La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/08/2022 | FRANCE | N°21/01171

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 26 août 2022, 21/01171


SD/AB





N° RG 21/01171

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMYI





Décision attaquée :

du 05 octobre 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







--------------------





Mme [Y] [GZ]





C/



S.A.R.L. AMBULANCES PINSON









--------------------





Expéd. - Grosse



Me PEPIN 26.8.22



Me BIGOT 26.8.22



















COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 26 AOÛT 2022



N° 145 - 11 Pages





APPELANTE :



Madame [Y] [GZ]

[Adresse 1]



Représentée par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES





INTIMÉE :



S.A.R.L. AMBULANCES PINSON

[Adress...

SD/AB

N° RG 21/01171

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMYI

Décision attaquée :

du 05 octobre 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES

--------------------

Mme [Y] [GZ]

C/

S.A.R.L. AMBULANCES PINSON

--------------------

Expéd. - Grosse

Me PEPIN 26.8.22

Me BIGOT 26.8.22

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 26 AOÛT 2022

N° 145 - 11 Pages

APPELANTE :

Madame [Y] [GZ]

[Adresse 1]

Représentée par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

S.A.R.L. AMBULANCES PINSON

[Adresse 2]

Représentée par Me Marie-Pierre BIGOT de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme BOISSINOT, conseillère

en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme BOISSINOT, conseillère

Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère

DÉBATS : A l'audience publique du 24 juin 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

Arrêt n° 145 - page 2

26 août 2022

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [Y] [GZ], née le 04 novembre 1965, a été embauchée par la SARL Ambulances Pinson en qualité de chauffeur ambulancier suivant contrat de travail à durée déterminée à temps partiel prenant effet le 22 décembre 1988. La relation de travail s'est ensuite poursuivie suivant contrat de travail à durée indéterminée du 22 août 1989.

La SARL Ambulances Pinson est spécialisée dans le secteur d'activité du transport sanitaire et emploie plus de 11 salariés. La convention collective nationale des transports routiers s'est appliquée à la relation salariale.

Par avenant à son contrat de travail en date du 11 décembre 2012, Mme [GZ] s'est vue confier à temps plein des fonctions d'agent de maîtrise du service administratif, groupe 4, coefficient 175, avec pour mission :

- la facturation des transports réalisés par les chauffeurs de l'entreprise,

- l'accueil physique et téléphonique,

- la régulation ponctuelle des transports,

- des tâches administratives diverses.

Au dernier état de la relation salariale, elle percevait une rémunération brute mensuelle de 2 821, 93 euros.

Mme [GZ] a été placée en arrêt de travail à compter du 18 octobre 2017 après un incident survenu sur son lieu de travail (crise de larmes lui provoquant des tremblements et des maux de tête). Son employeur a procédé le lendemain à une déclaration d'accident de travail en formulant toutefois des réserves sur l'origine professionnelle de cet accident.

Par courrier du 25 octobre 2017, la SARL Ambulance Pinson a écrit à la CPAM du Cher pour contester le caractère professionnel de l'accident.

Par décision du 18 décembre 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges a reconnu le caractère professionnel de l'accident du travail dont Mme [GZ] a été victime.

Le 2 avril 2020, la salariée a été reconnue inapte à son poste de travail, le médecin du travail cochant la case : « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2020, Mme [GZ] a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, fixé au 27 avril 2020.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 30 avril 2020, la SARL Ambulances Pinson l'a licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Par arrêt du 11 mai 2021, la cour d'appel d'Orléans a confirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale et reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 18 octobre 2017.

Arrêt n°145 - page 3

26 août 2022

Le 28 mai 2020, Mme [GZ] a saisi le conseil de Prud'hommes de Bourges aux fins de voir reconnaître l'origine professionnelle de son inaptitude, contester son licenciement et obtenir la condamnation de son employeur au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, le complément de l'indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité de procédure.

Par jugement du 5 octobre 2021, le conseil de prud'hommes de Bourges a :

- confirmé le licenciement de Mme [GZ] pour inaptitude,

- pris acte du versement du complément d'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents par la SARL Ambulances Pinson,

- débouté Mme [GZ] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la SARL Ambulances Pinson de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [GZ] aux dépens.

Le 27 octobre 2021, par la voie électronique, Mme [GZ] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a confirmé son licenciement pour inaptitude, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 14 juin 2022 par lesquelles Mme [GZ] demande à la présente cour de :

- la recevoir en son appel et le dire bien fondé,

En conséquence,

- réformer le jugement entrepris,

- juger son licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la SARL Ambulances Pinson à lui payer les sommes de :

* 56 438, 60 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral,

* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL Ambulances Pinson en tous les dépens,

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 13 juin 2022, par lesquelles la SARL Ambulances Pinson demande à la présente cour de :

- juger l'appel de Mme [Y] [GZ] mal fondé,

- juger recevable sa constitution d'intimée,

A titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [Y] [GZ] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire, si la cour jugeait le licenciement de Mme [GZ] privé de cause réelle et sérieuse ou que celle-ci fût victime de harcèlement moral,

- dire et juger que Mme [Y] [GZ] ne rapporte pas la preuve de son préjudice,

En conséquence,

- débouter Mme [GZ] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- minorer le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloué à Mme [Y] [GZ] à 3 mois de salaires,

En tout état de cause,

- condamner Mme [Y] [GZ] à la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Arrêt n°145 - page 4

26 août 2022

- condamner Mme [Y] [GZ] aux entiers dépens,

* * * * *

Vu l'ordonnance de clôture en date du 15 juin 2022,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Aux termes des articles L 1152-1 et L 1152-2 du code du travail, le harcèlement moral d'un salarié se définit par des agissements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l'article L 1154-1 du code du travail, il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [GZ] invoque :

- une pression psychologique néfaste de la part de son employeur, se caractérisant notamment par une menace de licenciement,

- des propos irrespectueux de la part de son employeur,

- une surcharge de travail génératrice de stress et des horaires de travail très importants, la privant notamment de la possibilité de bénéficier d'une pause déjeuner,

- une dégradation consécutive de ses conditions de travail et de sa santé.

S'agissant de la pression prétendument exercée sur elle par son employeur, Mme [GZ] verse en premier lieu à la procédure le témoignage de M. [ZE] [CZ], ambulancier, dont les propos restent cependant extrêmement généraux.

Elle produit encore le témoignage de M. [R] [YM], ambulancier, lequel relate l'incident du 18 octobre 2017, expliquant qu'il est arrivé sur les lieux alors que la salariée venait de faire un malaise et qu'il l'a accompagnée au cabinet médical des [5] à [Localité 4]. Il précise qu'à cette occasion, Mme [GZ] lui a confié s'être vue menacer de licenciement par la direction de l'entreprise du fait de son refus d'assurer des astreintes en plus de son travail quotidien. Si ce

Arrêt n°145 - page 5

26 août 2022

témoignage se limite à relater les propos de la salariée, il doit être rapproché du contenu des décisions du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges et de la cour d'appel d'Orléans, statuant sur le caractère professionnel de l'accident survenu le 18 octobre 2017. Il résulte de ces deux décisions que, le jour des faits, Mme [Z], responsable des ressources humaines, a présenté à Mme [GZ] l'avenant à son contrat portant modification de ses conditions de travail, avenant qu'elle a refusé de signer. Il y était fait référence à l'enquête administrative diligentée par la CPAM du Cher, au cours de laquelle deux collègues de la salariée, Mme [X] [YM] et Mme [F] [U], ont indiqué que l'accident est survenu après que l'employeur eut annoncé à Mme [GZ] sa volonté de la licencier.

Ces éléments sont corroborés par le contenu du compte-rendu manuscrit d'un entretien ayant eu lieu le 25 octobre 2017 en présence de Mme [Z], de Mme [GZ] et de Mme [GH] [O], conseillère de la salariée, entretien dont le contenu est incontestablement celui d'un entretien préalable à un éventuel licenciement, ce qu'évoque clairement Mme [Z], étant précisé qu'il est signé des trois personnes y ayant participé.

Au cours de cet entretien, et sans qu'il y ait lieu de se référer aux mentions manuscrites apposées par la suite au crayon par la salariée, la directrice des ressources humaines a évoqué le refus de Mme [GZ] de participer aux astreintes hebdomadaires de nuit et du dimanche en journée, a indiqué que ces astreintes ne figuraient pas dans la fiche de poste de la salariée mais que, la société ayant décidé de modifier l'organisation des tâches, le refus de Mme [GZ] conduisait à ce que son licenciement soit envisagé bien qu'elle ait conscience qu'il s'agisse d'une modification du contrat de travail de l'intéressée.

Il résulte dès lors de ces pièces que la pression invoquée par Mme [GZ], issue des menaces de licenciement dont elle faisait l'objet, se trouve matériellement établie.

La salariée évoque encore des propos irrespectueux tenus par son employeur à son encontre. Elle verse notamment à la procédure le témoignage de Mme [B], ambulancière au sein de la société de 2004 à 2019, qui atteste de ce que, 'le matin quand on embauchait à la même heure et que l'un des patrons était là, il passait lui (Mme [GZ]) dire bonjour en lui serrant la main et lui dire 'bonjour [P]' et moi 'bonjour jeune fille...' Mme [D] [E], employée libre service, témoigne de ce que, lors de son activité au sein des Ambulances de [Localité 3], 'Mme [GZ] était très affectée par le manque de compréhension de ses supérieurs. Elle ne supportait pas à juste titre les familiarités du genre 'Jeune fille' auquel elle avait droit comme d'autre, elle [lui] a confié également que M. [N] l'appelait '[P]' en lui disant bonjour, ce qui l'insupportait'. Cette attestation n'a pas lieu d'être écartée des débats au motif non établi par l'employeur que le témoin n'aurait pas elle-même entendu les propos prêtés à l'un des gérants, M. [N].

Mme [S] [TF], ambulancière au sein de l'entreprise de 2001 à 2014, témoigne d'une dégradation des conditions de travail du personnel à partir du rachat de l'entreprise en 2013 et de ce que Mme [GZ] avait été 'prise en grippe' parce qu'elle avait refusé de participer aux astreintes de nuit et de week-end. Ce témoin affirme avoir 'entendu à plusieurs reprises Mr [FA] [Z] s'adresser à Mme [GZ] sur un ton condescendant et très irrespecteux en l'appelant '[P]'. Et cela l'affectait beaucoup'. Mme [T] [VG], laquelle a travaillé dans l'entreprise de 2013 à 2017 confirme avoir à plusieurs reprises entendu M. [N] [FA] appeler Mme [GZ] 'jeune fille' ou '[P]', ce qui l'affectait' et choquait le témoin.

Si les échanges de SMS entre la salariée et son frère, M. [VW] [GZ], se limitent à reproduire, sans pouvoir en établir la véracité, les propos de Mme [GZ] selon lesquels son 'patron' lui aurait écrit le 14 juin 2016 : 'Vous avez des factures taxi vierge. Comme votre fille'..., la réitération des termes employés par l'un des gérants de la société, M. [FA] [N], (et non M. [FA] [Z], dénomination qui résulte d'une erreur de plume) pour désigner la salariée, suffisent à caractériser l'attitude irrespectueuse de l'employeur à son encontre.

Arrêt n°145 - page 6

26 août 2022

Mme [GZ] affirme ensuite avoir subi une surcharge de travail de plus en plus importante ayant dégradé ses conditions de travail. Elle produit plusieurs témoignages, dont celui de Mme [MY] [G], ambulancière au sein de la société du 24 juin 1996 au 31 janvier 2019, dont l'attestation n'a pas lieu d'être écartée des débats puisque la SAS Ambulances Pinson ne démontre nullement qu'elle aurait, comme elle l'affirme, été dictée par la salariée. Mme [G] atteste en ces termes : 'A partir du 01.10.2013, il y a eu rachat de l'entreprise. En 96, dès le début, j'ai travaillée avec [Y] et j'ai pu constater un changement important de ses conditions de travail. Allongement de ses journées de travail. Parfois des journées commencent 7h30 jusqu'à 19h. J'ai constatée aussi qu'elle répondait au téléphonne alors qu'elle mangeait son sandwich. J'ai constatée aussi que [Y] s'est retrouvée en salle de régulation pour faire ses factures et la régulation. J'ai constatée qu'il ni avait que 2 secrétaires pour tout assurer alors que leurs taches augmentaient avec le rachat des taxi Jacques Coeur et des ambulances de [Localité 3]. J'ai pu voir que les patrons déléguaient de plus en plus leurs taches et leurs responsabilités aux 2 secrétaires. J'ai remarqué que [Y] était de plus en plus fatiguée voir exténuée. En plus de cette surcharge de travail on a demandée à [Y] de faire des gardes de nuits et de week end ce qu'elle ne faisait pas avant'.

Cette attestation est corroborée par celle de Mme [DA] [ZW], secrétaire, laquelle explique avoir travaillé avec Mme [GZ] du 6 février au 31 août 2017 et indique que la salariée 'prenait en charge l'intégralité de la facturation des transports Pinson ainsi que la régulation et le standard en l'absence de Mme [U], la régulatrice', ce qui lui imposait une 'grosse amplitude horaire, sans coupure déjeuner, en mangeant à son poste de travail, tout en continuant à répondre au téléphone'. Le témoin ajoute que Mme [GZ] a dû utiliser un logiciel sur lequel elle n'avait pas été formée et qui 'engendrait beaucoup de difficultés dans son utilisation, faussant également les données', de sorte que la salariée était 'confrontée à une situation de stress permanent dû à l'ampleur et aux difficultés de ses tâches'. Ces propos se trouvent corroborés par plusieurs échanges de SMS entre Mme [GZ] et M. [N] [M], l'un des gérants de la société, portant sur les difficultés rencontrées dans la facturation des interventions.

Mme [GZ] verse encore aux débats le témoignage de Mme [K] [I], salariée de la société de transports Mission, laquelle partageait jusqu'en 2014 les mêmes locaux que la SARL Ambulances Pinson., qui atteste de la 'charge très importante de travail' de Mme [GZ], expliquant qu'après le rachat de la société en 2013, la salariée 'avait récupéré la facturation taxi ainsi que le poste de Mme [OX] partie en retraite et le remplacement de Melle [DR] qui remplaçait Mme [U] lors de ses vacances', ce que confirme également M. [V] [W], un autre salarié de la société de transports Mission. Si ces deux salariés ont quitté le site de [Localité 3] le 30 avril 2014, l'employeur soutient sans le démontrer qu'à compter du rachat de la SARL Ambulances Pinson en 2013, les bureaux des deux sociétés ne communiquaient plus, de sorte que ces témoignages n'ont pas lieu d'être écartés des débats.

Elle produit enfin, comme précédemment indiqué, le témoignage de M. [YM] qui atteste de la 'grosse pression quotidienne' subie par les régulatrices du fait de la désorganisation du travail engendrée par l'attitude des gérants qui répartissaient les missions sans les consulter, les laissant ensuite gérer les retards engendrés et le mécontentement des clients.

Ces éléments sont suffisamment précis pour considérer que la surcharge de travail invoquée est matériellement établie.

Mme [GZ] verse parallèlement à la procédure un certificat médical du Docteur [H], médecin psychiatre, adressé au médecin conseil de la CPAM de [Localité 3], le Docteur [PO], dans lequel le praticien explique notamment : 'Madame [GZ] [Y], 4.11.1965, a subi lors d'une lipothymie une chute sur ses lieux de son travail le 18.10.2017 justifiant une qualification en A.T.. Si les conséquences physiques étaient anodines l'anamnèse a révélé un vécu de souffrance importante au travail depuis un changement de la direction de l'entreprise ambulancière :

Arrêt n°145 - page 7

26 août 2022

réorganisation fonctionnelle puis propos peu élogieux voire injurieux la situant dans une interprétation de harcèlement au point que le diagnostic de syndrome post-traumatique s'impose. L'arrêt de travail en continu était justifié tant de par l'état clinique de la patiente que de par les résurgences anxieuses à l'idée de rencontrer ses employeurs'... Le médecin psychiatre termine en évoquant une potentielle reconnaissance d'invalidité, laquelle s'est concrétisée par une décision de la commission des droits et de l'autonomie du 20 février 2018 qui a octroyé à Mme [GZ] le statut de travailleur handicapé jusqu'au 31 janvier 2023. La reproduction expresse de ce diagnostic montre la prudence observée par le médecin psychiatre pour décrire l'état de santé de sa patiente ce qui contredit les affirmations de l'employeur selon lesquelles le praticien aurait outrepassé les compétences qui sont les siennes au regard du code de déontologie médicale.

La salariée fournit également l'attestation de Mme [LO] [JP], assistante maternelle, épouse d'un ambulancier, laquelle témoigne de l'apparition chez Mme [GZ] de gros soucis de santé après la reprise des Ambulances Pinson par les Ambulances Savignat, 'une importante perte de poids et de grosses crises d'angoisse', outre une insomnie permanente et des hausses importantes de tension, à telle enseigne qu'un soir, à 22 h, elle s'est réfugiée à son domicile 'pour demander de l'aide tellement elle était mal'.

Mme [GZ] produit encore des extraits de son dossier médical auprès de la médecine du travail dans lequel apparaît, dès le 2 juin 2014, suite à un entretien infirmier, la notion de 'surmenage professionnel'. Lors d'une visite du 27 juin 2017, la salariée a décrit au médecin du travail des conditions de travail difficiles à supporter, lui indiquant qu'elle faisait 'beaucoup trop de choses' et ne se sentait pas 'écoutée' mais n'a pas souhaité que cette situation soit évoquée auprès de son employeur, le médecin du travail la déclarant alors apte à reprendre son emploi. Son dossier médical porte en outre les mentions suivantes : 'difficultés relationnelles avec la hiérarchie, forte charge de travail, forte pression temporelle, manque d'intérêt, monotonie, pénible psychologiquement'.

Le caractère professionnel de l'accident du travail subi par Mme [GZ] le 18 octobre 2017 a été successivement reconnu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges et la cour d'appel d'Orléans, et l'avis d'inaptitude du 2 avril 2020 porte mention de ce que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé'.

Ces différentes pièces établissent le lien direct entre les conditions de travail de la salariée et la dégradation de son état de santé.

Pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux qui viennent d'être décrits, les faits invoqués par Mme [GZ], dont il a ci-dessus été précisé qu'ils étaient matériellement établis, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour démontrer que sa décision serait justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout acte de harcèlement, la SARL Ambulances Pinson se prévaut de l'absence d'autre alternative à l'organisation d'un système d'astreinte afin de répondre aux besoins des patients et du service du SAMU, ainsi que des demandes de transport de produits sanguins ou d'organes pour le centre hospitalier de [Localité 3] et la clinique Guillaume de Varye. Elle affirme avoir voulu répartir équitablement ces astreintes par un roulement de l'ensemble des salariés du service administratif et affirme que, les autres salariées de l'entreprise ayant accepté la modification de leur contrat de travail, le refus de Mme [GZ] constituait une inégalité de traitement venant légitimer son licenciement auquel elle a cependant renoncé.

Il relève du pouvoir de direction de l'employeur d'organiser l'entreprise dans la perspective d'un meilleur service rendu au client, de sorte que la SARL Ambulances Pinson pouvait valablement réorganiser le service des astreintes et proposer en conséquence une modification du contrat de travail de Mme [GZ]. Elle ne pouvait en revanche user comme elle l'a fait de la menace de

Arrêt n°145 - page 8

26 août 2022

licenciement et initier une procédure en ce sens, à la seule fin d'obtenir de la salariée qu'elle accepte la modification imposée, étant précisé que les allégations selon lesquelles le comportement professionnel de la salariée n'aurait pas été exempt de tout reproche sont à cet égard inopérantes. De plus, le contenu de l'entretien préalable contredit les allégations de l'employeur selon lesquelles tous les salariés de l'entreprise, à l'exception de Mme [GZ], avaient accepté les modifications sollicitées quant à l'organisation des astreintes de nuit et de week-end.

S'agissant des propos irrespectueux prêtés par la salariée à l'un des gérants de la société, l'employeur produit pour les contester le témoignage de Mme [F] [U], régulatrice, laquelle affirme n'avoir jamais ' entendu M. [M] ou même M. [N] appeler [Y] par un surnom tel que '[P]'. Elle indique par ailleurs, de manière concordante avec M. [J] [A], responsable du personnel et de la logistique, que les salariés de l'entreprise s'appelaient souvent par des surnoms, Mme [GZ] appelant elle-même M. [A] ' [KH]', lui-même l'appelant ' [AR]', la salariée appelant Mme [U] ' [HR]'. Les surnoms donnés n'avaient pas de caractère péjoratif et ils étaient utilisés de manière courante et générale dans l'entreprise, de sorte que ce fait ne peut dans ce contexte être constitutif d'un acte de harcèlement moral.

La SARL Ambulances Pinson conteste ensuite la réalité de la surcharge de travail invoquée par Mme [GZ] en ce que d'une part, la salariée aurait toujours assuré des remplacements notamment à la régulation, et que d'autre part, le service administratif, initialement composé de trois personnes, Mesdames [F] [U], [Y] [GZ] et [L] [OX], outre Mme [C] [EI], comptable, aurait été renforcé au fil des ans, compte tenu du rachat de la société Taxis Jacques Coeur puis Ambulances de Bourges.

Elle produit en ce sens le témoignage de Mme [Z], laquelle travaille dans l'entreprise depuis mai 2016, selon lequel Mme [GZ] remplaçait Mme [U] à la régulation durant les congés de cette dernière, en 2016 un jour sur deux avec l'un des gérants puis, en 2017, la salariée assurait selon Mme [Z], la régulation avec une des secrétaires, suite à l'embauche de deux nouvelles secrétaires (Mme [ZW] et Mme [UO]). Ce témoignage n'est cependant pas contradictoire avec les allégations de la salariée, corroborées par les attestations de M. [JP] et de M. [W], selon lesquelles, antérieurement au rachat de la société, non seulement elle n'effectuait pas d'astreinte mais n'assurait pas davantage le remplacement de Mme [U] à la régulation, ce remplacement étant assuré par Mme [MG] [DR] et Mme [GZ] travaillant alors seule dans un bureau indépendant de la régulation.

Les mêmes observations peuvent être formulées en ce qui concerne le témoignage de Mme [U], produit par l'employeur, alors que le témoin ne situe pas dans le temps la période durant laquelle Mme [GZ] aurait assuré la régulation. Ainsi, si le contrat de travail de Mme [GZ] prévoyait en son article 2, la 'régulation ponctuelle des transports', dans les faits, avant le rachat de la société, la salariée n'assurait pas le remplacement de la régulatrice, Mme [U] et, ce, contrairement à la période postérieure à ce rachat. Il en est alors bien résulté un accroissement de sa charge de travail.

La SARL Ambulances Pinson conteste par ailleurs les témoignages produits par la salariée, notamment celui de Mme [G], expliquant que cette dernière ne travaillait pas sur le même site que Mme [GZ] et ne se rendait à [Localité 3] qu'une fois par semaine. Cette circonstance n'exclut cependant pas que le témoin ait pu à cette occasion constater personnellement la dégradation des conditions de travail de la salariée liée à une surcharge de travail, étant précisé que Mme [GZ] n'allègue nullement que les heures supplémentaires réalisées n'ont été ni récupérées ni rémunérées, l'observation de l'employeur sur ce point étant totalement inopérante. C'est également vainement que l'intimée met en avant l'absence de plainte de la salariée auprès des gérants de la société ou de la responsable des ressources humaines durant la relation de travail, étant au contraire précisé qu'il a déjà été relevé que, contrairement à ce que soutient la SAS Ambulances Pinson, Mme [GZ] s'était ouverte de la dégradation de ses conditions de

Arrêt n°145 - page 9

26 août 2022

travail auprès de la médecine du travail.

L'employeur produit également un récapitulatif de l'évolution de la composition du 'service exploitation facturation + régulation' depuis le 1er octobre 2013, faisant apparaître plusieurs départs et embauches de salariés, sans qu'il puisse en être déduit, comme il l'allègue, un renforcement de ce service puisqu'il n'est pas contesté qu'au fur et à mesure des années, la société a racheté d'autres sociétés d'ambulances et de taxi, notamment les 'taxis Jacques Coeur' en juillet 2016, justifiant l'augmentation du personnel de ce service. Or, depuis le rachat de la SARL Ambulances Pinson, le personnel de ce service n'a été accru que d'une seule personne puisqu'il est passé de 4 à 5 salariés, une première fois ponctuellement du 1er juillet au 31 août 2014 puis à compter du rachat des taxis Jacques Coeur en juillet 2016.

La SARL Ambulances Pinson soutient encore que Mme [GZ], salariée de la société depuis de nombreuses années et ancienne compagne du précédent gérant, aurait été rétive aux modifications mises en place dans l'organisation du travail et à l'utilisation d'un nouveau logiciel de facturation de sorte que son refus d'utiliser les moyens mis à sa disposition serait à l'origine de la surcharge de travail qu'elle invoque, outre que l'employeur justifie d'une diminution du nombre de factures émises par la salariée entre 2013 et 2017, comparativement à ses collègues, Mme [WN] et Mme [RG], lesquelles en éditaient davantage chaque jour.

Mme [EI], secrétaire comptable dans l'entreprise jusqu'au 14 mai 2017, témoigne de ce que Mme [GZ] 'ne supportait pas les demandes de la hiérarchie pour améliorer son travail en utilisant de façon optimale les outils informatiques ou toutes autres demandes'. Cependant, les propos par ailleurs prêtés par le témoin à la salariée illustrent le caractère éminemment subjectif de cette attestation, alors que les autres éléments versés à la procédure mettent en évidence une grande animosité entre Mme [EI] et Mme [GZ], cette dernière ayant adressé un courriel à ce sujet à son employeur dès le 21 mai 2014, dans lequel elle se plaignait de la dégradation de ses conditions de travail et de l'attitude de Mme [EI] qui refusait de la saluer et se moquait d'elle. Dans ce contexte, le témoignage de Mme [EI] ne peut illustrer le refus de la salariée d'utiliser les nouveaux moyens de travail mis à sa disposition.

En outre, les pièces fournies démontrent au contraire que, si Mme [GZ] a dû se familiariser avec le nouveau logiciel de facturation mis à sa disposition et a pu rencontrer des difficultés pour apprendre à le maîtriser parfaitement, les échanges de SMS entre la salariée et M. [M] ainsi que le document récapitulatif que la première verse à la procédure montrent que ce logiciel a généré un certain nombre d'erreurs, lesquelles ont dû être réparées au fur et à mesure, entraînant cependant un surcroît de travail.

Dès lors, la SARL Ambulances Pinson échoue à démontrer que la surcharge de travail invoquée par Mme [GZ] relevait de sa propre responsabilité et, d'une manière générale, que ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral étant en l'espèce constitué, Mme [GZ] est bien fondée à obtenir réparation du préjudice qui en est résulté, lequel est suffisamment établi par les pièces médicales versées à la procédure. La SARL Ambulances Pinson sera par conséquent condamnée à lui payer la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice, la décision querellée étant infirmée de ce chef.

- Sur la contestation du licenciement et les demandes indemnitaires afférentes

L'article L 1152-3 du code du travail énonce que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissances des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 est nulle.

Arrêt n°145 - page 10

26 août 2022

En l'espèce, il résulte de ce qui précède que l'inaptitude physique de Mme [GZ] ayant abouti au licenciement trouve son origine dans les agissements de harcèlement moral de l'employeur. Il s'ensuit que le licenciement est nul.

En application des dispositions de l'article L 1235-3-1 du même code, le salarié ne demandant pas la poursuite de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible a droit à une indemnité, à la charge de son employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [GZ] était âgée de 54 ans à la date de la rupture de son contrat de travail et cumulait 31 années d'ancienneté au sein de l'entreprise. Elle est reconnue travailleur handicapé. Elle explique sans en justifier qu'elle n'a retrouvé un emploi que le 1er juillet 2020 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée.

En dernier lieu, son salaire mensuel moyen, non contesté en son montant, était de 2 821, 93 euros.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la SARL Ambulances Pinson sera condamnée à payer à la salariée la somme de 38 000 euros de dommages et intérêts, laquelle réparera intégralement le préjudice qu'elle a subi du fait de la nullité du licenciement dont elle a fait l'objet.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens

La décision du conseil de prud'hommes sera infirmée en ce qu'elle a débouté Mme [GZ] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens.

La SARL Ambulances Pinson, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et, en équité, condamnée à payer à Mme [GZ] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a débouté la SARL Ambulances Pinson de sa demande d'indemnité de procédure ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [Y] [GZ] est nul ;

CONDAMNE la SARL Ambulances Pinson à payer à Mme [Y] [GZ] les sommes de :

- 38 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 4 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

CONDAMNE la SARL Ambulances Pinson à payer à Mme [Y] [GZ] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Ambulances Pinson aux dépens de première instance et d'appel et la

Arrêt n°145 - page 11

26 août 2022

déboute de sa propre indemnité de procédure.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01171
Date de la décision : 26/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-26;21.01171 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award