COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 28 AOUT 2024
PRUD'HOMMES
N° RG 21/04662 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIYP
Monsieur [P] [I]
c/
S.A.R.L. FESTOOL FRANCE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 juillet 2021 (R.G. n°F 19/00750) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 10 août 2021,
APPELANT :
Monsieur [P] [I]
né le 09 Juin 1972 à [Localité 3],de nationalité Française Profession : Technicien(ne), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Lauriane BAL DIT SOLLIER avocat au barreau de BORDEAUX, substituant Me Hugues BERRY, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE.
INTIMÉE :
SARL Festool France, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 1]
N° SIRET : 429 827 967
représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Cécile DIDOLOT, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2024 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame ROUAUD-FOLLIARD Catherine, présidente chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud
Greffier lors du prononcé : A-Marie Lacour-Rivière
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
- prononcé prorogé au 28 août 2024 en raison de la charge de travail de la Cour.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [P] [I] a été engagé en qualité de démonstrateur par la SARL Festool France, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 janvier 2002. Il était affecté au secteur géographique Sud-Ouest.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie de la région Île-de-France.
Par avenant du 22 mars 2013, M. [I] a été soumis à une convention de forfait de 218 jours et sa rémunération variable a été augmentée.
M. [I] a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises au cours de la relation de travail :
- du 18 décembre 2017 prolongé jusqu'au 12 mars 2018,
- du 12 au 16 septembre 2018,
- du 8 octobre 2018 prolongé jusqu'au 18 janvier 2019.
Par courrier du 14 septembre 2018, M. [I] a fait une demande de formation professionnelle dans le cadre d'un congé individuel de formation du 21 janvier au 8 novembre 2019, que la société Festool France a refusé au motif de conséquences préjudiciables pour l'entreprise.
Par lettre datée du 21 décembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 9 janvier 2019.
Il a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse (absences répétées et prolongées pour maladie désorganisant la société) par lettre datée du 16 janvier 2019 levant la clause de non-concurrence.
A la date du licenciement, le salarié avait une ancienneté de 17 ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.
M. [I] a contesté son licenciement avant de saisir le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 28 mai 2019, contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, méconnaissance de l'obligation de formation professionnelle ainsi qu'au titre de la nullité de la clause de non-concurrence et de celle de la convention de forfait.
Par jugement en date du 9 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a :
- jugé que le licenciement de M. [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Festool France à verser à M. [I] 20.000 euros de dommages et intérêts pour la nullité de la convention de forfait,
- condamné la société Festool France à adresser à M. [I] une attestation Pôle Emploi rectifiée,
- débouté M. [I] de ses autres demandes,
- débouté la société Festool France de sa demande reconventionnelle.
- condamné la société Festool France à verser à M. [I] 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Festool France aux dépens et éventuels frais d'exécution.
Par déclaration du 10 août 2021, M. [I] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée aux parties par le greffe le 15 juillet 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 5 novembre 2021, M. [I] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes :
* de prononcé de la nullité de son licenciement, et à titre subsidiaire de le juger sans cause réelle ni sérieuse, et de condamner la société Festool France à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse,
* de dommages et intérêts pour méconnaissance par la société Festool France de ses obligations en matière de santé et de sécurité et de formation professionnelle,
* de prononcé de la nullité de la clause de non-concurrence,
* de dommages et intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence et d'indemnité de non-concurrence,
* d'assortir l'obligation de délivrance d'une attestation France Travail rectifié d'une astreinte,
Statuant à nouveau,
- prononcer la nullité du licenciement et à titre subsidiaire le juger sans clause réelle ni sérieuse,
- condamner la société Festool France à lui verser les sommes suivantes :
* 77.116 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse,
* 19.278 euros à titre de dommage et intérêts pour méconnaissance de l'obligation de sécurité de résultat,
* 19.278 euros à titre de dommages et intérêts pour méconnaissance de l'obligation de formation professionnelle,
- prononcer la nullité de la clause de non-concurrence,
- condamner la société Festool France à lui verser les sommes suivantes :
* 69.404 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de la clause de non -concurrence,
* 23.134 euros à titre d'indemnité de non concurrence et de 2.313,40 euros à titre de congés payés afférents,
- ordonner à la société Festool France de lui remettre un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi rectifiés sous astreinte de 10 euros par jour et par document, à compter du 8ème jour suivant celui de la notification de la décision à intervenir,
- la condamner à lui verser la somme de 3.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance d'appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 7 février 2022, la société Festool France demande à la cour de :
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a :
* jugé que le licenciement de M. [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,
* débouté en conséquence M. [I] de l'ensemble de ses demandes,
- l'infirmer en ce qu'il l'a :
* condamnée à verser à M. [I] 20.000 euros de dommages et intérêts pour la nullité de la convention de forfait,
* déboutée de sa demande reconventionnelle,
* condamnée à verser à M. [I] 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamnée aux dépens et éventuels frais d'exécution,
Par conséquent,
- dire que la clause de forfait de M. [I] était parfaitement valide,
- le débouter de sa demande d'indemnisation au titre de la nullité de sa convention de forfait, et à titre subsidiaire en revoir le quantum,
- le débouter de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
- condamner M. [I] au versement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le licenciement
La lettre de licenciement, datée du 16 janvier 2019 est ainsi rédigée :
'Votre état de santé a nécessité que vous soyez arrêté. Ainsi, depuis décembre 2017, vous avez été absent pour maladie à différentes reprises, pour des périodes allant jusqu'à près de 3 mois consécutifs. Votre absence a ainsi mis notre entreprise en difficulté.
Nous avons pleinement conscience du fait que vous ne pouviez prévoir que votre état de santé ne vous permettrait plus d'exercer vos fonctions pendant une aussi longue période, pas plus que vous ne pouviez anticiper la date à laquelle vous seriez à nouveau apte à occuper votre poste, et nous n'entendons, bien évidemment, pas vous le reprocher.
Néanmoins, il est incontestable que votre absence prolongée s'est avérée très problématique pour notre Société. Il est apparu, de surcroît, que vous n'aviez pas, durant vos périodes d'activité, respecté vos obligations s'agissant notamment du reporting et de la planification d'activité. Cela n'a pas permis d'assurer en votre absence un suivi efficient du secteur dont vous aviez la charge.
Ce secteur est demeuré vacant durant vos absences. Il est dorénavant urgent que des opérations soient menées afin que l'activité de la Société sur ce secteur puisse reprendre. A défaut de gestion à court terme du secteur qui était le vôtre, la clientèle serait perdue et il serait très difficile de relancer l'activité, d'autant plus qu'aucune action de prospection n'a été menée depuis plusieurs mois. Nous sommes contraints de constater que le chiffre d'affaires a pâti de vos absences.
Le début d'année est une période charnière et il est crucial que nous engagions rapidement des actions afin de relancer l'activité sur la région Sud-Ouest. Il est aujourd'hui impératif de pallier la désorganisation de notre Société due à vos absences répétées et prolongées. Le poste de démonstrateur sur la région Sud-Ouest doit pouvoir être occupé par une personne engagée à durée indéterminée.
Ces éléments attestent de la désorganisation de la Société du fait de vos absences répétées et prolongées et de la nécessité de pourvoir à votre remplacement définitif, nous sommes, par conséquent, contraints de vous notifier votre licenciement pour motif personnel. »
M. [I] fait valoir qu'à peine de nullité, la rupture du contrat de travail d'un salarié placé en arrêt de travail doit être fondée sur une faute grave ou sur l'impossibilité pour l' employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou la maladie. Le licenciement d'un salarié malade est discriminatoire et frappé de nullité.
Il ajoute qu'aucune diligence n'a été entreprise par l' employeur pour pourvoir à son remplacement à la suite de son licenciement et qu'aucune visite de reprise n'a été organisée.
La société répond que :
- M. [I] a été absent pour arrêt de travail pendant une durée de plus de six mois au cours de l'année 2018;
- aucune action commerciale d'envergure n'a été mise en oeuvre sur son secteur , le nombre de visites de la clientèle a chuté de 48%, et le nombre de journées portes ouvertes a été réduit de 19 à 4;
- son activité est soumise à une forte concurrence et elle ne pouvait prévoir une date de retour de M. [I] ;
- le remplacement définitif de M. [I] était nécessaire en raison de la forte augmentation de la charge de travail de ses collègues qui sont intervenus sur son secteur,
- immédiatement après le licenciement de M. [I], un processus interne de recrutement a été initié selon la procédure mise en place par la direction du groupe ; un salarié a été embauché la même année.
Aux termes de l' article L.1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l' employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d' une faute grave du salarié soit, de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la maladie ou l'accident.
Dans ce dernier cas, l' employeur doit établir la réalité de la perturbation engendrée par l'absence ou les absences répétées du salarié et la nécessité de son remplacement définitif.
M. [I] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 18 décembre 2017 au 12 mars 2018, du 12 septembre 2018 au 16 septembre 2018, du 8 octobre 2018 au 18 janvier 2019.
Au soutien de l'existence d'une perturbation dans le fonctionnement de
l' entreprise, la société verse sous cote 5, un tableau du nombre des visites de clients et de participation à des journées portes ouvertes. M. [I] a réalisé 337 visites en 2017 et 178 en 2018. Il a participé à 19 journées portes ouvertes en 2017 et à 4 en 2018.
Ces chiffres ne sont pas contestés par M. [I].
Cependant, la société ne produit pas de pièce corroborant l'affirmation contenue dans la lettre de licenciement que le suivi efficient du secteur de M. [I] aurait été empêché par l'absence de reporting et de planning de la part de ce dernier pendant sa période d'activité. Aucun message ou rappel à l'ordre n'est versé en ce sens.
Ensuite, le motif énoncé dans la lettre de licenciement est qu'à défaut de gestion à cour terme, la clientèle serait perdue et que le chiffre d'affaires a pati de l'absence de M. [I], n'est conforté par aucune pièce. Il n'est ainsi pas produit de message d'impatience de clients ou de résultat comptable de l'année 2018.
Le nombre-trente-de sociétés concurrentes (pièce 6) est dans ce cas, inopérante.
L'indication devant la cour par la société que le licenciement est intervenu à un moment charnière pour son activité soit à la fin de l'année 2018, au cours de laquelle des objectifs commerciaux et financiers devaient être fixés pour l'annnée à venir est inopérante en l'absence de toute précision, la pétition de principe étant insuffisante.
Par ailleurs, la société fait valoir que le remplacement de M. [I] était nécessaire en raison de la surcharge de travail supportée par les autres salariés de la société. M. [Z], commercial affecté sur le secteur bordelais, a dû effectuer, à lui seul , en plus de son travail, 71 visites de clients sur le secteur de M. [I] en 2018 et M. [V] a assuré pour sa part, 33 visites sur la même année. Cependant, l' employeur ne verse pas de document établissant le nombre de salariés de l'entreprise susceptibles de réaliser les démonstrations ou journées portes ouvertes que devait réaliser le salarié sur son secteur; la cour note à ce sujet que le nombre de salariés de l' entreprise a été annoncé pour environ 70 salariés.
La pièce 7 de la société est rédigée en langue anglaise de sorte qu'elle ne peut établir que l' employeur a initié un processus interne de recrutement.
L' employeur fait valoir qu'au regard des spécificités de l'organisation et de la structuration du groupe auquel la société appartient, tout recrutement de collaborateur dont le profil présente certaines particularités, est soumis à une procédure stricte faisant intervenir plusieurs interlocuteurs et impliquant la validation de plusieurs décisionnaires appartenant à la direction du groupe et que les candidatures externes font l'objet d'une sélection rigoureuse au regard du profil et des compétences recherchées. Ce processus de recrutement impliquerait ainsi le respect d'un certain délai avant qu'une décision soit ne finalement entérinée. Elle fait valoir qu'elle s'est activement engagée dans la recherche de candidats dès que la décision de recruter a été prise. Enfin, au vu du profil particulier du poste, elle aurait mandaté un cabinet de recrutement et une embauche est intervenue la même année.
La cour constate cependant que le remplacement d'un salarié malade doit être réalisé dans un délai raisonnable après le licenciement, qu'il revient à l' employeur d'organiser un recrutement dans ce délai après le licenciement sans décider d' un processus de recrutement qui ne le permette pas. La spécificité du profil d'un démonstrateur n'est pas établie. Le recours à un cabinet de recrutement n'a été réalisé que selon contrat daté du 11 juillet 2019 soit plus de six mois après le licenciement et un recrutement est intervenu le 30 septembre 2019 pour des fonctions de promoteur des ventes et non de démonstrateur.
Dans ces conditions, le licenciement de M. [I] n'est pas justifié au regard des dispositions de l' article sus visé.
Aux termes de l' article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être licenciée en raison de son état de santé. Le licenciement intervenu en méconnaissance de ces dispositons est nul.
Aux termes de l' article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Au vu de ces éléments, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
M. [I] a été licencié alors qu'il était en arrêt de travail sans qu'aucune des conditions posées pour légitimer une telle rupture ne soit justifiée. Ces éléments laissent supposer une discrimination en raison de l'état de santé.
La société ne prouve pas que sa décision de licencier M. [I] était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le licenciement de M. [I] est nul et le préjudice subi par ce dernier doit être indemnisé à hauteur minimale de six mois de salaire. M. [I] a effectué une formation de technicien en électricité et domotique et des missions d'intérim. La dernière attestation de France Travail porte sur la période du 3 au 17 mars 2021 et il a été engagé par la société Concept 'Elec à compter du 1er janvier 2023.
Considération prise de ces éléments, de l'ancienneté et de la rémunération de M. [I], la société sera condamnée à verser à ce dernier des dommages et intérêts d'un montant de 32 131 euros.
L'obligation de sécurité
M. [I] demande le paiement de dommages et intérêts d'un montant de 19 278,90 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Ses problèmes de santé seraient consécutifs à l'aggravation de ses conditions de travail.
M. [I] reproche à la société de n'avoir pas organisé de visite de reprise.
La société réfute tout manquement et considére que les pièces médicales sont inopérantes.
L'employeur doit protéger la santé physique et mentale du salarié.
La société a respecté les dispositions de l' article R.4624-31 du code du travail , M. [I] ayant été vu par le médecin du travail à l'issue de son arrêt de travail du 18 décembre 2017 au 12 mars 2018.
M. [I] produit un certificat établi par un médecin traitant selon lequel il a été placé en arrêt de travail pour burn out, la lettre du médecin du travail au médecin traitant aux termes de laquelle M. [I] rencontre des difficultés dans la sphère personnelle et professionnelle, une prescription médicale, et son dossier ouvert auprès de la médecine du travail. Cette pièce mentionne des difficultés liées à une surcharge de travail et à des difficultés affectives en lien avec des conflits avec son ex conjointe et une enquête en vue de la garde des enfants.
Ces pièces n'établissent pas que l'employeur aurait manqué à son obligation de sécurité, aucune d'elles ne corroborant le lien entre l'altération de l'état de santé de M. [I] et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
M. [I] sera débouté de cette demande.
La convention de forfait
M. [I] fait valoir que l'article 2.§2 de son contrat de travail prévoyait une rémunération forfaitaire incluant toutes les heures supplémentaires et que seul l'avenant du 22 mars 2013 précise que le forfait correspond à 218 jours.
La société répond que la seule fixation d'une rémunération forfaitaire ne caractérise pas une convention de forfait et que celle ajoutée par l'avenant conclu en 2013 est régulière.
La cour constate que le dispositif des conclusions de M. [I] ne mentionne pas de demande de condamnation de la société au titre de la rémunération forfaitaire ou de la convention de forfait, de sorte que les développements y afférents sont sans objet.
L'obligation de formation professionnelle
M. [I] reproche à la société d'avoir méconnu l'obligation mentionnée à l'article L.6321-1 du code du travail : il n'a bénéficié d'aucune formation et l'employeur a refusé sa demande de bénéficier d'une formation dans le cadre d'un congé individuel de formation du 21 janvier 2019 au 8 novembre 2019, motif pris de conséquences préjudiciables à l'entreprise ou d'un nouveau contrat de partenariat, alors qu'elle le licenciera quelques semaines plus tard.
La société oppose que M. [I] a suivi des formations au cours de l'exécution de son contrat de travail et qu'elle n'a pas refusé la demande de M. [I] de bénéficier d'un congé individuel de formation, souhaitant seulement la différer.
Aux termes de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment, de l'évoluation des emplois, des technologies et des organisations.
M. [I] a été embauché en 2002. La société verse :
- une convocation à un stage de formation professionnelle d'une journée relatif à la circulation routière, du 23 juillet 2018,
- une feuille de présence à une formation de trois jours intitulée 'international sales training initiative' délivrée en février 2018 qui aurait porté sur la gestion des rendez- vous, la relation client et la gestion des situations difficiles;
- le compte-rendu de l'entretien d'évaluation du 17 mai 2016 dont la lecture n'apporte aucune précision utile.
Pendant la période d'exécution de son contrat de travail, soit de 2002 à 2018, M. [I] n'a bénéfié que d'une formation relative à ses fonctions de démonstrateur et la société qui excipe notamment du profil particulier de M. [I], n'a pas respecté l'obligation de formation sus visée.
Ensuite et par lettre en date du 14 septembre 2018, M. [I] a sollicité une autorisation d'absence pour suivre une formation de technicien en électricité et domotique du 21 janvier au 8 novembre 2018 dans le cadre du congé individuel de formation. Par lettre du 12 octobre 2018, l'employeur a opposé qu'aprés consultation de la délégation unique du personnel, il est apparu que cette absence aurait des conséquences préjudiciables à la marche de l'entreprise. M. [I] pouvait éventuellement soumettre cette demande neuf mois plus tard.
La société ne produit ni le compte-rendu de la réunion des représentants du personnel ni d'élément corroborant les conséquences préjudiciables. Son refus n'est pas fondé.
La carence de la société dans le respect de son obligation de formation a causé à M. [I] un préjudice en le privant de l'actualisation de ses compétences et de l'acquisition de connaissances maintenant son employabilté. M. [I] a dû attendre d'avoir été licencié pour suivre la formation aux fonctions d'électricien. Considération prise de son ancienneté et du refus injustifié de l' employeur, ce dernier sera condamné à payer à M. [I] la somme de 1 800 euros à titre de dommages et intérêts.
La clause de non concurrence
M. [I] fait valoir que cette clause est nulle parce que non limité dans l'espace et ne tenant pas compte des spécificités de l'emploi ; qu'il n' a pas pu rechercher une activité interdite d'autant que l' employeur a manqué à son obligation de formation en lui refusant de suivre une formation d'électricien.
M. [I] estime en premier lieu avoir subi un préjudice lors de l'exécution de son contrat de travail.
La société répond que cette clause est valable : l'interdiction est prévue sur le territoire national pour une durée d'un an et la contrepartie financière représente 6/10eme de la rémunération; M. [I] avait acquis un savoir - faire spécifique et connaissait bien la clientèle et il pouvait rechercher un emploi dans tout autre secteur que la commercialisation du matériel d'outillage électroportatif.
L'employeur ajoute qu'une clause de non concurrence s'applique aprés la rupture du contrat de travail, que l'obligation de loyauté due dans le cadre du contrat de travail interdit au salarié de réaliser une activité concurrente et qu'aucun préjudice n'est démontré.
La clause de non concurrence contractuelle est ainsi rédigée : 'compte - tenu de la nature de ses fonctions, le salarié s'interdit, en cas de cessation du présent contrat, qu'els qu'en soient la cause et l'auteur, d'entrer au service d'une société fabriquant ou vendant des articles pouvant concurrencer ceux de la société, comme s'intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à une entreprise du même ordre. Cette interdiction de concurrence ou de réemploi est limitée à une période d'une année, commençant le jour de la cessation effective du contrat et couvre tout le territoire de la France métropolitaine. Cette clause devra être notifiée par le salarié à son employeur futur éventuel.
En contrepartie de cette clause de non concurrence, ladite société devra payer l'indemnité prévue par la convention collective nationale.
Toutefois (la société) aura la possibilité de dispenser le collaborateur de la clause de non concurrence à condition de l'avoir fait avant l'expiration du délai de huit jours suivant la notification de la rupture et ce par écrit.'
L' entreprise doit s'interroger, salarié par salarié ou fonction par fonction, sur son intérêt et l'importance du risque économique et commercial encouru en cas de d'exercice d'une activité concurrente par le collaborateur concerné.
La référence au territoire métropolitain français apparait légitime puisqu'il est établi que l'activité de la société s'étendait sur tout ce territoire. La durée d'une année n'apparait pas disproportionnée.
Cependant, les fonctions de démonstrateur occupées par M. [I] ne relevaient pas de compétences techniques spécifiques, et la référence à 'une société fabricant ou vendant des articles pouvant concurrencer ceux de la société, comme s'intéresser directement ou indirectement et sous quelque forme que ce soit à une entreprise du même ordre' est trop générale pour informer le salarié des limites de l'interdiction. Cette clause n'était pas valable.
Si le salarié est tenu à une obligation de loyauté pendant le contrat de travail , lui interdisant de travailler pour une entreprise concurrente, il doit avoir la possibilité de rechercher un autre emploi qu'il jugera plus intéressant, pendant la période contractuelle. L'imprécision des termes de la clause ne permettait pas à M. [I] d'orienter ses recherches et en l'absence de formation suffisante, la liberté de travail de ce dernier n'a pas été respectée alors qu'il avait le désir de suivre une formation en électricité.
M. [I] a subi un préjudice qui sera réparé par le paiement de dommages et intérêts d'un montant de 1 800 euros.
Par ailleurs, M. [I] fait valoir qu'il a été dispensé de l' obligation de non concurrence lors de la notification de son licenciement alors que le contrat de travail prévoit que cette libération ne peut intervenir que dans le délai de huit jours suivant la notification du licenciement. Il ajoute qu'en raison de la nullité du licenciement, l'employeur ne peut se prévaloir d'une libération à la date de celui-ci. Se référant à une indemnité de non concurrence mensuelle égale à 60% de sa rémunération, il sollicite le paiement d'une somme de 23 133, 66 euros représentant 6/10eme de sa rémunération, majorée des congés payés afférents.
La société répond que la notification de la renonciation de l'employeur à l'exécution de la clause de non concurrence doit intervenir au plus tard au jour de la notification du licenciement, quels que soient les termes du contrat de travail, qu'elle avait dispensé M. [I] de l'exécution de son préavis.
La levée de la clause de non concurrence doit intervenir au plus tard à la date de départ effectif du salarié de l'entreprise nonobstant stipulations ou dispositions contraires. Si le salarié est dispensé de l'exécution de son préavis, l'employeur qui entend renoncer à la clause de non concurrence ne peut le faire au plus tard qu'à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise.
La société a valablement renoncé à la mise en oeuvre de la clause de non concurrence dans la lettre de licenciement, peu important la nullité de cette clause et du licenciement lui même.
Ainsi libéré, M. [I] ne peut solliciter le paiement d'une contrepartie financière ou de dommages et intérêts.
M. [I] sera débouté de ce chef.
La délivrance d'une attestation de France Travail
M. [I] fait valoir que la société a délivré une attestation France Travail comportant des mentions erronées relatives aux primes à périodicité différentes du salaire du cadre 6.2 et au montant de l'indemnité compensatrice de préavis du cadre 6.3 et que la société ne lui a pas remis d'attestation rectifiée.
Il demande à la cour d'ordonner la remise d'un bulletin de paye et d'une attestation France Travail rectifiés sous astreinte de 10 euros par jour et par document à compter du 8ème jour de la notification de la décision de la cour.
La cour ne lit pas de réponse de la société.
L'attestation France Travail mentionne -au cadre 6.2- le montant de primes. Aucune précision n'est apportée par le salarié établissant l'erreur commise par la société. M. [I] sera débouté de ce premier chef.
L'attestation France Travail ne mentionne pas l'indemnité compensatrice de préavis figurant sur le bulletin de paye du mois de mars 2019 pour un montant non contesté de 3 213,15 euros. La société sera condamnée à délivrer M. [I] une attestation France Travail mentionnant le montant de cette indemnité dans le cadre 6.3 du document dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, passé ce délai, sous astreinte journalière de 10 euros. La délivrance d'un bulletin de paye rectifié n'est pas utile en l'absence de condamnation à des sommes valant salaire.
En vertu des dispositons de l' article L.1235-4 du code du travail, la société devra rembourser à France Travail de Nouvelle Aquitaine les indemnités de chômage perçues par M. [I] depuis son licenciement dans la limite de six mois.
Vu l'équité, la société sera condamnée à payer à M. [I] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel.
Partie perdante, la société supportera les dépens des procédures de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
la cour,
Constate l'absence de demande en paiement de somme au titre de la rémunération forfaitaire et de la convention de forfait,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes au titre de manquement à l' obligation de sécurité et en paiement d'une indemnité de non concurrence,
statuant à nouveau des autres chefs,
Dit que le licenciement de M. [I] est nul,
Condamne la société Festool France à payer à M. [I] la somme de
32 131 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant,
Condamne la société Festool France à payer à M. [I] la somme de 1 800 euros pour manquement à l' obligation de formation,
Dit que la clause de non concurrence contractuelle est nulle,
Condamne la société Festool France à payer à M. [I] la somme de 1 800 euros au titre de la nullité de la clause de non concurrence,
Ordonne à la société de délivrer à M. [I] une attestation France Travail mentionnant le montant de l' indemnité compensatrice de préavis dans le cadre 6.3 du document dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, passé ce délai, sous astreinte journalière de 10 euros.
Y ajoutant,
Dit que la société devra rembourser à France Travail de Nouvelle Aquitaine les indemnités de chômage perçues par M. [I] depuis son licenciement dans la limite de six mois.
Condamne la société Festool France à payer à M. [I] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel;
Condamne la société Festool France aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.
Dit que l'arrêt sera notifié à France Travail de Nouvelle Aquitaine.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard