R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
COUR D ' A P P E L D E B O R D E A U X
N° RG 24/00172 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-N4MH
ORDONNANCE
Le VINGT SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE à 16 H 00
Nous, Noria FAUCHERIE, conseillère à la Cour d'appel de Bordeaux, agissant par délégation de madame la première présidente de ladite Cour, assistée de François CHARTAUD, greffier,
En présence du Ministère Public représenté par Monsieur Philippe VIQUE, substitut général près la cour d'appel de Bordeaux,
En présence de Madame [T] [U], représentante du Préfet de La Gironde,
En présence de Madame [K] [L], interprète en langue arabe déclarée comprise par la personne retenue à l'inverse du Français, inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel de Bordeaux,
En présence de Monsieur [M] [G] alias [M] [X], né le 26 Juin 2004 à [Localité 1] (GÉORGIE), de nationalité géorgienne, et de son conseil Maître Laura DESVERGNES,
Vu la procédure suivie contre Monsieur [M] [G] alias [M] [X], né le 26 Juin 2004 à [Localité 1] (GÉORGIE), de nationalité géorgienne et l'interdiction administrative du territoire prononcée le 30 novembre 2020 par le ministre de l'intérieur visant l'intéressé,
Vu l'ordonnance rendue le 25 juillet 2024 à 14h10 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Bordeaux, ordonnant la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [M] [G] alias [M] [X] à compter du , pour une durée de 26 jours à l'issue du délai de 96 heures de la rétention,
Vu l'appel interjeté par le conseil de Monsieur [M] [G] alias [M] [X], né le 26 Juin 2004 à [Localité 1] (GÉORGIE), de nationalité géorgienne, le 25 juillet 2024 à 19h14,
Vu l'avis de la date et de l'heure de l'audience prévue pour les débats donné aux parties,
Vu la plaidoirie de Maître Laura DESVERGNES, conseil de Monsieur [M] [G] alias [M] [X], les réquisitions de Monsieur VIQUE, substitut général ainsi que les observations de Madame [T] [U], représentante de la préfecture de La Gironde et les explications de Monsieur [M] [G] alias [M] [X] qui a eu la parole en dernier,
A l'audience, Madame la Conseillère a indiqué que la décision serait rendue le 26 juillet 2024 à 16h00,
Avons rendu l'ordonnance suivante :
PROCÉDURE
Monsieur [M] [G]-[X], né le 26 juin 2004 à [Localité 1] (GÉORGIE), de nationalité géorgienne, fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire prononcée à son encontre le 30 novembre 2020 par le ministre de l'intérieur et notifiée le 21 juillet 2024.
Cet arrêté de 2020 fait état de ce que suite à des informations issues de la coopération internationale, Monsieur [G] est un islamiste radical projihadiste appartenant à l'organisation terroriste DAECH. Il a évolué sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes où il a pu acquérir une expérience militaire de terrain, tels que la maîtrise des techniques de combat, le maniement des armes ou la confection d'explosifs.
Il est exposé que, résidant hors de France, l'intéressé est susceptible d'effectuer des déplacements brefs et imprévisibles à l'étranger et notamment en France. Dans le contexte de menace terroriste particulièrement élevée notamment par les attentats terroristes perpétrés en France le 25 septembre 2020 par des jeunes individus empreints de l'idéologie djihadiste, sans compter l'utilisation des réseaux sociaux afin de pousser des jeunes gens embrigadés à commettre des actions violentes contre les intérêts de la France et ce par tous moyens disponibles. Il est spécifié que la présence sur le territoire français de Monsieur [G] constitue une menace particulièrement grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure de la France.
L'intéressé a été interpellé le 20 juillet 2024 par des policiers bordelais.
La requête du préfet de la Gironde en date du 24 juillet 2024 fait état de ce que Monsieur [G] est sans ressources légales sur le territoire national, sans logement, il déclare dans son audition du 21 juillet 2024 vivre dehors et dormir dans des voitures et il est dépourvu d'un passeport en cours de validité.
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux par une ordonnance en date du 25 juillet 2024 à 14h10, a déclaré irrecevable la requête en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative de l'intéressé et a autorisé la prolongation de sa rétention pour une durée de 26 jours.
Par l'intermédiaire de son conseil, Monsieur [G] a interjeté appel de la décision le 25 juillet 2024 à 19h14. L'appel est dûment accompagné d'un mémoire dont il convient de se référer pour plus amples renseignements. En substance, il est sollicité outre l'octroi de la somme de 900 € pour frais irrépétibles, d'ordonner la remise en liberté de Monsieur [G] au motif que la contestation de l'arrêté de placement en rétention de l'intéressée est régulière et doit être admise par le magistrat en cause d'appel, sur l'irrégularité de la procédure au motif que le contrôle identité dont a fait l'objet l'intéressé n'aurait pas de base légale au visa des articles 78 '2 du code de procédure pénale. Monsieur [G] n'est pas une menace pour l'ordre public public. Son état de santé n'aurait pas été pris en considération par l'autorité préfectorale. Monsieur [G] a formulé depuis son interpellation une demande d'asile qui doit être étudiée par les institutions compétentes.
Monsieur [G] après que les éléments du dossier aient été rapportés oralement par le magistrat délégué, a indiqué spontanément qu' il s'était trompé, il n ' avait pas perdu son passeport, qu'il était en possession de son passeport en cours de validité lequel sera remis au CRA par un ami.
À l'audience de la cour, le conseil de Monsieur [G] a plaidé oralement ses conclusions écrites.
Le parquet général était représenté et a requis la confirmation de la décision querellée, le développement des réquisitions figure sur la note d'audience.
La représentant de la préfecture a indiqué s'associer aux réquisitions du ministère public et sollicite la confirmation de la décision querellée.
Monsieur [G] a eu la parole en dernier. Il a indiqué que, pendant son interpellation, il était au téléphone et n'était pas affairé à toucher le neiman de la voiture. Il n'a commis aucune infraction. Il a indiqué qu'il n'est pas un islamiste. Il a exposé que ce que contient l'arrêté de novembre 2020 est faux. Il n'a jamais manié d'armes. Il reconnaît juste avoir visionné quand il était plus jeune des vidéos. Il regrette car à cause de lui sa famille n'a pas pu obtenir l' asile politique en Allemagne. Il a expliqué qu'il n'a jamais eu de contact avec Daech . Il ne comprend pas pourquoi il a fait l'objet d'un contrôle alors qu'il ne se cachait pas et n'avait rien fait.
MOTIVATION :
- Sur la recevabilité de l'appel
la déclaration d'appel régulièrement motivé a été formée dans le délai légal, elle est donc recevable.
- Sur la contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative
La loi du 26 janvier 2024 a modifié l'article L 741-10 du CESEDA, et fait passer de 48 heures à 96 heures le délai de contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative.
Contrairement à la motivation du premier juge, le décret d'application est entré en vigueur le 2 juillet 2024 et la contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative est donc recevable.
Le placement en rétention de Monsieur [G] répond aux exigences du CESEDA, exigences qui seront étudiées à travers la motivation de la présente ordonnance.
- Sur le contrôle identité dont a fait l'objet le retenu
Au visa de l'article 429 du code de procédure pénale, tout procès-verbal de police n'a de valeur probante, que s'il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l'exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement.
En la cause, le 20 juillet 2024 à 18h50, [Adresse 3] à [Localité 2], des policiers à bord de leur véhicule banalisé ont observé un individu en position de passager avant à bord d'un véhicule Fiat Panda immatriculé [Immatriculation 4]. Il est mentionné sur le procès-verbal : « ce dernier se penche au niveau du poste de conduite et semble s'affairer au niveau du neiman de ce véhicule. Précisons que sur ce secteur de nombreux véhicules sont régulièrement dégradés. Décidons de procéder au contrôle de cet individu en vertu de l'article 78 '2 alinéa 2 du code de procédure pénale. »
Le contrôle identité a donc une base légale et n'était pas sans fondement.
Il y a lieu en conséquence de rejeter le moyen soulevé.
- Sur l'absence d'évaluation de la vulnérabilité du retenu de l' article L741'4 du CESEDA
Monsieur [G] prétend que la préfecture de la Gironde n'a pas procédé à l'examen de son état de vulnérabilité avant de décider du placement rétention, ce qui rendrait irrégulière cette mesure.
Selon l'article L741'4 du CESEDA, l'étranger qui ne présente pas de garanties de représentations effectives propres à prévenir le risque de fuite, peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée de 48 heures en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnements de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.
Quand l'étranger ne présente de toute évidence, aucun élément de vulnérabilité ou aucun handicap, selon ce que révèle le dossier dont disposent les services de la préfecture, l'on ne saurait exiger d'eux, qu' ils rapportent la preuve d'un tel fait négatif, de sorte qu'ils peuvent, dans un tel cas, se borner à constater qu'aucune circonstance ne fait apparaître un risque particulier de vulnérabilité ni un quelconque handicap qui s'opposerait au placement en rétention.
En revanche, lorsque les faits dont l'administration a eu connaissance, notamment les déclarations recueillies au cours de l'enquête de police, les documents médicaux produits par l'étranger avant le placement en rétention administrative où les attestations émanant de tiers, constituent des indices d'une fragilité physique et ou psychologique de l'étranger, il incombe alors au service de la préfecture d'accomplir tous diligences complémentaires, pour dans un premier temps s'assurer que l'état de l'intéressé est concrètement compatible avec la rétention, puis dans un second temps, indiquer dans la motivation de sa décision de placement en rétention, en quoi ces éléments ainsi recueillis restent conciliables avec la mesure privative de liberté que représente la rétention administrative.
Si effectivement lors de son audition administrative en date du 21 juillet 2024 Monsieur [G] a indiqué faire l'objet d'une insuffisance rénale, il n'a pas mentionné un quelconque traitement.
Il est arrivé en Belgique sans avoir à son arrivée consulté un médecin dans un hôpital qui soigne les indigents quelque soit leur situation administrative.
Il a exposé être venu à [Localité 2] pour se faire soigner alors que sa copine [B] dont il ne connaît pas le nom et qui habite à [Localité 5], doit devenir sa compagne. Il y a lieu de s'interroger sur la gravité de sa maladie car dès son arrivée en France, il ne s'est pas rendu dans un hôpital. Sa venue à [Localité 2] est incompréhensible, le corps médical est compétent dans la région où vivrait sa future compagne. Il n'a pas mis à disposition de l'autorité préfectorale de documents relatifs à sa maladie, ni d'ordonnance mentionnant un traitement.
Il convient réellement de s'interroger car Monsieur [G] qui est arrivé en France depuis plus d'un mois a pu, selon ses déclarations, a décidé de se rendre à la pêche avec un ami, se souciant manifestement peu de son état de santé.
Par ailleurs, il a été vu par un médecin lors de son placement en garde à vue le 21 juillet 2024 lequel a indiqué que son état de santé était compatible avec son maintien dans les locaux de la police.
Il y a lieu en conséquence de considérer que la mesure de rétention n'est pas incompatible avec son état de santé. Monsieur [G] qui a accès à un médecin au centre de rétention n'a pas manifestement eu recours à ce dernier. Il peut d'ailleurs toujours le faire en cas de besoin.
Il y a lieu en conséquence de rejeter le moyen soulevé.
- Sur le placement en rétention administrative et les garanties de représentation
Il résulte de l'article L 741'1 du CESEDA que peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, l'étranger qui ne présente pas de garanties de représentations effectives propres c'est-à-dire notamment lorsqu'il existe un risque que l' étranger se soustrait à cette obligation, risque qui, selon les mêmes dispositions peut être regardé comme établi, sauf circonstances particulières lorsque l'étranger s'est soustrait à l'exécution de précédente mesure d'éloignement ou lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentations suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité.
Il résulte des déclarations de Monsieur [G] que depuis son arrivée sur le territoire français, il y a un peu plus d'un mois, il n'a pas d'hébergement stable. Il vit dans la rue dans des endroits de fortune comme des voitures.
Il est sans ressource légale, il lui reste 310 € pour subvenir à ses besoins et il ne bénéficie pas de l'aide de personnes tiers dignes de confiance ( personnes qui seraient en situation régulière sur le territoire français avec un emploi et ne seraient pas signalisés par le ministère de l'intérieur) afin de pouvoir être assigné à résidence même s'il a prétendu avoir retrouvé son passeport en cours de validité qu'il n'a toujours pas remis à l'autorité préfectorale.
Enfin, même s'il prétend qu'il n'est pas radicalisé en expliquant qu'il a vécu durant trois années et demi en Allemagne sans commettre un quelconque méfait, pays qu'il a quitté avec sa famille car l'asile politique leur a été refusé ; il fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire français prononcée par le ministre de l'intérieur du 30 novembre 2020.
Il minimise ses agissements en indiquant que lorsqu'il avait 15 ou 16 ans, il a regardé des vidéos de combat mais il n'a plus de contact avec une organisation terroriste. Cependant, dans le corps de l'arrêté du 30 novembre 2020, il est spécifié qu'il a évolué sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes.
Il fait l'objet d'une interdiction d'entrée et de séjour sur le territoire français, il représente une menace pour l'ordre public et la sécurité dans un contexte actuel de risque d'attentats terroristes amplifiés par l'ouverture des jeux olympiques qui se déroulent actuellement en France.
Le placement au centre de rétention de [Localité 2] de Monsieur [G] est la seule mesure qui s'impose afin d'éviter un risque de fuite de l'intéressé ainsi qu'un possible passage à l'acte même s'il prétend que sa présence en France concerne uniquement une demande de soins médicaux.
La formulation d'une demande d'asile par l'intéressé n'est pas antinomique avec son placement en rétention dans l'attente de la décision de la justice administrative.
- Sur les diligences de l'autorité préfectorale
Il résulte des dispositions de l'article L 742-4 du CESEDA qu'un étranger ne ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ.
Il résulte de ce texte que le placement ou le maintien en rétention d'étrangers faisant l'objet d'une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français ne saurait, sans méconnaître l'objet assigné par la loi à la mise en rétention, être décidé par l'autorité administrative lorsque les perspectives d'éloignement effectives du territoire à brève échéance sont inexistantes
Le conseil constitutionnel a par ailleurs dans une décision en date du 20 novembre 2003 indiqué que : « l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment, la prolongation du maintien en rétention lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ».
La seule exigence du CESEDA, au visa de l'article L 742-1 porte sur la saisine rapide des autorités consulaires. Il a été jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, pourvoi du 9 juin 2010, que le préfet n'ayant aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, il ne peut lui être reproché que la saisine soit restée sans réponse et qu'il n'y a pas lieu de vérifier les diligences éventuelles postérieures à la saisine du consulat.
En la cause, le préfet de la Gironde a sollicité une réservation de transport par voie aérienne à destination de la Géorgie le 22 juillet 2024 soit dans un temps très proche de son placement en rétention administrative.
Il y a lieu en conséquence de confirmer l'ordonnance du juge des libertés la détention en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats en audience publique et en dernier ressort ;
Déclare l'appel recevable en la forme mais mal fondé ;
Accorde à Monsieur [M] [G]-[X] le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire dont distraction au profit de Me Laura DESVERGNES ;
Confirme l'ordonnance du juge des libertés la détention du judiciaire de Bordeaux en date du 25 juillet 2024 à 14h10 ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que la présente ordonnance sera notifiée par le greffe en application de l'article R.743-19 du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile,
Le Greffier, La Conseillère déléguée,