SD/OC
N° RG 21/01286
N° Portalis DBVD-V-B7F-DNB2
Décision attaquée :
du 15 novembre 2021
Origine :
conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS
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M. [Z] [F]
C/
S.A.R.L. CERASOL
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Expéd. - Grosse
Me LECATRE 18.11.22
Me PORTAL 18.11.22
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2022
N° 173 - 15 Pages
APPELANT :
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 2]
Représenté par Me Anicet LECATRE, substitué par Me Catherine OLLIER, avocats au barreau de MOULINS
INTIMÉE :
S.A.R.L. CERASOL
[Adresse 1]
Représentée par Me Antoine PORTAL, substitué par Me Jean ROUX, de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme CLÉMENT, présidente de chambre, rapporteur
en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CLÉMENT, présidente de chambre
DÉBATS : A l'audience publique du 30 septembre 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 18 novembre 2022 par mise à disposition au greffe.
Arrêt n° 173 - page 2
18 novembre 2022
ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 18 novembre 2022 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [Z] [F], né le 13 janvier 1980, a été embauché à compter du 11 mars 2014 par la société [U] en qualité de conducteur de travaux suivant contrat de travail à durée indéterminée du même jour.
Par avenant du 1er janvier 2017, M. [F] a été détaché temporairement en qualité de directeur auprès de la société Cerasol du 1er janvier au 30 juin 2017.
Une convention tripartite entre les sociétés [U] et Cerasol et M. [F] a été conclue le 2 juillet 2017 prévoyant la rupture du contrat de travail de M. [F] avec la société [U] et la conclusion d'un contrat de travail avec la société Cerasol, M. [F] étant embauché en qualité de directeur, statut cadre, position B, échelon 1, catégorie 2, à compter du 3 juillet 2017.
Cet emploi relève de la convention collective nationale des cadres du bâtiment du 1er juin 2004.
M. [F] était soumis à une convention de forfait en jours, moyennant un salaire mensuel moyen de 3 340 euros bruts.
Il a été victime de deux malaises sur son lieu de travail, l'un le 3 avril 2019 et le second le 12 avril 2019, ce dernier ayant entraîné un arrêt de travail pour maladie, prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 juillet 2019.
Lors de la visite de reprise du 1er août 2019, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié, retenant que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.
Par courrier du 2 août 2019, la société Cerasol a informé M. [F] de sa dispense de procéder à une recherche de reclassement.
Par courrier du 5 août 2019, elle l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 27 août 2019.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 août 2019, M. [F] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, M. [F] a saisi le 28 mai 2020 le conseil de prud'hommes de Nevers, lequel, par jugement du 15 novembre 2021, a :
- dit que l'inaptitude de M. [F] n'est pas d'origine professionnelle et n'est pas liée à un harcèlement moral,
- débouté M. [F] de sa demande de requalification de son licenciement et de sa demande en paiement de dommages et intérêts à ce titre,
- dit que le licenciement de M. [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [F] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [F] de sa demande en paiement d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,
- dit que la convention de forfait en jours est valable et donc opposable au salarié,
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- débouté M. [F] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, que ce soit à titre principal ou subsidiaire,
- débouté M. [F] de ses demandes en paiement d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de dommages et intérêts au titre de l'illicéité de la convention de forfait jours et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- débouté M. [F] de sa demande en paiement de la somme de 2 400 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [F] de sa demande de remise d'attestation Pôle Emploi rectifiée,
- condamné M. [F] aux entiers dépens de la procédure,
- condamné la société Cerasol à payer à M. [F] la somme de 5 000 euros au titre du non-respect de son obligation de formation et d'adaptation,
- débouté la société Cerasol de sa demande en paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Cerasol à payer à M. [F] la somme de 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les intérêts de droit au taux légal courent à compter de la date du jugement,
- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire de la décision,
- débouté les parties de toute demande différente, plus ample ou contraire au dispositif.
Vu l'appel régulièrement interjeté le 6 décembre 2021 par M. [F] à l'encontre du jugement prud'homal, qui lui a été notifié le 20 novembre 2021, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de délivrance d'une attestation Pôle Emploi rectifiée, condamné la société Cerasol à lui payer la somme de 5 000 euros au titre au titre du non-respect de son obligation de formation et d'adaptation et la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société Cerasol de sa propre demande au titre des frais irrépétibles, dit que les intérêts de droit au taux légal courent à compter de la date du jugement, dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire de la décision et débouté les parties de toute demande différente, plus ample ou contraire au dispositif ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 juillet 2022 aux termes desquelles M. [F] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Cerasol à lui payer et porter la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation,
- l'infirmer pour le surplus,
statuant à nouveau,
- condamner la société Cerasol au paiement des sommes suivantes :
$gt; 5 575 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
$gt; 6 680 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
sur le licenciement,
$gt; à titre principal, 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, harcèlement moral et perte injustifiée d'emploi,
$gt; à titre subsidiaire, 20 040 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et perte injustifiée d'emploi,
en tout état de cause, si la cour ne jugeait pas que l'inaptitude était d'origine professionnelle,
$gt; 6 680 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 668 euros bruts au titre des congés payés afférents,
sur la convention de forfait en jours,
- dire que la convention de forfait en jours lui est inopposable,
- à titre principal, condamner la société Cerasol au paiement des sommes suivantes :
$gt; 49 484,64 euros bruts à titre de rappel de salaire,
$gt; 4 948,64 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- à titre subsidiaire, condamner la société Cerasol au paiement des sommes suivantes :
$gt; 19 064,92 euros bruts à titre de rappel de salaire,
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$gt; 1 906,92 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- en tout état de cause, condamner la société Cerasol au paiement des sommes suivantes :
$gt; 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour illicéité du forfait jours et du non-paiement des heures supplémentaires,
$gt; 20 040 euros nets au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
sur les frais irrépétibles,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Cerasol à lui payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Cerasol à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- dire que ces sommes porteront intérêts de droit au taux légal à compter :
$gt; de la convocation de l'employeur à comparaître devant le bureau de conciliation pour les sommes à caractère salarial, du jugement dont appel pour les sommes à caractère indemnitaire, et de l'arrêt à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire allouées en plus de celles allouées par le jugement,
- ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière et rappeler que ces intérêts échus porteront eux-mêmes intérêts au taux légal, le cas échéant majoré,
- ordonner la remise sous astreinte d'une attestation Pôle Emploi rectifiée,
- condamner la société Cerasol en tous les dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 mai 2022 aux termes desquelles la société Cerasol demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
$gt; l'a condamnée à payer à M. [F] la somme de 5 000 euros au titre du non-respect de son obligation de formation et d'adaptation,
$gt; l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
$gt; l'a condamnée à payer à M. [F] la somme de 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
statuant à nouveau,
- débouter M. [F] :
$gt; de sa demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de son inaptitude physique,
$gt; de sa demande au titre du reliquat d'indemnité spéciale de licenciement,
$gt; de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; de sa demande principale de nullité du licenciement,
$gt; de sa demande subsidiaire de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
$gt; de sa demande indemnitaire pour licenciement nul,
$gt; de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement, limiter la somme à allouer l'indemnisation minimale de trois mois en application du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail,
$gt; de sa demande de nullité de la convention de forfait annuel en jours,
$gt; de sa demande d'inopposabilité de la convention de forfait annuel en jours,
$gt; de sa demande principale de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
$gt; de sa demande subsidiaire de rappel de salaire sur heures supplémentaires,
$gt; de sa demande indemnitaire pour défaut du paiement du salaire en temps et en heures,
$gt; de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
$gt; de sa demande indemnitaire pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'adaptation,
- enjoindre à M. [F] de communiquer les résultats comptables de son affaire personnelle commerçante (RCS CUSSET 837 821 743),
- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [F] au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
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Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 septembre 2022 ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
SUR CE
1) Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié ou les réserves affectant son aptitude, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
En l'espèce, M. [F] expose qu'il s'est pleinement investi dans ses fonctions, en dépit de l'absence de soutien et du discrédit permanent de son autorité par le gérant de la société, et prétend avoir dû faire face à une charge de travail importante qui ne lui permettait pas de se reposer. Il allègue ainsi avoir été victime de deux malaises sur son lieu de travail les 3 et 12 avril 2019 en raison de son épuisement professionnel, malaises dont l'employeur avait connaissance. Il fait valoir que son accident du travail du 12 avril 2019 a été pris en charge à ce titre par la CPAM de l'Allier. Il en conclut que la dégradation de son état de santé et son inaptitude consécutive sont directement imputables à ses conditions de travail. Il fait enfin observer que l'employeur a mentionné dans l'attestation Pôle Emploi que le licenciement est intervenu pour inaptitude physique d'origine professionnelle.
En réponse, la société Cerasol prétend que M. [F] consacrait la majeure partie de son temps de travail à son activité professionnelle secondaire et estime ainsi que la surcharge de travail alléguée résultait du choix du salarié d'occuper son temps à cette activité. Elle soutient que M. [F] ne s'est jamais plaint de ses conditions de travail et conteste que M. [F] ait été victime de deux malaises sur son lieu de travail, affirmant qu'il ne justifie pas d'un arrêt de travail pour le 3 avril 2019, que l'arrêt de travail du 12 avril 2019 était un arrêt pour maladie 'classique' et que le salarié a attendu près de deux ans pour régulariser deux déclarations d'accidents du travail à ce titre. Elle soutient encore que le médecin du travail n'a jamais conclu à l'origine professionnelle de l'inaptitude et que le salarié n'a pas contesté son avis d'inaptitude. Elle fait valoir que la décision de la CPAM ne porte que sur l'existence d'un accident de trajet le 12 avril 2019, alors que les règles protectrices contre le licenciement ne s'appliquent pas à ce dernier, qui n'est pas assimilé à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. L'employeur conteste donc que l'inaptitude du salarié ait été d'origine professionnelle et allègue qu'il ne pouvait avoir eu connaissance de l'existence d'une telle inaptitude au moment de la rupture du contrat de travail. Il précise enfin que la mention 'licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle' portée sur l'attestation Pôle Emploi résulte d' une erreur et est contredite par le reçu de solde de tout compte et le dernier bulletin de paie.
Pour justifier de l'origine professionnelle de son inaptitude, M. [F] produit tout d'abord l'arrêt de travail du 13 avril 2019, établi sur un formulaire pour maladie 'classique', qu'il a adressé à son employeur par courriel du 14 avril 2019 dans lequel il écrit : 'ayant refai[t] un malaise le vendredi 12 avril plus grave que celui que j'ai déjà fai[t] le mercredi 3 avril en votre présence ainsi que celle des salariés de Cerasol, je vous fais parvenir mon arrêt de travail'. L'employeur a répondu par courriel du 15 avril 2019 prendre bonne note de cet arrêt de travail, en ne remettant en cause ni la réalité du malaise du 12 avril, ni celle du malaise du 3 avril
présenté comme étant survenu en sa présence.
Par courriel du 30 avril 2019, M. [F] a adressé à la société Cerasol son avis d'arrêt de travail
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de prolongation, précisant dans le corps de son message que l'arrêt était motivé par un 'épuisement professionnel'. Par courrier du 14 mai 2019, l'employeur s'est étonné que le salarié attribue sa prolongation d'arrêt de travail à une telle cause. Il mentionnait toutefois sur l'attestation Pôle Emploi 'licenciement pour inaptitude physique d'origine professionnelle' comme motif de la rupture du contrat de travail.
M. [F] produit également ses arrêts de travail du 30 avril 2019, 18 mai 2019 et 18 juin 2019, établis sur des formulaires pour maladie 'classique', qui mentionnent comme motif médical de l'arrêt : 'burn out', 'syndrome anxio-dépressif' avec 'manifestation d'épuisement' et 'manifestation psychosomatique'. Il verse également à la procédure une série de certificats médicaux établis les 13 avril 2019, 30 avril 2019, 17 mai 2019, 27 mai 2019 et 12 juin 2019 sur formulaire dédié aux accidents de travail et maladies professionnelles, mentionnant un accident du travail survenu le 12 avril 2019 et faisant état d'un 'malaise' et 'burn out'.
Par courrier du 6 juillet 2021, M. [F] s'est vu notifier la prise en charge de son accident de trajet du 12 avril 2019 au titre de la législation professionnelle. Le rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente en accident du travail, établi le 16 septembre 2021 par le médecin conseil de l'assurance maladie, a conclu que le malaise du 12 avril 2019 témoigne d'un 'syndrome dépressif en lien avec le travail'.
Il ressort ainsi de ces éléments médicaux que les malaises de M. [F], survenus pour l'un sur le lieu de travail et pour l'autre lors du trajet travail-domicile, se sont inscrits dans un contexte d'épuisement professionnel et sur fond de syndrome anxio-dépressif. Son état de santé a justifié un arrêt de travail à compter du 13 avril 2019, prolongé jusqu'au 31 juillet 2019, à l'issue duquel il a été déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise ou dans une autre entreprise du groupe, au motif que son maintien dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
Ainsi, sans même qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen du salarié relatif à l'existence d'une surcharge de travail et de conditions de travail délétères, il est établi que l'inaptitude de M. [F] avait au moins partiellement une origine professionnelle.
Au demeurant, la société Cerasol était informée tant de la survenance des malaises les 3 et 12 avril 2019 que de l'imputation, par M. [F], de son dernier malaise à un syndrome d'épuisement professionnel. Au regard de ces circonstances, et bien que l'arrêt de travail du salarié ait été initialement rédigé sur un formulaire pour maladie 'classique', la société Cerasol ne peut valablement soutenir qu'elle aurait ignoré, au jour du licenciement, que l'inaptitude du salarié avait au moins partiellement une origine professionnelle, ce d'autant qu'elle a elle-même indiqué sur l'attestation Pôle Emploi que le licenciement relevait d'une telle origine.
Il en résulte que la société Cerasol aurait dû procéder au licenciement de M. [F] conformément aux règles protectrices applicables aux victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
2) Sur les conséquences financières du caractère professionnel de l'inaptitude
a) sur l' indemnité spéciale de licenciement
En application de l'article L. 1226-14, alinéa 1, du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.
En l'espèce, M. [F] a perçu une indemnité légale de licenciement d'un montant de 5 575 euros, ainsi qu'il en ressort de son dernier bulletin de paie et de l'attestation pour solde
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de tout compte remise au moment de son licenciement.
En considération de l'origine professionnelle de l'inaptitude du salarié, il convient donc de condamner la société Cerasol à lui payer la somme complémentaire de 5 575 euros bruts au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement et d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [F] de cette demande.
b) sur l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis
En application des dispositions de l'article L. 1226-14, alinéa 1, du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre notamment droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5.
En l'espèce, eu égard à l'origine professionnelle de l'inaptitude de M. [F], il y a lieu de faire droit à sa demande de paiement d'une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire, étant précisé que l'employeur ne conteste pas le salaire moyen mensuel retenu par le salarié pour le calcul du quantum de sa demande.
Infirmant le jugement attaqué, il y a donc lieu de condamner la société Cerasol à payer à M. [F] la somme de 6 680 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 1226-14, alinéa 1, du code du travail.
3) Sur la licéité du licenciement
Il résulte de l'article L. 1152-1 du code du travail, que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait précis et concordants laissant supposer selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si pris dans leur ensemble, ils permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Aux termes de l'article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l'espèce, M. [F] soutient que son inaptitude est la conséquence directe du harcèlement moral qu'il a subi depuis son embauche au sein de la société Cerasol.
À cet égard, il invoque premièrement un turn-over très important dans l'ensemble des sociétés du groupe, ce qui révèle selon lui des conditions de travail dégradées.
Il ne produit toutefois aucun élément venant démontrer la matérialité de ce premier fait.
M. [F] invoque deuxièmement un sous-effectif permanent, le contraignant à faire le travail de la secrétaire ou de la comptable.
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Cette allégation n'est cependant étayée par aucun élément, en particulier s'agissant de la nécessité d'effectuer des tâches ne relevant pas de ses fonctions.
M. [F] invoque troisièmement une surcharge de travail, affirmant qu'il devait parfois participer à plusieurs réunions en même temps et gérer une vingtaine de chantiers avec des collaborateurs qui n'avaient aucune autonomie.
Les copies d'agenda produites par le salarié démontrent en effet qu'à de multiples reprises, plusieurs réunions extérieures de chantier étaient programmées sur le même créneau horaire et qu'il devait donc choisir la réunion à laquelle il devait se rendre. Aucun élément produit par le salarié ne prouve en revanche le nombre de chantiers qu'il devait gérer simultanément ou le degré d'autonomie de ses collaborateurs.
Ce troisième fait n'est donc établi que s'agissant de l'existence d'un nombre trop important de réunions de chantier pour pouvoir toutes les honorer.
M. [F] invoque quatrièmement une ingérence permanente de M. [U] dans ses fonctions, en ce que ce dernier ne lui aurait laissé aucune autonomie et lui aurait imposé une surveillance et un contrôle excessifs, avec des demandes urgentes incessantes, une absence de latitude pour gérer son agenda et une géolocalisation de son véhicule professionnel dès le mois de mars 2018, alors qu'il n'en aurait été informé qu'en juin 2018.
Rien dans les messages téléphoniques qu'il produit ne démontre toutefois qu'il aurait manqué d'autonomie. Ses pièces n'établissent pas davantage que M. [U] exerçait un contrôle 'excessif' sur son travail. De même, si M. [U] a pu lui envoyer certains messages téléphoniques avec des demandes urgentes, le faible nombre de messages produits ne permet pas de déduire qu'elles auraient été 'incessantes'. Par ailleurs, si M. [U] a pu lui envoyer un message téléphonique le 15 mars 2019 pour lui ordonner d'annuler ses rendez-vous afin de se rendre disponible pour une réunion de chantier, cette demande ne saurait caractériser à elle seule une absence de latitude pour gérer son agenda. Enfin, M. [F] ne saurait prétendre n'avoir été informé que trois mois plus tard de la pose d'une balise GPS sur son véhicule de fonction, dès lors qu'il ressort de la copie d'agenda produite par ses soins qu'il a lui-même conduit son véhicule au garage pour l'installation de ladite balise en mars 2018.
Il en résulte que ce quatrième fait, relatif à l'ingérence permanente de son employeur dans ses fonctions, n'est pas établi.
M. [F] invoque cinquièmement l'envoi de courriels et messages téléphoniques par son employeur pendant ses congés sur un ton inapproprié.
Si les messages téléphoniques qu'il verse à la procédure démontrent que son employeur a pu lui écrire pendant ses congés le 24 décembre 2017 et le 28 août 2018, il ressort de la lecture de ces messages qu'ils étaient toujours justifiés par une stricte urgence et que l'employeur n'a en aucun cas employé un langage inapproprié, puisqu'il s'excusait au contraire de contacter son salarié pendant ses congés. Au demeurant, M. [F] ne précise pas ses dates de congés, ce qui ne permet pas à la cour d'identifier les autres messages téléphoniques que son employeur aurait pu lui envoyer pendant lesdites périodes.
Ce cinquième fait n'est donc pas davantage établi.
M. [F] invoque sixièmement l'influence de M. [U] sur les résultats des sociétés du
groupe, pour en privilégier certaines par rapport à d'autres.
Il se réfère à des tableaux mensuels de chiffre d'affaires des sociétés du groupe, sans que
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l'année concernée ne soit identifiable, à un tableau de facturation pour 2018 et à un courriel de M. [U] du 4 mai 2018 envoyé aux différents directeurs du groupe et détaillant les travaux pris en charge par chaque société du groupe pour un chantier. Ces pièces sont cependant insuffisantes à démonter que M. [U] aurait désavantagé la société Cerasol au profit des autres sociétés du groupe.
La matérialité de ce sixième fait n'est donc pas démontrée.
M. [F] invoque septièmement avoir subi une pression constante sur les relances d'impayés et des menaces de la part de M. [U] de ne pas virer son salaire en temps et en heure.
Il verse à la procédure un nombre important de courriels et messages téléphoniques de M. [U] ou de Mme [I], comptable de la société [U], portant sur l'urgence de s'occuper des factures impayées. Le salarié produit en particulier un courriel du 26 septembre 2017 envoyé par Mme [I] qui lui demande de faire le nécessaire concernant les impayés en raison du dépassement du découvert de Cerasol et le prévenant qu'en cas d'absence de rentrée d'argent pour les deux entreprises, les salaires ne seront pas payés. Par un SMS non daté, semblant adressé aux trois directeurs des sociétés du groupe, M. [U] leur demandait de s'occuper des erreurs de facturation et des relances de paiement et informait que sans entrée d'argent d'ici le lendemain, il n'y aurait pas de salaire. M. [U] envoyait également un courriel le 25 mai 2018 à ses trois directeurs pour les informer que l'ensemble des comptes bancaires se trouvaient débiteurs, de sorte que s'ils n'insistaient pas auprès des clients pour le recouvrement des factures, il n'y aurait pas de salaire à la fin du mois.
Il est donc établi que M. [U] a menacé à plusieurs reprises ses directeurs de ne pas virer les salaires si les factures clients impayées n'étaient pas recouvrées.
M. [F] invoque huitièmement l'interdiction d'accéder aux comptes de la société alors qu'il en était le directeur.
Il ne produit cependant aucune pièce à l'appui de cette allégation, de sorte que ce fait n'est pas établi.
M. [F] invoque neuvièmement la mise en place par M. [U] d'un management 'par le stress' et une dégradation de l'ambiance de travail entre les collaborateurs.
Pour justifier de ce fait, il se réfère aux courriels et messages adressés par son employeur, qu'il estime rédigés 'sur un ton tout juste acceptable', sans préciser toutefois à quels messages il entend se référer. En tout état de cause, le contenu des messages produits par M. [F] ne met pas en évidence l'existence d'un management par le stress, en dehors des relances adressées au sujet des impayés, déjà retenu au titre d'un autre fait.
Ce neuvième fait n'est donc pas établi.
M. [F] invoque dixièmement l'ingérence constante de M. [U] dans l'exercice de ses missions et la décrédibilisation de sa fonction et de son autorité.
Ce grief, partiellement identique au quatrième fait invoqué, n'est soutenu par aucun élément complémentaire.
Il n'est donc pas davantage établi.
M. [F] invoque onzièmement, et enfin, la critique des résultats de la société par M. [U] devant les directeurs des autres sociétés et l'humiliation en résultant.
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Il produit ainsi un courriel de M. [U] envoyé le 5 avril 2017 aux trois directeurs des sociétés du groupe dans lequel il mentionne que l'un des directeurs a rattrapé le retard dans son chiffre d'affaire et informe les deux autres, dont M. [F], d'un retard dans leur chiffre d'affaire. Dans un courriel du 3 mai 2017, il informe les trois directeurs de ce qu'ils sont en retard dans leur chiffre d'affaire. Dans un courriel du 1er août 2018, il écrit à ses trois directeurs : 'il y a pour certains d'entre vous déjà [u]n air de vacances mais je vous rappelle que chacun doit assumer son rôle en relation avec sa fonction'.
Les termes employés par l'employeur dans les courriels du 5 avril 2017 et 3 mai 2017 ne permettent cependant pas de caractériser de 'critique' s'agissant des résultats, de même que le courriel du 1er août 2018 n'est pas suffisant pour établir l'existence d'une humiliation du salarié, étant précisé que M. [F] n'était pas personnellement visé par la remarque de l'employeur.
Ce onzième fait n'est donc pas établi.
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que M. [F] rapporte la preuve de l'existence d'un nombre trop important de réunions de chantier pour pouvoir toutes les honorer et que M. [U] a menacé à plusieurs reprises ses directeurs de ne pas virer les salaires si les factures clients impayées n'étaient pas recouvrées.
Ces faits, pris dans leur ensemble, sont cependant insuffisants pour caractériser des agissements constitutifs de harcèlement moral.
C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a débouté M. [F] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, le jugement attaqué étant confirmé de ce chef.
4) Sur la contestation du motif du licenciement
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
En l'espèce, M. [F] fait valoir, à titre subsidiaire, que si la cour ne retenait pas l'existence d'une situation de harcèlement moral, elle devrait juger que son inaptitude a pour origine une faute commise par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, ce qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur son préjudice, il allègue ne pas avoir repris d'activité professionnelle.
La société Cerasol répond cependant à juste titre que M. [F] ne précise pas quelle faute lui est reprochée, de sorte que le licenciement ne peut être considéré comme sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, il convient de débouter M. [F] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de confirmer le jugement entrepris sur ces points.
5) Sur la licéité et l'opposabilité de la convention de forfait en jours
L'article L. 3121-63 du code du travail dispose que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par
une convention ou un accord de branche.
L'article L. 3121-64, II, du même code prévoit que l'accord autorisant la conclusion de conventions
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individuelles de forfait en jours détermine :
1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;
3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.
Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait (Soc., 2 juil. 2014, no 13-11.940).
En l'espèce, M. [F] conteste la licéité et l'opposabilité de la convention de forfait en jours intégrée dans son contrat de travail.
S'agissant de la licéité de la convention, il prétend qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'il adhérait, au moment de la conclusion du contrat de travail, à l'un des syndicats signataires de l'avenant no 1 à la convention collective applicable, par référence auquel la convention de forfait en jours a été conclue.
La société Cerasol produit ainsi une attestation établie par la fédération du bâtiment et des travaux publics de l'Allier, confirmant son adhésion volontaire au syndicat à compter du 27 janvier 2017, soit antérieurement à la conclusion de la convention de forfait en jours. Cette attestation suffit à apporter la preuve de son adhésion, sans qu'il soit nécessaire de produire les appels annuels de cotisation, comme le sollicite l'appelant.
Il en résulte donc que la convention de forfait en jours est licite.
S'agissant en revanche de l'opposabilité de la convention, M. [F] prétend à juste titre que l'employeur n'a pas respecté les dispositions de la convention collective lui permettant de garantir une charge de travail raisonnable au salarié.
En effet, si la société Cerasol soutient ne pas avoir manqué à ses obligations conventionnelles et avoir toujours contrôlé la charge de travail du salarié, il n'est pas contesté que cette dernière n'a jamais organisé d'entretien annuel portant sur le suivi de la charge de travail, alors que M. [F] est resté plus de deux ans dans l'entreprise.
Ce faisant, l'employeur n'a pas respecté les dispositions de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés, ce dont il résulte que la convention individuelle de forfait en jours est privée d'effet.
Le jugement entrepris est donc infirmé sur ce point.
6) Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires
La convention de forfait en jours étant privée d'effet, M. [F] est fondé à revendiquer l'application à son égard des dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire du travail prévue à l'article L. 3121-27 du code du travail et fixée à trente-cinq heures par semaine.
En vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au
nombre d'heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter préalablement, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
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Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande et détermine souverainement, au vu des éléments produits par chacune des parties, l'existence d'heures de travail accomplies et la créance salariale s'y rapportant.
Ainsi, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments à l'appui de sa demande.
En l'espèce, M. [F] soutient avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires. Il expose, à titre principal, avoir embauché habituellement à 7 heures pour terminer sa journée au plus tôt à 18 heures et avoir déjeuné tous les jours sur le pouce, dans sa voiture. Il affirme ainsi avoir réalisé a minima 11 heures de travail journalières, soit 55 heures hebdomadaires. À titre subsidiaire, il se fonde sur les relevés de géolocalisation de sa voiture de fonction pour soutenir avoir travaillé en moyenne 42h05 par semaine.
Au soutien de sa demande, M. [F] produit :
- des copies de son agenda pour les années 2017 à 2019 dans lesquelles sont inscrites ses réunions et qui font apparaître des amplitudes horaires de plus de 7h certaines journées,
- un récapitulatif de ses heures supplémentaires, fondé sur le relevé de géolocalisation de son véhicule de fonction, pour la période du 3 septembre 2018 au 12 avril 2019, mentionnant les heures de prise et de retour du véhicule ainsi que, le cas échéant, de la pause méridienne. Ce récapitulatif fait apparaître que 182h45 majorées à 25% et 46h08 majorées à 50% auraient été réalisées sur cette période au titre des heures supplémentaires.
Si M. [F] verse donc à la procédure des éléments précis pouvant être discutés par l'employeur pour la période du 3 septembre 2018 au 12 avril 2019, il en va autrement de la période du 3 juillet 2017 au 2 septembre 2018, puisque les copies d'agenda produites sont très partielles et ne portent sur aucune semaine complète, alors que le calcul des heures supplémentaires s'effectue de manière hebdomadaire.
En outre, s'agissant de la période du 3 juillet 2017 au 2 septembre 2018, M. [F] n'apporte aucun autre élément venant étayer ses allégations relatives à ses horaires d'embauchage et de débauchage, alors que le calcul basé sur une durée moyenne hebdomadaire théorique est trop imprécis pour être considéré comme suffisant. Ainsi, il n'est pas permis d'extrapoler les données fournies par le salarié sur la base des relevés de géolocalisation pour la période du 3 septembre 2018 au 12 avril 2019 afin d'en déduire que le même nombre d'heures supplémentaires aurait été réalisé en moyenne chaque semaine pour la période du 3 juillet 2017 au 2 septembre 2018.
S'agissant de la période du 3 septembre 2018 au 12 avril 2019, seule période pour laquelle l'employeur est mis en mesure de répondre par la production de ses propres éléments, il y a lieu de constater que la société Cerasol n'apporte aucun élément venant remettre en cause la validité du récapitulatif des heures supplémentaires produit par M. [F], étant en effet observé que les relevés de géolocalisation sur lesquels se fonde ledit récapitulatif sont issus de l'employeur.
La société Cerasol ne critiquant pas davantage les modalités de calcul du rappel de salaire pour heures supplémentaires, il convient donc de faire droit à la demande subsidiaire de M. [F], mais uniquement à hauteur de la somme de 6 552,95 euros bruts à titre de rappel de salaire et
de la somme de 655,29 euros bruts au titre des congés payés afférents, correspondant à la seule période du 3 septembre 2018 au 12 avril 2019.
Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de cette demande.
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7) Sur la demande en paiement de dommages-intérêts pour illicéité de la convention de forfait en jours et absence de paiement des heures supplémentaires
M. [F] sollicite la condamnation de la société Cerasol à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour illicéité de la convention de forfait en jours et absence de paiement des heures supplémentaires.
Il est rappelé que la convention de forfait jours a été déclarée licite ci-dessus.
Quant au non paiement des heures supplémentaires en temps et en heure, le salarié ne justifiant d'aucun préjudice, ainsi que le fait justement valoir la société Cerasol, il y a lieu de le débouter de sa demande, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.
8) Sur la demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé
Aux termes de l'article L. 8221-5, 2°, du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
L'article L. 8223-1 du même code précise qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, M. [F] soutient que le non-respect des dispositions de la convention collective en matière de convention de forfait en jours caractérise l'élément intentionnel de la dissimulation d'emploi salarié. Il prétend également qu'il travaillait indistinctement pour la société [U] et la société Cerasol, ce qui constitue une situation de travail dissimulé.
Néanmoins, d'une part, le seul fait d'avoir soumis à tort un salarié à une convention de forfait nulle ou privée d'effet ne suffit pas, en soi, à caractériser le caractère intentionnel d'une dissimulation d'emploi salarié. Or, M. [F] n'apporte aucun élément susceptible de démontrer l'existence d'un tel élément intentionnel, notamment dans l'établissement de bulletins de paie ne mentionnant pas les heures supplémentaires, alors que l'employeur le croyait valablement soumis à une convention de forfait en jours.
D'autre part, contrairement à ce que soutient l'appelant, ni l'étude de poste de la médecine du travail, ni aucun autre élément du dossier ne permettent d'affirmer qu'il se serait trouvé dans une situation de co-emploi avec les sociétés Cerasol et [U].
Il s'ensuit que la demande d'indemnité pour travail dissimulé ne saurait prospérer.
Le jugement querellé sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande en paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
9) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de
formation et d'adaptation au poste de travail
Aux termes de l'article L. 6321-1, alinéa 1, du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
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En l'espèce, M. [F] soutient ne pas avoir reçu de formation depuis son embauche en 2014 et sa promotion au poste de directeur, de sorte que l'employeur a selon lui manqué à ses obligations contractuelles. Il prétend que son préjudice est établi par le fait qu'il a été licencié pour inaptitude consécutive à un épuisement professionnel et qu'il n'a à ce jour pas retrouvé d'emploi.
Il convient cependant de relever que M. [F] a été embauché par la société Cerasol en 2017 et non en 2014, et ce directement en qualité de directeur, son passage du poste de conducteur de travaux à celui de directeur ayant eu lieu lors de son emploi au sein de la société [U]. Ainsi, M. [F] a été recruté sur des fonctions qu'il exerçait déjà auparavant. En outre, durant les deux années durant lesquelles il a travaillé au sein de la société [U], il n'est pas allégué ni justifié que le poste de directeur aurait connu des évolutions nécessitant un besoin d'adaptation au poste par le biais d'une action de formation.
M. [F] échouant ainsi à rapporter la preuve d'un manquement de la société Cerasol à son obligation d'adaptation du salarié à son poste de travail, il convient de le débouter de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation au poste de travail et d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à cette demande à hauteur de 5 000 euros.
10) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Il sera ordonné à la société Cerasol de remettre à M. [F] une attestation Pôle Emploi conforme au présent arrêt, dans un délai de huit jours suivant la signification dudit arrêt, sans qu'il ne soit néanmoins nécessaire de prononcer une astreinte à cette fin.
Les condamnations concernant des créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliations soit le 8/9/2020 et les condamnations en paiement de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l'article 1231-7 du code civil.
La société Cerasol sera déboutée de sa demande tendant à enjoindre à M. [F] de communiquer les résultats comptables de son affaire personnelle commerçante, en l'absence de pertinence de ces documents pour l'issue du litige.
Le salarié prospérant en une partie de ses prétentions, l'employeur est condamné aux dépens de première instance et d'appel et débouté de sa demande d'indemnité de procédure. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a alloué à M. [F] une indemnité de procédure de 500 euros et la SARL Céresol est condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a dit et jugé que l'inaptitude de M. [Z] [F] n'est pas d'origine professionnelle, débouté M. [F] de ses demandes au titre de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de
l'indemnité compensatrice de préavis, dit et jugé que la convention de forfait en jours applicable à M. [F] est valable et donc opposable au salarié, débouté M. [F] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, a condamné la SARL Cerasol à payer à M. [Z] [F] la somme de 5 000 euros au titre du non-respect de son obligation de formation et d'adaptation et en ses dispositions relatives aux
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dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement pour inaptitude de M. [Z] [F] a une origine professionnelle,
DIT que la convention individuelle de forfait en jours de M. [Z] [F] est privée d'effet,
CONDAMNE la SARL Cerasol à payer à M. [Z] [F] les sommes suivantes :
$gt; 5 575 euros bruts au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
$gt; 6 680 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 6 552,95 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
$gt; 655,29 euros bruts au titre des congés payés afférents,
DÉBOUTE M. [Z] [F] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation au poste de travail,
DÉBOUTE la SARL Cerasol de sa demande tendant à enjoindre à M. [F] de communiquer les résultats comptables de son affaire personnelle commerçante,
DIT que les condamnations concernant des créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 8 septembre 2020,et que les condamnations en paiement de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal dans les conditions prévues par l'article 1231-7 du code civil,
ORDONNE à la SARL Cerasol de remettre à M. [Z] [F] une attestation Pôle Emploi conforme au présent arrêt, dans un délai de huit jours suivant la signification dudit arrêt, mais DIT n'y avoir lieu à astreinte,
CONDAMNE la SARL Cerasol à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel,
DÉBOUTE la SARL Cerasol de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
CONDAMNE la SARL Cerasol aux dépens de première instance et d'appel.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE