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02/02/2023 | FRANCE | N°22/00467

France | France, Cour d'appel de Bourges, 1ère chambre, 02 février 2023, 22/00467


SD/MMC













































































COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS

- la SCP BOISSIER





LE : 02 FEVRIER 2023

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023



N° - P

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N° RG 22/00467 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DOL5



Décision déférée à la Cour :

Arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 février 2022, cassant partiellement un arrêt rendu par la Cour d'appel de RIOM le 19 février 2020, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND en date du 5 juillet 2018.





PARTIES EN CAUSE :



...

SD/MMC

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS

- la SCP BOISSIER

LE : 02 FEVRIER 2023

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023

N° - Pages

N° RG 22/00467 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DOL5

Décision déférée à la Cour :

Arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 février 2022, cassant partiellement un arrêt rendu par la Cour d'appel de RIOM le 19 février 2020, statuant sur appel d'un jugement du Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND en date du 5 juillet 2018.

PARTIES EN CAUSE :

I - S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

[Adresse 1]

N° SIRET : 428 268 023

Représentée par la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par la SELARL LEXCASE SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de LYON

exonération timbre fiscal

DEMANDERESSE AU RENVOI APRÈS CASSATION suivant déclaration du 29/04/2022

APPELANTE

II - Mme [U] [S] (anciennement immatriculée au RCS CLERMONT FERRAND sous le numéro 498 302 041)

née le 5 juin 1956 à [Localité 3]

[Adresse 2]

Représentée par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par la SCP BOISSIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

exonération timbre fiscal

DÉFENDERESSE AU RENVOI APRÈS CASSATION

INTIMÉE

02 FEVRIER 2023

N° /2

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. WAGUETTE, Président de Chambre chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. WAGUETTE, Président de Chambre

M. PERINETTI, Conseiller

Mme CIABRINI, Conseiller

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSE

Mme [U] [S] a exploité un fonds de commerce d'alimentation de proximité à [Localité 4] et, a signé le 5 juin 2007 un contrat d'approvisionnement avec la SAS Distribution Casino France avec location d'enseigne Vival.

Ce contrat a été conclu pour une durée de sept ans devant arriver à expiration le 4 juin

2014, avec reconduction tacite par périodes triennales en l'absence de dénonciation par

lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) adressée trois mois au moins avant l'arrivée de chaque terme.

Par LRAR du 14 novembre 2013, Mme [S] a informé la SAS Distribution Casino France de ce qu'elle ne souhaitait pas renouveler son contrat d'approvisionnement.

Puis, par une nouvelle LRAR du 17 mars 2014, elle a sollicité une prolongation du contrat, indiquant avoir trouvé un repreneur désirant garder la 'franchise Vival', la vente du fonds étant prévue pour le mois d'octobre 2014.

La SAS Distribution Casino France a répondu par courrier du 9 avril 2014 qu'elle prenait bonne note du souhait de Mme [S] de continuer l'exploitation du fonds sous l'enseigne Vival et de prolonger le contrat de franchise.

Le projet de reprise évoqué par Mme [S] dans son courrier du 17 mars 2014 n'a finalement pas abouti.

Par LRAR du 19 décembre 2015 Mme [S] a informé la SAS Distribution Casino France de ce que son état de santé ne lui permettait pas de poursuivre l'exploitation et que faute d'avoir trouvé un repreneur, elle fermerait le magasin fin janvier ou février.

Par LRAR du 3 février 2016, elle a demandé à la SAS Distribution Casino France de lui confirmer par écrit que ses prochains repreneurs auraient le libre choix de l'enseigne.

Ces courriers sont restés sans réponse.

Par LRAR du 5 mars 2016 Mme [S] a notifié à la SAS Distribution Casino France la résiliation des différents contrats les liant, à l'issue d'un préavis de trois mois à compter de la première présentation du courrier.

Par LRAR du 16 mars 2016, la SAS Distribution Casino France a rappelé à Mme [S] que le contrat avait été reconduit tacitement et devait être poursuivi jusqu'à son prochain terme le 4 juin 2017, elle lui a indiqué rester dans l'attente de toute information sur le projet de rachat du fonds lui permettant de se positionner sur la mise en oeuvre du pacte de préférence stipulé au contrat et, l'a mise en demeure de cesser immédiatement de proposer à la vente des produits à marque de distributeur concurrente.

Mme [S] a notifié sa décision de ne pas renouveler le contrat à l'échéance du 4 juin 2017 par LRAR du 28 février 2017, précisant que le magasin serait fermé à compter du 29 mai 2017.

Elle a cédé son fonds de commerce par acte du 7 juin 2017.

Suivant acte d'huissier en date du 29 mars 2017, la SAS Distribution Casino France a fait assigner Mme [S] devant le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs de cette dernière et obtenir la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 15.480 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement, la somme de 20.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la violation de la clause de personnalité et de droit de préemption et de la clause de non-concurrence, et à restituer sous astreinte l'ensemble du matériel informatique et d'encaissement, ainsi que l'enseigne Vival.

En réplique, Mme [S] a demandé au Tribunal de prononcer la résiliation du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs de la SAS Distribution Casino France pour manquement à ses obligations d'assistance et d'exécution loyale du contrat, et de condamner cette dernière à lui payer une somme de 30.000 euros de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 5 juillet 2018, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a :

- débouté la SAS Distribution Casino France de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté Mme [S] de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Mme [S] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Le Tribunal a notamment retenu que la SAS Distribution Casino France n'avait manifesté son intention d'exercer son droit de préemption qu'après la cession du fonds de commerce, soit postérieurement à la fin du contrat d'approvisionnement, qu'elle ne bénéficiait plus à cette date du droit de préemption qu'elle aurait pu exercer à plusieurs reprises entre 2014 et 2017, et que Mme [S] n'avait donc pas violé la clause contractuelle de personnalité et du droit de préemption du contrat.

La SAS Distribution Casino France a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24 juillet 2018.

Par arrêt contradictoire en date du 19 février 2020, la Cour d'appel de Riom a :

- confirmé le jugement déféré par motifs en partie substitués ;

- condamné la SAS Distribution Casino France à payer à Mme [S] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Distribution Casino France aux dépens d'appel.

La Cour a notamment retenu que la SAS Distribution Casino France s'était désintéressée du projet de cession, que la cession était intervenue après la fin du contrat d'approvisionnement, que Mme [S] n'avait souscrit aucun engagement exclusif d'approvisionnement avec la SAS Distribution Casino France puisqu'il était prévu un approvisionnement 'en priorité' auprès d'elle, qu'aucun manquement à la clause de non-concurrence n'était caractérisé, et que la SAS Distribution Casino France avait mis en demeure Mme [S] de cesser de proposer des produits de marque distributeur concurrente mais non de reprendre les approvisionnements auprès d'elle.

La SAS Distribution Casino France a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt rendu le 16 février 2022, la Cour de cassation a

- cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejetait la demande en paiement de la somme de 18.503 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du 7 mars 2016 et la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 19 février 2020, entre Ies parties, par la Cour d'appel de Riom ;

- remis, en conséquence, sauf sur ces points, l'affaire et Ies parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, Ies a renvoyées devant la Cour d'appel de Bourges ;

- condamné Mme [S] aux dépens ;

- en application de l'article 700 du code de procedure civile, rejeté la demande de la societe Distribution Casino France ;

- dit que sur Ies diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt serait transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

La Cour de cassation a essentiellement retenu que le pacte de préférence impliquait l'obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu'il décide de vendre le bien et de lui faire connaître les conditions particulières de la vente avant la réalisation de celle-ci, et que la date de la cession était en l'espèce incompatible avec l'exercice effectif de l'information due à la SAS Distribution Casino France sur le projet de vente en vue de l'exercice éventuel de son droit de préférence.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 septembre 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SAS Distribution Casino France demande à la Cour de :

REFORMER le jugement du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 5 juillet 2018 en ce qu'il a :

- Débouté la SAS Distribution Casino France de ses demandes visant à (i) dire et juger que Mme [S] a manifestement violé les clauses de personnalité et du droit de préemption du Contrat (articles 10 et 11) et (ii) consécutivement condamner Mme [S] à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 20.000€ en tant qu'elle concerne pour partie le préjudice subi du fait de la violation de la clause de personnalité et du droit de préemption consenties à la SAS Distribution Casino France ;

- Condamné la SAS Distribution Casino France à payer et porter à Mme [S] la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à 66,70 euros TVA incluse

STATUANT A NOUVEAU :

DIRE ET JUGER que Mme [S] a violé la clause de personnalité et le droit de préemption du Contrat (articles 10 et 11) ;

CONDAMNER Mme [S] à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 20.000 € au titre du préjudice subi du fait de la violation de la clause de personnalité et du droit de préemption consenties à la SAS Distribution Casino France par Mme [S] ;

CONDAMNER Mme [S] à restituer l'ensemble du matériel informatique et d'encaissement et l'enseigne Vival sous astreinte de 500 Euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

Et en tout état de cause,

CONDAMNER Mme [S] à payer à la SAS Distribution Casino France la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Mme [S] aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 juillet 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, Mme [S] demande à la Cour de :

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Clermont-Ferrand du 5 juillet 2018 en ce qu'il a débouté la SAS Distribution Casino France de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens.

DEBOUTER la SAS Distribution Casino France de sa demande indemnitaire au titre de la violation de la clause de personnalité et du droit de préemption en l'absence de toute preuve d'une quelconque perte de chance d'acquérir le fonds et d'un préjudice afférent. DEBOUTER la SAS Distribution Casino France de sa demande de restitution du matériel informatique et d'encaissement, et de l'enseigne Vival.

CONDAMNER la SAS Distribution Casino France au paiement d'une somme de 5.000 € en réparation du préjudice moral subi par Mme [S].

LA CONDAMNER en tous les dépens de l'instance ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.

L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 19 octobre 2022.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant simplement à voir « dire et juger », « rappeler » ou « constater » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt. Il en va de même de la demande de « donner acte », qui est dépourvue de toute portée juridique et ne constitue pas une demande en justice.

Il sera rappelé qu'eu égard à l'arrêt rendu par la Cour de cassation, seules demeurent soumises à l'examen de la juridiction de renvoi les demandes de condamnation de Mme [S] au paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de la violation de la clause de personnalité et de droit de préemption et de restitution sous astreinte du matériel informatique et d'encaissement et de l'enseigne Vival, outre la demande indemnitaire présentée par Mme [S] pour préjudice moral issu de procédures abusives.

Sur la demande indemnitaire présentée par la SAS Distribution Casino France :

L'article 1134 ancien du Code civil, en sa rédaction applicable au présent litige, pose pour principe que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

En l'espèce, l'article 11 du contrat d'approvisionnement Vival conclu le 5 juin 2007 entre les parties, intitulé « pacte de préférence », est rédigé comme suit :

« Le détaillant reconnaît au fournisseur ou à toute personne physique ou morale qu'il se substituerait, un droit de préférence en cas de vente, conférant à ce dernier la faculté d'acquérir aux prix, charges et conditions envisagés avec un tiers, quelle que soit la forme de la cession (vente, apports, fusion, cession d'actions ou de parts sociales, augmentation de capital, transfert de propriété ou de jouissance) portant sur le fonds de commerce ou sur les locaux dans lesquels celui-ci est exploité, ou bien encore en cas de mise en location ' gérance. Le droit de préemption ainsi institué vaut promesses irrévocable de cession.

Pour son exercice, le détaillant devra notifier au siège du fournisseur, par pli recommandé avec accusé de réception l'intégralité du projet de cession y compris les éléments d'identification de l'acquéreur éventuel.

Le fournisseur disposera d'un délai de trois mois francs, à compter de la réception de cette offre, pour faire connaître par lettre recommandée avec accusé de réception au détaillant sa décision de se porter acquéreur (ou toute personne substituée) aux mêmes conditions.

Au-delà, il sera déchu du bénéfice de son droit de préférence et le détaillant pourra réaliser la vente uniquement aux conditions exactes qu'il aura proposées au fournisseur.

Si cependant le détaillant ne réalisait pas la vente dans un délai de trois mois à compter de l'expiration du délai de trois mois ci-dessus bénéficiant au fournisseur, il ne pourrait consentir cette vente qu'après avoir renouvelé son offre au fournisseur de la manière sus-indiquée. Dans les huit jours de la signature de l'acte de cession, le détaillant devra en adresser une copie certifiée conforme au fournisseur.[...] »

Mme [S], par courrier recommandé en date des 22 février et 1er mars 2017, a avisé la SAS Distribution Casino France de son intention de ne pas renouveler le contrat qui les liait au-delà de son terme, prévu le 4 juin suivant. Elle ne conteste pas en revanche s'être abstenue d'informer la SAS Distribution Casino France de son projet de cession du fonds de commerce, réalisée le 7 juin 2017, soit trois jours après le terme du contrat d'approvisionnement. Mme [S] ne soutient nullement avoir informé la SAS Distribution Casino France des conditions particulières de cette cession avant la réalisation de celle-ci, ni que ladite cession viendrait concrétiser le projet qu'elle avait pu évoquer, par courrier recommandé du 3 février 2016 adressé à la SAS Distribution Casino France, de voir son fonds de commerce repris par un acquéreur non identifié.

Le pacte de préférence impliquant l'obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu'il décide de vendre le bien et de lui faire connaître les conditions particulières de la vente avant la réalisation de celle-ci, la SAS Distribution Casino France peut ainsi légitimement imputer à Mme [S] un défaut de respect du pacte de préférence stipulé au contrat.

Le fait que la SAS Distribution Casino France ait pu faire délivrer à Mme [S] une assignation aux fins de résiliation judiciaire du contrat d'approvisionnement à effet du 7 mars 2016 n'est pas en soi de nature à l'empêcher de pouvoir se prévaloir du défaut de respect des stipulations contractuelles qu'elle reproche à Mme [S] jusqu'au terme dudit contrat ou au jour du prononcé de cette résiliation par la juridiction saisie, étant observé que les motifs de résiliation qu'elle invoquait étaient étrangers au non-respect des dispositions contractuelles relatives au pacte de préférence litigieux et qu'aucun élément n'indique qu'elle ait eu connaissance, au jour de l'acte introductif d'instance, du projet de cession du fonds de commerce opérée par Mme [S] le 7 juin suivant.

Le préjudice invoqué par la SAS Distribution Casino France du fait de ce manquement de Mme [S] à son engagement contractuel s'analyse en une perte de chance de pouvoir exercer son droit de préemption du fonds de commerce, directement ou par un tiers commerçant substitué.

La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, dont le caractère certain doit être lui-même établi.

La réparation d'une perte de chance doit être par ailleurs mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. L'indemnisation de la perte de chance doit nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final.

Il est constant que le bénéficiaire d'un droit de préemption doit, pour établir la preuve du préjudice qu'il allègue, démontrer qu'il aurait eu l'intention d'acheter le bien qui en fait l'objet si l'offre de vente lui avait été communiquée et qu'il aurait eu la capacité financière d'en acquitter le prix (voir notamment en ce sens Cass. Com., 9 avril 2002, n°98-22.851).

Il n'est pas contestable en l'occurrence que la SAS Distribution Casino France aurait eu les moyens financiers de procéder à l'acquisition du fonds de commerce cédé par Mme [S] si elle en avait eu l'intention.

En revanche, les éléments produits aux débats révèlent que Mme [S], entre le mois de mars 2014 et le terme du contrat en cause, a informé à deux reprises la SAS Distribution Casino France de son projet de vendre le fonds de commerce à des repreneurs sans que celle-ci ne fasse état d'une éventuelle volonté d'exercer son droit de préemption, la première information n'ayant suscité aucune réaction de sa part, et la seconde l'ayant seulement amenée à indiquer à sa cocontractante qu'elle restait dans l'attente des caractéristiques de la vente afin de pouvoir se positionner sur la mise en oeuvre du pacte de préférence.

Par ailleurs, l'initiation de la présente instance à fin de résiliation du contrat la liant à Mme [S] est de nature à confirmer que l'intention de la SAS Distribution Casino France quant à ce fonds de commerce n'était pas de l'acquérir, mais de se dégager des liens contractuels qui lui ouvraient le droit de préemption qui fonde sa demande indemnitaire au titre de la perte de chance, démontrant ainsi son absence de volonté de maintenir tout investissement dans le fonds de commerce en cause.

La SAS Distribution Casino France ne justifie d'aucune démarche visant à trouver un repreneur susceptible de gérer le fonds de commerce litigieux sous enseigne à la suite de Mme [S].

En outre, il résulte de l'examen de l'acte introductif d'instance et des écritures ultérieurement produites par la SAS Distribution Casino France que la somme de 20.000 euros, dont elle affirme aujourd'hui qu'elle correspondrait à l'indemnisation du préjudice subi du seul fait de la violation de la clause de personnalité et du pacte de préférence figurant au contrat, englobait alors également la réparation d'une violation de la clause de non-concurrence dont le principe a été exclu par l'arrêt de la Cour de cassation.

Il est ainsi inexplicable que le montant du préjudice allégué soit demeuré inchangé malgré la disparition de l'une des causes de préjudice invoquées.

Enfin, la SAS Distribution Casino France produit une attestation de M. [Z], directeur administratif et financier franchise de sa branche proximité, affirmant la sincérité et la conformité aux données réelles des données chiffrées de valorisation du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat de franchise par Mme [S].

Il peut d'ores et déjà être rappelé que l'arrêt rendu par la Cour de cassation a expressément exclu du périmètre de la cassation prononcée le rejet de 'la demande en paiement de la somme de 18.503 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du 7 mars 2016', et que le document en cause n'est manifestement pas relatif au préjudice lié au défaut de respect par Mme [S] du pacte de préférence. Cette attestation est de plus assortie d'un document intitulé 'calcul préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat de franchise Magasin de St Saturnin', établi et signé par le même M. [Z], mentionnant un total de préjudice à hauteur de 18.503 euros, dépourvu de toute copie de document comptable comme de toute explication quant aux éléments et à la méthode de calcul retenus, et équivaut ainsi à une preuve établie par la SAS Distribution Casino France elle-même au soutien de ses propres demandes. Par surcroît, une version différente de ce document est également produite par la SAS Distribution Casino France, dont les éléments chiffrés varient inexplicablement bien que l'année prise pour référence (2015) soit la même, et qui indique un montant total de préjudice à hauteur de 15.480 euros.

La valeur probante des seuls documents produits par la SAS Distribution Casino France aux fins de démontrer la réalité et l'étendue du préjudice qu'elle affirme avoir subi est ainsi inexistante.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la preuve du préjudice allégué par la SAS Distribution Casino France n'est pas rapportée en l'espèce, aucune perte de chance n'étant caractérisée à son détriment.

Il convient en conséquence de débouter la SAS Distribution Casino France de sa demande indemnitaire formulée au titre de la violation de la clause de personnalité et du droit de préemption, et de confirmer le jugement entrepris en ce sens par substitution de motifs.

Sur la demande de restitution du matériel informatique présentée par la SAS Distribution Casino France :

L'article 1353 du Code civil impose à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et, réciproquement, à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, la SAS Distribution Casino France sollicite la restitution de l'ensemble du matériel informatique et de l'enseigne Vival confiés à Mme [S], sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Toutefois, Mme [S] verse aux débats le courrier émis le 13 août 2018 par la SAS Distribution Casino France, auquel est adjointe la copie d'un procès-verbal de restitution datée du 6 juin 2017, détaillant l'ensemble du matériel remis par Mme [S] au représentant de la SAS Distribution Casino France sans que la comparaison avec le procès-verbal de réception dudit matériel, le 13 avril 2015, ne laisse apparaître que l'intéressée ait pu conserver quelque matériel que ce soit.

La demande de restitution formée par la SAS Distribution Casino France sera en conséquence rejetée et le jugement entrepris confirmé en ce sens.

Sur la demande indemnitaire pour procédure abusive présentée par Mme [S] :

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est constant que le droit d'agir ou de se défendre en justice ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, nul abus de droit n'est caractérisé à l'encontre de la SAS Distribution Casino France dans le cadre de la présente instance, l'appréciation inexacte qu'elle a pu faire des éléments de la cause et de ses droits ne pouvant en soi être jugée fautive.

La demande indemnitaire formée à ce titre par Mme [S] sera en conséquence rejetée.

Sur l'article 700 et les dépens :

L'équité et la prise en considération de l'issue du litige commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS Distribution Casino France, qui succombe en l'essentiel de ses prétentions, à verser à Mme [S] la somme de 5.000 euros au titre des frais par elle exposés et non compris dans les dépens.

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. La SAS Distribution Casino France, partie succombante, devra supporter la charge des dépens de l'instance d'appel.

La décision entreprise sera enfin confirmée de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement rendu le 5 juillet 2018 par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant,

DEBOUTE Mme [U] [S] de sa demande indemnitaire pour procédure abusive ;

CONDAMNE la SAS Distribution Casino France à verser à Mme [U] [S] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SAS Distribution Casino France aux dépens de l'instance d'appel.

En l'absence du Président, l'arrêt a été signé par R.PERINETTI, Conseiller la plus ancien ayant participé au délibéré et par Mme MAGIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,

S.MAGIS R.PERINETTI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/00467
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;22.00467 ?
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