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26/08/2022 | FRANCE | N°21/00933

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 26 août 2022, 21/00933


SD/AB





N° RG 21/00933

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMGW





Décision attaquée :

du 29 juillet 2021

Origine : conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







--------------------



S.A.S. AB MEDICA





C/



Mme [EY] [U]







--------------------



Expéd. - Grosse



Me MERCIER 26.8.22



Me BIGOT 26.8.22




















r>COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 26 AOÛT 2022



N° 148 - 16 Pages





APPELANTE :



S.A.S. AB MEDICA

[Adresse 2]



Représentée par Me Philippe MERCIER, substitué par Me Antoine FOURCADE, de la SCP GERIGNY & ASSOCIES, avocats au barreau de BOURGES









INTIMÉE :



...

SD/AB

N° RG 21/00933

N° Portalis DBVD-V-B7F-DMGW

Décision attaquée :

du 29 juillet 2021

Origine : conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES

--------------------

S.A.S. AB MEDICA

C/

Mme [EY] [U]

--------------------

Expéd. - Grosse

Me MERCIER 26.8.22

Me BIGOT 26.8.22

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 26 AOÛT 2022

N° 148 - 16 Pages

APPELANTE :

S.A.S. AB MEDICA

[Adresse 2]

Représentée par Me Philippe MERCIER, substitué par Me Antoine FOURCADE, de la SCP GERIGNY & ASSOCIES, avocats au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

Madame [EY] [U]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marie-Pierre BIGOT de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme BOISSINOT, conseiller faisant fonction de président de chambre,

en présence de Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseiller rapporteur

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme BOISSINOT, conseillère

Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère

DÉBATS : A l'audience publique du 1er juillet 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

Arrêt n° 148 - page 2

26 août 2022

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 26 août 2022 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 24 juillet 2017, Mme [EY] [U], née le 9 avril 1988, a été embauchée par la SAS AB Medica en qualité de responsable de production, statut cadre, position I, indice 100, moyennant une rémunération brute annuelle de 48 100 euros, contre un forfait de 218 jours de travail par an.

Cet emploi relève de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

Selon les mentions portées sur les bulletins de salaire et les conclusions des parties, Mme [U] a commencé à travailler pour la SAS AB Medica le 4 décembre 2017.

La SAS AB Medica fabrique et fournit des instruments chirurgicaux réutilisables haut de gamme pour la laparoscopie.

Le contrat de travail prévoyait initialement une période d'essai de quatre mois, renouvelée le 4 avril 2018 pour quatre mois supplémentaires.

Mme [U] a été reçue en entretien professionnel le 16 avril 2018 et le 27 juillet 2018.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 octobre 2018, Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable, fixé le 26 octobre 2018.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 30 octobre 2018, elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle.

Le 29 octobre 2019, contestant son licenciement et la validité de sa convention de forfait en jours, Mme [U] a saisi de diverses demandes en paiement le conseil de prud'hommes de Bourges, lequel par jugement du 29 juillet 2021 a notamment :

- dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société AB Medica à lui payer les sommes suivantes :

$gt; 4 008 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

$gt; 14 965,29 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 496,52 euros congés payés afférents,

$gt; 5 446,23 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre 544,62 euros au titre des congés payés afférents,

- ordonné à la société AB Medica de remettre à la salariée une nouvelle attestation Pôle Emploi conforme dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement,

- condamné la société AB Medica à verser à celle-ci la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société AB Medica de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société AB Medica aux entiers dépens.

Vu l'appel régulièrement interjeté le 25 août 2021 par la SAS AB Medica à l'encontre de la décision prud'homale, qui lui a été notifiée le 29 juillet 2021, la contestant en toutes ses dispositions ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 mai 2022 aux termes desquelles la société AB Medica demande à la présente cour de :

Arrêt n° 148 - page 3

26 août 2022

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

$gt; a dit le licenciement de Mme [U] sans cause réelle et sérieuse,

$gt; l'a condamnée à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

*4 008 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*14 965,29 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 496,52 euros congés payés afférents,

*5 446,23 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre 544,62 euros au titre des congés payés afférents,

$gt; lui a ordonné de remettre à Mme [U] une nouvelle attestation Pôle Emploi conforme dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement,

$gt; l'a condamnée à verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [U],

$gt; l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

$gt; l'a condamnée aux entiers dépens,

ce faisant et statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire et juger que le licenciement de Mme [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- dire et juger que la convention de forfait en jours à laquelle était soumise Mme [U] était parfaitement valable,

- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

si la cour devait dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- limiter le quantum des dommages et intérêts sollicités par Mme [U] à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 1 mois de salaire et ce, en retenant un salaire moyen brut de 3 894,50 euros,

- subsidiairement, confirmer le jugement querellé en ce qu'il a alloué à Mme [U] la somme de 4 008 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

dans l'hypothèse où la cour reconnaissait l'inopposabilité de la convention de forfait en jours,

- à titre principal, débouter Mme [U] de toutes les demandes formulées à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos ainsi que des sommes sollicitées au titre des congés payés afférents,

- à titre subsidiaire, vérifier la réalisation effective des heures accomplies au-delà de la durée légale,

- à tout le moins, constater que Mme [U] a été intégralement rémunérée des heures supplémentaires alléguées dans le cadre de sa rémunération forfaitaire contractuelle,

- constater également que Mme [U] n'est pas fondée à solliciter de rappel de salaire au titre du repos compensateur et, de plus fort, qu'elle ne produit aucun décompte sérieux,

- débouter purement et simplement Mme [U] de toutes les demandes formulées à titre d'heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos ainsi que des sommes sollicitées au titre des congés payés afférents,

- subsidiairement, limiter le quantum des sommes sollicitées par Mme [U] à titre de rappel d'heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos (outre les congés payés afférents) si de telles demandes étaient estimées fondées et recevables,

- plus subsidiairement, confirmer le jugement querellé en ce qu'il a alloué à Mme [U] la somme de 14 965,29 euros à titre de rappel des heures supplémentaires (outre les congés payés afférents) ainsi que l'octroi de la somme de 5 446,23 euros (outre les congés payés afférents) au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

en tout état de cause,

- à titre reconventionnel, condamner Mme [U] à lui verser la somme de 1 024,59 euros en remboursement des jours de repos supplémentaires acquis indûment,

- ordonner la compensation entre les sommes auxquelles seront, le cas échéant, condamnées les parties,

- débouter Mme [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros en application de ladite disposition ainsi qu'aux

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dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2022 aux termes desquelles Mme [U] demande à la présente cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a jugé la convention individuelle de forfait annuel en jours privée d'effet,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a minoré à la somme de 4 008 euros les dommages et intérêts qui lui ont été alloués, à celle de 14 965,29 euros, outre congés payés afférents, le rappel au titre des heures supplémentaires, à celle de 5 446,23 euros, outre congés payés afférents, le rappel au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société AB Medica au titre du remboursement des jours de RTT,

- déclarer prescrite la demande nouvelle de la société AB Medica au titre du remboursement des jours de RTT,

statuant à nouveau,

- condamner la société AB Medica à lui verser les sommes suivantes :

$gt; 13 025 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

$gt; 19 124,64 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

$gt; 1 912,46 euros à titre de congés payés afférents,

$gt; 6 982,35 euros à titre de rappel de salaire au titre de contrepartie obligatoire en repos,

$gt; 698,23 euros à titre de congés payés afférents,

- ordonner la communication d'un bulletin de salaire et des documents de fin de contrat de travail conformes à l'arrêt à intervenir dans le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- condamner la société AB Medica au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 juin 2022 ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

SUR CE

1) Sur la contestation du licenciement

a) sur le fondement du licenciement :

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

L'insuffisance professionnelle se caractérise par l'incapacité du salarié à exercer de façon satisfaisante ses fonctions, par manque de compétences. Pour autant, l'employeur ne peut licencier un salarié, qui a des difficultés à s'adapter à une nouvelle technique ou à un nouveau poste de travail que s'il lui a donné les moyens d'exercer sa mission et laissé le temps de devenir opérationnel.

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Au cas d'espèce, dans la lettre de licenciement, l'employeur reproche premièrement à Mme [U] un 'retard dans le suivi des entretiens professionnels de l'équipe de production'. Il lui fait plus précisément grief de n'avoir réussi, à la fin du mois de septembre 2018, à organiser que 6 entretiens de collaborateurs sur les 21 qui composaient son équipe.

Pour justifier de la matérialité de ce grief, il produit l'attestation de Mme [R] [C], gestionnaire de production, qui affirme ne jamais avoir eu d'entretien professionnel alors qu'elle avait atteint ses objectifs de temps en atelier, ainsi que celle de Mme [EY] [K] [L], ajusteuse, qui relate pour sa part avoir eu un premier entretien annuel avec Mme [U], au cours duquel une augmentation de son salaire a été évoquée, mais pas le deuxième entretien au cours duquel cette augmentation aurait dû être finalisée.

La société AB Medica ne produit aucun autre élément permettant d'établir que d'autres salariés auraient été concernés par l'absence d'organisation d'un entretien d'évaluation.

Mme [U] ne conteste pas avoir eu du retard dans la réalisation de certains entretiens annuels. Elle précise néanmoins qu'elle avait réalisé les entretiens de tous ses chefs d'équipe et qu'elle n'était en retard que pour trois opérateurs sur les seize de son équipe, à savoir Mme [V] [XL], dont le dernier entretien remontait au 1er décembre 2016, Mme [R] [C], dont le dernier entretien avait eu lieu le 7 mars 2017 et M. [Z] [E], dont le dernier entretien avait été organisé le 10 mai 2017.

La salariée explique que le retard dans les entretiens annuels était dû à plusieurs facteurs, dont sa charge de travail importante, dans la mesure où elle a dû gérer la mise en place des règles de sécurité et l'organisation de trois audits. Elle ne démontre toutefois pas dans quelle mesure ces missions ne lui auraient pas laissé le temps nécessaire pour organiser lesdits entretiens.

Mme [U] fait également état d'erreurs dans le tableau d'évaluation de la productivité des salariés, qui ne sont pas contestées par l'employeur. Ce dernier établit toutefois que M. [D] [O], chargé d'apporter les modifications au tableau, a réagi très promptement, comme le montre le courriel du 25 septembre 2018, pour apporter les corrections que lui avaient demandées par Mme [U] le même jour. Il résulte en tout état de cause de cet échange de courriels entre Mme [U], M. [O] et Mme [YG] [TV], responsable des ressources humaines, que la salariée n'a fait remonter l'existence d'erreurs dans le tableau qu'en septembre 2018, soit plus de 10 mois après son recrutement, sans qu'elle n'explique les raisons pour lesquelles elle n'a pas sollicité ces modifications plus tôt et a pu mener certains entretiens professionnels sur la base du tableau erroné en attendant les corrections pour d'autres.

Mme [U] fait enfin valoir qu'elle devait rencontrer le directeur général, M. [M] [B], préalablement aux entretiens professionnels, afin de lui présenter les demandes d'augmentations qu'elle envisageait pour certains membres de son équipe, mais que ce dernier n'était jamais disponible. L'échange de courriels du 29 octobre 2018 entre Mme [U] et Mme [W] [G] ne démontre cependant pas que M. [B] était indisponible pour un entretien, mais uniquement qu'il fallait lui envoyer les indicateurs de mesure de la performance des salariés concernés afin que l'entretien puisse être programmé.

Il est donc établi que Mme [U] avait, sans raison valable, pris du retard dans l'organisation des entretiens annuels d'évaluation de trois opérateurs de son équipe au jour de son licenciement.

En second lieu, la société AB Medica reproche à Mme [U] le 'non-respect du planning de production de l'usinage'.

Pour justifier de la matérialité de ce grief, la société se réfère de nouveau à l'attestation de Mme [C], selon laquelle Mme [U] n'aurait jamais repris ou mis à jour le tableau permettant d'organiser la production en atelier 'coelio', de sorte que les opérateurs ne connaissaient pas les priorités de production. Sans qu'il y ait lieu d'écarter cette attestation des

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débats au motif non démontré qu'elle serait mensongère, celle-ci n'est corroborée par aucun élément objectif, alors même que Mme [U] explique sans être contredite sur ce point que la mise à jour du tableau de planning pour l'atelier 'coelio' n'était pas possible car le logiciel ne fonctionnait pas. Ainsi que le souligne à juste titre la salariée, la lettre de licenciement ne lui reproche pas un non-respect du planning de production de l'atelier 'coelio' sis à [Localité 3] (18) mais celui du planning de l'atelier d'usinage sis à [Localité 4] (18), de sorte que le témoignage de Mme [C] est inopérant.

La société produit également un tableau comprenant différentes références d'articles accusant des retards de réception par rapport à la date prévisionnelle. Cette pièce n'est cependant pas directement de nature à démonter que Mme [U] ne respectait pas le planning de production, en l'absence d'informations sur les causes de ces retards.

Pour les mêmes raisons, le courriel que M. [N], responsable achats-logistique, a adressé le 24 janvier 2018 à Mme [U] et dans lequel il lui écrit : 'Aujourd'hui nous sommes à environ 2 à 3 mois de retard par rapport à l'accusé de réception. Ceci risque très fortement de mettre en rupture l'atelier montage et donc nos clients' ne démontre pas davantage que Mme [U] ne respectait pas de manière générale et durable le planning de production.

L'employeur produit encore un compte rendu de revue de processus rédigé par M. [PE] [N] le 31 janvier 2019 et portant sur la période de janvier à décembre 2018. Il y est indiqué, s'agissant de l'indicateur relatif au 'nombre de rupture production' qu'il n'y a pas de possibilité de mesurer cet indicateur de rupture car le planning de production n'est plus renseigné avec le code de priorisation. Au regard toutefois tant du fait qu'il s'agit d'un document interne à la société, dans l'élaboration duquel Mme [U] n'a pas été impliquée, que de la date d'établissement du document, intervenu pendant la période de dispense de préavis de la salariée et donc alors que celle-ci n'était plus présente dans l'entreprise, il ne saurait en être déduit que les plannings de production n'étaient pas établis de manière satisfaisante du temps où elle y travaillait encore.

Mme [U] justifie pour sa part de l'existence d'un planning de production pour l'usinage ([Localité 4]) en produisant une capture d'écran des fichiers informatiques correspondants, corroborée par les attestations de MM. [H] et [GK], ingénieurs.

Elle explique au demeurant que le service achats était défaillant dans l'envoi des commandes à réaliser, qu'il en omettait certaines ou les adressait au dernier moment, ce qui l'obligeait à modifier en urgence le planning de production. L'existence de ces difficultés est démontrée par le courriel du 18 octobre 2018 envoyé par Mme [U] à ses chefs d'équipe et le courriel du 3 juillet 2018 envoyé par Mme [P] [F], assistante achat-logistique, à Mme [U], comportant tous deux des demandes de suppression de commandes, ou encore le courriel du 6 juillet 2018 envoyé par Mme [C] à Mme [U] annonçant la modification de 33 commandes d'usinage.

Il est également justifié de modifications de planning lorsqu'il fallait produire d'urgence des pièces pour le service recherche et développement, ainsi que l'établit le courriel de M. [A] [BH] envoyé le 21 février 2018 à Mme [U], dans lequel il passait commande de plots pour la semaine suivante, ce qui a imposé à la salariée de revoir l'ordre de traitement des commandes par l'usinage.

Mme [U] apporte encore la preuve de perturbations de production liées aux pannes récurrentes des machines-outils en raison de leur vétusté. Elle justifie ainsi l'arrêt complet de la machine Cortini F100C pendant quatre semaines entre mai et juin 2018, ainsi qu'il en résulte du registre de maintenance, outre un changement de moteur par l'entreprise Realmeca en février 2018 et d'une intervention de la même société en août 2018 pour deux machines présentant des anomalies de fonctionnement.

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Ces difficultés de production liées à l'état des machines sont par ailleurs corroborées par les attestations de M. [J] [H], qui affirme que le retard de production était notamment imputable à des machines hors d'âge ainsi qu'à leur absence de maintenance, et de M. [VZ] [GK], qui témoigne des changements fréquents de priorité dans les commandes à produire et les pannes fréquentes des machines. Les deux salariés mentionnent encore le haut taux de rebut lié à l'état de ces mêmes machines, et Mme [LN] [S] atteste que le retard existait déjà avant l'arrivée de Mme [U] et que celle-ci l'a partiellement résorbé.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'employeur ne pouvait valablement reprocher à Mme [U] de ne pas avoir respecté le planning de production de l'usinage.

En outre, la société fait troisièmement grief à la salariée de ne pas avoir respecté les procédures qualité, et plus particulièrement la procédure PO-23 concernant la fréquence de changement de blouses de l'atelier cardio et la procédure PO-09 concernant l'organisation et le suivi de la production. Sur ce dernier point, il est reproché à Mme [U] d'avoir modifié le contenu d'un tableau de production sans respecter la procédure.

S'agissant d'une part de la procédure PO-09, la société produit un document interne décrivant la procédure PO-23, intitulé 'procédé de stérilisation et maîtrise de l'environnement', dont la dernière version a été établie en 2011 et qui précise que chaque opérateur possède cinq blouses changées au rythme de deux par semaine et entretenues par une société extérieure.

S'il a été indiqué à Mme [U], lors de l'entretien du 27 juillet 2018, que 'les équipes doivent porter leur blouse dans l'atelier', cette seule indication, en dehors de tout élément extérieur venant caractériser les potentiels manquements qui auraient été constatés, ne suffit pas à établir que Mme [U] aurait échoué à faire respecter le rythme de changement des blouses dans l'atelier.

Bien au contraire, la salariée produit plusieurs courriels démontrant qu'elle a procédé au rachat de blouses pour les opérateurs de son équipe, afin que chacun puisse en bénéficier conformément à la procédure. Mme [S] et Mme [T] attestent en effet que le changement de blouse deux fois par semaine n'était pas toujours possible en raison de l'absence de blouses suffisantes mais que Mme [U] a apporté une solution à ce problème par la commande de nouvelles blouses.

S'agissant d'autre part de la prétendue violation de la procédure PO-09, la société AB Medica n'apporte aucune explication dans ses dernières conclusions et aucun élément de preuve qui permettrait d'en établir la matérialité.

Il en résulte que ce troisième grief n'est pas matériellement établi.

Enfin, si l'employeur fait état, dans ses dernières écritures, des problèmes relationnels que Mme [U] aurait rencontrés avec certains des membres de son équipe, ce grief ne figure pas dans la lettre de licenciement et n'a donc pas lieu d'être examiné puisque celle-ci fixe les limites du litige.

La cause de licenciement, en plus d'être réelle, doit également être sérieuse, et s'agissant du seul grief matériellement établi, consistant dans le retard pris par Mme [U] dans l'organisation des entretiens d'évaluation des membres de son équipe, la société AB Medica fait valoir qu'il a entraîné pour elle de graves conséquences en raison du risque de perte éventuelle de collaborateurs et d'absence de suivi de la productivité et des compétences de l'équipe de production.

Elle se réfère ainsi à l'attestation de Mme [R] [C], qui affirme avoir sollicité une rupture conventionnelle en raison de l'absence d'entretien d'évaluation, mais cette affirmation est contredite par l'échange de courriels entre Mme [YG] [TV] et Mme [C] les 20 et

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24 septembre 2018, qui établit que la demande de rupture conventionnelle était justifiée par la volonté de se consacrer à un nouveau projet professionnel et à une formation.

Au demeurant, Mme [U] soutient que plusieurs salariés n'avaient encore jamais eu d'entretiens professionnels au moment de son recrutement, ce qui n'est pas contesté par la société. M. [Z] [E], ajusteur monteur, atteste par ailleurs n'avoir eu d'entretien d'évaluation que le 12 mai 2019, l'employeur ayant donc lui-même laissé passer plus d'une demi-année avant d'organiser les entretiens que Mme [U] n'avaient pas pu conduire avant son licenciement, ce qui démontre que la société ne respectait pas elle-même la régularité à laquelle lesdits entretiens devaient être menés et justifie de relativiser la gravité alléguée.

L'employeur échoue donc à démontrer que le retard pris dans l'organisation des entretiens d'évaluation perturbait la bonne marche de l'entreprise ou était préjudiciable à ses intérêts.

En conséquence, par voie confirmative, le licenciement de Mme [U] est sans cause réelle et sérieuse.

b) Sur les conséquences financières de la rupture :

Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail que si le licenciement d'un salarié opéré dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, à défaut de réintégration dans l'entreprise, le juge octroie au salarié qui n'a pas un an d'ancienneté, comme c'est le cas de Mme [U] qui n'a commencé à travailler pour l'employeur que le 4 décembre 2017, une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant minimal n'est pas précisé mais qui ne peut excéder un mois de salaire brut.

C'est de manière inopérante que Mme [U] demande que le barème résultant de ces dispositions soit écarté dès lors qu'il est acquis qu'il permet une indemnisation adéquate et appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

En l'espèce, au regard des seuls éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge de Mme [U] (30 ans) au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci et de ce qu'elle justifie avoir retrouvé un emploi seulement à l'automne 2019, c'est exactement que les premiers juges lui ont alloué la somme de 4 008 euros, soit un mois de salaire, en réparation du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur doit donc être condamné à lui payer cette somme par voie confirmative.

2) Sur la validité de la convention de forfait en jours

L'article L. 3121-63 du code du travail dispose que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

L'article L. 3121-64 du code du travail prévoit :

I.- L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

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4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.- L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.

L'article L. 3121-65 du même code ajoute :

I.- A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

II.- A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 3121-64, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-17.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.

L'article 14 'forfait défini en jours' de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie prévoit que la formule du forfait défini en jours sur l'année peut être convenue avec les salariés qui ne sont pas occupés selon l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, de telle sorte que la durée de leur temps de travail ne soit pas prédéterminée.

Il prévoit par ailleurs les modalités de conclusion d'un tel forfait.

En l'espèce, Mme [U] critique la validité de la convention de forfait en jours contenue dans son contrat de travail, en faisant notamment valoir que l'accord de branche en vertu duquel la convention de forfait a été conclue reste muet sur les modalités du droit à déconnexion des salariés et qu'elle n'a jamais été informée par l'employeur desdites modalités, qu'il lui revenait dès lors de fixer. Elle soutient encore que la charte sur le droit à la déconnexion, produite par l'employeur, n'est ni datée ni signée, n'est pas accompagnée de l'avis du Comité Social et Economique (CSE) et qu'il n'est pas prouvé qu'elle ait été affichée dans l'entreprise. Elle affirme qu'un telle charte a seulement été mise en place après son départ, en décembre 2019. Elle en

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conclut à l'absence d'effet de la convention de forfait en jours.

L'employeur réplique que les dispositions conventionnelles et contractuelles permettent le recours à une convention de forfait en jours dans le cas de la salariée. Il soutient que cette convention a fait l'objet d'un écrit signé par Mme [U] et que la possibilité de recourir à une telle convention est encadrée par une convention collective conforme à la législation applicable. Il précise qu'une charte unilatérale portant sur le droit à déconnection a été édictée au sein de l'entreprise.

L'article 8 du contrat de travail énonce : 'compte tenu du niveau de responsabilité, de la nature de vos fonctions et de votre position, la rémunération fixée dans votre contrat de travail constitue un montant forfaitaire jour annuel prévu par l'article L. 212-15-3 du code du travail, c'est-à-dire 218 jours incluant la journée de solidarité.

Dans le cadre de cette convention de forfait, et conformément à l'accord en vigueur de l'entreprise, vous bénéficiez de 10 jours de congés supplémentaires pour une année complète, soit du 1er janvier au 31 décembre'.

Cette convention de forfait en jours a été conclue sur la base de l'article 14 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie, dont Mme [U] relève à juste titre qu'il n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 3121-64, dans la mesure où il ne prévoit pas de modalités concernant le droit de déconnexion du salarié.

L'employeur, qui dispose de la faculté de régulariser unilatéralement cette omission conformément à l'article L. 3121-65 précité, verse à la procédure un document intitulé 'charte unilatérale sur le droit à la déconnexion', non daté mais qui précise à son article 8 que 'après consultation [des] délégués du personnel, la charte entre en vigueur le 1er juillet 2018. Elle est à la disposition de chaque salarié'.

Cependant, si l'ordre du jour de la réunion mensuelle des délégués du personnel prévue le 26 juin 2018 mentionne une transmission de ladite charte aux délégués du personnel, cette seule indication ne permet pas de conclure à son applicabilité dans l'entreprise, ce d'autant que Mme [I], alors représentante du personnel et secrétaire du CSE, affirme que 'la charte de déconnexion présentée par la Direction de AB MEDICA aux D.P. lors de la NAO 2018 n'était autre que le texte légal du droit à la déconnexion', ajoutant 'cette charte n'a pas été affichée sur le tableau de communication pour informer l'ensemble du personnel et je n'ai pas non plus eu connaissance d'une quelconque diffusion de cette charte au personnel d'AB MEDICA'.

De même, l'attestation de M. [PE] [N], responsable achat-logistique, qui affirme que la charte est entrée en vigueur le 1er juillet 2018, et celle de M. [YY] [Y], coordinateur recherche et développement, qui prétend qu'elle est diffusée depuis 2018 ne permettent pas, en l'absence d'élément venant corroborer ces affirmations, d'établir qu'elle a effectivement trouvé application dans l'entreprise dès l'année 2018 et, a fortiori, qu'elle a été portée à la connaissance de Mme [U]. Ces attestations sont contredites, au demeurant, par celle de Mme [I], qui affirme qu'un protocole d'accord n'a été signé qu'en décembre 2019, au terme duquel la société s'engageait à afficher et diffuser aux salariés ladite charte.

En tout état de cause, il n'est pas contesté qu'aucune charte n'existait au jour de l'embauche de Mme [U] en décembre 2017. Au surplus, les pièces rapportées par l'employeur ne prouvent pas que le CSE ait été consulté sur le document produit à la procédure, que cette charte ait été portée à la connaissance de la salariée, ni de manière plus générale qu'elle ait effectivement été diffusée aux salariés.

Il est par ailleurs indifférent de savoir s'il a été porté atteinte au droit à la déconnexion de Mme[U] dans les faits, puisque telle n'est pas la condition posée par l'application des articles L. 3121-64 et -65.

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Ainsi, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par la salariée, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu que la convention de forfait en jours de Mme [U] est privée d'effet.

3) Sur les demandes relatives au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents

La convention de forfait étant privée d'effet, le temps de travail de la salariée doit être décompté en application des dispositions de l'article L. 3121-10 du code du travail fixant la durée légale du travail à 35 heures par semaine. Elle peut donc prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale du travail soient considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient au salarié de présenter préalablement, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande et détermine souverainement, au vu des éléments produits par chacune des parties, l'existence d'heures de travail accomplies et la créance salariale s'y rapportant.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments à l'appui de sa demande.

En l'espèce, Mme [U] soutient avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires nécessitées par sa charge de travail très importante. Elle rappelle que lors de son entretien professionnel du 27 juillet 2018, elle a indiqué à l'employeur travailler a minima de 7h15 à 12h puis de 13h à 17h30. Elle ajoute qu'elle travaillait parfois jusqu'à 21h45 pour pallier l'absence d'un de ses chefs d'équipe. Elle justifie avoir envoyé des courriels en fin de journée, en dehors de ses horaires de travail habituels, et produit un décompte de ses heures supplémentaires. Elle fait observer que l'employeur ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail en réponse. Elle prétend encore que le rappel de salaire pour heures supplémentaires est également dû pour la période de préavis non exécuté, puisque la dispense d'exécution ne doit entraîner aucune diminution de salaire. Elle conteste enfin que les rémunérations minimales conventionnelles permettent de constater que des heures supplémentaires lui auraient déjà été payées, compte tenu de la rémunération contractuelle qui lui a effectivement été versée en exécution du forfait irrégulier.

La société AB Medica soutient en réponse que la salariée ne démontre pas avoir réalisé des heures supplémentaires. Elle fait observer que les décomptes établis par Mme [U] portent également sur la période de préavis, qu'elle n'a pas exécuté, ce qui démontre le caractère fantaisiste de sa demande. Elle prétend n'avoir jamais demandé à la salariée d'effectuer des heures supplémentaires. Elle fait enfin valoir que la salariée a déjà été rémunérée d'heures supplémentaires - dont il convient de tenir compte - dans le cadre de son forfait en jours, dans

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la mesure où elle a perçu un salaire bien supérieur au minimum conventionnel.

Au soutien de sa demande, Mme [U] produit tout d'abord un décompte hebdomadaire de son temps de travail, dont il résulte qu'elle aurait effectué 588,25 heures supplémentaires entre la semaine 46 de 2017 et la semaine 6 de 2019. Contrairement à ce que soutient l'employeur, il n'est pas exigé que le décompte de la salariée soit établi par jour et au fur et à mesure des jours travaillés.

Il résulte par ailleurs du compte-rendu d'entretien professionnel du 27 juillet 2018 que Mme [U] a indiqué à son employeur travailler de manière habituelle de 7h15 à 12h puis de 13h à 17h30, ce qui représente 46h15 de travail par semaine, étant précisé que la réalité de ces horaires n'a fait l'objet d'aucune contestation par la SAS AB Medica lors de l'entretien.

Pour justifier de son heure d'embauche, elle produit encore les attestations de M. [CU] [VH], informaticien et M. [KB] [WU], ajusteur qui affirment que Mme [U] était quasiment tous les jours chargée d'ouvrir la société à 7h15. M. [VZ] [GK] atteste de même que Mme [U] faisait l'ouverture entre 7h et 7h30 et M. [J] [H] indique avoir constaté à plusieurs reprises que Mme [U] avait ouvert le site le matin.

S'agissant de son heure de débauche, elle verse à la procédure l'attestation de M. [GK], qui affirme qu'elle pouvait rester après 19h et se réfère également à l'attestation adverse de M. [X], qui prétend l'avoir vu rester une à deux fois jusqu'à 21h45.

Mme [U] produit enfin une dizaine de courriels envoyés entre janvier et juin 2018 à des horaires compris entre 18h et 19h15, qui ne permettent toutefois pas, au regard de la liberté dont elle jouissait dans l'organisation de son temps de travail, d'affirmer qu'elle aurait réalisé des heures supplémentaires les journées concernées.

Il n'en reste pas moins, au regard de ce qui vient d'être décrit, que la salariée produit des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments.

La société AB Medica ne produit cependant aucun élément établissant qu'elle aurait contrôlé la durée de travail de la salariée, et se limite à produire les demandes d'autorisation d'absence de Mme [U], qui démontrent que cette dernière a pris six jours de RTT entre décembre 2017 et août 2018.

Si l'employeur fait valoir que Mme [U] n'aurait pas mentionné son temps de pause méridienne dans ses décomptes, il est rappelé qu'il appartient à l'employeur d'apporter la preuve des pauses éventuellement prises par la salariée.

La société est également mal fondée à soutenir que les heures supplémentaires auraient été effectuées sans son accord, dès lors qu'elle en a à tout le moins eu connaissance lors de l'entretien professionnel du 27 juillet 2018 et ne s'y est pas opposée.

C'est encore de manière erronée que la SAS AB Medica soutient qu'il devrait être vérifié si la salariée n'a pas déjà été rémunérée de ses heures supplémentaires dans le cadre de son forfait, dès lors que l'arrêt du 16 juin 2021 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, sur lequel elle se fonde et qui impose à la cour d'appel de vérifier si la rémunération contractuelle versée à l'employeur en exécution du forfait en heures irrégulier n'avait pas eu pour effet d'opérer paiement au moins partiel des heures supplémentaires, n'est pas transposable au forfait en jours, qui ne mentionne, par définition, aucun contingent d'heures de travail sur la base duquel cette recherche pourrait être effectuée. Ainsi, comme le rappelle la salariée, le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne saurait à lui seul tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.

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En ce qui concerne enfin la période de préavis, c'est à tort que l'employeur fait valoir qu'aucune heure supplémentaire ne pouvait être due à la salariée durant cette période en raison de sa dispense d'exécution du préavis.

Conformément à l'article L. 1234-5, alinéa 2, du code du travail, l'inexécution du préavis ne peut en effet entraîner aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. Il en résulte que l'indemnité compensatrice de préavis doit être calculée sur la base de l'horaire habituellement accompli par la salariée, comprenant donc les heures supplémentaires qu'elle aurait accomplies dès lors qu'elle constituent un élément stable de la rémunération.

Or, il est établi que Mme [U] effectuait chaque semaine un nombre relativement constant d'heures supplémentaires, en conséquence de quoi il doit être fait droit à sa demande de rappel de salaire y compris pour la période de préavis.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le montant du rappel de salaire pour heures supplémentaires doit être fixé à la somme de 19 124,64 euros, correspondant au montant sollicité par la salariée au terme de ses décomptes horaires.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a limité le montant du rappel de salaire à la somme de 14 965,29 euros, outre 1 496,52 euros les congés payés afférents.

Par ailleurs, la société AB Medica sollicite pour la première fois en appel le remboursement des sommes versées à Mme [U] au titre des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention de forfait en jours.

La salariée soulève en premier lieu l'irrecevabilité de cette demande aux motifs qu'il s'agirait d'une demande nouvelle en cause d'appel et qu'elle serait prescrite.

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, la demande reconventionnelle formée par la société AB Medica vise à opposer compensation à la demande principale de Mme [U] tendant au paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires. Elle est par conséquent recevable.

L'article L. 3245-1 du code du travail prévoit que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, c'est à la date du jugement critiqué, le 29 juillet 2021, que la société AB Medica a eu connaissance pour la première fois de l'absence d'effet de la convention de forfait en jours conclue avec la salariée, qui lui permettait dès lors d'exercer une action en remboursement des jours de RTT payés en exécution de cette convention.

Le point de départ du délai de prescription a donc commencé à courir à cette date, ce dont il résulte que l'action n'était pas prescrite au jour où la société AB Medica a formé pour la première fois sa demande en remboursement dans ses conclusions d'appel du 23 novembre 2021.

Enfin, selon l'article 1302-1 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

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Lorsque la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis est privée d'effet, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est devenu indu (Cass.soc., 6 janv. 2021, n°17-28.234).

En l'espèce, il a été précédemment jugé que la convention de forfait en jours à laquelle la salariée était soumise est privée d'effet, en conséquence de quoi le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés à la salariée en exécution de ladite convention est devenu indu. C'est donc à juste titre que l'employeur en réclame le remboursement.

Il ressort des bulletins de salaire et des feuilles d'absence produites par l'employeur que Mme [U] a bénéficié d'un jour de RTT en décembre 2017, quatre jours de RTT en juin 2018 et un jour de RTT en août 2018.

Si la salariée prétend que le jour de RTT pris en juin 2018 correspond à une hospitalisation et que les quatre jours de RTT pris en août 2018 sont de 'faux congés' liés à la fermeture de l'entreprise, elle n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'elle se serait tenue à la disposition de l'employeur durant ces cinq journées et qu'elle devrait donc conserver le bénéfice d'une rémunération pour les jours concernés.

Ainsi, il y a lieu de retenir que Mme [U] a bénéficié de six jours de RTT, à un taux journalier de 170,765 euros, étant précisé que la salariée ne critique pas les modalités de calcul de l'employeur qui lui permettent de conclure qu'une somme de 1 024,59 euros a été versée de manière indue.

***

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le montant dû par l'employeur à Mme [U] au titre des heures supplémentaires, déduction faite du montant des jours de RTT indûment versés, se décompose de la façon suivante :

- rappel de salaire sur les heures supplémentaires : 19 124,64 euros,

- déduction des JRTT indûment versés : 1 024,59 euros,

- soit un solde de 18 100,05 euros.

La société AB Medica doit donc être condamnée à verser à Mme [U] une somme de 18 100,05 euros au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires, déduction faite du montant des jours de RTT indûment perçus, outre la somme de 1 810 euros au titre des congés payés afférents.

4) Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos

Aux termes de l'article L 3121-30 alinéa 1 du code du travail, dans sa version issue de loi n°2016-1088 du 8 août 2016, 'des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos'.

L'article L 3121-33 I du même code dispose par ailleurs : 'une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche : (----)

2° définit le contingent annuel prévu à l'article L 3121-30 ;

3° fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire sous forme de repos prévue au même article L 3121-30. Cette contrepartie obligatoire ne peut être inférieure à 50% des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel mentionné au dit article L 3121-30 pour les entreprises de

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20 salariés au plus'.

Enfin, en application des dispositions de l'article D. 3121-23, alinéas 1 et 3, du code du travail, le salarié qui, du fait de l'employeur, n'a pas été en mesure de demander la contrepartie en repos a droit à l'indemnisation du préjudice subi, laquelle comporte à la fois le montant d'une indemnité calculée comme s'il avait pris son repos et le montant de l'indemnité de congés payés afférents. L'indemnité ainsi allouée a le caractère de dommages et intérêts.

L'article 6.1 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie prévoit que le contingent annuel d'heures supplémentaires prévu par l'[ancien] article L. 212-6 du code du travail est fixé à 220 heures, par an et par salarié, en cas de décompte de la durée légale du travail sur la semaine.

L'article 18, IV., de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail prévoit que la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l'[ancien] article L. 3121-11 du code du travail dans la rédaction issue de la présente loi est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.

En l'espèce, Mme [U] prétend avoir réalisé, en 2018, 286,22 heures supplémentaires au-delà du contingent annuel et que ces heures doivent donner lieu à une contrepartie en repos de 100% dans la mesure où l'entreprise emploie plus de 20 salariés.

C'est à tort que l'employeur fait observer en réplique que le décompte d'heures de la salariée fait état de seulement 301,01 heures supplémentaires pour l'année 2018, dès lors que ce dernier fonde uniquement son calcul sur les heures supplémentaires majorées à 25% et oublie de prendre en compte le nombre d'heures supplémentaires majorées à 50%.

Dès lors qu'il est établi par les décomptes de la salariée que cette dernière a bien effectué 286,22 heures supplémentaires au-delà du contingent annuel en 2018, il sera fait droit à sa demande en paiement d'une indemnité de contrepartie obligatoire en repos équivalente à la somme de 5 446,23 euros, outre 544,62 euros au titre des congés payés afférents, soit à la somme totale de 5 590,85 euros.

Le jugement entrepris est par conséquent confirmé en son principe mais infirmé quant au montant retenu.

5) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles

Il sera ordonné à la société AB Medica de remettre à Mme [U] un bulletin de salaire et des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, dans un délai d'un mois suivant la signification dudit arrêt, sans qu'il soit néanmoins nécessaire de prononcer une astreinte à cette fin.

Le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La société AB Medica, qui succombe principalement, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. En équité, elle est condamner à payer à Mme [U] la somme complémentaire de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande reconventionnelle formée par la société AB Medica au titre du remboursement des jours de réduction du temps de travail et DÉCLARE celle-ci recevable,

CONFIRME la décision déférée, sauf en ce qu'elle a condamné la SAS AB Medica à payer à Mme [EY] [U] les sommes de 14 965,29 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre celle de 1 496,52 euros au titre des congés payés afférents, de 5 446,23 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre celle de 544,62 euros au titre des congés payés afférents,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS AB Medica à payer à Mme [EY] [U] les sommes suivantes :

- 18 100,05 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,

- 1 810 euros au titre des congés payés afférents,

- 5 590,85 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

ORDONNE à la SAS AB Medica de remettre à Mme [EY] [U] un bulletin de paie et des documents de fin de contrat conformes au présent arrêt, dans un délai d'un mois suivant la signification dudit arrêt mais DIT n'y avoir lieu à astreinte,

CONDAMNE la SAS AB Medica à payer à Mme [EY] [U] une somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS AB Medica aux dépens d'appel et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00933
Date de la décision : 26/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-26;21.00933 ?
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