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25/07/2024 | FRANCE | N°21/03633

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 25 juillet 2024, 21/03633


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



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ARRÊT DU : 25 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03633 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFUA







Monsieur [M], [P], [K] [U]





c/



S.C. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUIT AINE

















Nature de la décision : AU FOND














>

Grosse délivrée aux avocats le :





à :





Me Hervé MAIRE, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX





Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mai 2021 (R.G. n°F 19/00370) par le Conseil de Prud'hommes -...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 25 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03633 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFUA

Monsieur [M], [P], [K] [U]

c/

S.C. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUIT AINE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Hervé MAIRE, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 mai 2021 (R.G. n°F 19/00370) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section encadrement, suivant déclaration d'appel du 24 juin 2021.

APPELANT :

[M] [P], [K] [U]

né le 31 Mai 1985 à [Localité 3]

de nationalité Française

Profession : Ingénieur, demeurant [Adresse 2]

Représenté et assisté par Me Hervé MAIRE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SC Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine, prise en personne de son représentant légal Monsieur [T] [O], en sa qualité de Président, domicilié audit siège social [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 mai 2024 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire et Madame Sophie Lésineau, conseillère, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 6 novembre 2010, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine (en suivant la société) a engagé M. [M] [U] en qualité de chef de projet, classe 3, niveau G, position RCE 10.

M. [U] a travaillé auparavant au sein de la société en contrat à durée déterminée en date du 6 novembre 2019.

La relation contractuelle a été soumise à la convention collective national du crédit Agricole Mutuel.

Au dernier état de la relation de travail, M. [U] exerçait la fonction d'animateur web multicanal, sous la nomination de chargé d'activité organisationnel et technique, classe 3, niveau G, position RCE 11.

Le 2 octobre 2017, M. [U] a été placé en arrêt de travail.

A la suite d'une première visite du 23 janvier 2018, le médecin du travail a indiqué 'une proposition de reclassement à un autre poste en lien avec ses compétences est à rechercher dans l'entreprise'.

Lors d'une deuxième visite du 1er février 2018, le médecin du travail a déclaré M. [U] inapte à son poste de travail, 'l'état de santé du salarié faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Le 30 mars 2018, M. [U] a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle.

Le 11 mars 2019, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de solliciter la nullité du licenciement pour harcèlement moral et le paiement de diverses sommes y afférent.

Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

- débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [U] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] aux entiers dépens et éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 24 juin 2021, M. [U] a relevé appel du jugement en ce qu'il a débouté l'appelant de l'intégralité de ses demandes, condamné l'appelant à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et aux éventuels frais d'exécution.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2024, M. [U] sollicite de la cour qu'elle :

- le déclare recevable et bien fondé en son appel,

En conséquence,

- réforme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau,

- reçoive l'intégralité de ses moyens et prétentions,

- déclare recevables et bien fondée ses demandes,

En conséquence,

- condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine à :

A titre principal,

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 44 520 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement en résultant,

- 3 709,88 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement;

A titre subsidiaire,

- 44 520 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- 1 112,99 euros à titre de reliquat de congés payés sur préavis non-payés,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la défenderesse aux entiers dépens en ce compris les frais d'exécution,

- débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de son éventuel appel incident.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2024, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

A titre reconventionnel :

- condamner M. [U] à verser à l'employeur la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience du 27 mai 2024, pour être plaidée

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

M. [U] fait valoir que suite au départ de son ancien manager en janvier 2017 puis dans le cadre de la réorganisation de la société, il va perdre l'animation de l'équipe dont il avait la charge ainsi que les projets sur lesquels il travaillait, n'étant plus convié aux réunions sur ces derniers. Il expose qu'il a perdu deux niveaux hiérarchiques dans le nouvel organigramme de la société et se trouve affecté à des tâches ne relevant pas de ses compétences et des responsabilités qu'il avait jusqu'alors. Il évoque avoir été 'placardisé' par son supérieur hiérarchique, M. [Y].

La société conteste toute dimension de harcèlement moral. Elle expose que M. [U] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque fait susceptible de recevoir la qualification de harcèlement moral et ne démontre pas que la prétendue altération de son état de santé serait liée à sa situation professionnelle. Elle fait valoir que personne n'est nommément désigné comme auteur de faits répétés visant le salarié qui n'a jamais alerté les délégués du personnel sur sa situation ; que la réorganisation concernait un grand nombre de collaborateurs faisant partie d'un projet global stratégique dont il a eu connaissance bien en amont et auquel il a été étroitement associé, étant perçu par la société comme un personnel de grande valeur ; qu'il n'avait pas dans ses fonctions de management hiérarchique mais seulement fonctionnel et que la réorganisation n'a pas constitué une modification de ses conditions de travail mais un simple changement, M. [U] gardant la même fonction et la même rémunération.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Le juge, après s'être assuré de leur matérialité, doit analyser les faits invoqués par le salarié dans leur ensemble et les apprécier dans leur globalité afin de déterminer s'ils permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de sa demande, M. [U] communique des attestations de ses proches et d'un salarié en alternance, M. [N], ses entretiens d'évaluations, un article de presse en date du 10 février 2020, le projet d'évaluation d'un informaticien, M. [V], qu'il indique avoir sous ses ordres, différents courriels, une impression écran d'une semaine de travail de son calendrier professionnel postérieure à la restructuration et ne comportant aucune réunion.

M. [N] dans son attestation en date du 11 février 2020 expose qu'entre avril et juillet 2017, M. [U] pouvait être sollicité par son supérieur pour des réparations et conseils en outil bureautique relevant normalement du service informatique. Il indique que M. [U] était clairement le manager de l'équipe de développeurs, rôle qu'il a perdu lors de la réorganisation des services : '[M] est tombé de haut lorsqu'il s'est vu au rôle de développeur. Moi-même je ne comprenais pas pourquoi il avait le même rôle que moi (alternant pas encore diplômé) sur ce schéma'. Il complète : 'Ensuite, tout a été fait pour mettre [M] sur le côté. Tous les projets liés à la plate-forme web nous ont été retirés [...] et on lui imposait de travailler sur d'autres technologies sans avoir été formé. [...] Ensuite, [M] n'était plus mon manager. [...] Je n'avais plus aucune réunion. Hormis faire mon rapport de stage, je n'avais pas de réelle utilité. [M] non plus, il était toujours présent dans le bureau et ne savait pas quoi faire de ses journées'.

Cette attestation corrobore les affirmations de M. [U] et démontre la matérialité des faits évoqués quant à sa 'placardisation' dans le cadre de la restructuration de la société.

A travers la communication du certificat médical du docteur [H] en date du 19 janvier 2018 et des attestations des proches de M. [U], il est établi une dégradation de l'état de santé du salarié à compter du milieu de l'année 2017 qui a conduit à ce qu'il soit reconnu un état de dépression réactionnelle au titre d'une maladie professionnelle, démontrant le lien entre la dégradation de l'état de santé de M. [U] et les conditions de travail de ce dernier.

Ces faits de mise à l'écart alors que M. [U] avait de très bonnes évaluations et avait jusqu'alors en charge des projets conséquents et des responsabilités au sein de son équipe, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En réponse, la société à travers la communication de documents de présentation de la restructuration de la société démontre que ce projet de réorganisation a profondément modifié la société avec des changements de directions, une redistribution des pôles de compétences, le regroupement des compétences informatiques, la nomination de nouveaux managers et la composition de nouvelles équipes ; cette transformation conséquente de la société est confirmée par l'enquête de la MSA dans le cadre de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de M. [U].

Cette restructuration a donc remanié en profondeur les activités des salariés et pas seulement celles de M. [U]. Cependant, dans le cadre de la restructuration, le changement de direction de rattachement de M. [U] n'a eu aucun impact sur son poste en ce qu'il est demeuré chargé d'activité organisationnelle et technique avec la même classification et la même rémunération tel que cela ressort de ses bulletins de paye.

Il est en outre démontré que M. [U] a été partie prenante dans la restructuration de la société, ce dernier ayant été associé bien en amont aux réflexions sur cette dernière et ayant lui même été désigné pour piloter un groupe de réflexion en ce domaine, tel que cela résulte du mail du 24 mai 2017 de M. [L].

M. [U] était en outre perçu par ses supérieurs comme une personne ressource dans ce cadre et au sein de l'entreprise comme le démontrent les attestations de M. [L] qui le 'voyait comme l'un des trois cadres référents de l'équipe' à venir dans la restructuration et celle de M. [Y] qui expose que 'à compter de son arrivée dans la Direction de la Transformation, j'ai reçu [M] [U] à plusieurs reprises pour échanger sur le sens de l'organisation que nous mettions en place ainsi que sur sa place dans notre dispositif. [...] J'ai proposé à [M] [U] de s'installer dans le bureau directement mitoyen du mien et nos portes n'étaient jamais fermées. Je souhaitais ainsi faciliter son intégration dans mes réflexions stratégiques ainsi que dans l'effervescence de notre activité quotidienne. Plusieurs projets lui ont été confiés. J'ai de nombreuses fois sollicité son avis et sa vision sur notre activité informatique'.

M. [U] faisait en outre l'objet de très bonne évaluations et ses supérieurs espéraient pouvoir compter sur lui dans le cadre de la nouvelle stratégie de l'entreprise.

Ensuite, le nouvel organigramme ne démontre pas que M. [U] serait privé de tout encadrement fonctionnel, encadrement qu'il exerçait jusqu'alors sans qu'il ne puisse se prévaloir d'avoir exercé un poste de manager hiérarchique, les nouvelles pièces communiquées par M. [U] démontrant qu'il n'était pas le supérieur hiérarchique de M. [V] et M. [N] mais leur responsable fonctionnel conformément aux observations formulées dans son évaluation annuelle.

Enfin, il est démontré que M. [U] s'est vu confié certains projets singulièrement dans le courriel du 29 juin 2019 et à travers l'attestation de M. [Y], même si ces projets n'étaient pas de même nature que ceux qu'il réalisait jusqu'alors.

La cour relève enfin qu'il n'est nullement démontré par le salarié d'ordres qui lui auraient été adressés par des salariés ayant le même niveau hiérarchique que lui ou d'absence de sollicitation pour participer à une réunion sur des projets qu'il animait jusqu'alors ou encore de propos désobligeants tenus par M. [Y] à son encontre.

Dès lors, il n'est nullement démontré que M. [U] ait subi au delà de cette restructuration un harcèlement moral par ses supérieurs, la société ayant justifié les arguments évoqués par M. [U] par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ou ayant démontré qu'ils n'étaient pas fondés.

De ce fait, M. [U] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un harcèlement moral.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de requalification du licenciement en un licenciement nul

La demande de M. [U] de ce chef étant exclusivement fondée sur l'existence d'un harcèlement moral dont il aurait été victime ne peut qu'être rejetée au regard des observations qui précèdent.

La décision du conseil de prud'hommes de Bordeaux est confirmée de ce chef et dans ses dispositions qui déboutent M. [U] de ses demandes en paiement subséquentes.

Sur la demande en requalification du licenciement en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement de la société à son obligation de sécurité

M. [U] fait valoir que sa dépression réactionnelle a été reconnue au titre de la législation professionnelle et affirme que son employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas toute mesure nécessaire afin de préserver son état de santé.

La société fait valoir que M. [U] ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer qu'elle n'aurait pas pris les mesures utiles pour préserver sa sécurité et sa santé. Elle expose qu'il se contente de multiplier les reproches sans consistance alors qu'elle a toujours essayé de conserver un dialogue avec lui et a agi en préservant ses intérêts et sa santé et elle rappelle que la survenance d'une maladie professionnelle n'est en aucun cas systématiquement symptomatique d'un manquement originel de l'employeur.

L'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail.

Il appartient à l'employeur d'assurer l'effectivité de cette obligation de sécurité à laquelle il est tenu, en assurant la prévention des risques professionnels.

Il est constant que si l'inaptitude médicalement constatée d'un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.

L'inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu'elle résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation générale de sécurité.

En l'espèce, la société démontre que face à la forte restructuration qui était envisagée, les salariées et singulièrement M. [U] ont été avisés et sollicités pour participer aux réflexions concernant ces modifications.

Ainsi, dès le 28 avril 2017, par courriel, la direction de la société a avisé M. [U] d'un projet d'évolution de l'organisation de la direction et de la transformation et a précisé la répartition à venir des personnels et les grandes lignes de leurs activités. Les salariés ont été avisés dans ce cadre de la disponibilité de la Direction pour répondre à toute demande en lien avec cette restructuration.

Par courriel du 24 mai 2017, M. [U] a été nommé comme responsable d'un des groupes de réflexion sur les nouvelles organisations dans le service organisation et technologies et les rencontres ont débuté dès le 29 mai 2017. Il a eu le 15 juin 2017, par courrier la confirmation de son rattachement à 'la direction transformations, organisation et technologies, Péri info et suivi SI', en concordance avec les différentes démarches réalisées jusqu'alors et le fait qu'il ait été impliqué très tôt dans cette réorganisation comme le démontre l'échange de mail avec M. [Y] les 29 et 30 mars 2017.

M. [U] a su se saisir des espaces d'échange proposés par la direction puisque très vite après qu'il ait été avisé de son nouveau poste en juin 2017 et qu'il ait manifesté son désaccord sur ce dernier, il a été en discussion avec ses supérieurs pour trouver une réorientation au sein de la société ou en dehors par le biais d'une rupture conventionnelle. Ainsi en juillet, suite à un entretien avec M. [Y], il lui formulait des pistes quant aux postes qui l'intéresserait. Le 29 septembre 2017, il actait que suite à un nouvel entretien avec Mme [D], directrice des ressources humaines, et M. [S], directeur général adjoint, ces derniers devaient revenir vers lui sous deux semaines sur une proposition de poste et qu'ils étaient fermés à une rupture conventionnelle.

Suite à son arrêt de travail du 2 octobre 2017, et au courrier du conseil de M. [U] du 23 octobre 2017, la société a avisé par courrier du 7 novembre 2017 le conseil du salarié qu'ils avaient rencontré le médecin du travail en vue de réaliser une étude de poste et des conditions de travail de M. [U] et qu'un rendez-vous en présence du médecin du travail était prévu le 10 novembre 2017.

Dans la continuité de la rencontre du 10 novembre 2017, des discussions ont débuté quant à la possibilité de conclure une rupture conventionnelle, discussions régulières qui ont donné lieu à de nombreuses échanges de courriels, et d'appels téléphoniques entre le mois de novembre et la fin du mois de janvier, discussions qui n'ont pas abouti suite à des divergences entre le salarié et la société quant aux modalités de cette dernière.

Ainsi, il est démontré que la société a, par de nombreuses démarches, essayé d'anticiper les risques psycho-sociaux liés à la restructuration en mettant à la disposition des salariés un espace d'échange avec la Direction et en les faisant participer activement aux réflexions quant aux enjeux liés à cette dernière.

Elle a en outre essayé de répondre au mieux au mal être exprimé à compter du moins de juin 2017 par M. [U] suite à la réorganisation de son équipe en demandant une étude de son poste et de ses nouvelles conditions de travail ainsi qu'en abordant avec lui et son conseil une discussion autour d'une éventuelle rupture conventionnelle.

Ainsi, il est démontré que l'employeur justifie de démarches entreprises en amont, durant la restructuration de l'entreprise et lors de la manifestation du mal être de M. [U] afin de préserver au mieux ses intérêts et sa santé.

De ce fait, il n'est pas démontré que l'inaptitude de M. [U] qui repose sur une maladie d'origine professionnelle telle qu'établie par la MSA a pour origine un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Il sera donc débouté de sa demande de requalification de son licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes en paiement subséquentes.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur le non respect de la procédure de licenciement

M. [U] fait valoir qu'il a été privé de la possibilité de demander des précisions dans un délai de quinze jours à compter de la rupture de son contrat de travail en l'absence de toute information de ce chef par son employeur dans la lettre de rupture.

La société expose qu'aucun texte n'impose de mentionner dans une lettre de licenciement la possibilité pour le salarié de solliciter des précisions complémentaires sous quinze jours. Au demeurant, elle précise que la lettre de motivation est parfaitement précise et se suffit à elle même d'autant que M. [U] était à l'époque assisté de son avocat et pouvait être utilement conseillé en ce sens. Elle rappelle que M. [U] ne démontre ni n'indique le préjudice subi.

Aux termes de l'article L. 1235-2 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 du même code peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'État.

Selon l'article R. 1232-13 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, le salarié peut, dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L'employeur dispose d'un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s'il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l'employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.

Il en résulte qu'aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.

Ainsi la société n'avait pas l'obligation de préciser cette information dans la lettre de licenciement de M. [U].

De ce fait, le jugement déféré qui a débouté M. [U] de cette demande sera confirmé.

Sur la demande de reliquat de congés payés sur préavis

M. [U] sollicite le paiement des congés payés sur préavis.

La société expose que M. [U] a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et a reçu une indemnité compensatrice de préavis qui n'ouvre pas droit à des congés payés.

Il est constant que l'indemnité versée par l'employeur en cas de licenciement consécutif à une inaptitude d'origine professionnelle n'a pas la nature d'une indemnité compensatrice de préavis même si son montant est égal à celui de l'indemnité légale de préavis et n'ouvre pas droit à congés payés.

M. [U] sera donc débouté de sa demande et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Sur les frais du procès

Compte tenu de l'issue du litige, le jugement entrepris mérite confirmation en ses dispositions sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

M. [U] qui succombe en cause d'appel doit en supporter les dépens et être débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait enfin inéquitable de laisser supporter à la société l'intégralité des frais exposés dans le cadre de la procédure d'appel. M. [U] est condamné à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [M] [U] aux dépens d'appel,

Déboute M. [M] [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [M] [U] à payer à la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à hauteur d'appel.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/03633
Date de la décision : 25/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-25;21.03633 ?
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