La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/02/2023 | FRANCE | N°22/00613

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 10 février 2023, 22/00613


SD/CV





N° RG 22/00613

N° Portalis DBVD-V-B7G-DOXL





Décision attaquée :

du 30 mai 2022

Origine : conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS







--------------------



M. [G] [I]





C/



SERTIP







--------------------



Expéd. - Grosse



Me PEPIN 10.2.23



Me VAIDIE 10.2.23















COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 10 FÉVRIER 2023



N° 23 - 12 Pages





APPELANT :



Monsieur [G] [I]

[Adresse 1]



Représenté par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES





INTIMÉE :



S.A.S.U. SOCIÉTÉ D'ETUDES ET DE RÉALISATIONS TECHNIQUES INDUSTRIELLES...

SD/CV

N° RG 22/00613

N° Portalis DBVD-V-B7G-DOXL

Décision attaquée :

du 30 mai 2022

Origine : conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS

--------------------

M. [G] [I]

C/

SERTIP

--------------------

Expéd. - Grosse

Me PEPIN 10.2.23

Me VAIDIE 10.2.23

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 10 FÉVRIER 2023

N° 23 - 12 Pages

APPELANT :

Monsieur [G] [I]

[Adresse 1]

Représenté par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

S.A.S.U. SOCIÉTÉ D'ETUDES ET DE RÉALISATIONS TECHNIQUES INDUSTRIELLES ET PUBLICITAIRES (SERTIP)

[Adresse 2]

Représentée par Me Stéphanie VAIDIE de la SCP AVOCATS CENTRE, avocat postulant, du barreau de BOURGES et par Me Béatrice CHAINE substituée à l'audience par Me DUFFIT DALLOZ de la SELARL Béatrice CHAINE AVOCAT, avocat plaidant, du barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :

PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre

ASSESSEURS : Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CLÉMENT, présidente de chambre

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON

DÉBATS : A l'audience publique du 2 décembre 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 13 janvier 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date le délibéré était prorogé au 3 février 2023 puis au 10 février 2023.

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 10 février 2023 par mise à disposition au greffe.

Arrêt n° 23 - page 2

10 février 2023

FAITS ET PROCÉDURE :

La SASU Société d'Etudes et de Réalisations Techniques Industrielles et Publicitaires,

ci-après dénommée la Sertip, est spécialisée dans la sérigraphie industrielle et employait plus de 11 salariés au moment de la rupture.

Suivant contrat à durée déterminée non produit, M. [G] [I] a été engagé par cette société à compter du 1er septembre 1998 en qualité d'agent technique. La relation de travail s'est ensuite poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, aux termes duquel M. [I] a été engagé à compter du 1er mars 2000 par la Sertip en la même qualité, moyennant un salaire brut mensuel de 1 143,36 €, contre 39 heures de travail effectif par semaine.

M. [I] a ensuite bénéficié de plusieurs promotions à compter d'un avenant non daté aux termes duquel il a été classé cadre à compter du 1er juillet 2007 et sa rémunération a été portée à la somme de 3 450 €.

En dernier lieu, M. [I] était, depuis mars 2014, Responsable de Production, statut cadre, position 2, coefficient 150, indice 3, et percevait un salaire brut mensuel de 5 750 €, outre diverses primes, contre un forfait annuel de 218 jours.

La convention collective nationale des Bureaux d'Etudes Techniques-Cabinets d'Ingénieurs-Conseils s'est appliquée à la relation de travail.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 juin 2021, M. [I] a informé son employeur qu'il démissionnait de son poste, en lui demandant d'être dispensé de son préavis de trois mois ce que la Sertip a accepté. La relation de travail a pris fin le 30 juin suivant et M. [I] a alors perçu les sommes de 18 051,82 euros à titre de prime, dont la nature fait débat, et de 13 189,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

Le 1er décembre 2020, invoquant notamment la nullité de sa convention de forfait en jours, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Nevers, section encadrement, de demandes en paiement de rappels de salaires pour heures supplémentaires et congés payés afférents, et d'indemnités pour travail dissimulé, non-respect de la contrepartie en repos et congés payés afférents, perte de droits à la retraite et mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.

Il réclamait également la remise sous astreinte d'une attestation Pôle Emploi conforme, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l'employeur à tous les dépens.

La Sertip s'est opposée aux demandes, au motif notamment que M. [I] aurait eu la qualité de cadre dirigeant, et a réclamé reconventionnellement le remboursement des jours de RTT alloués au salarié et de l'indemnité compensatrice de préavis versée lors de la rupture, et en tout état de cause une indemnité de procédure.

Par jugement du 30 mai 2022, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes, jugeant que M. [I] n'était pas cadre dirigeant et que la convention de forfait en jours insérée dans son contrat de travail était nulle, a condamné la Sertip à lui payer la somme de 18 173,01 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre celle de 1 817,30 euros au titre des congés payés afférents, et le salarié à rembourser à l'employeur la somme de 11 580,36 euros au titre des jours de RTT qui lui avaient été accordés.

Il a également :

- ordonné à la Sertip, sans prévoir d'astreinte, de remettre à M. [I] une attestation Pôle Emploi conforme,

Arrêt n° 23 - page 3

10 février 2023

- dit que les sommes allouées supporteraient le cas échéant les cotisations et contributions sociales applicables,

- débouté le salarié de ses plus amples prétentions et l'employeur de sa demande de remboursement de l'indemnité compensatrice de préavis versée lors de la rupture,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné l'employeur aux entiers dépens.

Le 17 juin 2022, M. [I] a régulièrement relevé appel de cette décision par voie électronique.

DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions qui sont ci-après résumées.

1 ) Ceux de M. [I] :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 15 novembre 2022, il sollicite l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il :

- a limité le montant du rappel de salaire alloué au titre des heures supplémentaires réalisées à 18 173,01 euros et les congés payés afférents à 1 817,30 euros,

- l'a débouté de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos, perte de droits à la retraite, mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail et d'indemnité pour travail dissimulé,

- l'a condamné à payer à la Sertip la somme de 11 580,82 euros au titre du remboursement de jours de RTT,

et sa confirmation en ce qu'il a dit qu'il n'avait pas la qualité de cadre dirigeant, que la convention de forfait en jours insérée dans son contrat de travail était nulle et a débouté la Sertip de sa demande en remboursement d'une indemnité compensatrice de préavis.

Il demande ainsi à la cour de condamner la Sertip à lui payer les sommes suivantes :

- 59 942,76 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 5 994,28 euros de congés payés afférents,

- 28 463,60 euros au titre de la contrepartie en repos, outre 2 848,36 euros au titre des congés payés afférents,

- 99 895,40 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de retraite complémentaire,

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail,

- 44 929,28 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure.

Il réclame également que la Sertip soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions et condamnée sous astreinte à lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée ainsi qu'en tous les dépens.

2 ) Ceux de la Sertip :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 15 novembre 2022, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- a dit que M. [I] ne relevait pas du statut de cadre dirigeant,

- a dit que la convention de forfait était nulle,

- l'a condamnée à payer à M. [I] la somme de 18 173,01 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 817,30 euros au titre des congés payés afférents,

Arrêt n° 23 - page 4

10 février 2023

- l'a déboutée de sa demande en remboursement de la somme de 18 051,82 euros versée au salarié à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- lui a ordonné de remettre à M. [I] une attestation Pôle Emploi rectifiée,

- l'a condamnée aux entiers dépens de la procédure.

Elle sollicite ainsi que la cour, statuant à nouveau :

à titre principal :

- dise que son argumentaire développé au sujet de la qualité de cadre dirigeant est recevable et que M. [I] bénéficiait de cette qualité,

- déboute M. [I] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire, si la cour estimait que M. [I] n'était pas cadre dirigeant et que sa convention de forfait en jours était nulle ou inopposable,

- déboute le salarié de l'intégralité de ses demandes,

- condamne M. [I] à lui rembourser les jours de RTT accordés entre 2018 et 2020, soit la somme de 11 580,36 euros,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour jugeait la demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires suffisamment étayée,

- réduise la somme allouée au salarié à 18 173,01 euros bruts, outre 1 817,30 euros de congés payés afférents,

- déboute M. [I] de ses demandes plus amples ou contraires,

- le condamne à lui rembourser les jours de RTT accordés entre 2018 et 2020, soit la somme de 11 580,36 euros,

En tout état de cause,

- condamne M. [I] au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens, au remboursement de la somme de 18 051,82 euros bruts au titre du préavis non effectué et juge que les sommes allouées supporteront les prélèvements de cotisations et contributions sociales applicables.

* * * * * *

La clôture de la procédure est intervenue le 16 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur l'applicabilité à M. [I] de la qualité de cadre dirigeant :

Aux termes de l'article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Il résulte de ce texte, qui définit trois critères cumulatifs, que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l'entreprise.

Arrêt n° 23 - page 5

10 février 2023

Le cadre dirigeant doit disposer du pouvoir de prendre des décisions de façon largement autonome. Tel n'est pas le cas de celui qui ne participe pas à la définition de la stratégie de l'entreprise et à ses instances dirigeantes (Cass.Soc. 13 avril 2022, n° 20-13.817). Cependant, la participation à la direction de l'entreprise ne constitue pas un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux.

Pour s'opposer aux prétentions de M. [I], la Sertip prétend que l'appelant aurait bénéficié du statut de cadre dirigeant et ne peut donc réclamer des rappels de salaire pour heures supplémentaires, travail dissimulé et absence de contrepartie obligatoire en repos.

Les cadres dirigeants ne sont en effet pas soumis aux dispositions des articles L. 3121-1 à L. 3134-16 relatifs à la durée du travail, la répartition et l'aménagement des horaires et aux repos et jours fériés.

M. [I] soutient, au visa de l'article 70 du code de procédure civile, que cette demande de l'employeur, qui est selon lui nouvelle en ce qu'elle ne figurait pas dans ses premières écritures, n'est pas recevable.

L'article 70 du code de procédure civile, qui concerne seulement les demandes reconventionnelles ou additionnelles, n'est pas applicable dès lors que la Sertip ne fait là qu'invoquer un moyen de nature à compléter son argumentation développée dans ses premières conclusions et visant à obtenir que M. [I] soit débouté de ses prétentions. M. [I] est donc mal fondé à soutenir que ce moyen serait irrecevable.

La Sertip soutient ainsi que M. [I] remplissait les trois critères cumulatifs précités en ce qu'il exerçait des responsabilités dont l'importance impliquait une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, prenait des décisions de manière largement autonome et percevait un salaire se situant dans les niveaux les plus élevés des rémunérations servies au sein de l'entreprise. Elle ajoute que M. [I] participait en outre à la direction de la société. Elle estime que c'est donc à tort que les premiers juges n'ont pas reconnu que l'appelant bénéficiait de cette qualité.

M. [I] le conteste, en mettant d'abord en avant que ni son contrat de travail, ni ses bulletins de salaire, ni le certificat de travail qui lui a été remis lors de la rupture ne mentionnaient ce statut.

Il appartient au juge, pour déterminer si un salarié a la qualité d'un cadre dirigeant, d'examiner la fonction qu'il exerçait réellement au regard des trois critères cumulatifs énoncés par le texte précité.

Il ne fait pas débat que M. [I] était soumis depuis 2014 et encore au dernier état de la relation de travail à une convention de forfait en jours.

Or, la conclusion d'une convention de forfait annuel en jours n'est pas compatible avec la qualité de cadre dirigeant, et ce même si elle est ensuite déclarée nulle ou inopposable. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu d' examiner si les trois conditions d'attribution de cette qualité sont satisfaites dès lors que la convention de forfait à laquelle était soumis M. [I] exclut automatiquement l'application à celui-ci de la qualité de cadre dirigeant.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté ce moyen si bien que M. [I] est fondé à invoquer les dispositions relatives à la durée du travail, la répartition et l'aménagement des horaires et aux repos et jours fériés.

Arrêt n° 23 - page 6

10 février 2023

2) Sur la validité de la convention de forfait en jours :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Selon l'article L. 3121-58 du code du travail, peuvent notamment conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3e du I de l'article L. 3121-64, les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduisent pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.

Les articles L. 3121-63 et L. 3121-64 du code du travail prévoient que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche, qui doit notamment déterminer les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, celles selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise.

En l'espèce, l'appelant fait valoir qu'alors que ses bulletins de salaire mentionnaient qu'il était soumis à un forfait annuel de 218 jours de travail effectif, aucune disposition de son contrat de travail ni aucun avenant n'ont prévu cette convention de forfait, et ce alors que son accord express devait obligatoirement être obtenu par l'employeur.

Celui-ci, qui admet qu'aucune convention individuelle de forfait n'a été signée, prétend qu'elle n'était pas requise puisqu'à l'origine, la mise en place d'un forfait annuel en jours était subordonné à la conclusion d'un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou à défaut de branche.

Or, il est acquis que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

Le forfait en jours auquel a été soumis M. [I] était bien prévu par l'article 4 de la convention collective applicable, mais ce texte prévoyait qu' 'une convention individuelle de forfait en jours sur l'année doit fixer le nombre de jours travaillés et préciser les modalités de décompte des journées ou demi-journée travaillées et de prises de journées ou demi-journées de repos et par conséquent qu'un simple renvoi par le contrat de travail aux dispositions de la convention collective ou de l'accord collectif prévoyant le forfait en jours est insuffisant.'

La convention collective ne comportait cependant aucune disposition relative au suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restaient raisonnables et à assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé.

Il s'en déduit que la convention de forfait est nulle.

Arrêt n° 23 - page 7

10 février 2023

3) Sur la demande de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires non réglées et congés payés afférents :

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande et détermine souverainement, au vu des éléments produits par chacune des parties, l'existence d'heures de travail accomplies et la créance salariale s'y rapportant.

En l'espèce, en l'absence de convention individuelle de forfait en jours régulière, le salarié est soumis aux règles de droit commun de calcul de la durée du travail. Il peut donc solliciter le paiement des heures supplémentaires qu'il aurait accomplies.

A cet égard, M. [I] expose qu'il travaillait régulièrement plus de 10 heures par jour, voire même jusqu'à 14 heures par jour et jusqu'à 70 heures certaines semaines, en commençant ses journées de travail à des heures matinales et en les terminant tard le soir.

Il prétend ainsi qu'il a effectué :

- 712,25 heures supplémentaires en 2018,

- 296,25 heures supplémentaires en 2019,

- 424,75 heures supplémentaires en 2020,

- 16,5 heures supplémentaires en 2021,

si bien que la somme de 59 942,76 euros lui serait due, outre 5 994,28 euros de congés payés afférents.

A l'appui de ses allégations, que la Sertip conteste, M. [I] produit notamment :

- un tableau récapitulatif semaine après semaine des heures supplémentaires qu'il aurait accomplies,

- des décomptes de ces heures supplémentaires,

- trois attestations d'anciens collègues de travail, qui relatent qu'il arrivait tôt le matin, en faisant parfois l'ouverture de l'entreprise dès 6h, et partait tard, régulièrement après 19h30 ou 20h,

- le témoignage de son épouse, selon laquelle il dépassait régulièrement les 'horaires de travail officiels' fixés de 8h à 12h et de 13h30 à 17h30, que plus M. [I] 'travaillait, plus il s'investissait et plus on lui en demandait' et qui relate qu'il recevait des SMS, des appels téléphoniques et des mails de son supérieur hiérarchique, y compris pendant les congés annuels, jours fériés et un arrêt maladie de mars à mai 2021,

- des copies de SMS et de mails envoyés par l'employeur à M. [I] pendant son arrêt maladie ou ses congés ou encore après 18h,

Contrairement à ce que prétend la Sertip, selon laquelle le décompte et les tableaux produits sont vagues dès lors que M. [I] n'y mentionne pas ses heures d'embauche et de débauche, celui-ci présente à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis, susceptibles d'être discutés par l'employeur.

La Sertip soutient que M. [I] prenait son poste en général à 8h, sa pause à midi pendant une

Arrêt n° 23 - page 8

10 février 2023

heure trente comme les autres salariés et quittait son lieu de travail à 18h au plus tard, parfois même plus tôt.

Elle produit des attestations qui contredisent directement les témoignages produits par le salarié au sujet de son amplitude horaire, en ce qu'elles indiquent notamment qu'il partait le plus souvent de l'entreprise avant 18 h. Elle ajoute que deux des trois témoignages produits par le salarié sont de complaisance puisque les attestants avaient quitté l'entreprise depuis plusieurs années au moment de la rupture du contrat de travail de M. [I].

La Sertip produit le compte-rendu d'entretien annuel d'évaluation du 26 janvier 2017, sur lequel il a été fixé comme objectif à M. [I] pour l'année à venir de 'savoir limiter raisonnablement le volume horaire de ses journées : pas de départ au-delà de 18h', ainsi que le compte-rendu d'entretien annuel établi le 27 février 2018, qui mentionne que cet objectif a été complètement atteint, ce qui confirme que le salarié à compter de 2017-2018 n'a plus quitté l'entreprise après cette heure, contrairement à ce que son décompte mentionne. Il en résulte que les éléments produits par le salarié, qui soutient pourtant qu'il aurait accompli 1 449,75 heures supplémentaires entre 2018 et 2021, ne sont pas totalement fiables.

Cependant, la Sertip admet dans les compte-rendus d'évaluation produits que M. [I] réalisait des heures supplémentaires et le confirme en produisant son propre décompte, qui fait apparaître que la somme de 3 594,36 euros lui serait due à ce titre pour 2018, celle de 6 111,87 euros pour 2019, de 6 383,33 euros pour 2020 et de 2 083,45 euros pour 2021. Elle ne peut ainsi sérieusement soutenir que l'autonomie dont il bénéficiait ou l'absence de réclamation, qui ne vaut de toute façon pas renonciation à un droit, établissent que M. [I] n'accomplissait pas d'heures supplémentaires.

Au regard de ce qui précède, c'est le décompte produit par l'employeur qui doit être retenu pour fixer le nombre d'heures supplémentaires réalisées par le salarié si bien que c'est exactement que les premiers juges ont alloué à M. [I] la somme de 18 173,01 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 817,30 euros bruts au titre des congés payés afférents. Ces sommes donneront lieu à cotisations sociales conformément aux règles en vigueur ainsi que l'a dit le jugement critiqué.

Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la Sertip à payer ces sommes à M. [I].

4) Sur la demande en paiement de l'indemnité pour travail dissimulé :

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration à l'embauche, soit de soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur ces derniers un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit de soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du même code précise qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Arrêt n° 23 - page 9

10 février 2023

M. [I] fait grief au jugement attaqué d'avoir dit que la preuve de l'intention dissimulatrice de l'employeur n' était pas rapportée alors qu'il le sollicitait pendant ses congés et arrêts maladie et que son supérieur hiérarchique lui envoyait des messages le soir et le week-end. Il ajoute que l'employeur n'a de toute façon pas mentionné sur ses bulletins de salaire le nombre d'heures réellement effectué et qu'il ne pouvait ignorer qu'il devait mettre en place une fois par an un entretien portant sur sa charge de travail ce qu'il n'a pas fait.

Cependant, le seul fait d'avoir soumis à tort un salarié à une convention de forfait nulle ou privée d'effet ne suffit pas, en soi, à caractériser le caractère intentionnel d'une dissimulation d'emploi salarié.

Or, en l'espèce, si l'employeur s'est mépris sur la validité de l'article 4 de la convention collective applicable et sur la portée réelle de ses obligations en matière de suivi de la charge de travail, le salarié n'apporte, en dehors des messages envoyés par l'employeur qui sont trop brefs pour être constitutifs de travail effectif, aucun élément suffisant pour démontrer l'existence d'un tel élément intentionnel dans l'établissement de bulletins de paie ne mentionnant pas les heures supplémentaires, alors que l'employeur le croyait valablement soumis à une convention individuelle de forfait en jours.

Il en résulte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

5) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos :

L'article L. 3121-30 du code du travail dispose que des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.

L'article D. 3121-23 du même code prévoit encore que le salarié dont le contrat prend fin avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

Elle a le caractère de salaire.

M. [I] réclame la somme de 28 483,60 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos ainsi que les congés payés afférents, en prétendant avoir accompli en 2018 492,25 heures au delà du contingent annuel, 76,25 heures en 2019, et 204,75 heures en 2020.

Il n'est pas discuté qu'a été mis en oeuvre au sein de la Sertip, en octobre 2008, un accord collectif fixant le contingent annuel à 350 heures.

Or, ainsi qu'elle le met en avant, il résulte de son décompte, qui a été précédemment retenu par la cour, que M. [I] a accompli 154 heures supplémentaires en 2018, 275,75 heures en 2019, 282,25 heures en 2020 et 87 heures en 2021. Par conséquent, il n'a pas dépassé le contingent annuel de 350 heures et ne peut prétendre à une contrepartie obligatoire en repos. Le jugement est donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

6) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail :

Aux termes de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Arrêt n° 23 - page 10

10 février 2023

M. [I] réclame la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la mauvaise foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, en ce qu'il a appliqué pendant plusieurs années une convention de forfait irrégulière, n'a pas respecté la durée minimum légale de travail et n'a pas hésité à le solliciter pendant ses congés.

La Sertip conteste avoir fait preuve de mauvaise foi et met au contraire en avant que M. [I], qui est resté 22 ans dans l'entreprise sans jamais se plaindre de ses conditions de travail, a toujours fait l'objet d'un traitement bienveillant, y compris lorsqu'il persistait à ne pas réaliser les entretiens d'évaluation annuels de ses collaborateurs. Elle estime que sa demande est donc purement mercantile.

Il résulte de ce qui précède que l'employeur a pu se méprendre sur la régularité du forfait en jours auquel il a soumis son salarié et que les messages qu'il lui a adressés le soir ou pendant ses congés étaient trop brefs pour être constitutifs d'un travail effectif. Les éléments mis en avant par l'appelant ne peuvent donc caractériser la mauvaise foi de la Sertip. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

7) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de droits à la retraite :

M. [I] sollicite la somme de 99 895, 40 euros en réparation du préjudice résultant du fait qu'il aurait été privé pendant de nombreuses années du paiement de ses heures supplémentaires et que l'employeur n'aurait ainsi pas cotisé ainsi qu'il aurait dû le faire pour ses retraites de base et complémentaire.

Il produit le chiffrage réalisé par la Société Max Efficience, mais celui-ci ayant été effectué sur la base des seules allégations du salarié relatives aux heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été payées pendant toute la durée de la relation de travail, c'est à raison que le conseil de prud'hommes a estimé que M. [I] ne produisait pas d'élément matériellement vérifiable pour établir la réalité et l'ampleur du préjudice mis en avant.

Les premiers juges puis la cour ayant retenu que seule la somme de 18 173,01 euros brut était due à l'appelant à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, le versement de ces sommes, puis la remise d'un bulletin de salaire conforme qu'au demeurant il ne réclame pas, entraîneront de facto la rectification des futurs droits à la retraite de M. [I], âgé au jour de l'arrêt de 45 ans.

Dès lors, en l'absence de préjudice, le jugement déféré doit également être confirmé sur ce point.

8) Sur les demandes reconventionnelles de la Sertip :

a) Sur la demande de remboursement des jours de RTT :

Il est acquis que la convention de forfait en jours étant nulle, l'employeur est en droit de demander au salarié le remboursement des jours de RTT, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention étant devenu indu.

C'est ainsi vainement que M. [I] soutient que des jours de RTT lui ont été 'donnés' par l'employeur et que celui-ci n'est donc pas fondé à demander leur remboursement et ce d'autant qu'il lui en a fait bénéficier volontairement par application fautive d'une convention de forfait irrégulière.

Arrêt n° 23 - page 11

10 février 2023

Le salarié ne contestant pas que 39 jours de RTT lui ont été alloués entre juillet 2018 et décembre 2020 ni le décompte produit par l'intimée, c'est exactement que le conseil de prud'hommes l'a condamné à rembourser à ce titre à la Sertip la somme de 11 580,36 euros.

b) Sur la demande de remboursement de la somme de 18 051, 82 euros versée au titre du préavis :

La Sertip réclame ensuite le remboursement de la somme de 18 051,82 euros bruts, correspondant selon elle à l'indemnité de préavis prévue par la convention collective applicable et équivalente à trois mois de salaire. Elle fait valoir à cet égard que M. [I] a expressément demandé à être dispensé de son préavis et que puisqu'il ne l'a pas exécuté, cette somme est constitutive d'un enrichissement sans cause.

M. [I] ne conteste pas avoir perçu en juin 2021 la somme de 17 250 euros mais prétend qu'il s'agissait d'une prime exceptionnelle versée parce que son employeur était content de son travail.

Il résulte des pièces versées au dossier que répondant à son courrier de démission, la Sertip a indiqué à M. [I], par courrier du 30 juin 2021, qu'elle le dispensait d'effectuer son préavis ainsi qu'il le sollicitait et que le solde de son compte serait arrêté à la date de son courrier. Le bulletin de salaire de juin 2021 mentionne qu'une somme de 17 250 euros a été versée à M. [I] à titre de 'prime exceptionnelle' et celle de 801,82 euros à titre de 'prime de vacances', soit 18 051,82 euros bruts au total. Le reçu pour solde de tout compte remis au même moment au salarié fait état de cette somme en indiquant qu'il s'agit de 'primes et commissions' et aucun document n'évoque expressément le versement d'une indemnité compensatrice de préavis.

Cependant, même si la somme de 17 250 euros est à l'évidence équivalente à trois mois de salaire, ce qui correspond exactement à la durée du délai-congé, la Sertip n'explique pas les raisons qui ont conduit à son versement et ce alors qu'elle informait son salarié qu'elle le dispensait d'effectuer son préavis. Il n'est pas possible qu'elle ait été payée par hasard ou par erreur puisqu'elle n'a jamais été réclamée avant l'introduction du litige de sorte que la Sertip ne peut sérieusement invoquer l'absence de cause.

Dès lors, elle n'est pas fondée à la réclamer à M. [I] si bien que sa demande de rembour-sement ne peut prospérer.

9) Sur les autres demandes :

Compte tenu de ce qui précède, la demande de remise d'une attestation Pôle Emploi conforme est fondée. C'est donc exactement que les premiers juges y ont fait droit, étant relevé que comme ils l'ont dit, il n'était pas nécessaire de prononcer une astreinte ainsi que sollicité.

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

M. [I], qui succombe devant la cour, est condamné aux dépens de la procédure d'appel et débouté en conséquence de sa demande d'indemnité de procédure.

Enfin, l'équité commande de laisser à la charge de la Sertip les frais irrépétibles qu'elle a engagés dans le litige, si bien qu'elle doit être déboutée de la demande qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt n° 23 - page 12

10 février 2023

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT:

DÉBOUTE les parties de leur demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [G] [I] aux dépens de la procédure d'appel.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00613
Date de la décision : 10/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-10;22.00613 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award