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26/08/2022 | FRANCE | N°21/01154

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 26 août 2022, 21/01154


SD/ABL





N° RG 21/01154

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMXP





Décision attaquée :

du 06 octobre 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS







--------------------





M. [W] [Y]





C/



S.A.S. NEU RAILWAYS









--------------------





Expéd. - Grosse



Me PEPIN 26.8.22



Me GICQUEL 26.8.22












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COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 26 AOÛT 2022



N° 147 - 11 Pages





APPELANT :



Monsieur [W] [Y]

[Adresse 1]



Représenté par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES





INTIMÉE :



S.A.S. NEU RAILWAYS

[Adresse 2]



Représ...

SD/ABL

N° RG 21/01154

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMXP

Décision attaquée :

du 06 octobre 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de NEVERS

--------------------

M. [W] [Y]

C/

S.A.S. NEU RAILWAYS

--------------------

Expéd. - Grosse

Me PEPIN 26.8.22

Me GICQUEL 26.8.22

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 26 AOÛT 2022

N° 147 - 11 Pages

APPELANT :

Monsieur [W] [Y]

[Adresse 1]

Représenté par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

S.A.S. NEU RAILWAYS

[Adresse 2]

Représentée par Me Marine GICQUEL, substituée par Me Emmanuelle BEDDELEEM, avocates au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller

en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme BOISSINOT, conseillère

Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère

DÉBATS : A l'audience publique du 10 juin 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

Arrêt n°147 - page 2

26 août 2022

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [Y], né le 25 septembre 1970, a été embauché à compter du 24 juin 2013 par la SAS Neu International Railways en qualité de technicien de supervision, mise en service et maintenance, statut cadre, position II indice 100, suivant contrat de travail à durée indéterminée du même jour. Il était rémunéré sur la base d'un forfait annuel en jours fixé à 218 jours et au dernier état de la relation bénéficiait de l'indice 108.

La société est spécialisée dans la conception, l'installation et la mise en service d'équipements destinés aux dépôts de maintenance ferroviaires et de systèmes d'aspiration de voies et de tunnels. Elle exploite son activité sur le territoire national et à l'étranger et emploie plus de 11 salariés. Elle relève de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

A compter du 7 janvier 2019, M. [Y] a été placé en arrêt maladie non professionnelle, ses arrêts de travail étant régulièrement prolongés par son médecin traitant jusqu'au 3 janvier 2021.

Le 20 octobre 2020, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Nevers afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes.

Le 1er février 2021, le médecin du travail l'a déclaré apte à la reprise de son poste de travail, avec les préconisations suivantes : 'l'état actuel de l'intéressé rend tout à fait justifié le fait que compte tenu de la période actuelle de crise sanitaire, il soit sollicité d'adapter les conditions d'exercice professionnel, notamment en réduisant l'importance des déplacements.'

Par ailleurs, le même jour, le praticien a établi un certificat d'isolement au visa des dispositions du décret n°2020-1365 du 10 novembre 2020, en considérant que le salarié, après analyse de sa situation médicale, remplissait les conditions d'un télétravail exclusif, ou à défaut, des mesures de protection renforcée et, le cas échéant, pouvait relever d'une mesure d'isolement avec mise en activité de type chômage partiel.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mars 2021, la société a proposé au salarié de le réintégrer à partir du 6 avril 2021 sur un poste de technicien mise en service SAV, avec des déplacements limités à la France et aux pays limitrophes. Le salarié a répondu le 2 avril 2021 faire usage de son droit de retrait pour risque sanitaire sur personne vulnérable.

La société a alors mis en demeure M. [Y] de reprendre son poste par un second courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 avril 2021. Le salarié a réitéré son droit de retrait le 16 avril 2021.

En l'absence de reprise de son poste et après une nouvelle mise en demeure en date du 3 mai 2021, M. [Y] a été convoqué a un entretien préalable au licenciement, prévu le 1er juin 2021, et a été licencié pour faute grave le 4 juin 2021.

Par jugement du 6 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :

$gt; Débouté M. [Y] de ses demandes en lien avec la résiliation judiciaire,

$gt; Condamné la SAS Neu Railways à payer la somme de 1 391,26 € représentant la somme de 1 607,26 € au titre des retenues injustifiées pendant la maladie,

Arrêt n°147 - page 3

26 août 2022

$gt; Condamné M. [Y] à payer la somme de 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

$gt; Condamné M. [Y] aux entiers dépens de la procédure,

$gt; Débouté les parties de toute autre demande différente, plus ample ou contraire au présent dispositif.

Vu l'appel régulièrement interjeté par M.[Y] le 21 octobre 2021 à l'encontre de la décision prud'homale, qui lui a été notifiée le 9 octobre 2021, en ce qu'elle l'a débouté de l'ensemble de ses demandes en lien avec la résiliation judiciaire et l'a condamné à payer la somme de 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2022 aux termes desquelles M. [Y] demande à la cour de :

$gt; Infirmer le jugement du conseil de Prud'hommes en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Neu International Railways à lui payer la somme de 1 607,26 € au titre des retenues injustifiées pendant la maladie,

En conséquence,

$gt; Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la SAS Neu International Railways,

$gt; Juger que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

$gt; Juger que la convention de forfaitest nulle ou, à tout le moins, privée d'effet,

$gt; Condamner la SAS Neu International Railways à lui payer :

- 27 207,36 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois),

- 5 985,82 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 598,58 € au titre des congés payés afférents, ou, à titre subsidiaire, 1 377.69 € à titre de rappel de salaire pour non-respect des minima conventionnels, outre 137,77 € au titre des congés payés afférents,

- 21 765,89 € au titre des heures de transport,

- 2 176,59 € au titre des congés payés afférents,

- 7 226,96 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 714,91 € au titre du solde des RTT (à parfaire)

- 12 676,16 € au titre des repos compensateurs de transport,

- 20 405,52 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois),

- 2 040,55 € au titre des congés payés afférents,

- 4 235,86 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 10 000 € à titre de dommages intérêts pour le défaut de fourniture du contrat de prévoyance,

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

$gt; Constater que le salaire mensuel moyen aurait dû être de 3 400,92 €.

$gt; Condamner la SAS Neu International Railways à lui remettre une attestation Pôle Emploi dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 € par jour de retard,

$gt; Condamner la SAS Neu International Railways en tous les dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2022 aux termes desquelles la SAS Neu International Railways demande à la cour de :

$gt; La déclarer recevable et bien fondée en son appel.

Sur l'appel principal de M. [Y] :

$gt; Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes en lien avec la résiliation judiciaire,

- condamné M. [Y] à payer la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [Y] aux entiers dépens,

Arrêt n°147 - page 4

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Sur son appel incident :

$gt; Infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 1 391,26€, représentant la somme de 1 607,26 € au titre de prétendues retenues injustifiées pendant la maladie.

En conséquence,

$gt; Débouter M. [Y] de sa demande au titre des prétendues retenues injustifiées pendant sa maladie.

En tout état de cause,

$gt; Déclarer irrecevable la demande de M. [Y] relative à des dommages et intérêts pour absence de communication d'une copie de son contrat de prévoyance.

Subsidiairement,

$gt; Débouter M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour absence de communication d'une copie de son contrat de prévoyance.

* * * * * *

Vu l'ordonnance de clôture en date du 25 mai 2022 ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

SUR CE

- Sur la convention de forfait en jours

Les articles L. 3121-43 du code du travail et suivants, applicables jusqu'au 8 août 2016, prévoient que peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 du même code, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Le nombre de jours travaillés dans l'année fixé par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 du code du travail ne peut excéder 218 jours.

L'ancien article L. 3121-46 du même code précise qu'un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

L'article 12 III de la loi du 8 août 2016, applicable à compter du 9 août 2016, indique que l'employeur peut poursuivre l'exécution ou conclure de nouvelles conventions individuelles de forfait sur le fondement d'un accord collectif, qui au 9 août 2016, ne comporte pas les stipulations relatives au suivi des salariés, à condition de respecter les règles de l'article L.3121-65 du code du travail nouvellement instauré à savoir :

- établir un document de contrôle mentionnant la date et le nombre de journées ou demi-journées travaillées

- s'assurer de la compatibilité de la charge du travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire

- organiser un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa

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rémunération.

En l'espèce, M. [Y] se prévaut en premier lieu de la nullité de la convention de forfait en jours figurant à son contrat de travail au motif que la société ne démontre pas que les dispositions conventionnelles qui lui sont applicables sont conformes aux exigences posées par la Cour de cassation, à savoir assurer la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. Il estime en effet que l'employeur ne peut se limiter à contrôler la charge de travail du salarié en lui demandant d'établir un décompte de ses jours travaillés mais doit assurer un suivi effectif et régulier des états qui lui sont transmis, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Il fait encore valoir qu'en toute hypothèse, il était payé en dessous de la rémunération minimum garantie. En second lieu, il excipe de l'inopposabilité du forfait en jours querellé dans la mesure où il n'a jamais bénéficié d'entretien spécifique en violation des dispositions de l'article L. 3121-65 du code du travail ; il souligne à cet égard que les documents adverses intitulés 'entretiens annuels' ne sont pas signés de sa part, jetant le doute sur leur authenticité.

De son côté, l'employeur affirme que la convention individuelle de forfait querellée est conforme aux dispositions de l'accord national de branche du 28 juillet 1998 sur la réduction du temps de travail à 35 heures, qui prévoit expressément la possibilité de conclure des conventions de forfait avec des salariés cadre relevant de la catégorie de M. [Y] selon des modalités de contrôle et de suivi respectueuses des textes applicables. Il soutient également les avoir scrupuleusement observées et dit pouvoir en justifier, au-delà des entretiens annuels, dont l'authenticité ne saurait être remise en cause par le seul fait qu'ils ne soient pas signés du salarié.

Il ressort des débats et il n'est pas contesté qu'au sein de la branche de la métallurgie a été conclu le 28 juillet 1998 un accord national sur la réduction du temps de travail à 35 heures, aux termes duquel il est prévu en son article 14.3 :

« Le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n'a pas renoncé dans le cadre de l'avenant à son contrat de travail visé au deuxième alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail.

En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. (') »

Par ailleurs, le salarié produit lui-même les décomptes de ses jours travaillés ou non ainsi que de ses jours de repos pris ou récupérés qu'il remettait à son employeur, lequel justifie qu'il en assurait un contrôle effectif et régulier au regard des échanges de mail communiqués sur le sujet, qui révèlent d'ailleurs un désaccord entre les parties quant à la comptabilisation du temps de travail à compter de 2017.

En revanche, outre le fait que les compte-rendus d'entretiens annuels produits ne portent trace d'aucune signature des parties, il doit être observé qu'il ne s'agit pas d'entretiens spécifiques dans la mesure où la rubrique 'articulation vie professionnelle/vie personnelle' n'est qu'un item

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parmi d'autres sans rapport avec la charge de travail du salarié.

Dans ces conditions, si la convention de forfait en jours applicable à M. [Y] n'est pas nulle dans la mesure où l'accord collectif la prévoyant assure la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers hebdomadaires, elle n'en demeure pas moins privée d'effet, faute pour l'employeur d'avoir satisfait à l'organisation d'un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

- Sur les demandes en paiement de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et subsidiairement au titre des minima conventionnels

La convention de forfait étant privée d'effet, le salarié peut prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale du travail soient considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles.

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, le juge forme sa conviction sur la demande de paiement des heures de travail accomplies au vu des éléments fournis par les parties et après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient au salarié qui sollicite le paiement des heures supplémentaires de présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, tenu de contrôler les heures de travail effectuées par chaque salarié d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Il est constant que le salarié peut apporter des éléments factuels comportant un minimum de précision, éléments pouvant être établis unilatéralement par ses soins et que le décompte qu'il présente de son temps de travail doit être pris en compte, sous réserve qu'il soit suffisamment détaillé, peu important qu'il n'ait pas été établi durant la relation de travail mais a posteriori.

Les heures supplémentaires ou complémentaires doivent avoir été accomplies à la demande de l'employeur ou du moins, avec son accord implicite.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [Y] sollicite la somme de 5 985,82 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires réalisées au cours de l'année 2018 ainsi que celle de 598,59 € au titre des congés payés afférents, considérant qu'outre le fait que la convention de forfait jours est privée d'effet, il justifie d'un décompte précis avec les jours travaillés et les amplitudes horaires, tandis que l'employeur n'est pas en mesure d'y répondre.

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Au soutien de ses prétentions, le salarié communique un relevé de ses horaires quotidiens de la

semaine 16 à la semaine 49 pour l'année 2018 ainsi qu'un décompte correspondant listant les semaines où il a relevé des heures supplémentaires. Si les intitulés des colonnes du relevé précité ne sont pas renseignés, il est aisé d'identifier jour par jour les horaires effectués, de sorte qu'il doit être considéré que le salarié présente, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L'employeur observe que de son propre aveu, le salarié a écrit dans un mail du 19 janvier 2018

'je n'ai jamais regardé l'heure sur site', ce qui, ainsi qu'il l'est pertinemment soulevé, permet de douter du relevé horaire produit et ce d'autant que le salarié disposait en sa qualité de cadre d'une totale autonomie dans l'organisation de son temps de travail.

Par ailleurs, la société fournit la fiche d'activité du salarié, renseignée par celui-ci, qu'il rapproche de son relevé horaire et d'un autre décompte pour l'année 2017, et en déduit que les divergences avec le salarié quant aux heures supplémentaires s'expliquent par la prise en compte indue de ses temps de déplacement professionnel, des heures de décalage horaire ainsi que du temps passé sur le lieu de ses missions à l'étranger, ce à quoi le salarié n'apporte aucune contradiction utile susceptible de remettre en cause l'analyse de l'employeur.

Dès lors, la cour a la conviction que M. [Y] n'a pas effectué les heures supplémentaires alléguées, de sorte qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point.

Dans le dispositif de ses conclusions, M. [Y] sollicite, subsidiairement à sa demande principale en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires non payées, un rappel de salaires au titre des minima conventionnels qui n'auraient pas été respectés en 2018 et 2019. Il réclame à ce titre la somme totale de 1 377,69 € outre 137,77 € de congés payés afférents.

L'employeur s'y oppose arguant qu'il a toujours respecté les minima conventionnels de rémunération, ce qui est inexact à hauteur de 468 € pour l'année 2018, la prime de 1 000 € ne pouvant être intégrée vu son caractère exceptionnel, mais aussi à hauteur de 780,69 € pour l'année 2019, l'employeur ne fournissant aucune explication à l'absence de prise en compte de sa part du salaire minimum cette année.

Dans ces conditions, par voie infirmative, il sera fait droit à la demande à raison de la somme globale de 1 248,69 € (468 € + 780,69 €), outre 124,86 € de congés payés afférents.

- Sur la demande en paiement de rappel de salaire au titre des heures de transports

Aux termes des dispositions des articles L. 3121-4 et L. 3121-7 du code du travail, le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail n'est pas considéré comme du temps de travail effectif ; toutefois, lorsqu'à l'occasion d'un déplacement professionnel, le temps de trajet dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, une contrepartie pour le salarié doit être prévue soit sous forme de repos, soit sous forme financière ; le contenu de cette contrepartie est fixé par convention ou accord d'entreprise.

En l'espèce, M. [Y] prétend que ces temps de déplacements ne lui ont jamais été réglés, ni donnés sous forme de contrepartie en repos, ce qui l'a amené à totaliser 140,8 jours de transports cumulés non rémunérés au 31 décembre 2019, soit la somme de 21 765,89 € à ce titre, outre 2 176,59 € de congés payés afférents. Il estime que sa demande n'est pas prescrite puisque la prescription ne court pas tant que l'employeur n'a pas notifié au salarié les droits acquis au titre des contreparties obligatoires en repos.

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L'employeur lui oppose les dispositions de l'article 11 de la convention collective applicable en ce qu'elles prévoient que les temps de déplacement allongeant de plus de 4 heures l'amplitude habituelle de la journée de travail du salarié concerné, lui donne droit à ¿ journée de repos/récupération, qui vient s'imputer sur le nombre de jours de travail compris dans le forfait-jours applicable au salarié. Il fait encore valoir que M. [Y] réclame au titre d'un prétendu non-paiement de ses heures de transport des jours de « REC », dont le solde était à  zéro au 31 décembre 2018, et n'explique pas comment sont calculés les 140,8 jours litigieux ou les périodes de référence, qui pourraient se trouver prescrites.

Ainsi que le fait justement observer l'employeur, il ressort de la fiche d'activité produite par le salarié en date du 26 juillet 2019 que le chiffre de 140,8 qu'il avance au soutien de sa demande correspond aux 'REC' soit aux récupérations des heures de transport non au volant à récupérer (NVR). Or, cette rubrique était à zéro selon l'édition du 7 janvier 2019 communiquée par l'employeur et non discutée précédemment, étant précisé qu'à compter de cette date, le salarié a été placé en arrêt maladie. Dès lors, en l'absence de plus amples éléments sur la période de calcul et les modalités d'obtention du chiffre avancé au soutien de la demande en paiement,

celle-ci sera rejetée, confirmant la décision déférée sur ce point.

- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié

Le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de celui-ci empêchant la poursuite du contrat de travail.

Si les griefs invoqués contre l'employeur sont fondés, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit.

Si le salarié qui a sollicité la résiliation judiciaire est licencié en cours de procédure, la juridiction saisie doit tout d'abord statuer sur la demande de résiliation judiciaire, avant d'apprécier le bien fondé du licenciement, la résiliation judiciaire éventuellement prononcée prenant alors effet non pas à la date de la décision judiciaire mais à la date du licenciement.

Pour apprécier les manquements de l'employeur les juges du fond peuvent tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu'au jour où ils statuent ou jusqu'au jour où la résiliation judiciaire intervient et considérer qu'à cette date les faits allégués sont ou étaient trop anciens pour empêcher la poursuite du contrat de travail, ou qu'ils ont ou avaient cessé ou qu'ils ont ou avaient été régularisés.

En l'espèce, M. [Y] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux motifs qu'il n'a pas été pas payé au salaire minimum conventionnel, que son employeur ne lui a pas réglé ses nombreuses heures supplémentaires ni celles de nuit et a appliqué une convention de forfait irrégulière outre le fait que ses heures de transport ne lui ont pas été rémunérées ou ne lui ont pas ouvert de contrepartie en repos pourtant obligatoire.

L'employeur fait quant à lui valoir que les manquements invoqués par le salarié ne sont ni démontrés ni même, à supposer qu'ils existent, suffisamment graves pour justifier une résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il résulte de ce qui précède que la convention de forfait en jours est privée d'effet faute pour l'employeur de justifier de l'organisation d'un entretien annuel spécifique aux fins d'évoquer la charge de travail du salarié, mais que les demandes en paiement de rappels de salaires au titre d'heures supplémentaires ou d'heures de transport ont été rejetées.

S'agissant du niveau de rémunération du salarié, la cour a précédemment relevé qu'il restait dû

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à celui-ci, après reprise des calculs au vu des observations des parties, la somme de 1 248,69 € outre 124,86 € de congés payés afférents, ce qui ne saurait constituer un manquement grave au regard du niveau de rémunération du salarié, mais aussi de la possibilité de régularisation de l'employeur par un rappel de salaires comme ce fut le cas pour l'année 2017.

Quant à la question du paiement des heures de nuit, le salarié n'avance aucun justificatif au soutien de cette demande, qu'il ne chiffre même pas.

En conséquence, la demande de résiliation judiciaire de M. [Y] ne pourra prospérer ainsi que l'ont exactement décidé les premiers juges. Il doit dès lors en être débouté.

- Sur la demande en paiement au titre de retenues abusives dans le cadre de la maladie

En l'espèce, M. [Y] sollicite la somme de 1 391,26 € au motif que régulièrement, certains mois, il s'est vu retirer au titre de la maladie une somme supérieure à son salaire mensuel. Contrairement aux dénégations de l'employeur, lequel affirme avoir maintenu la rémunération du salarié, la consultation des bulletins de salaires pour la période d'avril 2019 à janvier 2021 confirme les dires du salarié, dont la demande doit dès lors être satisfaite, confirmant la décision déférée sur ce point.

- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour défaut de communication d'une copie du contrat de prévoyance

En l'espèce, M. [Y] reproche à son employeur de ne pas être transparent quant au montant des indemnités de prévoyance qui lui sont reversées depuis le 1er janvier 2020 et de ne pas lui avoir communiqué, ainsi qu'il en avait fait la demande en première instance, une copie du contrat de prévoyance. Il sollicite la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre.

L'employeur objecte que cette demande est irrecevable pour être formée pour la première fois en cause d'appel et expose qu'en tout état de cause, le salarié a été destinataire des changements intervenus tant au 1er janvier 2015, qu'au 1er janvier 2017 par email et par remise en main propre ainsi qu'il en justifie. Il ajoute qu'au surplus le contrat de prévoyance est disponible sur l'espace en ligne de l'assureur dédié aux salariés.

Il est exact qu'initialement, le salarié a sollicité qu'il soit enjoint à la société de verser la copie du contrat de prévoyance dans les 8 jours de la notification de la décision, de sorte que sa demande en paiement de dommages et intérêts est la conséquence du fait qu'il ne l'a pas obtenue et n'est pas nouvelle. Elle est conséquence recevable.

Néanmoins, l'employeur justifie avoir informé ses salariés quant au changement d'assureur à compter du 1er janvier 2017 par mail du 7 décembre 2016, dont M. [Y] a notamment été destinataire, ainsi que de l'émargement de ses salariés, en ce compris M. [Y], s'agissant de la mise en place par l'employeur du nouveau contrat 'incapacité invalidité décès' et 'remboursement de frais de santé'. Il sera utilement précisé que le courriel du 7 décembre 2016 contenait en pièces jointes les notices d'information. C'est donc vainement que le salarié se plaint de ne pas avoir reçu la copie de son contrat de prévoyance.

Par voie confirmative, la demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

- Sur la demande en paiement du solde de l'indemnité compensatrice de congés payés

Arrêt n°147 - page 10

26 août 2022

En l'espèce, M. [Y] estime qu'il lui reste dû la somme de 4 235,86 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés complémentaire, les parties étant en désaccord sur le solde de ses congés payés, le salarié considérant qu'il devait lui être payé 96 jours et l'employeur 59,08.

Il appert au vu des explications du salarié et des rapprochements pertinents entre ses dires et les pièces invoquées, qu'il convient de faire droit à sa demande, infirmant la décision déférée de ce chef.

- Sur la demande en paiement du solde des RTT

En l'espèce, M. [Y] se prévaut de 30,5 jours de RTT acquis au 31 décembre 2020, dont il demande le paiement pour la somme de 4 714,91 €. L'employeur s'y oppose en faisant justement valoir que le paiement de jours de repos en application d'une convention de forfait privée d'effet est indu. Cette demande doit dès lors être rejetée.

- Sur la demande en paiement du solde des RCT (repos compensateur transport)

En l'espèce, M. [Y], se fondant sur l'article 11 de la convention collective applicable, demande le paiement de la somme de 12 676,16 € pour les 82 jours de RCT qu'il considère avoir acquis au 31 décembre 2018. L'employeur ne fait valoir aucune observation particulière sur ce point mais il s'avère que la pièce sur laquelle s'appuie le salarié est contredite par celle produite par la société pour la même période, et non contestée, qui porte trace de 7,5 RCT.

En conséquence, le salarié ne pourra être indemnisé que dans cette proportion, soit à

hauteur de 1 159,40 € selon son mode de calcul qui n'est pas discuté par l'employeur

[(3 400,92 €/22 j) x 7,5]. Celui-ci est donc condamné à lui payer cette somme.

- Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles

Il sera ordonné à la société de remettre à M. [Y] une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt, dans un délai de 8 jours suivant la signification du dit arrêt, sans qu'il soit néanmoins nécessaire de prononcer une astreinte à cette fin.

Le jugement querellé est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société, succombant partiellement, conservera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. L'équité commande en outre de la condamner à payer à M. [Y] la somme de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant dans la limite de l'appel, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :

CONFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a débouté M. [W] [Y] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre des salaires minima conventionnels, d'un complément d'indemnité compensatrice de congés payés et du solde de RCT, l'a condamné à payer

Arrêt n°147 - page 11

26 août 2022

à la SAS Neu International Railways la somme de 500€ au titre des frais irrépétibles et a assorti d'une astreinte la condamnation de l'employeur à lui remettre une attestation Pôle Emploi conforme

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la SAS Neu International Railways à payer à M. [W] [Y] les sommes suivantes :

- 1 248,69 € au titre des salaires minima conventionnels outre 124,86 € de congés payés afférents,

- 4 235,86 € à titre de complément d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 1 159,40 € au titre des repos compensateurs transports (RCT),

DÉBOUTE M. [Y] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour défaut de communication d'une copie du contrat de prévoyance ;

ORDONNE à la SAS Neu International Railways de remettre à M. [W] [Y] une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt, dans un délai de 8 jours suivant la signification du dit arrêt mais DIT n'y avoir lieu à astreinte,

CONDAMNE la SAS Neu International Railways à payer à M. [W] [Y] une somme complémentaire de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Neu International Railways aux dépens de première instance et d'appel et la DÉBOUTE de sa propre demande d'indemnité de procédure,

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01154
Date de la décision : 26/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-26;21.01154 ?
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