2015.

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Les articles R. 4412-101 et R. 4412-102 du même code disposent encore que l'employeur s'assure

du respect de la valeur limite d'exposition professionnelle pour l'ensemble des travailleurs exposés, compte tenu de l'évaluation des risques, et qu'il doit communiquer au médecin du travail et au comité social et économique les conditions et les résultats de ces contrôles, en les tenant à la disposition de l'inspecteur du travail, du médecin inspecteur du travail et des agents de service de prévention des organismes de sécurité sociale compétents.

En l'espèce, les résultats des mesures du contrôle de l'amiante réalisé courant mai 2019 ont révélé des seuils dépassant 10 fibres par litre puisqu'ils étaient de 13,5 fibres par litre pendant les opérations de balayage et de ramassage manuels et de 21,8 fibres par litre lors de la conduite d'un chariot élévateur.

L'employeur produit le résultat du contrôle auquel il a fait procéder le 3 octobre 2016 pour mesurer l'empoussièrement et si celui-ci avait conclu à un taux nul, l'inspecteur du travail, par courrier du 20 mars 2017, lui a demandé de faire réaliser sans délai un nouveau diagnostic technique amiante après avoir relevé que les dalles de sol amiantées à l'intérieur du bâtiment étaient très dégradées, que leur état de conservation n'avait pas été évalué par l'organisme accrédité mandaté, et qu'à de nombreux endroits, des morceaux de dalles de sol avaient été retirés en ne laissant que les traces de colle sans que l'organisme précité n'ait également cherché à détecter si cette colle était ou non amiantée.

Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les mandataires liquidateurs ès-qualités et le CGEA, si aucun élément n'établit formellement que le seuil réglementaire a été dépassé avant le mois de mai 2019, la forte dégradation des dalles de sol, connue de l'employeur dès le repérage effectué le 13 avril 2010 selon ce qui résulte du diagnostic produit, ainsi que leur manipulation permanente par le passage des chariots conduits par les caristes dans l'entrepôt, exposait les salariés aux poussières d'amiante qu'elles provoquaient, et ce alors que l'employeur ne produit pas les résultats de tous les contrôles techniques de l'exposition à l'amiante auxquels il avait l'obligation de procéder annuellement en application de l'article R.4412-27 alinéa 3 du code du travail.

Par ailleurs, Mme [N] produit le témoignage de Mme [R] [D], qui a été responsable sur le bâtiment 'JB', y a à ce titre encadré de nombreux salariés de 2010 à octobre 2019 et confirme qu'ils tournaient beaucoup sur ce site puisqu'elle indique:

' j'avais sous ma responsabilité une trentaine de personnes et en fonction des périodes et la charge de travail de mon service, je faisais appel à des personnes qui travaillent sur le dépôt principal. Je le faisais régulièrement pour le traitement des retours contre saison. Il pouvait y avoir une vingtaine de personnes par roulement et en 3 x 8 du dépôt principal pour des périodes de 2 à 3 mois. Il y avait également des caristes et des chauffeurs du dépôt principal qui venaient tous les jours récupérer de la marchandise que nous avions préparée'.

Elle y a joint la liste des salariés ayant travaillé dans ce bâtiment, sur laquelle figure l'appelante, ce qui démontre que dans l'exercice de ses missions, celle-ci y a, à un moment ou un autre et au moins ponctuellement, occupé un poste entre le 13 avril 2010, date de détection de la présence d'amiante dans le bâtiment, notamment dans les dalles de sol endommagées, et le 10 octobre 2019, date de cessation de toute activité sur le site.

Il importe peu, contrairement à ce que soutiennent les intimés, que la liste établie par Mme [D] ne précise pas la période à laquelle la salariée a travaillé au sein du bâtiment 'JB', puisque le risque de développer une pathologie grave en raison de l'amiante n'est pas corrélé à la durée de l'exposition, la réalisation du risque ne se confirmant de toute façon qu'après une

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période de latence comprise entre 10 et 40 ans.

Le procès-verbal de la réunion extraordinaire du Comité Social et Economique qui s'est tenue le 28 octobre 2019 mentionnait d'ailleurs qu'il s'annonçait difficile d'identifier tous les salariés ayant travaillé dans le bâtiment 'JB' tant ils étaient nombreux à y avoir occupé un poste et que certains avaient quitté l'entreprise.

Ainsi que l'a exactement dit le juge départiteur, Mme [N] produit donc des éléments suffisants pour justifier d'une exposition personnelle à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

La preuve de cette exposition personnelle étant démontrée, l'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il établit avoir rempli son obligation de sécurité, c'est-à-dire avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l'espèce, Mme [N] prétend que l'employeur a continué à faire travailler ses salariés dans le bâtiment pendant plusieurs mois alors qu'il était informé que la concentration moyenne en fibres d'amiante dépassait les seuils précités, qu'il ne lui a fourni aucun équipement particulier, ne lui a pas donné d'information suffisante ni n'a mis en oeuvre de suivi médical à son bénéfice et ce alors que cela résultait clairement des préconisations de l'inspecteur du travail. Elle en déduit que l'absence de protection suffisante n'est pas contestable et que l'employeur a ainsi failli à son obligation de sécurité.

Il résulte de l'article R. 4412-110 du code du travail que selon les niveaux d'empoussièrement définis par les articles R. 4412-96 et R. 4412-98, l'employeur met à disposition des travailleurs des équipements de protection individuelle adaptés aux opérations à réaliser et assurant le respect de la valeur limite d'exposition professionnelle.

L'article R. 4412-114 du même code prévoit encore que lorsque l'employeur constate que le niveau d'empoussièrement dépasse le niveau estimé dans le document unique d'évaluation des risques et que, par suite, le respect de la valeur limite d'exposition professionnelle n'est plus garanti, il suspend les opérations jusqu'à la mise en oeuvre de mesures propres à remédier à cette situation. Afin de vérifier l'efficacité de ces mesures, il procède sans délai à un nouveau contrôle du niveau d'empoussièrement.

Les représentants de la SAS La Halle, sur ce point, prétendent vainement que l'employeur a satisfait à son obligation de sécurité alors d'une part, qu'il n'est pas allégué que des équipements de protection individuelle ont été remis à l'ensemble des salariés travaillant sur le site ' JB' puisqu'il est seulement indiqué qu'ils ont été remis aux salariés des sociétés intervenantes sur celui-ci, que d'autre part, il n'est pas démontré qu'il a procédé 'dans les plus brefs délais' à un nouveau contrôle de l'empoussièrement lorsque l'inspecteur du travail le lui a demandé par courrier du 20 mars 2017, ni lorsqu'il a été établi en mai 2019 que les seuils d'exposition professionnelle étaient largement dépassés, et que par ailleurs, il n'a pas mis en oeuvre de suivi médical au bénéfice des salariés exposés.

En dernier lieu, il n'a pas pris la décision de mettre immédiatement un terme à l'activité dans le bâtiment lorsqu'il a eu connaissance du dépassement des seuils légaux et que les salariés y travaillant se trouvaient ainsi exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé. Il a fallu que l'inspecteur du travail en donne l'ordre et interdise à l'employeur d'y faire travailler des salariés, lorsqu'il est revenu sur le site le 10 octobre 2019, date à laquelle il a constaté qu'' un certain nombre' d'entre eux s'y trouvaient

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toujours et que pour remédier à la situation de dangerosité avérée, la SAS La Halle s'était contentée de recouvrir, sur 800 mètres linéaires, les dalles de sol amiantées et dégradées d'un

sol souple, sans toutefois le fixer de sorte qu'il ne pouvait en aucun cas constituer un encapsulage étanche.

Ainsi, les pièces produites par les représentants de l'employeur pour démontrer que celui-ci a pris des mesures de formation et de prévention pertinentes sont insuffisantes pour l'exonérer de sa responsabilité. La cour relève d'ailleurs qu'ils prétendent seulement qu'une information a été donnée aux salariés sur les risques encourus et les actions menées pour les préserver à l'occasion de la réunion extraordinaire du CHSCT le 21 février 2018, dont ils produisent le procès-verbal, et ce alors que la détection de la présence d'amiante dans le bâtiment était survenue huit ans plus tôt et que les seuils limite d'exposition étaient fixés à 10 fibres par litre d'air depuis le 2 juillet 2015.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité se trouve donc amplement établi.

Dès lors, en l'absence d'exonération, la salariée doit justifier avoir subi personnellement un préjudice d'anxiété qui ne peut résulter de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, mais est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par l'intéressé.

Pour démontrer la réalité du préjudice d'anxiété allégué, Mme [N], devant la cour, produit un certificat du docteur [U], daté du 20 septembre 2022, qui fait état d'un 'syndrome anxieux généralisé permanent ayant nécessité un suivi et un traitement à long terme provoqué par le risque d'exposition à l'amiante'ainsi que le témoignage de son époux, qui relate avoir constaté les conséquences que l'exposition professionnelle due à l'amiante a eues sur son moral.

Ainsi qu'il a été dit précédemment, il importe peu que Mme [N] ait été exposée à l'amiante durablement et intensément puisque l'anxiété effective qu'elle a ressentie pour avoir été exposée pendant de nombreuses années à un produit dont la dangerosité est connue de tous a été constatée.

Les éléments produits étant suffisants pour caractériser le préjudice d'anxiété dont il est demandé réparation, l''indemnisation de Mme [N], qui a travaillé au sein de l'entreprise à compter de 1994 et au sein du bâtiment amianté d'avril 2010 à octobre 2019, doit être fixée à la somme de 6 000 euros.

Le jugement entrepris doit donc être infirmé en toutes ses dispositions.

2) Sur les autres demandes :

Les dommages et intérêts dus aux salariés en raison de l'inexécution par l'employeur d'une obligation découlant du contrat de travail, telles que l'obligation de sécurité, sont garanties par l'AGS. La présente décision sera donc déclarée opposable à l'AGS intervenant par l'Unedic- CGEA d'IDF Ouest, dans les limites prévues aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3252-5 du code du travail.

Enfin, l'équité commande de condamner la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane Gorrias, ainsi que la Selarl Axyme, prise en la personne de Me Didier Courtoux, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle, à payer à Mme [N], la somme de 300 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés en première instance et la même somme au titre de

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ceux engagés en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel. Elles seront en conséquence déboutées de leur demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS et AJOUTANT :

FIXE la créance de Mme [Z] [N] au passif de la SAS La Halle à la somme de 6 000 € en réparation de son préjudice d'anxiété ;

DÉCLARE la présente décision opposable à l'AGS, intervenant par l'Unedic- CGEA d'IDF Ouest, dans les limites prévues aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3252-5 du code du travail ;

CONDAMNE la SCP BTSG, prise en la personne de Me Stéphane Gorrias, et la Selarl Axyme, prise en la personne de Me Didier Courtoux, en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle, à payer à Mme [N], la somme de 300 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et la même somme au titre de ceux engagés en cause d'appel ;

CONDAMNE la SCP BTSG et la Selarl Axyme, prises en leur qualité de mandataires liquidateurs de la SAS La Halle, aux dépens de première instance et d'appel et les déboute de leur propre demande d'indemnité de procédure.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00646
Date de la décision : 24/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-24;22.00646 ?
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