COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 03 SEPTEMBRE 2024
N° RG 21/04642 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIWH
[J] [Y]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/011313 du 20/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
S.A. CA CONSUMER FINANCE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 06 avril 2021 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 20/03077) suivant déclaration d'appel du 10 août 2021
APPELANT :
[J] [Y]
né le [Date naissance 2] 1957 en IRAN
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
représenté par Maître Sami FILFILI, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. CA CONSUMER FINANCE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
représentée par Maître William MAXWELL de la SAS MAXWELL MAILLET BORDIEC, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Emmanuel BREARD, conseiller,, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE.
Selon offre préalable du 19 juillet 2017, M. [J] [Y] a accepté de la SA CA Consumer Finance une ouverture de crédit renouvelable d'un montant de 3 000 euros.
La société CA Consumer Finance, arguant du non respect de l'échéancier ayant entraîné la déchéance du terme, a présenté une requête en injonction de payer.
Par ordonnance du 20 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- prononcé une déchéance partielle du droit aux intérêts,
- a enjoint à M. [Y] de payer la somme de 3 365,03 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter du 13 août 2020, la somme de 10 euros au titre de la clause pénale réduite, ainsi que les frais et dépens.
L'ordonnance a été signifiée le 10 décembre 2020 à domicile avec dépôt de l'acte en l'étude de l'huissier de justice.
Le 18 décembre 2020, M. [Y] a formé opposition par déclaration au greffe.
Les parties ont été convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception à l'audience du 16 février 2021.
Par jugement réputé contradictoire du 06 avril 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré M. [Y] recevable en son opposition qui met à néant l'ordonnance n° 21/20/004087 du 20 novembre 2020,
- prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels depuis l'origine et dit que la créance de la société CA Consumer Finance portera intérêts à compter de la présentation de la mise en demeure au taux légal,
- condamné M. [Y] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 3 073,48 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 août 2020 et la somme de 30 euros au titre de l'indemnité réduite,
- débouté la société CA Consumer Finance en ses demandes autres ou plus amples,
- condamné M. [Y] aux dépens, qui comprennent les frais de la procédure d'injonction de payer,
- débouté la société CA Consumer Finance de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.
M. [Y] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 10 août 2021 en ce qu'il a :
- condamné M. [Y] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 3 073,48 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 août 2020 et la somme de 30 euros au titre de l'indemnité réduite,
- condamné M. [Y] aux dépens, qui comprennent les frais de la procédure d'injonction de payer.
Par conclusions déposées le 27 octobre 2021, M. [Y] demande à la cour de :
- juger l'appel partiel de M. [Y] recevable et bien fondé,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux le 6 avril 2021 en ce qu'il :
* condamne M. [Y] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 3 073,48 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 août 2020 et la somme de 30 euros au titre de l'indemnité réduite,
* condamne M. [Y] aux dépens, qui comprennent les frais de la procédure d'injonction de payer,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
- retenir l'octroi à M. [Y] d'un crédit disproportionné et le défaut de vérification de ses capacités financières,
- prononcer la nullité du contrat de crédit renouvelable souscrit auprès de la société CA Consumer Finance,
- rejeter l'ensemble des demandes formées à l'encontre de M. [Y],
A titre subsidiaire,
- retenir l'octroi à M. [Y] d'un crédit disproportionné et le défaut de vérification de ses capacités financières,
- prononcer l'engagement de la responsabilité de la société CA Consumer Finance et la condamner à verser à M. [Y] la somme de 3 000 à titre de dommages et intérêts,
A titre infiniment subsidiaire,
- prononcer la déchéance du droit de la société CA Consumer Finance aux intérêts contractuels et pénalités de retard échus,
En tout état de cause,
- déclarer que le montant du capital restant dû sera remboursé selon les modalités de l'échéancier initialement établi à compter du jour où la décision à intervenir sera passée en force de chose jugée,
- à défaut, accorder à M. [Y] le bénéfice des plus larges délais de paiement et du taux de l'intérêt légal.
Par conclusions déposées le 26 janvier 2022, la société CA Consumer Finance demande à la cour de :
- juger irrecevables les demandes de M. [Y] tendant à l'octroi de dommages et intérêts, de délais de paiement et au remboursement de sa dette selon «l'échéancier initial »,
- débouter M. [Y] de toutes autres demandes, fins et conclusions,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 avril 2021 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux (rg n°20/03077),
- condamner M. [Y] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [Y] aux dépens.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 13 mai 2024.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
I Sur les demandes de M. [Y] relative à l'octroi d'un crédit disproportionné et au constat du défaut de vérification de ses capacités financières.
L'appelant, au visa de l'article L.312-16 du code de la consommation, affirme qu'il appartient au prêteur de vérifier la solvabilité de l'emprunteur et estime qu'à défaut, celui-ci doit être condamné au vu de l'octroi d'un crédit disproportionné.
Il met en avant que le premier juge a retenu qu'aucune vérification n'a été opérée en la matière le concernant, notamment en l'absence de demande de pièce justificative par la société adverse.
Il sollicite à ce titre la nullité du contrat et, à titre subsidiaire, que l'établissement prêteur a commis une faute en manquant à son devoir de mise en garde, lequel a été avéré en ce qu'il n'a plus été en mesure de faire face au paiement de ses échéances. Au titre de cette responsabilité, il entend que son adversaire soit condamné à lui verser la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts.
A titre infiniment subsidiaire, il réclame le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts contractuelle au titre des mêmes arguments et que le jugement attaqué soit confirmé.
Si l'ensemble de ses demandes était rejeté, il demande, au regard de sa bonne foi et de la précarité de sa situation, à être autorisé à s'acquitter de sa dette selon les modalités de l'échéancier initialement établi en application de l'article 1244-1 du code civil.
La société intimée conteste tout devoir de mise en garde de sa part envers son client, sauf risque d'endettement excessif de la part de l'emprunteur. Elle précise qu'il appartient dans ce cadre à ce dernier de rapporter la preuve que lors de la souscription du crédit sa situation financière imposait l'accomplissement d'une mise en garde. Or, elle remarque que l'appelant ne justifie pas de l'inadéquation du prêt avec ses capacités financières, ni d'un endettement excessif qui aurait fondé un tel avertissement de la part de ses services.
Elle considère qu'il n'existe pas de manquement de sa part à ce titre, outre que la partie adverse confond le devoir de mise en garde avec l'obligation de vérifier la solvabilité de l'emprunteur prévue par l'article L.312-16 du code de la consommation.
Elle rappelle que si dans le premier cas, le manquement au devoir de mise en garde repose sur l'article 1231-1 du code civil et s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, l'obligation instituée par l'article L.312-16 du code de la consommation précité n'est sanctionnée que par la déchéance des intérêts, conformément à l'article L.341-2 du même code.
Si elle admet ne pas pouvoir produire les justificatifs de vérification de solvabilité de l'emprunteur, elle remet en cause tout fondement de fait et textuel aux demandes de nullité et de dommage et intérêts.
A propos de cette dernière, elle avance qu'elle constitue en outre une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
Sur la question des délais de paiement, outre qu'elle soutient que cette demande est également nouvelle au sens du même texte, elle insiste sur le fait qu'elle n'est pas soutenue dans le corps de son argumentaire conformément à l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile et que M. [Y] ne produit aucune pièce justifiant de sa situation actuelle, alors qu'il s'agit d'une exigence de l'article 1343-5 du code civil.
***
En vertu de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
En application de l'article 564 du même code, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
De même, l'article 567 du code de procédure civile mentionne que 'Les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel'.
L'article L.312-16 du code de la consommation prévoit que 'Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l'emprunteur à partir d'un nombre suffisant d'informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur. Le prêteur consulte le fichier prévu à l'article L.751-1, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné à l'article L751-6, sauf dans le cas d'une opération mentionnée au 1 de l'article L.511-6 ou 1 du I de l'article L.511-7 du code monétaire et financier.'
Il résulte de l'article L.341-2 du même code que le prêteur qui n'a pas respecté les obligations fixées aux articles L.312-14 et L.312-16 est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
L'article 1343-5 du code civil énonce que 'Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment.'
L'article 1353 du même code dispose 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.'
La cour constate en premier lieu que la demande de l'appelant en annulation du contrat de prêt en date du 19 juillet 2017 n'est fondée sur aucun texte, le défaut de production des éléments de solvabilité prévu à l'article L.312-16 du code de la consommation étant expressément sanctionné par l'article L.341-2 du même code par la déchéance des intérêts, non remise en cause lors du présent litige.
Il s'ensuit que la nullité ne saurait être prononcée à ce titre et que ce chef de demande sera donc rejeté.
Sur la question de la faute de l'intimée au titre de son devoir de mise en garde et d'information, il sera relevé tout d'abord que cette prétention constitue une demande reconventionnelle en lien avec la demande principale, donc recevable devant la cour en application de l'article 567 du code de procédure civile.
Il convient néanmoins de relever à ce propos que si l'absence de vérification de la situation financière de M. [Y] peut constituer un élément constitutif d'un manquement à un devoir de mise en garde de la part de la société CA Consumer Finance, celui-ci n'est pas suffisant, car il appartient à l'appelant de rapporter la preuve de ce que sa situation financière exigeait que lui soit délivré une telle information lors de la souscription de l'emprunt.
Or, l'emprunteur ne verse aucune pièce aux débats en ce sens.
C'est pourquoi ce chef de demande sera également rejeté.
S'agissant de la demande de délais de paiement, il apparaît que cette demande constitue un moyen de défense au sens de l'article 564 du code de procédure civile recevable en tout état de cause, en ce qu'elle permet de reporter l'exigibilité de la créance sollicitée. En outre, cette prétention étant reprise succintement dans le corps des conclusions de l'appelant, il ne saurait être rejeté en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile. Aussi, cette demande sera-t-elle déclarée recevable.
Toutefois, en ce qu'il n'est pas justifié de la situation patrimoniale de M. [Y] lors des débats, en dehors de son revenu fiscal de référence retenu au titre de l'aide juridictionnelle et en ce que l'intéressé a déjà bénéficié d'un délai de paiement de 3 ans pendant lequel il ne justifie pas du moindre versement, sa demande sera rejetée.
Par conséquent, la décision attaquée sera confirmée s'agissant des demandes relatives au prêt conclu entre les parties le 19 juillet 2017.
II Sur les demandes connexes.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Au vu de ce qui précède, l'équité n'exige pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la partie appelante.
La demande faite à ce titre sera donc rejetée.
Aux termes de l'article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, M. [Y] qui succombe au principal au présent appel, supportera la charge des dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS.
La cour,
DÉCLARE recevables les demandes de M. [Y] en dommages et intérêts pour défaut d'information et de mise en garde et en délais de paiement ;
CONFIRME la décision rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux le 6 avril 2021 ;
Y ajoutant,
REJETTE la demande faite au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [Y] aux entiers dépens de la présente instance,
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,