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29/04/2022 | FRANCE | N°21/00794

France | France, Cour d'appel de Bourges, Chambre sociale, 29 avril 2022, 21/00794


SD/AB





N° RG 21/00794

N° Portalis DBVD-V-B7F-DL45





Décision attaquée :

du 21 juin 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES







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Mme [O] [M]





C/



S.A.S. EUROP VOYAGES









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Expéd. - Grosse



Me PEPIN 29.4.22



Me MERCIER 29.4.22












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COUR D'APPEL DE BOURGES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 29 AVRIL 2022



N° 84 - 11 Pages





APPELANTE :



Madame [O] [M]

6 D avenue d'Orléans - 18000 BOURGES



Représentée par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES







INTIMÉE :



S.A.S. EUROP VOY...

SD/AB

N° RG 21/00794

N° Portalis DBVD-V-B7F-DL45

Décision attaquée :

du 21 juin 2021

Origine :

conseil de prud'hommes - formation paritaire de BOURGES

--------------------

Mme [O] [M]

C/

S.A.S. EUROP VOYAGES

--------------------

Expéd. - Grosse

Me PEPIN 29.4.22

Me MERCIER 29.4.22

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 29 AVRIL 2022

N° 84 - 11 Pages

APPELANTE :

Madame [O] [M]

6 D avenue d'Orléans - 18000 BOURGES

Représentée par Me Frédéric PEPIN de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

S.A.S. EUROP VOYAGES

28, avenue Adrien Pressemane - 87350 PANAZOL

Ayant pour avocat postulant Me Philippe MERCIER de la SCP GERIGNY & ASSOCIES, du barreau de BOURGES

Représentée par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat plaidant, du barreau de LIMOGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme BOISSINOT, conseiller rapporteur

en l'absence d'opposition des parties et conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme BOISSINOT, conseillère

Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère

Arrêt n° 84 - page 2

29 avril 2022

DÉBATS : A l'audience publique du 04 mars 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 29 avril 2022 par mise à disposition au greffe.

ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 29 avril 2022 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant contrat de travail à durée déterminée à temps plein du 27 mai 2019, Mme [O] [M], née le 2 juillet 1981, a été engagée par la SASU Europ Voyages en qualité d'agent administratif polyvalent d'exploitation, groupe 6, coefficient 125, statut employé, de l'annexe 2 de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 543,38 euros.

Mme [M] a ensuite été embauchée dans les mêmes fonctions par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 28 novembre 2019, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 805,74 euros, complétée d'un treizième mois.

La SA Europ Voyages est une entreprise spécialisée dans le transport de voyageurs en autocar.

Mme [M] a été placée en arrêt de travail à compter du 24 juin 2020.

Le 6 août 2020, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de demandes de requalification de son contrat de travail à durée déterminée (CDD) en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et de résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi qu' en paiement de diverses sommes.

Lors de la visite de reprise du 15 septembre 2020, le médecin du travail l'a déclarée inapte au poste d'agent d'exploitation ainsi qu'à tout poste dans l'entreprise, en concluant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 novembre 2020, la SASU Europ Voyages a notifié à Mme [M] son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, que la salariée a contesté devant le conseil de prud'hommes de Bourges par une instance distincte.

Par jugement du 21 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Bourges l'a déboutée de ses demandes de requalification, de résiliation judiciaire et en paiement de diverses sommes, a débouté la SASU Europ Voyages de sa demande d'indemnité de procédure et a condamné la salariée aux dépens.

Suivant déclaration au greffe du 19 juillet 2021, Mme [M] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 26 juin 2021, le contestant en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SASU Europ Voyages de sa demande d'indemnité de procédure.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 28 janvier 2022, par lesquelles Mme [M] demande à la présente cour de :

- la recevoir en son appel,

- le dire bien fondé et infirmer en conséquence le jugement du conseil de prud'hommes en son

Arrêt n° 84 - page 3

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intégralité,

- ordonner la requalification du CDD en CDI,

- prononcer la résiliation judiciaire de ce contrat de travail aux torts exclusifs de la SASU Europ Voyages,

- dire, à titre principal, que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la SASU Europ Voyages à lui payer les sommes suivantes :

* 1 956,22 euros à titre d'indemnité de requalification du CDD en CDI,

* 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 1 956,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 195,62 euros au titre des congés payés afférents,

* 11 737,32 euros (6 mois) pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, 1 956,22 euros (1 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 11 737,32 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- constater que le salaire mensuel moyen est de 1 956,22 euros,

- condamner la SASU Europ Voyages à lui remettre une attestation Pôle emploi dans un délai de 8 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- condamner la SASU Europ Voyages en tous les dépens,

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 4 janvier 2022, par lesquelles la SASU Europ Voyages demande à la présente cour de débouter Mme [M] de son appel, de confirmer en conséquence en toutes ses dispositions le jugement déféré, de condamner Mme [M] à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens d'appel en accordant à la SCP Gérigny et associés le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 février 2022,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

- Sur la demande de requalification du CDD en CDI

Aux termes de l'article L 1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée peut être conclu pour une tâche précise et temporaire mais, quel que soit son motif, il ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, les articles L 1242-2 et suivants du même code énonçant les cas dans lesquels un contrat à durée déterminée peut être conclu, dont notamment le remplacement d'un salarié absent, l'accroissement temporaire d'activité de l'entreprise, les emplois à caractère saisonnier, les contrats dits d'usage.

L'article L 1242-3 du même code, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2020-1614 du 24 décembre 2020, énonce en particulier : ' Outre les cas prévus à l'article L.1242-2, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu :

1° Au titre de dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi ;

2° Lorsque l'employeur s'engage, pour une durée et dans des conditions déterminées par décret, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié.'

Arrêt n° 84 - page 4

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Les contrats destinés à favoriser l'embauche des personnes sans emploi sont essentiellement les contrats de formation en alternance ou d'insertion ainsi que ceux conclus avec des retraités exerçant une activité de tutorat auprès de salariés de leur ancienne entreprise.

Aux termes de l'article L 1242-12 alinéa 1 du code du travail, 'le contrat de travail à durée déterminée est conclu par écrit et comporte la désignation précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée'.

En cas de requalification judiciaire du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'article L 1245-2 du code du travail prévoit que le salarié a droit à une indemnité, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire, selon le montant perçu avant la saisine du juge, heures supplémentaires inclues, et pouvant se cumuler avec l'indemnité de fin de contrat, dite indemnité de précarité, telle que prévue par l'article L 1243-8 du code du travail. Lorsque les relations contractuelles se sont poursuivies à l'issue du CDD, soit de fait, sans nouveau contrat, soit en CDI, et que le salarié demande la requalification du CDD initial, l'indemnité accordée ne peut pas être inférieure au dernier salaire perçu avant la saisine du juge.

En l'espèce, le CDD conclu entre la SASU Europ Voyages et Mme [M] le 27 mai 2019 porte mention en son article 1 intitulé 'Engagement - Durée -Période d'essai', de ce que 'ce contrat est conclu, dans le cadre des dispositions de l'article L 1242-1 du code du travail, faisant suite à une AFPR qui a eu lieu du 18 avril au 26 mai 2019".

Il vise par conséquent expressément les dispositions de l'article L 1242-1 et non celles de l'article L 1242-3 relatives notamment au recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi. Certes, Mme [M] a bénéficié, immédiatement avant la signature du CDD, soit du 18 avril 2019 au 26 mai 2019, d'une action de formation préalable au recrutement (AFPR) individuelle, selon convention signée entre Pôle emploi et la société Europ Voyages 18, mais la référence à cette action de formation dans son contrat de travail est sans effet sur la définition précise du motif de recours au CDD. La SASU Europ Voyages invoque par conséquent de manière inopérante l'application en l'espèce de l'article L 1242-3 précité, la circonstance selon laquelle il n'a pas été imposé de période d'essai à la salariée, du fait de l'AFPR antérieure, étant elle aussi sans effet dès lors que le CDD ne comporte pas obligatoirement de période d'essai.

La lecture du contrat de travail de Mme [M] ne permet pas de connaître précisément le motif du recours par son employeur à un CDD, comme le fait pertinemment valoir la salariée. Ce contrat doit par conséquent être requalifié en CDI en application des dispositions précitées de l'article L 1242-12 du code du travail, le jugement du conseil de prud'hommes devant être infirmé de ce chef.

Son CDD étant requalifié en CDI, Mme [M] peut prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure au dernier salaire perçu avant la saisine du conseil de prud'hommes.

Eu égard aux bulletins de paie versés à la procédure, cette indemnité ne peut être inférieure à la somme de 1 805,74 euros.

La SASU Europ Voyages esten définitive condamnée à lui payer la somme de 1 956,22 euros à titre d'indemnité de requalification en tenant compte du treizième mois auquel elle pouvait prétendre, la décision querellée étant également infirmée de ce chef.

- Sur le harcèlement moral

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Aux termes des articles L 1152-1 et L 1152-2 du code du travail, le harcèlement moral d'un salarié se définit par des agissements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel, et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l'article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, il incombe au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement, éléments au vu desquels la partie défenderesse doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

L'article L 1152-3 du code du travail ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 est nulle.

En l'espèce, Mme [M] invoque à l'appui du harcèlement moral allégué :

- l'attitude de son responsable, M. [T], qui, le 18 février 2020, lui aurait 'hurlé dessus' alors qu'elle répondait aux questions d'une conductrice,

- le choix réalisé par son employeur de lui imposer le chômage partiel plutôt que le dispositif plus favorable de la 'garde d'enfant' pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de COVID-19,

- le refus de son employeur de lui accorder l'aide de l'un de ses collègues pour la remise, le 6 mai 2020, des 'kits conducteurs' alors qu'elle avait accepté de reprendre son poste pendant la crise sanitaire, ce, alors qu'elle était en chômage partiel et qu'il ne l'a en définitive rémunérée de ses périodes travaillées que du fait de l'intervention de l'inspecteur du travail,

- les réclamations incessantes de son employeur pour qu'elle justifie de la nécessité d'être placée en congés pour garde d'enfants, à compter du 2 juin 2020.

S'agissant du premier fait, Mme [M] soutient que le 18 février 2020, son responsable du pôle régional Centre Val de Loire, M. [B] [T], lui a ' hurlé dessus', alors qu'une conductrice, Mme [N], était venue lui demander les raisons pour lesquelles elle avait été évincée d'une formation. Elle produit à cet égard le témoignage de cette dernière, lequel n'a pas lieu d'être écarté des débats du seul fait que cette salariée est également en litige avec l'employeur dès lors que cet élément n'est pas de nature, à lui seul, à entacher la crédibilité de l'attestation. Mme [N] confirme qu'à la date du 18 février 2020, au cours de la pause-déjeuner dans les locaux de la société, elle s'est plainte de ce qu'on l'avait 'encore oubliée' pour la formation billetique, Mme [M] tentant de lui en expliquer les raisons 'pour avancer les choses' et de ce qu'elle a 'été surprise lorsque M. [T] à surgit derrière elle (Mme [M])' en 'gueulant' qu'elle devait retourner à sa place et qu'elle n'avait pas à [lui] expliquer le pourquoi du comment'.

Ce témoignage est suffisamment précis pour que le fait invoqué par Mme [M] soit matériellement établi.

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La salariée soutient ensuite que son employeur lui a imposé, à l'occasion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de COVID-19, le dispositif qui lui était le moins favorable, à savoir le chômage partiel plutôt que la garde d'enfant, alors qu'elle l'avait expressément interrogé sur ce point et qu'il avait prétendu que le chômage partiel lui était plus favorable.

Mme [M] verse aux débats un message électronique du 6 avril 2020 par lequel elle interroge M. [T] quant au caractère le plus avantageux du chômage partiel ou d'une déclaration pour garde d'enfant, ledit responsable lui répondant le jour-même que, 'd'après les éléments en [sa] possession, le chômage partiel [était] plus avantageux pour [elle]'. L'employeur ne conteste pas que, comme le soutient la salariée, l'indemnisation versée au titre de la garde d'enfant sur le fondement de l'article 1 du décret n°2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus représentait 90% de sa rémunération, alors qu'au titre du chômage partiel elle ne bénéficiait que de 84% de ladite rémunération.

Il s'en déduit que le second fait invoqué par Mme [M] est lui aussi matériellement établi.

Mme [M] affirme encore avoir été régulièrement sollicitée par son employeur pour venir effectuer des heures de travail pendant la crise sanitaire et s'être portée volontaire pour composer les kits conducteurs (contenant des masques, du gel hydroalcoolique...), ou encore avoir accepté de couvrir les sièges des bus pour permettre la distanciation sociale.

Elle explique encore avoir eu besoin d'aide pour la remise des kits aux conducteurs et avoir été avertie au dernier moment, le jour de leur remise effective, qu'elle allait effectuer cette tâche seule, M. [T] ayant refusé qu'elle soit aidée, et produit un courriel de M. [E] [W], inspecteur du travail, qui confirme les sollicitations de son employeur et l'intervention de l'inspection du travail 'auprès de son responsable afin de régulariser cette situation'.

Elle verse également aux débats un échange de SMS du 6 avril 2020 dont il résulte que son supérieur hiérarchique direct, M. [H] [G], responsable marketing, lui a demandé si elle était disponible le jeudi ou le vendredi, matin ou après-midi, pour 'faire la remise en banque', ainsi que le témoignage de M. [Y] [A], chauffeur de car, lequel indique que, le 5 mai 2020, Mme [M] a 'suggéré aux personnes de l'exploitation (Mme [V], Mme [P], Mr [Z]) d'avoir de l'aide pour la distribution de kits concernant le COVID 19 sachant qu'elle se retrouvais seule pour cette tâche en plus des appels aux conducteurs et appels à l'agence prévu le mercredi 6 mai 2020". Il explique s'être rendu disponible à cette fin après que les personnes de l'exploitation eurent conclu à la nécessité de l'aide à apporter à la salariée, son planning étant modifié en ce sens. M. [A] poursuit toutefois en relatant qu'à son retour à son domicile vers 20h15, il a reçu un appel de M. [Z] lui indiquant que le programme avait changé et qu'il n'y avait plus besoin de ses services le lendemain. Il indique qu'à cette date, lors d'un entretien, M. [T] lui a précisé que 'Mme [M] n'avait pas à décider de quoi que ce soit alors que ça n'[avait] pas été le cas et qu'elle pourrait effectuer ces taches seule'.

Le courriel de l'inspecteur du travail et le témoignage de M. [A] sont suffisamment précis pour que ce troisième fait invoqué par la salariée soit considéré comme étant lui aussi matériellement établi.

Mme [M] soutient encore que, régulièrement, alors qu'elle était placée en congés pour la garde de ses enfants, son employeur n'a eu de cesse de lui réclamer des documents justificatifs alors qu'elle les avait préalablement envoyés. La salariée produit un courriel du 8 juin 2020 dans lequel elle fait référence à deux mails précédents des 1er et 5 juin qu'elle aurait envoyés à son employeur et évoque l'absence d'aménagement horaire 'pour palier aux conditions de l'accueil partiel de l'école de [sa] fille' . Elle y joint la copie de l'attestation de l'établissement scolaire précisant les conditions de scolarisation de son enfant. Elle produit encore un courriel du 26 juin 2020 portant la mention suivante : 'je vous prie de trouver ci-joint

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les attestations que vous me réclamer avec insistance sachez que j'espère que cela sera la dernière fois', étant ajoutées deux pièces jointes intitulées 'attestation C [I] bis' et 'attestation C [I] ter'. Il s'ensuit que le quatrième fait invoqué par la salariée est également matériellement établi.

Mme [M] se prévaut enfin d'une dégradation de son état de santé. Elle verse à la procédure un courrier du médecin du travail en date du 7 juillet 2020 sollicitant l'avis d'un psychiatre, dans lequel il est indiqué 'la salariée rapporte 'qu'elle a des problèmes relationnels et de communication avec son responsable et elle se sent mise à l'écart au niveau de son entreprise'. Elle exprime une incapacité totale à rester dans ce poste ce jour, car ça génère chez elle une angoisse profonde et des troubles de sommeil....' Elle fournit encore son arrêt de travail du 24 juin 2020 et la prescription médicale du Docteur [X], médecin psychiatre en date du 6 juillet 2020, comprenant un médicament psychotrope utilisé dans le traitement des dépressions sévères (la fluoxetine) ainsi qu'un antihistaminique. Les indications du médecin du travail ne reposent cependant que sur les déclarations de la salariée et l'avis d'arrêt de travail ne comporte pas d'indication sur l'état de santé de celle-ci, si bien que ces éléments sont insuffisants à laisser supposer l'existence d'un lien entre la dégradation de l'état de santé de Mme [M] et ses conditions de travail.

Néanmoins, en dehors de ces éléments médicaux, l'appelante établit matériellement des faits qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

En réponse, la SASU Europ Voyages explique que Mme [M] n'a pas été la seule concernée par la mesure de chômage partiel décidée au sein de l'entreprise puisqu'à compter de la mi-mars 2020, 100 des 110 salariés de l'entreprise ont été mis en activité partielle, seuls 10 conducteurs ayant été maintenus en activité totale. Il n'est pas établi que, s'agissant des salariés susceptibles de bénéficier des dispositions précitées de l'article 1 du décret n°2020-73 du 31 janvier 2020, l'employeur ait eu l'obligation d'en faire application, alors-même qu'il décidait par ailleurs d'une mesure de chômage partiel étendue à la très grande majorité du personnel de l'entreprise. Enfin, à compter du 1er mai 2020, l'article 20 de la loi 2020-473 du 25 avril 2020 a précisé qu'étaient 'placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants' (') : 'le salarié est parent d'un enfant de moins de seize ans ou d'une personne en situation de handicap faisant l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile'. Il s'ensuit qu'à compter du 1er mai 2020, seule la mesure d'activité partielle était applicable à la situation invoquée par Mme [M].

Au demeurant, l'intimée justifie de la régularisation de la situation de Mme [M] au regard de son activité partielle et des tâches administratives et comptables qu'elle a effectuées au sein de l'entreprise en avril 2020 sans que l'inspecteur du travail n'ait besoin de lui adresser un injonction en ce sens, étant précisé que la complexité des textes applicables à la période d'urgence sanitaire peut expliquer les erreurs commises initialement dans l'utilisation du chômage partiel.

La SASU Europ Voyages justifie par conséquent des raisons objectives l'ayant conduit à décider d'une telle mesure.

S'agissant de l'incident du 6 mai 2020, la SASU Europ Voyages reproche à Mme [M] d'avoir omis d'en référer à son supérieur hiérarchique alors qu'il n'était pas prévu qu'elle soit aidée dans la distribution des kits conducteurs et d'avoir pris unilatéralement la décision de regagner son domicile, illustrant ainsi sa difficulté à respecter sa hiérarchie.

Il est exact et résulte au demeurant du témoignage de M. [A] qu'au lieu de s'adresser à son supérieur hiérarchique, la salariée a préféré laisser entendre à ses collègues de 'l'exploitation' qu'elle aurait besoin d'aide pour la distribution des kits conducteurs ce qui a

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conduit à la mise en place spontanée d'une organisation de travail qui ne résultait pas de la décision du responsable de pôle lequel n'avait même pas été consulté sur ce point, et ce alors que la salariée s'était auparavant portée volontaire pour la composition des kits conducteurs.L'employeur justifie de ce que M. [D] [R] qui a en définitive assuré cette tâche, a pu l'effectuer seul en réalisant 16 heures de travail durant deux journées complètes. L'employeur démontre donc que des raisons objectives l'ont conduit à décider de l'organisation critiquée par la salariée

En outre, s'agissant des justificatifs sollicités par l'employeur pour qu'à compter du 2 juin 2020, la salariée puisse continuer de bénéficier de l'indemnisation au titre de l'activité partielle, il sera fait observer que l'article 20 de la loi 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 les rendait nécessaires de sorte que l'employeur justifie là encore des raisons objectives l'ayant conduit à les demander à Mme [M].

En définitive, seul l'incident du 18 février 2020 demeure susceptible d'être retenu, mais même s'il traduit des relations potentiellement difficiles entre Mme [M] et son responsable de pôle, il ne peut suffire, dès lors qu'il s'agit d'un fait isolé, à caractériser une situation de harcèlement moral. C'est donc exactement que les premiers juges ont écarté l'existence de tels faits et ont débouté la salariée de sa demande indemnitaire subséquente. Le jugement est donc confirmé sur ce point.

- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

En application des dispositions de l'article 1224 du code civil, 'la résolution du contrat résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice'.

Pour justifier de la résiliation judiciaire à ses torts du contrat de travail, les manquements de l'employeur doivent être d'une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite de la relation de travail.

Par ailleurs, si, comme en l'espèce, le contrat de travail est rompu avant la décision statuant sur l'action en résiliation judiciaire, il doit en premier lieu être recherché si cette demande de résiliation était justifiée. Dans cette dernière hypothèse, la résiliation judiciaire produit les effets soit d'un licenciement nul si les manquements invoqués sont constitutifs d'un harcèlement moral, soit d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A l'appui de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, Mme [M] reproche à son employeur le harcèlement moral dont elle aurait été victime, d'avoir continué à la faire travailler alors qu'elle se trouvait en chômage partiel et de lui avoir payé tardivement, au mois d'août 2020 et après intervention de l'inspection du travail, les heures de travail ainsi réalisées.

Il résulte de ce qui précède que le harcèlement moral dont l'appelante se prévaut n'est pas caractérisé.

La période pendant laquelle Mme [M] reproche à son employeur de l'avoir fait travailler correspond au premier confinement lié à la pandémie de covid-19, qui a conduit à une confusion très importante dans les organisations de travail. Le grief articulé par la salariée ne peut donc constituer un manquement suffisamment grave pour avoir rendu impossible la poursuite de la relation de travail.

Enfin, Mme [M] verse à la procédure un courriel du 4 mai 2020, adressé à M. [H]

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[G], dans lequel elle récapitule les dates et heures travaillées pendant la période de chômage partiel, en l'espèce, les 26 mars, 9, 10, 16 et 17 avril ainsi que 4 mai 2020. Il s'en déduit qu'à tout le moins, dès le 4 mai 2020, la SAS Europ Assistance avait une connaissance exacte des heures travaillées par Mme [M] pendant la période de chômage partiel. Le message électronique de l'inspecteur du travail en date du 21 septembre 2020 mentionne par ailleurs l'intervention de ce dernier pour permettre à Mme [M] de voir sa situation régularisée.

Pour autant, comme ci-dessus indiqué, l'employeur invoque avec pertinence la complexité des textes applicables durant la période d'activité partielle des mois de mars, avril et mai 2020, de sorte que le retard pris dans le paiement des heures travaillées par la salariée pendant la période de chômage partiel n'est pas non plus constitutif de manquement.

Il s'ensuit que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail n'est pas fondée et que la décision entreprise doit en conséquence être confirmée en ce qu'elle en a débouté la salariée ainsi que de ses prétentions subséquentes.

- Sur la demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait par l'employeur de se soustraire intentionnellement soit à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur ces derniers un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du même code prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours en commettant les faits énoncés à l'article L. 8221-5 du code du travail, a droit à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire.

Mme [M] soutient, en l'espèce, que l'élément intentionnel de la dissimulation d'emploi salarié est caractérisée en ce que la SASU Europ Voyages, profitant du chômage partiel tout en la faisant travailler, n'a pas mentionné sur ses bulletins de salaire le nombre d'heures de travail réellement effectuées. Elle fait observer que son employeur ne pouvait pourtant les ignorer au mois d'avril 2020 puisqu'elle lui envoyait ses horaires et qu'il y a acquiescé. Elle rappelle qu'elle a dû faire intervenir l'inspection du travail pour que la SASU Europ Voyages régularise sa situation au mois d'août 2020, ce, alors qu'elle avait en sa possession ses relevés horaires dès le 4 mai.

Son employeur oppose à cette demande qu'il a rectifié sur le bulletin de paie du mois d'août 2020 les erreurs qu'il a constatées après qu'elle lui a envoyé le récapitulatif de ses heures travaillées. Il estime avoir mis en place une procédure efficiente de contrôle des heures effectuées et argue de ce que l'inspecteur du travail n'a formulé aucune injonction ni observation écrite à son encontre après avoir contrôlé en 2020 l'application par l'entreprise des dispositions relatives à l'activité partielle dans le cadre de la COVID-19, notamment au cas de Mme [M].

Il a été ci-dessus rappelé que la mise en oeuvre des textes applicables à la période de chômage partiel s'était avérée complexe, l'employeur rectifiant dès le mois d'août 2020 les erreurs commises entre les mois de mars et mai dans le calcul de la rémunération de Mme [M]. Il s'ensuit que, même si l'inspecteur du travail a du intervenir en l'espèce, l'intention délibérée

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de la SASU Europ Voyages de se soustraire à ses obligations légales n'est en l'espèce pas démontrée.

Par conséquent, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de ce chef de demande.

- Sur les autres demandes

La SASU Europ voyages sera condamnée à remettre à Mme [M] une attestation Pôle emploi conforme dans les 15 jours du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu, toutefois, de prononcer une astreinte ainsi que demandé.

La décision querellée est infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.

La SASU Europ Voyages, partie succombante, est condamnée aux dépens de premier instance et d'appel et déboutée en conséquence de sa demande d'indemnité de procédure et d'application de l'article 699 du code de procédure civile.

Enfin, en équité, la SASU Europ Voyages est condamnée à payer à Mme [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Bourges, sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] [M] de sa demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que de sa demande d'indemnité de requalification, et en ses dispositions relatives aux dépens,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

REQUALIFIE le contrat de travail à durée déterminée de Mme [O] [M] en contrat de travail à durée indéterminée,

CONDAMNE en conséquence la SASU Europ Voyages à payer à Mme [O] [M] la somme de 1 956,22 euros à titre d'indemnité de requalification,

ORDONNE à la SASU Europ Voyages de remettre à Mme [O] [M] une attestation Pôle emploi rectifiée dans les quinze jours de la signification du présent arrêt, mais dit n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE la SASU Europ Voyages de sa demande d'indemnité de procédure,

CONDAMNE la SASU Europ Voyages à payer à Mme [O] [M] la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SASU Europ Voyages aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

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En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bourges
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00794
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-29;21.00794 ?
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