La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/09/2022 | FRANCE | N°21/00908

France | France, Cour d'appel de Bourges, 1ère chambre, 08 septembre 2022, 21/00908


SM/MMC



















































































COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- la SCP ROUAUD & ASSOCIES

- la SCP GERIGNY & ASSOCIES





LE : 08 SEPTEMBRE 2022

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 08 SEPTEMB

RE 2022



N° - Pages



N° RG 21/00908 - N° Portalis DBVD-V-B7F-DME4



Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES en date du 08 Juillet 2021





PARTIES EN CAUSE :



I - M. [M] [L]

né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 9])

[Adresse 1]



Représenté et plaidant par la SCP ROUAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES

timbre...

SM/MMC

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- la SCP ROUAUD & ASSOCIES

- la SCP GERIGNY & ASSOCIES

LE : 08 SEPTEMBRE 2022

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022

N° - Pages

N° RG 21/00908 - N° Portalis DBVD-V-B7F-DME4

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES en date du 08 Juillet 2021

PARTIES EN CAUSE :

I - M. [M] [L]

né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 9])

[Adresse 1]

Représenté et plaidant par la SCP ROUAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

APPELANT suivant déclaration du 12/08/2021

II - S.A. MMA IARD, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

[Adresse 2]

[Localité 6]

N° SIRET : 440 048 882

Représentée et plaidant par la SCP GERIGNY & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

INTIMÉE

III - CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CHER, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

[Adresse 4]

non représentée

à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiés suivant actes d'huissier des 28/09/2021, 07/01/2022 et 24/02/2022 remis à personne habilitée

INTIMÉE

08 SEPTEMBRE 2022

N° /2

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CIABRINI, Conseiller chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. WAGUETTEPrésident de Chambre

M. PERINETTIConseiller

Mme CIABRINIConseiller

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme GUILLERAULT

***************

ARRÊT : RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSE

Le 31 juillet 2018, sur la commune de [Localité 8], M. [M] [L], qui pilotait une motocyclette, a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule automobile Renault conduit par Mme [N] [Z]-[I], appartenant à la mère de celle-ci et assuré auprès de la SA MMA IARD.

M. [L], grièvement blessé au niveau de la jambe droite qui présentait une fracture ouverte avec perte de substance cutanée majeure, au point de devoir être amputé, a été transporté au centre hospitalier de [Localité 10], a subi une longue période d'hospitalisation et deux interventions chirurgicales avant un séjour dirigé vers la rééducation.

M. [L] s'est adressé à la SA MMA IARD sans pouvoir obtenir indemnisation de son préjudice ni le versement d'une provision. Il a de ce fait saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bourges d'une demande d'expertise judiciaire afin d'évaluer son préjudice corporel, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 1er août 2019. Le juge des référés a en revanche rejeté sa demande de provision compte tenu de l'existence de contestations sérieuses quant aux responsabilités en cause.

Le Dr [T], expert désigné, a rendu le 3 mai 2020 un rapport de non-consolidation dont les conclusions sont les suivantes :

- DFTT 100 % du 31 juillet 2018 au 18 mars 2019 ( 231 jours)

- DFTP 50 % du 16 mars 2019 au 13 février 2020 ( 335 jours)

- DFTP 50 % à compter du 14 février 2020

- absence de consolidation

- le DFP ne sera pas inférieur à 40 %

- nécessité d'une tierce personne d'1H30 par jour depuis le 16 mars 2019

- dépenses de santé évaluables après la consolidation

- frais de logement adapté évaluables après la consolidation

- incidence professiomielle évaluable après la consolidation

- préjudice de fonnation

- souffrances endurées pas inférieures à 5/7

- préjudice esthétique pas inférieur à 4/7 jusqu`au 15 mars 2019 puis à 3,5/7

- préjudice sexuel évaluable lors la consolidation

- préjudice d'établissement évaluable lors de la consolidation

- préjudice d'agrément évaluable lors de la consolidation

- préjudices permanents exceptionnels évaluables lors de la consolidation.

Suivant acte d'huissier en date du 23 septembre 2020, M. [L] a fait assigner la SA MMA IARD devant le Tribunal judiciaire de Bourges aux fins d'obtenir indemnisation de son préjudice corporel et appelé à la cause, par acte séparé, la CPAM du Cher en qualité d'organisme de sécurité sociale.

M. [L] a sollicité du Tribunal

- la condamnation de la SA MMA IARD en qualité d'assureur du véhicule Renault immatriculé [Immatriculation 7] appartenant à Mme [A] [I] à indemniser M. [L] du préjudice corporel subi par celui-ci dans l'accident de la circulation survenu le 31 juillet 2018,

- qu'il dise que le droit à indemnisation de M. [L] ne souffrait d'aucune limitation ou exclusion,

- la condamnation de la SA MMA IARD à verser à M. [L] une provision de 173.760 euros,

- la majoration de plein droit au double du taux de l'intérêt légal, conformément aux dispositions de l'article L211-13 du code des assurances, des sommes allouées en indemnisation du préjudice corporel de M. [L],

- l'organisation d'une nouvelle expertise de M. [L] confiée au Dr [T],

- qu'il déclare commune et opposable la décision à intervenir à la Caisse Primaire d'Assurances Maladie du Cher (CPAM) en qualité d'organisme de sécurité sociale de M. [L].

En réplique, la SA MMA IARD a demandé au Tribunal de

- juger que les fautes commises par M. [L] limitaient son droit à indemnisation à 20 % conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 à la suite de l'accident dont il avait été victime de 31 juillet 2018,

- juger qu'après application du partage et au regard des conclusions provisoires du Dr [T], il n'y avait lieu d'allouer à la victime qu'une provision de 19.000 euros qu'elle offrait de régler,

- constater qu'elle émettait protestations et réserves sur la demande de désignation à nouveau du Dr [T] pour procéder à l'expertise de M. [L],

- dire qu'il n'y a pas lieu d'appliquer aux MMA les dispositions de l'article L.211-13 du Code des assurances,

- réduire, à de plus justes proportions, l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par jugement réputé contradictoire du 8 juillet 2021, le Tribunal judiciaire de Bourges a :

- condamné la SA MMA IARD en qualité d'assureur du véhicule RENAULT immatriculé [Immatriculation 7] appartenant à Mme [A] [I], mère de la conductrice Mme [N] [Z] [I], à indemniser M. [L] du préjudice corporel subi par celui-ci dans l'accident de la circulation dont il a été victime le 31 juillet 2018 ;

- dit que son droit à indemnisation doit être limité à hauteur de 50 % dès lors qu'il avait concouru à la survenance de l'accident ;

- dit n'y avoir lieu à statuer sur l'indemnisation de chacun des postes de préjudice dès lors que la consolidation n'était pas acquise ;

- condamné la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité provisionnelle d'un montant de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur le montant global de son indemnisation ;

- dit que cette somme produirait intérêts de plein droit au double du taux légal à compter du 1er mai 2019 et jusqu'au jour du jugement définitif ;

- ordonné une mesure d'expertise judiciaire post consolidation confiée au Dr [H] [T], expert inscrit sur la liste des experts judiciaires de la Cour d'appel d'Orléans ;

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

- dit qu'il appartiendrait à la partie la plus diligente, en l'absence d'accord amiable, de saisir à nouveau la présente juridiction, après le dépôt du rapport d'expertise post consolidation ;

- condamné la SA MMA IARD aux dépens dont ceux de référé et le coût du rapport d'expertise judiciaire déjà déposé ;

- condamné la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- déclaré le présent jugement commun et opposable à la Caisse Primaire d'Assurances Maladie du Cher.

Le Tribunal a notamment retenu que la faute de Mme [Z] [I] était établie, qu'elle avait été condamnée le 12 mars 2021 par le Tribunal correctionnel de Bourges du chef de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence, que son assureur devait par conséquent être condamné à indemniser le préjudice subi des suites de cet accident, que la faute de la victime ne pouvait venir limiter son indemnisation que s'il était établi un lien de causalité entre elle et la survenance de l'accident, qu'aucun élément ne permettait de considérer comme certain que M. [L] ait conduit à une vitesse excessive, qu'il était en revanche dépourvu de permis de conduire une moto, n'était pas assuré et avait consommé une certaine quantité d'alcool, que M. [L] devait donc être jugé responsable de son propre préjudice à hauteur de 50 %, et que la SA MMA IARD n'avait pas présenté d'offre provisionnelle à M. [L] dans les délais imposés par le code des assurances bien qu'elle ait disposé de l'essentiel des informations nécessaires.

M. [L] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 12 août 2021.

Par jugement en date du 12 mars 2021, le Tribunal correctionnel de Bourges a condamné Mme [Z]-[I] à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis, outre la peine complémentaire d'annulation de son permis de conduire, du chef de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 février 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'il développe, M. [L] demande à la Cour, au visa de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, des articles L211-9 et suivants du code des assurances et 514 du code de procédure civile, de :

Voir annuler et réformer le jugement rendu le 08 juillet 2021 en ce qu'il a dit que le droit à indemnisation de M. [L] devait être limité à hauteur de 50 %.

En conséquence :

Condamner la SA MMA IARD, en qualité d'assureur du véhicule RENAULT immatriculé [Immatriculation 7] appartenant à Mme [A] [I], mère de la conductrice, Mme [N] [Z] [I], à indemniser M. [L] de l'entier préjudice corporel subi par celui-ci dans l'accident de la circulation survenu dont il a été victime le 31 juillet 2018, sans aucune limitation, le droit à indemnisation de celui-ci étant plein et entier.

Débouter la SA MMA IARD de ses demandes formulées dans le cadre de son appel incident.

Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Bourges le 08 juillet 2021 en ce qu'il a condamné la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité provisionnelle d'un montant de 60.000 € à titre de dommages et intérêts à valoir sur le montant global de son indemnisation, ordonné que cette somme produise intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter du 1er mai 2019 et jusqu'au jour du jugement définitif, et enfin ordonné une mesure d'expertise judiciaire post consolidation confiée au Docteur [H] [T].

Confirmer la condamnation de la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'Article 700 du Code de Procédure Civile, compte tenu des honoraires exposés en première instance.

Confirmer la condamnation de la SA MMA IARD aux dépens de première instance.

Condamner la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité complémentaire de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile compte tenu des honoraires exposés en cause d'appel.

Condamner la SA MMA IARD aux entiers dépens d'appel.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 avril 2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SA MMA IARD demande à la Cour de

Dire et juger l'appel de M. [L] contre le jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES du 8 juillet 2021 non fondé.

Recevoir les Mutuelles du Mans en leur appel incident.

Réformer le jugement du Tribunal Judiciaire de BOURGES du 8 juillet 2021 en ce qu'il a retenu que les fautes de M. [L] réduisaient simplement de 50 % son droit à indemnisation et statuant à nouveau, dire que les fautes commises par M. [L] réduisent son droit à indemnisation à 20 % laissant à sa charge 80 % des conséquences de l'accident dont il a été victime le 31 juillet 2018.

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a alloué à M. [L] une provision de 60.000,00 € à valoir sur son préjudice corporel et statuant à nouveau, réduire cette provision en fonction du partage de responsabilité à la somme de 19.000,00 €.

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le montant de l'indemnité provisionnelle à hauteur de 60.000,00 € produirait intérêts de plein droit au double du taux

légal à compter du 1 er mai 2019 et jusqu'au jour du jugement définitif et juger qu'il n'y a pas lieu à application de la pénalité.

A titre très subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait devoir appliquer la pénalité de l'article L211-13 du Code des Assurances, dire que le montant de l'indemnité provisionnelle qui sera fixé par la Cour produira intérêts au double du taux légal à compter du 1er mai 2019 jusqu'au 29 janvier 2021, date de l'offre des Mutuelles du Mans par leurs conclusions signifiées par RPVA le 29 janvier 2021 devant le Tribunal Judiciaire de BOURGES.

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a mis à la charge des Mutuelles du Mans l'intégralité des dépens dont ceux de référé et les frais d'expertise et statuant à nouveau, juger qu'il ne sera mis à la charge des Mutuelles du Mans le coût des dépens et frais d'expertise après application du partage de responsabilité qui sera fixé.

Dire que les dépens devant la Cour seront supportés par chaque partie en fonction de la limitation du droit à indemnisation de la victime.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 avril 2022.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant simplement à voir « dire et juger », « rappeler » ou « constater » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt. Il en va de même de la demande de « donner acte », qui est dépourvue de toute portée juridique et ne constitue pas une demande en justice.

Sur la demande principale en indemnisation présentée par M. [L] :

Aux termes des articles 1 et 4 de la loi du 5 juillet 1985, le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur blessé dans un accident de la circulation a droit à une indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il est prouvé qu'il a commis une faute ayant contribué à la survenance de son préjudice.

En application de ces textes, la faute commise par le conducteur a pour conséquence une réduction ou une privation du droit à indemnisation, en fonction de son degré de gravité, dès lors qu'elle a contribué à la réalisation du dommage, indépendamment de la faute commise par l'autre conducteur.

Il est constant qu'un lien causal doit être établi entre la faute du conducteur victime et le dommage.

En l'espèce, la SA MMA IARD estime que les fautes commises par M. [L] au moment de l'accident justifient de le reconnaître responsable à hauteur de 80 % de celui-ci et de laisser à sa charge la même proportion des conséquences dommageables qu'il en subit, ces fautes consistant en le défaut de permis de conduire les motocyclettes de la catégorie concernée, la conduite sous l'empire d'un état alcoolique et la vitesse excessive à laquelle il pilotait son véhicule le soir des faits.

Il doit tout d'abord être rappelé que la condamnation prononcée par le Tribunal correctionnel de Bourges, le 12 mars 2021, à l'encontre de Mme [N] [Z]-[I] du chef de blessures involontaires caractérise le comportement fautif de celle-ci, à savoir un refus de la priorité dont elle était débitrice envers M. [L] dans la mesure où elle débouchait lors des faits d'un chemin privé.

Concernant les circonstances de l'accident, les seuls éléments avancés par la SA MMA IARD pour soutenir l'hypothèse d'une circulation de M. [L] à une vitesse excessive tiennent aux déclarations de Mme [N] [Z]-[I], jeune conductrice ayant obtenu son permis de conduire le mois précédent, et de son frère [U], alors âgé de 13 ans. Toutefois, la déclaration de ce dernier évoquant qu'au moment de l'accident, Mme [N] [Z]-[I] venait de redémarrer 'puisqu'elle était arrivée à peu près au quart de la route' et le point d'impact des deux véhicules, situé à l'avant-droit de la voiture qui tournait alors à gauche et au niveau du cale-pied avant-droit de la moto, viennent conforter la version des faits relatée par M. [L], selon laquelle il aurait tenté d'éviter la voiture qu'il avait vue sortir d'une allée privée au moyen d'une manoeuvre vers sa gauche, manoeuvre qui a été mise en échec par une réaccélération de la conductrice qui a amené les véhicules à se percuter. En effet, si Mme [N] [Z]-[I] s'était déjà trouvée, ou quasiment, sur la voie de circulation qu'elle entendait rejoindre et que M. [L] était arrivé à une vitesse excessive, la moto serait venue percuter le côté gauche du véhicule. La réalité de la manoeuvre d'évitement entreprise par M. [L] est ainsi démontrée.

Il sera par ailleurs observé qu'il ressort des déclarations de M. [L] et de M. [X], son ami qui le suivait sur sa propre moto, qu'ils étaient en train de regagner le domicile du premier, situé au n° [Adresse 5], la voiture conduite par Mme [N] [Z]-[I] sortant pour sa part de l'allée située au n° 60. Cet élément vient lui aussi infirmer l'hypothèse d'une vitesse excessive de la moto pilotée par M. [L], qui n'aurait eu aucune raison d'accélérer ou de circuler à grande vitesse à quelques mètres seulement de sa destination. M. [X] comme M. [L] estiment en outre que leur vitesse de circulation était aux alentours de 50 km/h, ainsi qu'ils en avaient généralement coutume.

Le témoignage de M. [Y], riverain ayant entendu le choc dû à l'accident sans en être visuellement témoin et estimé que M. [L] circulait à une vitesse excessive du seul fait de l'ampleur de l'impact, n'apporte aucun élément pertinent sur ce point.

Ainsi, les seules déclarations de Mme [N] [Z]-[I] et de son jeune frère selon lesquelles la moto devait circuler à une vitesse excessive puisqu'ils ne l'avaient pas vue arriver et qu'elle a 'rugi' en approchant sont insuffisantes à caractériser une telle faute de conduite à l'encontre de M. [L].

Concernant le taux contraventionnel d'alcool relevé dans le sang de M. [L] lors de son admission à l'hôpital, soit 0,53 g/l, il est admis que les juges peuvent à bon droit refuser de limiter ou d'exclure l'indemnisation d'une victime d'accident de la circulation dès lors que leurs constatations et appréciations souveraines leur ont permis de déduire l'absence de lien de causalité entre l'état d'alcoolémie de la victime et la réalisation de son dommage (voir notamment en ce sens Ass. Plén., 6 avril 2007, n°05-81.350).

En l'espèce, la manoeuvre d'évitement engagée par M. [L], le récit détaillé de l'accident qu'il a pu faire et la concordance de celui-ci avec les éléments matériels relevés par les gendarmes vont à l'encontre de l'hypothèse, retenue par le premier juge, de 'réflexes [...] sensiblement altérés' par la consommation d'alcool à laquelle il s'était livré plus tôt. Ils contredisent également l'affirmation de la SA MMA IARD selon laquelle M. [L] aurait perdu la pleine capacité de ses moyens et le contrôle de sa moto du fait de cette consommation d'alcool.

Aucun rôle causal dans la survenance de l'accident ne peut ainsi être imputé à l'état d'imprégnation alcoolique de M. [L] au moment des faits.

Concernant le défaut de permis de conduire les motocyclettes, qui n'est pas contesté par M. [L], il sera rappelé qu'il est constant qu'un tel défaut de permis n'est pas de nature à justifier une limitation du droit à indemnisation de la victime, dès lors que le pilote, détenteur du permis de conduire les automobiles, n'était pas un conducteur novice et que rien n'établit qu'il ait roulé à une vitesse excessive, l'examen de telles circonstances par la juridiction du fond lui permettant légitimement de déduire l'absence de lien de causalité entre le défaut de permis de conduire imputable au conducteur victime et la réalisation des dommages subis par celui-ci, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 (voir notamment en ce sens Cass. Crim., 27 novembre 2007, 07-81.585).

Le permis de conduire les motocyclettes vient sanctionner une formation au pilotage de cette catégorie de véhicules et l'acquisition des compétences y afférentes, et encadrer administrativement le statut de ceux qui en sont titulaires. Son défaut ne peut être considéré comme nécessairement synonyme d'absence totale des compétences nécessaires pour réagir correctement dans une situation donnée. Là encore, l'absence de vitesse excessive, la réaction de M. [L] lors de l'accident et la tentative de manoeuvre d'évitement conforme à l'apprentissage qu'il dit avoir reçu lors de cours de conduite moto sur plateau permettent d'écarter l'hypothèse selon laquelle le défaut de permis moto, qui constitue une faute indéniable en soi sur le plan pénal, aurait pu avoir un rôle causal dans la survenance de l'accident dont M. [L] a été victime.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que M. [L] n'a commis aucune faute susceptible d'avoir concouru à la réalisation de l'accident et que rien ne justifie de limiter en quelque proportion que ce soit son droit à indemnisation. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a retenu que le droit à indemnisation de M. [L] devait être limité à hauteur de 50 % dès lors qu'il avait concouru à la survenance de l'accident, et confirmé en ce qu'il a condamné la SA MMA IARD à payer à M. [L] une indemnité provisionnelle d'un montant de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur le montant global de son indemnisation.

Sur l'application des dispositions des articles L211-9 et L211-13 du code des assurances :

Aux termes de l'article L211-9 du code des assurances, quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d'indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n'est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié, l'assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.

Une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint. L'offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable.

Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive d'indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.

En tout état de cause, le délai le plus favorable à la victime s'applique.

En cas de pluralité de véhicules, et s'il y a plusieurs assureurs, l'offre est faite par l'assureur mandaté par les autres.

L'article L211-13 du même code dispose que lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur.

En l'espèce, l'accident étant survenu le 31 juillet 2018 et la demande d'indemnisation ayant été formulée le 20 août 2018, la SA MMA IARD aurait dû présenter à M. [L] une offre d'indemnisation provisionnelle avant le 21 novembre 2018, ou à tout le moins lui adresser une réponse motivée quant à son positionnement et aux éventuelles réserves dont elle entendait se prévaloir. Une offre provisionnelle aurait également dû être faite à M. [L] avant le 31 mars 2019.

La SA MMA IARD ne justifie toutefois avoir adressé aucune proposition d'indemnisation, provisionnelle ou définitive, à M. [L] dans les délais prévus, tirant simplement argument, d'une part, de la communication de conclusions valant offre dans le cadre de la première instance, le 29 janvier 2021, et de la réception tardive du procès-verbal de gendarmerie concernant l'accident.

Cet argument ne peut être accueilli, dès lors que la SA MMA IARD ne justifie pas davantage avoir adressé à M. [L] d'écrit motivé explicitant les raisons de son refus de lui proposer une indemnisation et qu'une contestation sur la responsabilité du conducteur assuré ou de l'implication de son véhicule dans l'accident ne dispense pas l'assureur de présenter à la victime une offre d'indemnisation.

Le code des assurances ne subordonne nullement l'applicabilité des textes précités à la réception par l'assureur du procès-verbal de l'accident. Aucune disposition légale ne permet de considérer que cette réception constitue le point de départ des délais mentionnés.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la SA MMA IARD, par sa défaillance, doit se voir appliquer la sanction du doublement de l'intérêt légal sur une période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 janvier 2021. Le jugement entrepris sera ainsi infirmé en ce sens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

L'équité et la prise en considération de l'issue du litige commandent, en outre, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de condamner en conséquence la SA MMA IARD, qui succcombe en l'essentiel de ses prétentions, à verser à M. [L] la somme de 2.000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. La SA MMA IARD, qui succombe en l'essentiel de ses prétentions, sera condamnée à supporter la charge des entiers dépens en cause d'appel.

Le jugement entrepris sera en outre confirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME partiellement le jugement rendu le 8 juillet 2021 par le Tribunal judiciaire de Bourges en ce qu'il a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [M] [L] devait être limité à hauteur de 50 % dès lors qu'il avait concouru à la survenance de l'accident ;

- dit que l'indemnité provisionnelle de 60.000 euros au paiement de laquelle la SA MMA IARD était condamnée produirait intérêts de plein droit au double du taux légal à compter du 1er mai 2019 et jusqu'au jour du jugement définitif ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;

Et statuant de nouveau des chefs infirmés,

DIT n'y avoir lieu à limitation du droit à indemnisation de M. [M] [L] quant aux conséquences dommageables de l'accident survenu le 31 juillet 2018 ;

DIT que l'indemnité provisionnelle de 60.000 euros au paiement de laquelle la SA MMA IARD est condamnée produira intérêts de plein droit au double du taux légal pour la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 janvier 2021 ;

DECLARE le présent arrêt commun à la CPAM du Cher ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE la SA MMA IARD à payer à M. [M] [L] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SA MMA IARD aux entiers dépens de l'instance d'appel.

L'arrêt a été signé par L.WAGUETTE, Président et par Mme MAGIS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

S.MAGISL. WAGUETTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00908
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;21.00908 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award