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01/08/2024 | FRANCE | N°22/04621

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 01 août 2024, 22/04621


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 1er août 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 22/04621 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M5PW













S.A.S. [I] WEST AUTOMOBILES



c/

Madame [Z] [Y]





















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée aux avocats

le :

à :

Me Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Myriam SEBBAN de la SELARL MYRIAM SEBBAN AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 septembre 2022 (R.G. n°F 16/02787) par le Conseil de Prud'hommes - For...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 1er août 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 22/04621 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M5PW

S.A.S. [I] WEST AUTOMOBILES

c/

Madame [Z] [Y]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Myriam SEBBAN de la SELARL MYRIAM SEBBAN AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 septembre 2022 (R.G. n°F 16/02787) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section commerce, suivant déclarations d'appel des 10 et 19 octobre 2022,

JONCTION avec le RG 22/04786

APPELANTE :

S.A.S. [I] WEST AUTOMOBILES agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social,

[Adresse 2]

Représentée par Me Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée de Me VERGNET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[Z] [Y]

née le 07 Mai 1986

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Myriam SEBBAN, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2024 en audience publique, devant Madame Valérie Collet, conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

FAITS ET PROCÉDURE

Selon un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 2 mai 2014, la SARL [I] West Automobiles a engagé Mme [Z] [Y] en qualité de secrétaire commerciale.

Le 4 mars 2016, la société [I] West Automobiles a notifié à Mme [Y] un avertissement pour des erreurs répétées, un non-respect des consignes et procédures mises en place dans l'entreprise, outre une 'rébellion montante'.

Le 13 juin 2016, Mme [Y] a présenté à la société [I] West Automobiles une demande de paiement de frais kilométriques d'un montant de 691,37 euros.

Par courrier du 1er août 2016, la SAS (anciennement SARL) [I] West Automobiles a convoqué Mme [Y] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 8 août 2016.

Le 12 août 2016, Mme [Y] a été licenciée pour faute grave.

Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 16 décembre 2016 aux fins de contester son licenciement et de faire condamner son employeur à lui verser diverses sommes.

Le conseil de prud'hommes, par jugement du 23 septembre 2022, a :

- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamné la société [I] West Automobiles à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

*3 606,80 euros pour le paiement du préavis outre 360,60 euros pour les congés payés afférents,

* 721,36 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

*3 606,80 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*64,44 au titre de rappel de salaires,

*800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [Y] de ses autres demandes,

- condamné la société [I] West Automobiles aux dépens et éventuels frais d'exécution.

Le 10 octobre 2022, la société [I] West Automobiles a interjeté appel du jugement, par voie électronique en toutes ses dispositions sauf celle ayant débouté Mme [Y] de ses autres demandes. Cette déclaration d'appel a été enregistrée sous le numéro RG 22/04621.

Le 19 octobre 2022, Mme [Y] a interjeté appel du jugement, par voie électronique, en toutes ses dispositions. Cette déclaration d'appel a été enregistrée sous le numéro RG 22/04786.

Le conseil de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires, par mention au dossier, le 22 janvier 2024, sous le seul numéro RG 22/04621.

La clôture de la mise en état est intervenue le 2 avril 2024 par ordonnance du même jour, l'affaire étant fixée à l'audience du 2 mai 2024 pour être plaidée. A cette date, la révocation de l'ordonnance de clôture a été ordonnée, à la demande et en accord avec les parties, la nouvelle clôture étant fixée au 2 mai 2024, avant l'ouverture des débats.

PRÉTENTIONS

Par conclusions notifiées le 17 avril 2024, par voie électronique, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société [I] West Automobiles demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- dire que le licenciement de Mme [Y] pour faute grave est fondé,

- débouter Mme [Y] de ses demandes,

- condamner Mme [Y] à lui payer une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner Mme [Y] aux dépens, et à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 24 avril 2024, par voie électronique,auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [Y] demande à la cour de :

- débouter la société [I] West Automobiles de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société [I] West Automobiles à lui payer les sommes suivantes :

*3 606,80 euros pour le paiement du préavis outre 360,60 euros pour les congés payés afférents,

* 721,36 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

*3 606,80 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*64,44 au titre de rappel de salaires,

*800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société [I] West Automobiles à lui payer les sommes suivantes :

* 21 640,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 64,44 euros au titre du rappel de salaires,

* 5.000 euros pour la rupture vexatoire de son contrat de travail,

* 2.000 euros au titre des frais de procédure,

- ordonner à la société [I] West Automobiles de communiquer les livres de police sur l'immatriculation des véhicules étrangers,

- ordonner la délivrance des documents rectifiés de fin de contrat et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

- condamner la société [I] West Automobiles à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives au licenciement

Selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux. Le juge ne peut pas examiner d'autres motifs que ceux évoqués dans la lettre de licenciement mais il doit examiner tous les motifs invoqués, quand bien même ils n'auraient pas tous été évoqués dans les conclusions des parties.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

En l'espèce, la lettre de licenciement de Mme [Y] du 12 août 2016, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

'Madame,

Je fais suite à l'entretien préalable du 8 août 2016 à onze heures quarante cin, pour lequel vous avez été convoquée par notre Société, par lettre remise en mains propres le 1er août 2016.

1. Lors de cet entretien, il vous a été reproché la remise le 13 juin 2016 d'une demande de paiement de frais kilométriques, dépourvue d'un quelconque justificatif, d'un montant de 691,37 euros, portant pour les années 2014 à 2016 sur de prétendus trajets relatifs à des dépôts de dossiers d'immatriculations de véhicules en Préfecture, (dont l'examen a nécessité un travail important d'analyse de la concordance des dates figurant sur votre décompte avec celles ressortant du cachet de la Préfecture apposé sur les dossiers d'immatriculations le jour du dépôt).

Il s'avère que de nombreuses dates portées sur le décompte rédigé pour les besoins de votre demande de paiement, dont le détail vous a été présenté au cours de l'entretien préalable du 8 août 2016, ne correspondent pas aux dates figurant sur le cachet du service des immatriculations apposé sur les dossiers d'immatriculations le jour du passage en Préfecture.

En effet, et notamment :

- concernant l'année 2014, vous vous déplaciez avec le véhicule de la société puis, à votre demande, vous avez utilisé votre véhicule personnel contre remboursement des frais, à compter du 10 février 2015,

- le 8 avril 2015 au matin, vous étiez en congé ainsi qu'il figure sur votre bulletin de paie. Les services de la Préfecture ne sont par ailleurs accessibles aux garages que le matin de 8h30 à 11h15,

- le 5 avril 2016, vous étiez en congé ainsi qu'il figure sur votre bulletin de paie, pour vous permettre de vous rendre aux obsèques de votre [W]-mère.

Lors de l'entretien du 8 août 2016, vous n'avez pas démontré la réalité matérielle des déplacements indiqués sur le document établi de votre main.

La remise d'une demande de paiement d'une note de frais portant sur des trajets injustifiés et par conséquent inexistants - fausse note de frais - à l'effet de contraindre la société [I] West Automobiles à vous remettre une somme indue, s'avère caractériser un comportement particulièrement déloyal, de nature à rompre définitivement toute forme de confiance.

2. Les faits précités s'inscrivent dans le contexte de réitération de faits fautifs (insuffisance professionnelle) dénoncés aux termes de l'avertissement du 4 mars 2016 et pour lesquels vous vous êtes visiblement pas amendée :

- lors de l'entretien du 8 août 2016, il vous a été fait grief d'avoir procédé à la prise de rendez-vous de réparations de véhicules de clients hors du planning de la Société ayant imposé de déplacer les rendez-vous, au mécontentement des clients, nuisant à l'image d la société, concernant notamment :

* [G]/CITROEN C3 : rendez-vous du 08/08/2016

* [D]/CITROEN C4 : rendez-vous du 09/08/2016

* [O]/MERCEDES Classe B : rendez-vous du 09/08/2016

* [B]/CITROEN C5 : rendez-vous du 10/08/2016

- lors de l'entretien du 8 août 2016, il vous a été fait grief des manquements et retards dans la gestion et le suivi des dossiers de financement de vente de véhicules, ayant engendré des retards de paiement et par conséquent un impact très préjudiciable pour la situation financière de la société, concernant notamment les dossiers :

* [C]/[K]/[W] C4 Picasso : livraison du 21/04/2016

* [F]/VOLKSWAGEN Polo : livraison du 25/05/2016

Les explications recueillies auprès de vous lors de l'entretien du 8 août 2016 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation.

Compte tenu de la gravité des fautes précitées qui rendent impossibles votre maintien dans notre entreprise, je vous notifie votre licenciement, à compter de ce jour, pour faute grave sans préavis ni indemnité [...]'.

S'agissant du premier grief reproché à Mme [Y], à savoir le fait d'avoir remis intentionnellement à son employeur une fausse note de frais, la société [I] West Automobiles expose que :

- la quasi-totalité des dates portées sur le décompte est injustifée et est contraire à la réalité,

- Mme [Y] ne rapporte pas la preuve de la matérialité des déplacements dont elle demande le remboursement,

- la charge de la preuve pèse sur la salariée de sorte qu'elle-même n'a pas à produire les livres de police portant mention de l'immatriculation des véhicules étrangers,

- l'extrait de son registre de police, qu'elle verse aux débats pour démontrer sa bonne foi, ne mentionne pas la date de passage en préfecture, de sorte que la demande de production de pièces formulée par Mme [Y] est dépourvue d'intérêt,

- Mme [Y] ne justifie un passage en préfecture que pour 17 dates figurant sur son décompte, lequel mentionne 85 dates,

- en 2014, Mme [Y] se déplaçait avec le véhicule de la société de sorte qu'elle ne peut solliciter de remboursement pour l'utilisation de son véhicule personnel,

- le 8 avril 2015, Mme [Y] était en congé ainsi que le 5 avril 2016,

- 68 déplacements n'ont en réalité jamais été effectués,

- la présentation d'une fausse note de frais afin d'obtenir un paiement indu constitue une faute grave,

- la plainte qu'elle a déposée est toujours en cours, le juge d'instruction ayant auditionné Mme [Y] le 9 février 2014,

- l'inspection du travail n'a jamais alerté l'employeur sur la violation des droits de Mme [Y] en matière de paiement des indemnités kilométriques,

- elle ne s'est jamais engagée à reprendre et finaliser le décompte établi par Mme [Y] qui relève de la seule responsabilité de cette dernière,

- Mme [Y] ne lui a jamais demandé de lui rembourser les frais de parking lors des passages en Préfecture,

- Mme [Y] ne réclame pas le paiement de sa note de frais dans le cadre de la présente instance.

La société [I] West Automobiles produit :

- la note de frais kilométriques établie par Mme [Y] le 13 juin 2016,

- des bordereaux de demandes de cartes grises (formulaires de la Préfecture de la Gironde) comportant le cachet de la Préfecture lequel mentionne la date de dépôt au service des cartes grises.

Il résulte de la comparaison de ces éléments que :

- pour l'année 2014, il n'est justifié d'aucun des 21 passages en Préfecture déclarés par la salariée, le seul bordereau comportant un cachet avec la date du 22 octobre 2014 ne correspondant à aucune des dates indiquées par Mme [Y] dans sa note de frais,

- pour l'année 2015, seules les dates des 16 juin, 28 juillet, 7 août, 22 septembre, 9 et 20 octobre, 3,10 et 24 novembre, 3,8 et 22 décembre 2015 sont justifiées comme étant en concordances avec les bordereaux de la Préfecture. Mme [Y] produit un bordereau qui justifie également la date du 1er décembre 2015. Elle produit également un bordereau daté du 3 septembre 2015 mais qui ne fait l'objet d'aucune demande de paiement aux termes de sa note de frais. Il reste donc 36 dates non justifiées,

- pour l'année 2016, seules les dates des 27 janvier, 11, 18 et 23 février, 15 et 22 mars et 5 avril 2016 ne sont pas justifiées, étant observé qu'il est produit un bordereau daté du 12 avril 2016 au sujet duquel aucune demande en paiement n'a été faite, de sorte que 7 dates ne sont pas justifiées.

L'employeur établit donc que 64 dates ne sont pas justifiées. Or, si le remboursement des indemnités kilométriques est dû par l'employeur lorsque la salariée a été contrainte d'utiliser son véhicule personnel, encore faut-il qu'il soit justifié de l'existence des déplacements. La charge de la preuve de l'existence de ces déplacements pèse sur la salariée qui en réclame le paiement.

Mme [Y], qui affirme avoir utilisé son véhicule personnel à plusieurs reprises au cours de l'année 2014, n'en rapporte pas la preuve, étant précisé qu'elle ne conteste pas que son employeur lui avait mis à disposition un véhicule de service. Elle ne démontre pas plus le remboursement des frais de parking allégués notamment pour les dates correspondant aux indemnités kilométriques dont elle a réclamé le paiement dans sa note de frais. Si elle reconnaît deux erreurs pour les 8 avril 2015 et 5 avril 2016, elle échoue cependant à rapporter la preuve des autres frais qui ne sont pas justifiés. A cet égard, la cour relève qu'il est tout à fait vain pour la salariée de solliciter qu'il soit ordonné à l'employeur de produire le livre de police sur les véhicules étrangers dès lors que l'extrait de ce livre, versé aux débats, ne comporte aucune date de passage en Préfecture, de sorte que Mme [Y] doit être déboutée de cette demande de production de pièce.

Par ailleurs, si dans son courrier du 24 août 2016 adressé à Mme [Y], l'inspectrice du travail explique avoir eu un rendez-vous avec la salariée le 29 avril 2016 au cours duquel Mme [Y] lui avait indiqué qu'elle rencontrait 'des difficultés pour vous faire payer les indemnités kilométriques pour vos déplacements personnels quand vous utilisiez votre propre véhicule', l'inspectrice du travail expose également s'être rendue au sein de l'entreprise, le 2 mai 2016, et avoir rencontré Mme [I] qui lui a 'précisé que vous utilisiez au départ un véhicule de l'entreprise pour vous rendre à la Préfecture. Vous aviez par la suite demandé à utiliser votre véhicule pour partir directement de chez vous. Mme [I] vous l'aurait accordé et vous aurait remboursé vos frais de parking. Elle ne voyait aucun inconvénient à vous rembourser les frais d'essence sous réserve d'avoir les justificatifs correspondants (jours concernés et kilomètres effectués)'. Il s'avère donc qu'une discussion a effectivement eu lieu le 2 mai 2016 entre l'inspectrice du travail et l'employeur au sujet du remboursement des frais de déplacement de Mme [Y] et que l'employeur ne s'est nullement opposé à un tel remboursement, sous réserve que la salariée produise les justificatifs afférents. La cour observe que Mme [Y], qui ne justifie pas avoir demandé à son employeur, avant le 13 juin 2016, le remboursement de ses frais kilométriques, ne démontre pas qu'à la suite de la visite de l'inspectrice du travail, un accord aurait été trouvé avec la société [I] West Automobiles au terme duquel elle devait proposer un décompte précis des trajets effectués que son employeur devait par la suite reprendre et finaliser. Il est donc tout à fait inopérant pour Mme [Y] de prétendre qu'elle n'a établi qu'un récapitulatif des trajets accomplis depuis son entrée dans l'entreprise que l'employeur devait 'finaliser' alors que la lecture de la pièce °3 produite par la société Büihler West Automobiles révèle qu'il s'agit, très clairement, d'une demande en paiement d'indemnités kilométriques, ne comportant aucune mention quant au fait qu'il aurait pu s'agir d'une proposition de la salariée, ce document précisant les dates de déplacements année par année, en indiquant les jours et les mois, le montant de l'indemnité kilométrique pour chaque année, le nombre de kilomètres parcourus et le montant réclamé année par année. L'employeur a ainsi pu légitimement considérer qu'il s'agissait d'une demande en paiement formulée par la salariée, laquelle n'a pas été en mesure de produire les justificatifs concernant 64 des trajets dont elle a pourtant sollicité le paiement.

Par conséquent, la cour considère comme établi le fait que Mme [Y] a sollicité indument le remboursement de 64 jours d'indemnités kilométriques sans aucun justificatif afférent.

Ce fait est à lui-seul constitutif d'une faute grave dès lors que le comportement dont Mme [Y] a fait preuve à l'égard de son employeur est révélateur d'une déloyauté manifeste. Il importe, en outre, peu que le montant des frais réclamés et non justifiés par Mme [Y] soit faible dès lors que la relation de confiance entre l'employeur et la salariée a été rompue du fait des déclarations injustifiées de la salariée pour obtenir un paiement indu. Enfin, le fait que Mme [Y] n'a pas fait l'objet d'une mise à pied conservatoire n'est pas de nature à ôter le caractère de gravité à la faute commise, l'employeur n'ayant nullement l'obligation de prononcer une telle mesure.

Par conséquent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement, il y a lieu de considérer que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Mme [Y] était tout à fait justifié, la faute commise ne permettant pas le maintien de la salariée dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis au regard de la rupture des liens de confiance entre les parties.

Le jugement entrepris est en conséquence infirmé en toutes ses dispositions relatives au licenciement, Mme [Y] étant déboutée de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, au titre de l'indemnité de licenciement, au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et au titre de la délivrance des documents rectifiés de fin de contrat.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire du contrat de travail

En application de l'article 1231-1 du code civil, le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et cumuler une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, à la condition de justifier d'une faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire.

En l'espèce, Mme [Y] soutient que son licenciement a été prononcé en représailles aux faits de harcèlement moral qu'elle a dénoncés aux services de police et à l'inspection du travail. Elle affirme que le comportement de M. [I] a eu d'importantes répercussions sur son état de santé, ce qui a contribué à une dégradation manifeste et avérée de ses conditions de travail. Elle considère que l'entreprise n'a fait que mettre à exécution ses menaces en la licenciant sans motif sérieux. Elle déclare enfin que les plaintes pour faux déposées par son employeur à son encontre s'inscrivent dans cette volonté de lui nuire.

La société [I] West Automobiles fait valoir que Mme [Y] n'a jamais fait état d'une prétendue situation de harcèlement devant l'inspection du travail, ajoutant qu'elle n'a évoqué une telle situation que pour les besoins de la présente instance.

Cela étant, si Mme [Y] justifie avoir écrit le 17 mars 2016 à son employeur en lui indiquant qu'elle faisait l'objet de 'menaces de licenciement régulièrement par sa hiérarchie accompagnées de remarques humiliantes et désobligeantes', si elle justifie avoir de nouveau écrit le 29 avril 2016 à son employeur, à la suite de son arrêt de travail, pour dénoncer le comportement de M. [X] [I] à son égard (menaces de licenciement verbal devant les clients, différentes insultes 'connasse, feignasse'), si elle justifie avoir déposé une main courante le 25 avril 2016 dans le même sens, si lors du rendez-vous avec l'inspectrice du travail le 29 avril 2016, elle a évoqué 'une relation conflictuelle avec le fils de la gérante, M. [X] [I]', il n'en reste pas moins que Mme [Y] ne produit aucune pièce de nature à corroborer ses allégations de harcèlement moral et/ou de menace de licenciement verbal. De plus, aucun élément du dossier ne démontre que le licenciement dont elle a fait l'objet serait une mesure de représailles aux faits qu'elle a dénoncés et dont elle ne justifie pas. Enfin, le fait pour l'employeur d'avoir déposé plainte à l'encontre de la salariée pour des faits de faux ne saurait être considéré, à lui seul, comme étant fautif, étant au surplus rappelé que la cour a considéré que le premier grief invoqué dans la lettre de licenciement était établi.

Il convient en conséquence de débouter Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts, le conseil des prud'hommes n'ayant pas statué expressément sur cette prétention pourtant formulée devant lui.

Sur la demande de rappel de salaire

Le conseil de prud'hommes a condamné la société [I] West Automobiles à payer à Mme [Y] la somme de 64,44 euros correspondant à la journée de travail du 16 août 2016. La cour observe que la société [I] West Automobiles se contente de solliciter l'infirmation de ce chef du jugement sans soutenir le moindre moyen de contestation. Dès lors, la cour, ne peut que confirmer, ainsi que le demande la salariée, ce chef du dispositif du jugement attaqué.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Il en résulte qu'une indemnisation au titre d'un appel abusif ne peut être allouée que lorsqu'est caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'exercer le recours. Il est en effet rappelé que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne peut dégénérer en abus qu'en cas de faute que le juge est tenu de caractériser au regard de circonstances particulières révélant la mauvaise foi, l'intention de nuire, des manoeuvres malicieuses ou dilatoires, ou encore une légèreté blâmable équipollente au dol.

En l'espèce, la société [I] se contente de procéder par voie d'affirmation mais ne démontre aucunement que l'exercice de son droit d'agir par Mme [Y] aurait dégénéré en abus.

Par conséquent, il est justifié de débouter l'employeur de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les frais du procès

Compte tenu de la solution du litige, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société [I] West Automobiles aux dépens et à payer à Mme [Y] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau et y ajoutant, la cour condamne Mme [Y], qui succombe en la quasi totalité de ses demandes, aux dépens de première instance et d'appel. Il n'est en revanche pas inéquitable de laisser supporter à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles de sorte qu'elles sont toutes deux déboutées de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 23 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a condamné la SAS [I] West Automobiles à payer à Mme [Z] [Y] la somme de 64,44 euros au titre de rappel de salaire,

L'infirme pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement critiqués et y ajoutant,

Déboute Mme [Z] [Y] de sa demande tendant à voir déclarer dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement et de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de la délivrance des documents rectifiés de fin de contrat,

Déboute Mme [Z] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire de son contrat de travail,

Déboute la SAS [I] West Automobiles de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne Mme [Z] [Y] aux dépens de première instance et d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes respectives formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 22/04621
Date de la décision : 01/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-01;22.04621 ?
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