SD/OC
N° RG 22/00100
N° Portalis DBVD-V-B7G-DNQI
Décision attaquée :
du 18 janvier 2022
Origine :
conseil de prud'hommes - formation de départage de NEVERS
--------------------
Mme [S] [X]
C/
S.A. SNCF VOYAGEURS
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Expéd. - Grosse
Me LIANDIER 18.11.22
Me TANTON 18.11.22
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2022
N° 175 - 10 Pages
APPELANTE :
Madame [S] [X]
[Adresse 3]
Présente, assistée de Me Alexandre LIANCIER de la SELARL LIANCIER - MORIN-MENEGHEL, avocat au barreau de NEVERS
INTIMÉE :
S.A. SNCF VOYAGEURS
[Adresse 1]
Représentée par Me Alain TANTON, substitué par Me Daniel GUIET, de la SCP AVOCATS CENTRE, avocats au barreau de BOURGES
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme CLÉMENT, présidente de chambre, rapporteur
en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CLÉMENT, présidente de chambre
DÉBATS : A l'audience publique du 30 septembre 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 18 novembre 2022 par mise à disposition au greffe.
Arrêt n° 175 - page 2
18 novembre 2022
ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 18 novembre 2022 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [S] [X], née le 12 mai 1983, a été embauchée par la SNCF, Établissement d'Exploitation Voyageurs de Paris gare de Lyon, en qualité d'attaché opérateur suivant contrat de travail à durée indéterminée du 24 juillet 2008.
Elle a été affectée à un poste d'agent commercial (vendeuse) à compter du 1er septembre 2010 en gare de [Localité 4].
Au 1er juillet 2011, elle était positionnée sur un grade commercial SNCF 'Agent du service commercial principal', qualification B, niveau 2, position de rémunération 8.
Suivant un premier avenant du 10 octobre 2011, il lui a été accordé un temps partiel à 80 %, auquel s'est substitué un temps partiel à 91,4 % par avenant du 1er mai 2012.
Du 2 septembre 2015 au 31 juillet 2018, Mme [X] a bénéficié d'un congé individuel de formation et a obtenu le diplôme d'infirmier.
A son retour de congé le 1er septembre 2018, du fait d'une réorganisation du service vente, certains postes ont été supprimés dont celui de Mme [X].
Suivant avenant n°3 en date du 1er octobre 2018, le contrat s'est poursuivi à temps partiel à 50 % renouvelé le 1er janvier 2019. Mme [X] a ensuite été en arrêt longue maladie du 26 février 2019 au 2 septembre 2019 puis en congé de maternité jusqu'au 31 janvier 2020, date à laquelle il lui était accordé un temps partiel de 80 %.
Les 3 et 27 février 2020, elle a été reçue en 'entretien exploratoire' dans le but d'envisager un reclassement, au cours duquel elle a déclaré vouloir exercer comme infirmière sur le département de la Nièvre. Ce poste n'existant pas, la SNCF a indiqué à Mme [X] qu'elle serait affectée le 5 février 2020 à un poste de vendeuse en gare de [Localité 4].
A l'issue du premier confinement lié à la crise sanitaire, Mme [X] s'est présentée à son travail le 2 juin 2020, et après entretien avec son dirigeant de proximité, a quitté son poste à 11h. Elle a été placée en accident du travail le même jour pour 'hyperanxiété réactionnelle et syndrome dépressif liés aux conditions de travail'.
Par courrier en date du 1er juillet 2020, Mme [X] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Lors de la rupture du contrat de travail, elle percevait un salaire brut mensuel de 1 649,58 €.
Sollicitant principalement que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [X] a saisi le 16 novembre 2020 le conseil de prud'hommes de Nevers, lequel par jugement de départage du 18 janvier 2022, a :
- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [X] produit les effets d'une démission,
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- débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens.
- débouté les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;
Vu l'appel régulièrement interjeté par Mme [X] le 25 janvier 2022 à l'encontre de la décision prud'homale, qui lui a été notifiée le 21 janvier2022, en ce qu'elle a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens et a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 août 2022 aux termes desquelles Mme [X] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement de départage du 18 janvier 2022,
- Statuant à nouveau :
-Juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Dire que la SNCF Voyageurs s'est rendue coupable de harcèlement moral,
En conséquence,
- Condamner la SNCF Voyageurs à lui payer les sommes de :
$gt; 119 384,88 € à titre de réparation sur le harcèlement moral,
$gt; 3 299,16 € au titre du 'délai de préavis',
$gt; 18 145, 38 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-Ordonner la remise des documents légaux (solde de tout compte, attestation Pôle Emploi, attestation de travail) 15 jours après le prononcé de l'arrêt sous astreinte de 50 € par jour de retard,
- Condamner la SNCF Voyageurs à lui payer la somme de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2022 aux termes desquelles la société SNCF Voyageurs demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- Condamner Mme [X] à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 31 août 2022,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
MOTIFS
1) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
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En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur
de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [X] expose qu'elle a subi de la part de son employeur des actes de harcèlement moral caractérisés par le fait qu'elle a été placardisée et privée de bureau, qu'aucune mission ne lui a été confiée, qu'elle a vécu des humiliations ainsi que des pressions pour qu'elle quitte la société, qu'elle a été contrainte de prendre des congés payés pendant la pandémie de COVID-19 et qu'aucune formation ne lui été dispensée.
Pour établir l'existence de faits laissant supposer un harcèlement moral, Mme [X] produit d'abord son courrier de prise d'acte en date du 1er juillet 2020, qui est libellé en ces termes :
'Par la présente, je tiens à dénoncer les conditions de travail que vous m'imposez. Vous avez refusé depuis de nombreux mois à procéder à mon reclassement.
J'ai été placardisée, en (n') ayant ni bureau, ni aucune mission pendant plusieurs jours étant même obligée d'être installée dans le réfectoire.
J'ai subi de nombreuses pressions pour démissionner ou signer une rupture conventionnelle.
Aucune formation ne m'a jamais été proposée sauf une formation d'une heure.
Vous m'avez volontairement soumis à des congés payés au lieu de chômage partiel pendant les mois de Covid.
L'ensemble de ces pressions et de cette attitude m'ont causé un préjudice important dont le paroxysme a été la journée du 2 juin (2020) lors de laquelle j'ai subi un choc psychologique qui m'a contraint à déclarer un accident du travail.
Ces humiliations répétées constituent des faits de harcèlement moral rendant le maintien de mon contrat de travail impossible.
Ces faits ne révèlent qu'une partie des pressions et humiliations que j'ai subies.
Aussi, je vous informe prendre acte de la rupture de mon contrat de travail et solliciterai que cette rupture soit à vos torts exclusifs.'
Elle verse en outre aux débats les pièces suivantes, relatives tout d'abord à son retour de congé individuel de formation le 1er septembre 2018 :
- les attestations de Mme [M], M. [V], Mme [P] et Mme [Y] qui témoignent de ce qu'à son retour de congé formation, Mme [X] n'occupait aucun poste en gare de [Localité 4], qu'elle était installée dans le bureau du Dpx (Dirigeant de proximité) et attendait un poste,
- l'attestation de M. [O] qui témoigne des mêmes faits, ajoutant que les tâches qui étaient confiées à Mme [X] depuis son retour étaient de faire les courses pour les besoins des unités de la gare,
- l'attestation de Mme [F] qui déclare qu'elle a subi la réorganisation du service vente de la gare de [Localité 4], que 'les vendeurs ont été reçus en entretien exploratoire puis en entretien d'orientation dans le cadre des suppressions de poste pour ensuite être reclassés si nécessaire', qu'à sa connaissance, 'Mme [X] n'a pas été intégrée en RH910, pourtant celle-ci figurait dans
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les effectifs de l'équipe vente de [Localité 4] depuis son retour de congé individuel de formation. Depuis son retour et jusqu'à mon départ de l'équipe vente, je n'ai jamais vu Mme [X] être formée ni tenir un guichet de vente. Je l'ai croisée une fois ou deux et celle-ci était missionnée par des chefs, pour aller chercher du café ou autre en magasin ...'
- l'attestation de M. [A] qui déclare, tout comme Mme [F], que Mme [X] n'a pas été reçue en entretien à son retour de congé de formation contrairement à tous les autres agents du service vente et qu'il ne l'a jamais formée ;
- l'attestation de Mme [C], qui 'forme les agents aux guichets, formation théorique', qui atteste n'avoir jamais vu Mme [X] en formation.
- l'attestation de M. [U] qui indique que jusqu'à son propre départ le 31 décembre 2018, Mme [X] n'a jamais été reclassée au sein de la SNCF.
Après cette première période suivant son retour de formation, Mme [X] était en période de suspension de contrat de travail pour congé de maternité de février 2019 jusqu'au 3 février 2020 et elle produit, concernant son retour :
- l'attestation de Mme [M] : 'De plus au moment de son retour de congé maternité, les postes à la vente étaient non tenus. Malgré tout, l'entreprise n'a jamais mis Mme [X] en formation à la vente. Je l'ai vue attendre des journées complètes au réfectoire de la vente, car plus de bureaux disponibles suite aux règles sanitaires'
- les attestations de Mmes [C], [P] et [Y] qui déclarent de même qu'aucun poste n'a été donné à Mme [X] à son retour de congé de maternité.
- les bulletins de 'commande' desquels il ressort que du 3 au 7 février 2020, et les 18 et 20 février 2020, Mme [X] était prévue 'dispo DPX', c'est à dire qu'aucune mission ne lui était commandée. Aux autres dates, il est mentionné qu'elle est soit en repos, soit en congé, soit en temps partiel.
- un mail du médecin du travail en date du 6 janvier 2020 selon lequel : 'Mme [X], à l'issue de son congé maternité reste attachée au poste de 'vendeur [Localité 4] agent commercial' mais ne pourra pas réintégrer l'emploi précédemment occupé qui a été supprimé et la perspective d'évolution du personnel infirmier sur le secteur géographique de la Nièvre ne prévoit pas de poste à remplacer. Devant cette situation ambigüe, sans poste défini et sans perspective d'avenir au niveau professionnel, Mme [X] appréhende une reprise de travail. Cette incertitude entraîne chez elle un sentiment d'abandon de la part de l'entreprise, d'incompréhension de la part de la hiérarchie et d'inutilité sans issue possible malgré ses multiples démarches. Ce sentiment pourrait évoluer vers un réel état de souffrance au travail si lors de sa reprise aucune mesure n'était envisagée quant à ses conditions de reclassement' .
- un mail de Mme [H], élue au CSE, à l'employeur en date du 25 février 2020, demandant à ce dernier de réétudier la situation de Mme [X] après avoir souligné l'inégalité de traitement dont elle faisait l'objet, tout d'abord à la suite de la suppression de son poste en 2018 (absence d'entretien exploratoire et absence de proposition de poste) et ensuite à son retour de congé de maternité où elle se 'retrouve de nouveau exclue des dispositifs internes (mesures RH910 et départs volontaires GRH281) au prétexte qu'elle ne serait pas titulaire d'un poste'.
- les compte-rendus d'entretien exploratoire du 3 février 2020 (date du retour de Mme [X]) et du 27 février 2020 pour lequel elle a demandé à être assistée, qui indiquent que le poste de vendeuse [Localité 4] a été supprimé le 1er octobre 2018 et que Mme [X] a été à compter de son retour de CIF en 'missions Appui RH' puis à la date de février 2019 'reprise en gare de [Localité 4]', que le souhait de Mme [X] était d'occuper un poste d'infirmière sur le bassin de [Localité 4], avec le DE obtenu.
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- l'attestation de la psychologue clinicienne au pôle de soutien psychologique de la SNCF qui déclare avoir reçu en entretien Mme [X] les 26 février, 20 et 28 mai, 11 et 24 juin 2020.
- les déclarations de témoins du 15 juin 2020, rédigées par Mme [M] et M. [V] qui déclarent avoir constaté des échanges tendus entre le 'Dpx'et Mme [X] le 2 juin 2020 et avoir vu Mme [X] éclater en sanglots, que vers 10h, l'entretien s'est poursuivi au réfectoire de la vente, debout, M. [V] précisant 'Mme [X] est partie, visiblement en état de choc psychologique. J'ai procédé à l'annotation du carnet de rapport à 11h', les deux témoins ajoutant avoir constaté que Mme [X] était 'en pleurs, tremblante et complètement perdue'.
- les certificats médicaux des 18 février et 19 mai 2020 faisant état d'une tension psychique importante et durable ;
- le certificat médical initial accident du travail mentionnant 'hyperanxiété réactionnelle, syndrome dépressif, liés aux conditions de travail.'
Concernant l'entretien du 2 juin 2020 avec ses supérieurs hiérarchiques, lors de sa reprise de poste, s'il a été mal ressenti par Mme [X] qui s'est sentie déstabilisée, la preuve n'est pas rapportée que l'entretien procédait d'un harcèlement, alors même que depuis le mois de mars 2020, l'employeur avait mis en oeuvre les démarches de reclassement dans le secteur souhaité par Mme [X] et qu'il ne pouvait que lui proposer de reprendre un poste d'agent commercial vente.
En revanche, le fait que lors de la suppression des postes de vente résultant du fait que Mme [X] n'a pas bénéficié d'un entretien exploratoire en vue de son reclassement, l'absence de missions confiées entre le 1er septembre 2018 et le 26 février 2019 puis entre le 5 février 2020 et le 2 juin 2020, Mme [X] n'ayant pas dans les faits été affectée à la vente en gare de [Localité 4], le défaut de formation et la dégradation de l'état de santé de Mme [X] permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, en sorte qu'il revient à l'employeur d'établir que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La SNCF réplique tout d'abord à juste titre que Mme [X] ne pouvait prétendre au référentiel MRH 210 relatif au départ volontaire, applicable à compter du 1er janvier 2019. C'est donc à tort que Mme [X] soutient qu'elle était éligible aux dispositions sur le départ volontaire et aurait dû dans ce cadre percevoir une indemnité de plus de 40 000 €. Elle est cependant fondée à soutenir qu'elle pouvait prétendre à son retour de CIF en 2018, à l'application du référentiel RH910 prévoyant une procédure de reclassement en cas de suppression de poste, ce dont elle n'a pas bénéficié ainsi qu'il ressort des attestations détaillées ci-dessus, alors que les agents dont le poste a été supprimé en ont bénéficié. La SNCF se contente d'alléguer que 'cette réintégration s'est faite dans le respect de la réglementation car tant son utilisation (horaire de journée), sa qualification, que sa rémunération (correspondant à un temps partiel choisi à 50 %) n'ont subi de modifications' mais reste taisante sur la non application du référentiel RH910 au profit de Mme [X].
De plus, la SNCF non seulement ne démontre pas qu'un poste correspondant à la qualification de Mme [X], soit celui d'agent du service commercial principal, lui a été attribué à son retour de CIF le 1er septembre 2018 mais admet dans un courrier adressé le 7 janvier 2020 en réponse à celui de l'inspection du Travail en date du 23 décembre 2019 qu' 'Aucune mesure spécifique d'accompagnement n'a pu être mise en oeuvre par nos services pour retrouver un poste pérenne à Mme [X] depuis son retour de CIF'.
En effet, il est établi qu'elle n'avait que des missions d'appui RH, non décrites par la SNCF, et qu'elle était sous-employée, ce qui ressort du courrier de l'inspecteur du travail adressé à Mme [X] en date du 11 octobre 2021 : ' Je note qu'aucune fiche de poste ni lettre de mission
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n'a pu m'être produite en dépit de mes demandes. De ce fait, il m'a été impossible de prendre connaissance du contenu exact des ' missions administratives' précitées ni même de vérifier que
ces dernières pouvaient vous occuper à hauteur de votre durée du travail contractuelle. Mis à part les différentes tâches suffisamment précises et circonstanciées décrites de votre côté
(' Quelques commandes de fournitures à saisir, les courses à Carrefour, café, gâteaux... à faire une fois par mois pour l'UO') je n'ai eu aucun retour quant aux missions, réellement proposées et exercées lors de votre retour en septembre 2018.
Je note par ailleurs qu'aucune mission de vendeuse n'a pu vous être proposée au cours de cette période du fait de la suppression de votre poste initial'.
La SNCF a mis en place un entretien exploratoire dès le retour de Mme [X] de son congé de maternité (suivi d'un congé de maladie au mois de janvier 2020), en février 2019, ce dont il se déduit qu'elle aurait aussi dû le faire au retour de Mme [X] en 2018. Si elle démontre avoir effectué après l'entretien exploratoire du 27 février 2020 des recherches de reclassement auprès du secteur paramédical d' Optim Services sur des postes de santé dans la SNCF et que seul un poste d'infirmière à [Localité 2] était disponible, poste sur lequel Mme [X] n'a pas postulé, la SNCF restait soumise à l'obligation de fournir à cette dernière un travail, qui pouvait être un emploi similaire à celui qu'elle occupait avant son congé de maternité.
Le 5 février 2020, la SNCF a adressé une lettre de mission à Mme [X] pour la période du 4 février au 30 avril 2020 contenant l'intitulé suivant : 'Intervention sur le poste de vendeur à [Localité 4]' avec la précision 'prévoir une formation, un rafraîchissement sur les méthodes de vente et les gammes tarifaires en vigueur'.
Or, il est établi par les attestations et les bulletins de commande évoqués ci-dessus que Mme [X] n'a pas été affectée à un poste de vente du 5 février 2020 jusqu'au confinement et qu'elle était indiquée 'dispo Dpx'.
Dans son courrier du 15 juin 2020 adressé en réponse à un mail de l'Inspection du Travail du 9 juin 2020, si la SNCF indique bien que Mme [X] a été affectée 'en renfort de ses collègues en gare de [Localité 4]', elle ne précise pas avoir effectivement donné les missions correspondantes à Mme [X].
La SNCF produit un mail du 13 mars 2020 relatif aux 'formations et informations'qui ont été proposées à Mme [X] les 4,6,10,13 et 20 février 2020 et le 10 mars 2020, sans que leur durée ne soit précisée ni qu'aucun élément de preuve ne soit produit alors que Mme [X] prétend n'avoir reçu une formation que durant une heure.
La SNCF indique ensuite que Mme [X] a été en congé les 7,11,14,17,24, 25 et 28 février 2020 puis les 2,3,5,6,9,12,13,16,17,19,20,23,24,26 mars 2020 et qu'elle ne souhaitait pas reprendre son poste de vente. Plus exactement, aux termes du courrier précité du 15 juin 2020, elle a été du fait du confinement en congé pour garde d'enfant du 19 mars au 7 mai 2020 puis au chômage partiel du 11 au 30 mai 2020.
Il appartenait à la SNCF d'accompagner celle-ci lors de ses jours de présence avant le confinement, dans sa reprise de poste, par tous moyens utiles, et non de la laisser sans mission.
C'est par ailleurs vainement que la SNCF se prévaut d'avoir accordé à Mme [X] le temps partiel demandé alors qu'elle n'avait pas respecté le délai de deux mois imparti pour ce faire, ainsi que la journée non travaillée le mercredi, ce qui ne l'exonère bien entendu pas de ses obligations relatives à la fourniture d'un poste à Mme [X] en application de l'article L.1225-25 du code du travail.
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Dès lors, il ressort de ces éléments, pris dans leur ensemble, que l'absence de prise en compte de la situation de Mme [X] lors de son retour de CIF en septembre 2018 et à nouveau
en février 2020, lors de son retour de congé de maternité, ainsi que le fait à plusieurs reprises pendant l'ensemble des périodes litigieuses de ne lui avoir confié aucune mission, ainsi que l'absence de formations en 2018 et leur insuffisance en 2020, ne peuvent pas être justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Compte tenu des pièces produites par Mme [X], établissant qu'elle a été mise à l'écart par son employeur pendant six mois (du 1er septembre 2018 au 26 février 2019) puis du 3 février au 19 mars 2020 et que son état psychologique s'en est trouvé fortement altéré, le préjudice résultant du harcèlement moral subi sera justement indemnisé par l'octroi d'une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande à ce titre.
2) Sur la prise d'acte du contrat de travail
La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d'un licenciement nul si les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit dans le cas contraire, d'une démission.
C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des faits qu'il reproche à son employeur, s'il subsiste un doute, celui-ci profite à l'employeur.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le harcèlement moral que Mme [X] dénonçait dans son courrier de prise d'acte est caractérisé et que l'employeur a ainsi commis un manquement d'une gravité telle qu'il empêchait la poursuite de la relation de travail.
Dès lors, la prise d'acte de Mme [X] aux torts de son employeur est fondée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée a donc droit à des dommages et intérêts pour licenciement injustifié et aux indemnités de rupture.
Mme [X] était âgée de 37 ans au jour de la rupture du contrat de travail. Son salaire de référence s'élevait, au regard des douze derniers bulletins de salaire produits, à 1 649,58 euros. Elle justifie avoir retrouvé un emploi d'infirmière à la Polyclinique du Val de Loire à compter du 1er juillet 2021.
Au regard de ces éléments, la SNCF sera condamnée à payer à Mme [X] une indemnité de 10 000 euros, qui viendra réparer l'entier préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.
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Par ailleurs, Mme [X] demande la condamnation de la SNCF au paiement d'une somme de 3 299,16 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis correspondant à 2 mois du fait de son
ancienneté. Sa demande est bien fondée et le jugement attaqué sera donc également infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef, et la SNCF sera condamnée à payer à ce titre à Mme [X] la somme de 3 299,16 euros.
3) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Il sera ordonné à la SNCF de délivrer à Mme [X] les documents de fin de contrat rectifiés selon les dispositions du présent arrêt, sans toutefois assortir cette obligation d'une astreinte.
La SNCF, qui succombe principalement, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et, en équité, à payer à Mme [X] la somme de 1 500 € au titre de ses frais irrépétibles engagés devant les premiers juges et la même somme au titre de ceux qui l'ont été en cause d'appel.
La SNCF sera, en conséquence, déboutée de sa propre demande d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
INFIRME la décision déférée,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [X] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SA SNCF Voyageurs à verser à Mme [S] [X] les sommes suivantes :
- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral,
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3 299,16 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
ORDONNE à la SA SNCF Voyageurs de remettre à Mme [X] les bulletins de salaire et les documents de fin de contrat conformes à l'arrêt, mais DIT n'y avoir lieu à astreinte,
CONDAMNE la SA SNCF Voyageurs à payer à Mme [X] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, et la même somme au titre des frais irrépétibles d'appel,
CONDAMNE la SNCF aux dépens de première instance et d'appel et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
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En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE