COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 28 AOUT 2024
PRUD'HOMMES
N° RG 21/05919 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MMMG
Monsieur [V] [R]
c/
Société Développement des Foyers de Province en son établissement secondaire [2]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 octobre 2021 (R.G. n°F 20/00155) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 29 octobre 2021,
APPELANT :
Monsieur [V] [R]
né le 06 Octobre 1971 à [Localité 3] de nationalité Française demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Alexandre LEMERCIER de la SELARL LEMERCIER AVOCAT, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
Société Développement des Foyers de Province en son établissement secondaire [2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]
N° SIRET : 439 517 889
représentée par Me Marie-laurence BRUS de la SELARL AGORAJURIS, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [V] [R], né en 1971, a été engagé en qualité de cuisinier par l'association des Foyers de Province [2], aux termes d'un contrat de travail emploi-solidarité à compter du 1er mars 1993, puis dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 juin 1993.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective unique du 18 avril 2002.
Par avenant du 24 mars 2010, le contrat de travail de M. [R] a été transféré à la SAS Développement des Foyers de Province et ce dernier a été promu aux fonctions de chef cuisinier.
Le 4 juin 2019, M. [R] a eu une altercation avec l'un de ses collègues, M. [K], à la suite de laquelle il s'est vu prescrire une interruption temporaire de travail de trois jours et a déposé une main courante.
Le 6 juin 2019, M. [R] a déposé plainte et adressé un courrier à son employeur afin de lui faire part de son souhait de quitter ses fonctions en l'absence de mesure prise à l'encontre de son collègue.
Par lettre datée du 17 juin 2019, M. [K] a été licencié pour faute grave.
M. [R] a été placé en arrêt de travail du 12 novembre 2019 au 20 janvier 2020.
Au cours de cette période, le salarié a été informé par lettres datées des 6 et 26 décembre 2019 du transfert de son contrat de travail à la société API Restauration et a formé une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail auprès de son employeur par lettre datée du 18 décembre 2019, qui lui a été refusée le 31 décembre suivant.
Le 21 janvier 2020, lors d'une visite de reprise de M. [R], le médecin du travail a établi une déclaration d'inaptitude définitive non-professionnelle en excluant la possibilité d'un reclassement.
Le salarié a ensuite été placé en arrêt de travail du 5 au 28 février 2020.
Le contrat de travail de M. [R] ayant été transféré à la société API Restauration à compter du 1er février 2020, cette dernière l'a licencié pour inaptitude par lettre datée du 2 avril 2020.
Le 9 novembre 2020, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux pour voir attraire à la procédure la SAS [2], établissement secondaire de la SAS Développement des Foyers de Province, afin de contester la légitimité de son licenciement et réclamer diverses indemnités, dont des dommages et intérêts pour rupture abusive et procédure irrégulière.
Par jugement rendu le 18 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le dernier employeur de M. [R] était la société AP,
- déclaré la mise en cause de la société des Foyers de Province mal fondée,
- débouté en conséquence M. [R] de l'ensemble de ses prétentions,
- l'a condamné aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 29 octobre 2021, M. [R] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 juillet 2022, M. [R] demande à la cour de :
- réformer le jugement du 18 octobre 2021,
Statuant à nouveau,
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Périgueux du 18 octobre 2021 en ce qu'il a :
* dit que son dernier employeur était la société AP,
* déclaré la mise en cause de la société des Foyers de Province mal fondée,
* l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions,
* l'a condamné aux dépens de l'instance,
- fixer son salaire de référence à 1.737,93 euros bruts,
- requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner en conséquence la société [2] à lui payer les sommes suivantes :
*67.779,27 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail correspondant à 1,5 mois de salaire par année d'ancienneté,
* 1.737,93 euros à titre d'indemnité pour procédure irrégulière, soit un mois de salaire,
* 10.218,96 euros au titre du rappel sur indemnité spéciale de licenciement,
* 3.475,86 euros représentant l'indemnité compensatrice de préavis,
* 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- juger que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et capitalisation,
- condamner la société [2] aux dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 avril 2022, la société Développement des Foyers de Province en son établissement secondaire [2], demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'elle a dit M. [R] mal fondé dans ses demandes et l'a renvoyé à mieux se pourvoir,
A titre subsidiaire,
- dire qu'elle a parfaitement rempli son obligation de reclassement à l'égard de M. [R],
- dire qu'elle a parfaitement rempli son obligation de sécurité et santé à l'égard de M. [R],
- dire en conséquence que le licenciement pour inaptitude de M. [R] est fondé,
En tout état de cause,
- rejeter en conséquence comme non fondée la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et toutes demandes afférentes (indemnité de préavis et congés payés afférents),
- rejeter comme non fondée toute autre demande de M. [R],
- le condamner à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de la procédure.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 25 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action de M. [R]
Sollicitant l'infirmation de la décision entreprise qui a déclaré mal fondée la mise en cause de la SAS des Foyers de Province, son ancien employeur, M. [R] affirme sur le fondement des dispositions de l'article L.1224-2 du code du travail qu'il est recevable à intenter une action contre l'employeur cédant pour obtenir le paiement de créances nées avant le transfert. Il considère que la créance de dommages et intérêts consécutive au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est née le jour de son accident du travail, soit le 5 juin 2019, avant le transfert de son contrat de travail à la société API Restauration. Selon lui, l'origine professionnelle de son inaptitude et la créance née de la responsabilité de son ancien employeur, sont antérieures au changement d'employeur. Il conclut que s'il n'avait pas contesté la demande d'irrecevabilité formée par la société en première instance, il était recevable à le faire en cause d'appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile relatif aux demandes nouvelles.
En réplique, la société Développement des Foyers de Province estime qu'en vertu de ce même article L.1224-2 du code du travail, le nouvel employeur, est tenu, à l'égard des salariés transférés, des obligations qui incombaient à l'employeur cédant dès lors que le changement d'employeur emporte transfert d'une entité économique autonome ce qui serait le cas en l'espèce. Elle ajoute que la contestation du salarié porte sur son licenciement intervenu après le transfert de son contrat de sorte que la créance en résultant est née postérieurement audit transfert. Elle soutient que la contestation de l'irrecevabilité de son action par M. [R] constitue une demande nouvelle, irrecevable.
- Sur la demande nouvelle
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait nouveau.
Or en contestant l'irrecevabilité de son action ainsi retenue par les premiers juges, l'appelant a nécessairement souhaité faire écarter les prétentions de la société tendant à déclarer irrecevable l'action qu'il avait diligentée contre elle.
Cette demande est donc recevable.
- Sur l'action dirigée à l'encontre de la SAS [2] (La société Développement des Foyers de Province)
Selon l'article L.1224-2 du code du travail, en cas de transfert d'entreprise dans les conditions de l'article L.1224-1 du même code, le nouvel employeur est tenu de toutes les obligations qui incombaient à l'ancien employeur à l'égard du salarié dont le contrat de travail subsiste, sauf si la cession est intervenue dans le cadre d'une procédure collective ou si la substitution d'employeur est intervenue sans qu'il y ait de convention.
Il en résulte qu'en présence d'une convention intervenue entre l'ancien et le nouvel employeur, ce dernier est tenu aux dettes salariales nées avant le transfert du contrat et aux dettes de dommages et intérêts indemnisant une faute de l'ancien employeur pour la période antérieure au transfert, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, à charge pour l'ancien employeur de rembourser les sommes acquittées par le nouveau.
Sauf collusion frauduleuse entre employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert.
Le salarié n'invoque ni ne justifie d'une collusion entre les deux sociétés qui se sont succédé.
La société Développement des Foyers de Province invoque le transfert de toutes les obligations au nouvel employeur tandis que le salarié se prévaut de la nature indemnitaire de la créance liée au manquement du précédent employeur.
A l'analyse des éléments du dossier, la cour constate que l'activité de restauration de l'EHPAD [2] a fait l'objet, le 1er février 2020, d'une externalisation au profit de la société API Restauration, un prestataire de restauration, entité économique autonome, ce qui n'est pas contesté par M.[R]. Cette cession a été opérée en dehors des deux exceptions prévues aux 1° et 2° de l'article L.1224-2 du code du travail, dès lors qu'elle est intervenue en dehors de toute procédure collective et dans le cadre d'une convention entre les sociétés, ce qui n'est pas non plus contesté.
Il s'ensuit que la société Développement des Foyers de Province n'est pas tenue à la dette de dommages et intérêts au titre d'un licenciement pour inaptitude, prononcé après le transfert du contrat de M. [R], dont l'origine serait liée au manquement de l'employeur au cours de la période antérieure au transfert.
Cette solution n'est pas contraire aux arrêts rendus par la Cour de cassation les 3 avril 1991 et 10 mars 2010 cités par le salarié, en ce que le premier concerne deux salariés d'une société faisant l'objet d'une procédure collective tandis que le second, concerne une substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre eux.
Par voie de conséquence, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a mis hors de cause la société Développement des Foyers de Province et a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes à son encontre sans qu'il soit besoin de les examiner.
Sur les autres demandes
M. [R], partie perdante en son recours et à l'instance, sera condamné aux dépens.
En revanche l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Développement des Foyers de Province tirée de l'irrecevabilité de la contestation par M. [R] de l'irrecevabilité de son action,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [R] aux dépens de la procédure d'appel.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard