CR/LW
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
- la SCP LIERE-JUNJAUD-LEFRANC-DEMONT
- la SCP PATUREAU DE MIRAND - LE GALLOU
LE : 03 NOVEMBRE 2022
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022
N° - Pages
N° RG 21/01324 - N° Portalis DBVD-V-B7F-DNEQ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de CHATEAUROUX en date du 16 Novembre 2021
PARTIES EN CAUSE :
I - M. [N] [V]
né le 22 Novembre 1946 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par la SCP LIERE-JUNJAUD-LEFRANC-DEMONT, avocat au barreau de CHATEAUROUX
timbre fiscal acquitté
APPELANT suivant déclaration du 14/12/2021
II - M. [J] [G]
né le 15 Août 1936 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 6]
- Mme [O] [W] épouse [G]
née le 09 Mai 1944 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentés par la SCP PATUREAU DE MIRAND - LE GALLOU, avocat au barreau de CHATEAUROUX
Bénéficient d'une aide juridictionnelle Partielle 25 % N° 18033 2022/000070 du 01/02/2022
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. WAGUETTEPrésident de Chambre
M. PERINETTIConseiller
Mme CIABRINIConseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
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ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte authentique en date du 8 janvier 1963, M. [E] [B] a acquis une parcelle sise à L'Uzeret cadastrée lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 2].
En suite du décès de ses parents, intervenu les 24 janvier 1982 et 12 novembre 1983, et d'un acte authentique en date du 7 mars 1984 de licitation faisant cesser l'indivision avec sa s'ur, Mme [S] [B], M. [E] [B] est devenu propriétaire de la parcelle cadastrée lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 3] jouxtant à l'ouest la parcelle précitée.
Entre temps, par acte authentique en date du 13 septembre 1963, M. [J] [G] et Mme [O] [W], son épouse, avaient acquis un ensemble immobilier cadastré lieudit [Adresse 10] section F numéros [Cadastre 4] et [Cadastre 5] et jouxtant au sud et à l'ouest l'ensemble immobilier composé des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3].
Le 12 décembre 2006, ils ont fait installer dans leur maison une porte et une fenêtre constituées de verres translucides donnant sur la parcelle [Cadastre 2].
M. [E] [B] est décédé le 4 décembre 2009, laissant sa soeur pour lui succéder.
Par acte authentique en date du 14 décembre 2010, cette dernière a vendu à M. [N] [V] l'ensemble immobilier composé des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3].
Cet acte indiquait dans son paragraphe intitulé «SERVITUDES», que «la configuration des lieux fait apparaître un droit de passage bénéficiant aux biens vendus objets des présentes sur les parcelles cadastrées section F N° [Cadastre 4] et F N° [Cadastre 5]. En effet, l'unique entrée de l'atelier-garage et l'entrée principale de la maison se faisait par la cour située entre le bien vendu et la propriété de M. [J] [G]».
Se plaignant, sur la base de deux procès-verbaux de constat dressés par huissier de justice les 13 septembre 2019, 4 et 18 novembre 2020, d'obstructions récurrentes des époux [G] à son passage par la cour précitée et de la vue sur sa propriété résultant de la porte et de la fenêtre installés par ces derniers, M. [N] [V] les a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Châteauroux, par acte du 10 décembre 2020, afin d'entendre dire que les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5] sont grevées d'une servitude de passage à titre principal conventionnelle telle que déclarée dans l'acte du 14 décembre 2010, à titre subsidiaire légale, d'une largeur minimale de 2,54 mètres, au profit des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3], interdire aux époux [G] de dresser tout obstacle à l'exercice de cette servitude, les condamner à laisser libre le passage, à enlever la porte et la fenêtre donnant sur les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3] et à leur payer 6.000 € de dommages et intérêts.
Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Châteauroux a statué ainsi:
Déboute M. [N] [V] des ses demandes au titre de la servitude de passage,
Condamne in solidum les époux [G] à remplacer les vitres de la porte et de la fenêtre ouvertes dans le mur de leur immeuble construit sur la parcelle cadastrée lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 5] à [Localité 6] donnant sur les parcelles cadastrées lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 2] à [Localité 6] par des verres dormants non translucides, et ce dans les trois mois de la signification de la décision à intervenir,
Condamne M. [N] [V] à réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser le déversement, sur parcelle cadastrée lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 4] à [Localité 6], des eaux pluviales provenant du toit de l'immeuble édifié sur la parcelle cadastrée lieudit [Adresse 10] section F numéro [Cadastre 3] à [Adresse 11], et ce dans les deux mois de la signification de la décision à intervenir ;
Condamne les époux [G] à payer à M. [N] [V] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts,
Condamne M. [N] [V] à payer aux époux [G] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts,
Ordonne la compensation judiciaire des créances,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés,
Déboute les parties de leurs demandes d'article 700 du Code de procédure civile et de leurs demandes plus amples ou contraire.
Par déclaration électronique en date du 14 décembre 2021, M. [N] [V] a interjeté appel partiel de cette décision.
En ses dernières conclusions signifiées le 13 juin 2022, M. [N] [V] demande à la cour de :
Déclarer son appel recevable et bien fondé,
Infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a :
Débouté M. [N] [V] des ses demandes au titre de la servitude de passage,
Laissé à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés,
Débouté les parties de leurs demandes d'article 700 du Code de procédure civile et de leurs demandes plus amples ou contraire.
Et statuant à nouveau,
Déclarer recevable et bien fondée l'action en reconnaissance d'une servitude de passage légale sur le fondement des articles 682 et suivants du Code civil,
Dire et juger que l'ensemble immobilier appartenant à M. [N] [V] cadastré Commune de [Localité 6] section F n°[Cadastre 2] et n° [Cadastre 3] bénéficie d'une servitude de passage légale pour cause d'enclave sur les parcelles cadastrées section F N° [Cadastre 4] et F n° [Cadastre 5] fonds dominant aux époux [G] d'une largeur minimale de 2.54 mètres,
Interdire à M. [J] [G] et Mme [O] [G] de dresser tout obstacle de quelle que nature que ce soit gênant l'exercice de cette servitude,
Condamner les époux [G] in solidum à laisser libre en tout temps ledit passage tant au profit de Monsieur [N] [V], qu'au profit de ses occupants ou locataires éventuels,
Condamner les époux [G] in solidum à payer à Monsieur [N] [V] ou à ses occupants à titre gratuit ou à titre onéreux tels que locataires, une indemnité de 500 € par infraction constatée,
Condamner in solidum les époux [G] à payer à Monsieur [N] [V] une indemnité de 6.500 € pour les frais non répétibles exposés en première instance et une indemnité complémentaire de 3.500 € pour les frais non répétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamner in solidum les époux [G] en tous les frais et dépens de première instance comme d'appel qui comprendront les frais des deux constats d'Huissier de septembre 2019 et novembre 2020 dressés pour démontrer le bien fondé des demandes de Monsieur [N] [V].
Au soutien de ses prétentions, l'appelant prétend qu'il existe une servitude légale du fait d'une situation d'enclave, conformément aux articles 682 et 683 du Code civil.
Pour démontrer l'enclave, il invoque notamment la clause stipulée dans l'acte authentique de vente selon laquelle «la configuration des lieux fait apparaître un droit de passage bénéficiant aux biens vendus objets des présentes sur les parcelles cadastrées section F n° [Cadastre 4] et F n° [Cadastre 5]. En effet, l'unique entrée de l'atelier-garage et l'entrée principale de la maison se faisant par la cour située entre le bien vendu et la propriété de M. [J] [G]».
Il ajoute que la partie jouxtant le terrain des époux [G] est nécessairement enclavée dans la mesure où il n'y a pas d'accès à la voie publique.
M. [N] [V] délimite également l'assiette de ce droit de passage et précise que ce droit de passage a toujours été utilisé par les intervenants publics.
Il ajoute que le constat fournit par les époux [G] ne concerne pas l'objet du litige, puisqu'il concerne la face nord alors que le litige porte sur la face sud.
L'appelant affirme que c'est à tort que le premier juge a considéré que l'enclave devait être appréciée par rapport au fond dans son ensemble, sans considération du bâti qui a été édifié, alors même qu'en l'espèce, il y a une absence de communication entre les parties nord et sud.
M. [N] [V] indique également que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, ce droit de passage n'est pas un simple souci de commodité mais bel et bien d'une nécessité pour lui.
Enfin, il estime que la situation d'enclave ne résulte pas de son fait volontaire.
Par dernières conclusions signifiées le 16 août 2022, les époux [G] demandent à la cour, au visa des article 673 et suivants 681, 690 et 1240 du Code civil, de :
Confirmer purement et simplement le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Débouter M. [N] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner M. [N] [V] à verser aux époux [G] la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions, les époux [G] font valoir que M. [N] [V] ne peut prétendre à un état d'enclave alors que les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3] jouxtent un chemin communal et qu'il ne saurait d'avantage soutenir qu'il ne peut accéder à la parcelle F [Cadastre 3] constituée d'une cour, de la porte soi-disant principale de son immeuble, de «l'atelier-garage», du cellier, tous ces éléments étant situés côté sud de son immeuble, tout en reconnaissant qu'il peut y accéder par la porte de l'immeuble face nord et alors que les accès nord et sud du bâtiment sont situés sur la même parcelle [Cadastre 3].
Les époux [G] rappellent qu'une parcelle ne peut-être «partiellement» enclavée puisque, soit la parcelle a un accès sur la voie publique, soit elle n'en a pas ou celui-ci s'avère insuffisant, mais que la configuration des lieux et des bâtiments existants est parfaitement indifférente.
Selon eux, c'est donc a bon droit que le premier juge a rappelé qu'il résulte d'une jurisprudence constante :
- que l'enclave s'apprécie par rapport au fond dans son ensemble sans considération du bâti qui a été édifié et non par rapport à une partie du fond seulement,
- qu'un simple souci de commodité ou de convenance ne permet pas de caractériser l'insuffisance de l'issue sur la voie publique,
- qu'il n'y a pas de droit de passage lorsque l'état d'enclave résulte d'un fait volontaire de celui qui le réclame ou de l'un de des auteurs, notamment d'un construction obstruant l'issue donnant accès à la voie publique.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 août 2022.
SUR CE :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.
Sur l'existence d'une servitude :
Si devant le premier juge, M. [V] invoquait deux fondements possibles à la servitude de passage qu'il revendiquait sur le fonds des époux [G], il y a lieu de constater qu'en cause d'appel il ne maintient plus le fondement conventionnel et limite sa demande à la reconnaissance d'une servitude légale que seul peut justifier un état d'enclave tel qu'il est défini par les dispositions de l'article 682 du code civil qu'éclairent les apports jurisprudentiels.
Ainsi, si l'article précité définit l'état d'enclave d'un fonds comme résultant de l'absence totale d'issue ou de l'existence d'une issue insuffisante sur la voie publique privant son propriétaire d'une desserte complète du dit fonds, la jurisprudence a pu préciser et réaffirme de manière constante que :
- l'enclave s'apprécie par rapport au fonds dans son ensemble, sans considération du bâti qui
y a été édifié, et non par rapport à une partie du fonds seulement,
- un simple souci de commodité et de convenance ne permet pas de caractériser l'insuffisance de l'issue sur la voie publique,
- il n'y a pas de droit de passage lorsque l'état d'enclave résulte d'un fait volontaire de celui qui le réclame ou de l`un de ses auteurs, notamment d'une construction obstruant l'issue donnant accès à la voie publique.
Appliquant à l'espèce, les principes ainsi dégagés, le premier juge a considéré que l'état d'enclave n'était pas caractérisé ce que conteste présentement M. [V] maintenant, cependant de manière erronée, sa volonté d'apprécier la situation de son fonds, non pas dans sa globalité, mais en distinguant chacune des parcelles qui le composent.
En effet, les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3] composant la propriété de M. [V] sont attenantes et imbriquées et les bâtiments qui y sont édifiés forment un ensemble contigu dont il est constant que la façade nord est desservie par un chemin communal praticable et suffisamment large ( 5 mètres) pour permettre l'accès à la propriété de tout véhicule et piéton, voire de stationner lesdits véhicules, les constats démontrant la présence de véhicule camping-car de grand gabarit.
La façade sud du bâtiment donne accès à une cour, propriété de M. [V], laquelle ne débouche sur la voie publique qu'en traversant une petite partie de la parcelle des époux [G] sur laquelle le passage est revendiqué.
Mais, il est démontré et non contesté que si M. [V] prétend que l'entrée principale de son habitation se trouve en façade sud, il n'en demeure pas moins qu'il dispose d'une autre entrée, laquelle est en service, à partir de la façade nord et que l'ouverture au sud constitue un accès à sa cour, à son cellier ainsi qu'au garage-atelier situé au fond de cette cour.
Les photographies de ce garage-atelier démontrent d'ailleurs qu'il ne peut servir à remiser un véhicule et se trouve à usage de remise à outils tout au plus.
Il en résulte, en conséquence, ainsi que l'a parfaitement analysé et compris le premier juge, contrairement à ce que M. [V] soutient, que le fonds composé des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 3] apprécié dans sa globalité n'est nullement enclavé.
M. [V] peut accéder par la façade nord à toutes les pièces et à la cour de son immeuble puisque quand bien même il prétend que cette communication n'est pas simple ou adéquate, les constats qu'il produit ne démontrent pas l'absence de communication - au contraire, en page 13 du constat du 13 septembre 2019, l'huissier indique qu'il est possible de pénétrer dans la maison par l'autre porte donnant sur l'autre façade, qui accède directement sur une grande pièce salon séjour - et, si cette communication se trouve inadéquate, ce qui n'est même pas démontré, il lui appartient d'y remédier et il ne saurait par convenance personnelle, comme ses auteurs avant lui et avec la tolérance de ses voisins, prétendre à un état d'enclave pour contraindre les époux [G] à lui concéder de manière contrainte un droit de passage sur leur propriété pour satisfaire à une exigence illégitime d'accès à sa propriété par la cour sud du fait d'enclave.
Il est au surplus fait observer que le fait que les intervenants publics tels la Poste ou EDF accèdent au domicile par la cour sud ne constitue à l'évidence aucune reconnaissance ou signe d'une quelconque enclave.
Aussi, en l'absence d'état d'enclave, le jugement entrepris sera confirmé en toutes les dispositions dont la cour était saisie, en ce compris le rejet de la demande d'indemnité procédurale de M. [V] et la conservation de leurs propre dépens par les parties.
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M. [V], qui succombe en toutes ses prétentions, supportera la charge des dépens de l'instance d'appel et devra payer également aux époux [G], indivisément, la somme de 1.500 € au titre des frais de procédure irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute M. [N] [V] de ses demandes plus amples ou contraires,
Condamne M. [N] [V] aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à M. [J] [G] et Mme [O] [W] épouse [G], indivisément, la somme de 1.500 € par application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'arrêt a été signé par M.WAGUETTE, Président et par Mme SERGEANT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
V.SERGEANT L. WAGUETTE