SD/CV
N° RG 21/00226
N° Portalis DBVD-V-B7F-DKOM
Décision attaquée :
du 04 février 2021
Origine : conseil de prud'hommes - formation de départage de NEVERS
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S.A.S. APERAM ALLOYS IMPHY
C/
Mme Madame [T] [M], ès qualités d'ayant droit de Monsieur [Y] [M].
Syndicat CGT DU SITE INDUSTRIEL DES ACIERIES D'IMPHY
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Expéd. - Grosse
Me LE ROY DES 29.4.22
BARRES
Me FOURCADE 29.4.22
COUR D'APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 29 AVRIL 2022
N° 92 - 9 Pages
APPELANTE :
S.A.S. APERAM ALLOYS IMPHY
Avenue Jean Jaurès - 58160 IMPHY
Représentée par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat postulant, du barreau de BOURGES
et par Me Thomas GODEY de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat plaidant, du barreau de PARIS
INTIMÉS :
1) Madame Madame [T] [M], ès qualités d'ayant droit de Monsieur [Y] [M].
14 route de la Rongère - Colombey - 71370 OUROUX SUR SAONE
2) Syndicat CGT DU SITE INDUSTRIEL DES ACIERIES D'IMPHY
Avenue Jean Jaures - 58160 IMPHY
Ayant pour avocat postulant Me Antoine FOURCADE, du barreau de BOURGES
Représentés par Me Sophie KERIHUEL, avocat plaidant, du barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
PRÉSIDENT : Mme VIOCHE
CONSEILLERS : Mme BOISSINOT
Mme [O]
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
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DÉBATS : A l'audience publique du 11 mars 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l'arrêt à l'audience du 29 avril 2022 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT : Contradictoire - Prononcé publiquement le 29 avril 2022 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Aperam Alloys Imphy exploite une activité de fabrication, achat, vente, importation et exportation de produits laminés en alliages et métallurgiques et emploie plus de 11 salariés.
Suivant contrat à durée indéterminée en date du 10 juillet 1978, M. [Y] [M] a été engagé par la SA Groupe Creusot LOIRE, aux droits de laquelle vient désormais la SAS Aperam Alloys Imphy, en qualité de soudeur chaudronnier, statut ouvrier, coefficient 170.
Il a adhéré à la CGT en 1980.
La convention collective de la Métallurgie de la Nièvre s'est appliquée à la relation de travail.
M. [M] est décédé le 10 avril 2016, alors qu'il bénéficiait du coefficient 215 et percevait un salaire brut mensuel de 2 087,39 euros.
Estimant que son père avait été victime d'une discrimination dans le déroulement de sa carrière en raison de son activité syndicale et de son état de santé, Mme [T] [M], en sa qualité d'ayant doit, a saisi, le 21 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Nevers afin d'obtenir réparation des préjudices en résultant.
Le syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy est intervenu volontairement à l'instance pour réclamer à l'employeur paiement de dommages et intérêts au titre de son propre préjudice moral et financier ainsi qu'une indemnité de procédure.
Par jugement de départage 30 avril 2019, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud'hommes a, avant-dire droit et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, déclaré recevable l'action de Mme [M] et du syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy, ordonné à la SAS Aperam Alloys Imphy la production, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard dont il s'est réservé la liquidation, de :
la liste exhaustive et nominative de tous les salariés embauchés par l'employeur entre 1974 et 1982 dans la catégorie ouvrier aux coefficients 155 et 170 et pour chacun d'eux, les dates de passage, de coefficient, de niveau, la rémunération brute annuelle, comprenant les distinctions des éléments la composant, le tout sur une période allant du 10 juillet 1078 au 31 mars 2016, la copie du contrat de travail initial de M. [M], ainsi que ses bulletins de salaire des mois de décembre 1978 à 2014.
Il a également débouté la SAS Aperam Alloys Imphy de sa demande d'indemnité de procédure et a réservé les dépens.
Par jugement de départage en date du 4 février 2021, le conseil de prud'hommes de Nevers, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, a déclaré recevables les actions de Mme [M] et du syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy, dit que M. [M] a subi une discrimination en raison de ses activités syndicales et de son état de santé, et, en conséquence, condamné la SAS Aperam Alloys Imphy, en réparation de la discrimination subie, à payer à sa
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fille, agissant en qualité d'ayant droit, les sommes de :
-123 768,74 euros en réparation du préjudice économique subi par M. [M],
-15 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Il a également :
-fixé la rémunération moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [M] à 2 061,69 euros,
-ordonné la capitalisation des intérêts échus,
-condamné la SAS Aperam Alloys Imphy à verser au Syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier,
-débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
-condamné la SAS Aperam Alloys Imphy à payer une indemnité de procédure de 2 000 euros à Mme [M] et de 500 euros au syndicat,
-condamné l'employeur aux entiers dépens de l'instance,
-ordonné l'exécution provisoire.
Le 26 février 2021, la SAS Aperam Alloys Imphy a régulièrement relevé appel de la décision par voie électronique.
Par ordonnance en date du 27 avril 2021, Madame la première présidente de la cour d'appel de Bourges, saisie en référé le 3 mars 2021 par l'employeur d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire et subsidiairement d'autorisation de consigner les condamnations pécuniaires mises à sa charge, a ordonné à la SAS Aperam Alloys Imphy de consigner la somme de 140 700 euros entre les mains de la Caisse des Dépôts et Consignations.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.
1 ) Ceux de la SAS Aperam Alloys Imphy :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 28 octobre 2021, elle sollicite l'infirmation du jugement critiqué, sauf en ce qu'il a fixé la rémunération moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [M] à 2 061,69 euros, ordonné la capitalisation des intérêts échus, débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et ordonné l'exécution provisoire.
Elle demande ainsi à la cour, statuant à nouveau :
à titre principal :
-de constater que l'action de Mme [M] est prescrite,
-de dire qu'elle n'apporte aucun élément de fait laissant supposer que son père a subi une discrimination ou une inégalité de traitement, et qu'elle-même a respecté l'ensemble de ses obligations légales, conventionnelles et contractuelles,
-en conséquence, de débouter Mme [M] de l'ensemble de ses prétentions,
à titre subsidiaire :
-de la condamner à verser à Mme [M] la somme de 31 181,44 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique subi par M. [M] au cours de sa carrière,
-la débouter de toutes ses autres prétentions,
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en tout état de cause :
-condamner Mme [M] au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros,
-ordonner la levée de la consignation de la somme auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations à son profit.
2) Ceux de Mme [M], agissant en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [M] :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 18 décembre 2021, elle demande à la cour de :
-in limine litis de déclarer irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action soulevée par la SAS Aperam Alloys Imphy, la cour n'ayant pas été saisie d'un appel contre le jugement avant dire-droit du 30 avril 2019 qui l'écartait,
-débouter en conséquence la SAS Aperam Alloys Imphy de l'intégralité de ses demandes,
en conséquence, confirmer le jugement de départage déféré en ce qu'il a déclaré recevable car non prescrite l'action de Mme [M], agissant en sa qualité d'ayant-droit de M. [Y] [M], a jugé que celui-ci avait subi une discrimination en raison de ses activités syndicales et de son état de santé et a condamné l'employeur à lui verser 123 768,74 euros nets en réparation du préjudice économique en résultant, subsidiairement, la condamner au paiement de ce chef de la somme de 124 657,75 euros nets, en ce qu'il a reconnu l'existence d'un préjudice moral mais l'infirmer s'agissant du quantum alloué,
statuant à nouveau, de condamner la SAS Aperam Alloys Imphy à lui verser :
-30 000 euros nets, et subsidiairement confirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué de ce chef 15 000 euros, en réparation de son préjudice moral,
en tout état de cause, de :
-ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance, et condamner l'employeur à lui payer 3 000 euros au titre de ceux qu'il a engagés en cause d'appel,
-condamner l'employeur aux entiers dépens.
3) Ceux du syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 30 juillet 2021, il demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré son action recevable et lui a octroyé des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier ainsi qu'une indemnité de procédure, de débouter l'employeur de ses demandes, mais d'infirmer la décision s'agissant du quantum alloué.
Ainsi, il réclame que la cour, statuant à nouveau, condamne la SAS Aperam Alloys Imphy à lui payer 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier, direct ou indirect, ainsi qu'une indemnité de procédure de 1 000 euros, y ajoutant, lui alloue la même somme au titre de ses frais irrépétibles d'appel, et condamne l'employeur aux entiers dépens.
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La clôture de la procédure est intervenue le 5 janvier 2022.
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MOTIFS DE LA DÉCISION :
1) Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en réparation de la discrimination alléguée :
L'article L. 1134-5 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, prévoit que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas suceptible d'aménagement conventionnel.Les dommages-intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.
Il est acquis que le point de départ du délai pour agir en réparation d'une discrimination alléguée est la connaissance des faits par le salarié s'estimant victime de celle-ci, c'est à dire le moment où il a disposé des éléments de comparaison mettant en évidence la discrimination.
En l'espèce, la SAS Aperam Alloys Imphy soulève la prescription de l'action en paiement de dommages et intérêts formée par Mme [M], agissant en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [M].
Celle-ci prétend que la cour n'est pas saisie de cette fin de non-recevoir qui a déjà été tranchée en ce qu'elle aurait été rejetée par le jugement des 30 avril 2019, faute pour l'employeur d'avoir interjeté appel de cette décision.
Le jugement du 30 avril 2019, qui a été prononcé avant-dire droit, a, dans le corps de sa motivation, rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l'employeur, et, dans son dispositif, dit que l'action de Mme [M] était recevable.
Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une fin de non-recevoir a dès son prononcé l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
Dès lors, ainsi que le soutient l'intimée, même s'il n'était pas nécessaire de recevoir à nouveau l'action de Mme [M] dans le dispositif de sa décision du 4 février 2021, c'est exactement que le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a écrit dans le corps de sa motivation que la décision en date du 30 avril 2019 avait déjà écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l'employeur et jugé que l'action de Mme [M] était recevable, puisque ce jugement avait acquis sur ce point l'autorité de la chose jugée.
Il s'ensuit que l'employeur n'ayant pas fait appel de la décision du 30 avril 2019 qui a statué sur sa fin de non-recevoir pour la rejeter, la cour ne peut pas être saisie de celle-ci.
2) Sur les demandes en paiement de dommages et intérêts pour discrimination :
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses
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caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
En vertu de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsqu'un litige survient en raison d'une discrimination syndicale ou en raison de l'état de santé, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [M] expose que son père a subi, dans le déroulement de sa carrière professionnelle, une discrimination en raison de son engagement syndical et de son état de santé, qui s'est manifestée par une évolution ralentie de sa carrière, puis à compter de 1992, par un blocage pur et simple au coefficient 215 pendant 24 ans. Elle soutient à cet égard que son engagement syndical a été visible dès 1980 puisqu'adhérant à la CGT, il a fait partie de la délégation de ce syndicat qui a participé aux négociations annuelles obligatoires puis a été de toutes les grèves, notamment de celle qui a eu lieu en 1995 et a duré trois semaines. Elle ajoute qu'il a de plus rencontré des problèmes de santé importants connus de l'employeur puisqu'ils lui ont valu plusieurs arrêts de travail, ce qui a eu un impact sur sa situation professionnelle, déjà dégradée.
La SAS Aperam Alloys Imphy fait grief à la décision déférée de l'avoir condamnée à payer des dommages et intérêts à Mme [M], en sa qualité d'ayant droit de son père décédé, pour discrimination syndicale et préjudice moral, et au syndicat des dommages et intérêts pour le préjudice moral et financier, alors que l'existence d'une discrimination dans l'évolution de carrière ne peut se déduire que de la comparaison entre le déroulement de la carrière du salarié qui s'en prétend victime avec celui des salariés placés dans une situation identique à la sienne. Elle conteste l'existence d'une discrimination subie par M. [M], et si elle ne discute pas que celui-ci soit resté pendant 24 ans au coefficient 215, elle estime qu'il n'existe pas de droit à évolution du coefficient hiérarchique.
Mme [M] ne justifie pas des problèmes de santé de son père mais les bulletins de salaire de celui-ci, pour les années 2015 et 2016, montrent qu'il a été placé en arrêt de travail puis en arrêt longue maladie, le témoignage de M. [Z] précisant cependant que M. [M] est décédé le 10 avril 2016 des suites d'une crise cardiaque. Pour ce qui concerne les années antérieures, aucun élément n'est produit en dehors de ses entretiens d'évaluation annuels, lesquels, en 2003, mentionnent un arrêt de travail en raison d'une 'cure de désintoxication dès la mi-septembre', et c'est à juste titre que sur ce point le salarié met en avant que l'employeur n'avait pas à mentionner sur ce compte-rendu la nature du problème de santé qu'il rencontrait.
Il ressort des pièces du dossier que M. [M], engagé par l'appelante en 1978 au coefficient 170, a acquis en 1985 le coefficient 190 puis en 1992 le coefficient 215, auquel il a été maintenu jusqu'à son décès.
Le seul fait que M. [M], dont l'activité syndicale ne fait pas débat, soit resté bloqué, entre 1992 et 2016, à ce coefficient sans connaître ensuite aucune évolution de carrière laisse présumer l'existence d'une discrimination.
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La SAS Aperam Alloys Imphy, pour démontrer que cette stagnation s'explique par des raisons objectives étrangères à toute discrimination, soutient que M. [M] avait un niveau de compétences et de motivation inférieur à celui des salariés avec lesquels sa situation est comparée et que son parcours professionnel a été émaillé d'incidents.
Il ne résulte pourtant d'aucun élément probant que M. [M] ait été sanctionné ou que des reproches lui aient été adressés pendant la relation de travail.
Cependant, si les compte-rendus produits par le salarié pour les années 2000, 2001, 2003 et 2007 le décrivent comme un salarié sérieux et autonome, ceux qui sont versés aux débats par l'employeur pour les années 2011 et 2013 montrent que début 2013, il a été placé en arrêt de travail pendant huit semaines puis a repris à mi-temps thérapeutique pendant quatre semaines et qu'il est fait état de 'problèmes personnels'.
Sur le compte-rendu d'entretien d'évaluation annuel de 2011, l'employeur a indiqué, sans que le salarié ne le conteste, que si beaucoup d'efforts avaient été consentis 'dans le comportement par rapport à l'absentéisme', des efforts restaient 'à faire en volume de travail' et que celui-ci n'était 'pas en phase avec le coef actuel. Des efforts sont à faire. Merci', ce qu'il a répété lors de l'entretien annuel de 2013 dont le compte-rendu est conclu en ces termes : 'compétences mises en oeuvre pas en phase avec le référentiel compétences du coef actuel. Des efforts sont à faire en volume de travail réalisé'.
Ainsi, s'il démontre qu'à cette période, M. [M] rencontrait régulièrement des 'problèmes d'absentéisme' , l'employeur ne produit aucune pièce pour justifier de l'absence d'évolution entre 1992, date à laquelle le coefficient 215 lui a été accordé, et la période 2010/2011 au cours de laquelle il aurait déploré ses absences, dont il ne dit de toute façon pas qu'elles n'étaient pas justifiées médicalement.
Au contraire, les compte-rendus d'entretien annuels font ressortir que M. [M] a dû s'adapter à des fonctions successives et qu'il faisait preuve de flexibilité, notamment parce qu'il pouvait, avec les autres membres de son équipe, être sollicité ' à brûle pourpoint' pour certains travaux de dépannage. En outre, ses compétences techniques et sa disponibilité ont été à plusieurs reprises soulignées.
Mme [M] prétend qu'en comparant la situation de son père avec celle de 77 autres salariés, elle a pu se convaincre du traitement très défavorable qui lui a été réservé puisqu'il avait le coefficient le plus faible et la rémunération la moins élevée, à l'exception toutefois de l'un de ses collègues, M. [R]. Elle produit un panel affiné de comparaison avec 9 autres salariés pour démontrer qu'au moment de son décès, ceux-ci bénéficiaient au moins du coefficient 255. Elle ajoute que l'écart mensuel de salaire entre son père et les salariés qui se trouvaient dans une situation comparable à la sienne était de 540,18 euros.
Elle s'appuie sur la méthode Clerc pour réclamer la confirmation du jugement déféré en ce qu'il lui a alloué 123 768,74 euros en réparation du préjudice économique subi par son père en raison de la discrimination alléguée.
Le panel de 9 salariés produit est particulièrement pertinent, contrairement à celui qui est versé aux débats par l'employeur, dès lors que ces salariés appartenaient à la même entreprise et au même secteur d'activité que M. [M], ont été embauchés à une date très proche de celle de ce dernier et comme lui au coefficient 170, à l'exception de deux salariés qui n'ont obtenu lors de leur embauche que le coefficient 155. En 2016, tous bénéficiaient d'un coefficient compris entre 255 et 335, supérieur au coefficient 215 auquel a été maintenu M. [M], ainsi qu'une rémunération plus importante.Ils avaient donc une ancienneté proche et nécessairement le même type de diplôme que M. [M] puisque l'employeur ne discute pas qu'en application de
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l'accord national de classification de la métallurgie du 21 juillet 1975, regroupant les salariés en 5 niveaux, les ouvriers étaient classés entre les coefficients 140 et 225 et les techniciens d'atelier entre 240 et 285, et que les salariés titulaires d'un CAP ou d'un BEP ne pouvaient être embauchés au dessous du coefficient 170. Il n'est donc pas justifié, au motif qu'il aurait eu 'le niveau bac' lors de son embauche, ce qui n'est pas un diplôme, d'exclure de ce panel M. [W], engagé en 1981 au coefficient 170 comme M. [M], et qui en 2016 avait atteint le coefficient 335 et un salaire mensuel de 3 229,72 euros.
La comparaison à laquelle s'est livrée l'intimée, notamment en modélisant les données obtenues de l'employeur par un graphique, fait ainsi apparaître un écart moyen de rémunération de 540,18 euros au détriment de M. [M] sans que l'employeur ne le justifie par des raisons objectives étrangères à la discrimination alléguée. Il se trouve donc établi que M. [M], qui a stagné à partir de 1992, a été discriminé par rapport aux 9 autres salariés figurant sur le panel produit.
En application de l'article L. 1134-5 du code du travail, le salarié victime de discrimination est fondé à obtenir réparation de l'entier préjudice résultant de la discrimination subie, pendant toute la durée de celle-ci. Comme l'a exactement dit le juge départiteur, l'application de la méthode Clerc permet de réparer le plus complètement possible le préjudice subi, puisqu'elle chiffre l'indemnité réparant la discrimination en se basant sur l'écart de rémunération constaté entre la moyenne de rémunération des salariés non-discriminés et celle du salarié discriminé, qu'elle divise par deux puis multiplie le quotient obtenu par le nombre de mois survenus depuis la naissance du motif de discrimination.
Si l'on retient que les salariés percevaient un treizième mois, ce qui n'est pas discuté, et que M. [M] ayant adhéré à la CGT fin 1980, il a subi, jusqu'à son décès le 10 avril 2016, une discrimination pendant 35 ans et 3 mois, son préjudice peut être calculé comme suit :
((540,18€ x13 X (35,25/2)) soit 123 768,74 euros. C'est donc exactement que cette somme a été allouée en première instance à Mme [M], en sa qualité d'ayant-droit de M. [Y] [M] et en réparation du préjudice économique résultant de la discrimination subie par
celui-ci.
S'agissant de la réparation du préjudice moral qui en est résulté pour son père, Mme [M] réclame de ce chef la somme de 30 000 euros. La SAS Aperam Alloys Imphy reproche au jugement déféré d'avoir alloué à celle-ci 15 000 euros alors que la preuve d'un préjudice ne serait pas rapportée. Elle ne peut cependant sérieusement soutenir que M. [M] n'a pas été éprouvé moralement par la discrimination qu'il a subie pendant 24 ans, ce que confirme le témoignage de M. [Z]. Cependant, au regard des éléments portés à la connaissance de la cour, la somme accordée en première instance apparaît excessive, l'allocation de la somme de 10 000 euros étant suffisante pour réparer le préjudice moral occasionné à M. [M]. Le jugement déféré est donc infirmé de ce chef.
C'est en revanche par une exacte appréciation de son préjudice moral et financier, direct et indirect, qu'il a condamné l'employeur à payer à la CGT la somme de 1000 euros. Il convient donc de confirmer de ce chef le jugement querellé.
3) Sur les autres demandes :
Conformément aux article 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature contractuelle porteront intérêt au taux légal à compter de la convocation devant le conseil de prud'hommes, alors que les créances de nature indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
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La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.
Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
L'employeur, qui succombe, est condamné en outre aux dépens d'appel et débouté en conséquence de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. En équité, il est également condamné à payer à Mme [M], en sa qualité d'ayant droit de son père, une indemnité de procédure de 1 500 euros et à la CGT une somme supplémentaire de 500 euros au titre des frais d'irrépétibles engagés devant la cour.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
DIT que la cour n'est pas saisie de la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SAS Aperam Alloys Imphy ;
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Aperam Alloys Imphy à payer à Mme [T] [M], en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [M], la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination subie ;
STATUANT à nouveau du chef infirmé et AJOUTANT:
CONDAMNE la SAS Aperam Alloys Imphy à payer à Mme [T] [M], en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [M], la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination subie ;
CONDAMNE la SAS Aperam Alloys Imphy à payer à Mme [T] [M], en sa qualité d'ayant droit de M. [Y] [M], la somme de 1 500 € et au syndicat CGT du site industriel des aciéries d'Imphy celle de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SAS Aperam Alloys Imphy de sa propre demande d'indemnité de procédure ;
CONDAMNE la SAS Aperam Alloys Imphy aux dépens d'appel.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE