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25/07/2024 | FRANCE | N°21/03542

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 25 juillet 2024, 21/03542


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 25 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/03542 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFMW













Mademoiselle [I] [E]



c/

S.A.S. SODIMER





















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée aux avocats le :<

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à :

Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON - MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 juin 2021 (R.G. n°F 19/00636) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORD...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 25 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/03542 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MFMW

Mademoiselle [I] [E]

c/

S.A.S. SODIMER

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON - MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 juin 2021 (R.G. n°F 19/00636) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 22 juin 2021.

APPELANTE :

[I] [E]

née le 13 Juin 1980 à ALGÉRIE

de nationalité Française

Profession : Employée commerciale, demeurant [Adresse 2]

Représentée et assistée par Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON - MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Sodimer, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 mai 2024 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire, et madame Sophie Lésineau, conseillère qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

Exposé du litige

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 2 décembre 2014, la société Csf a engagé Mme [E] en qualité d'employée, niveau 2A.

Mme [E] a travaillé auparavant au sein de la société Csf en contrat à durée déterminée du 9 mai 2014 au 25 mai 2014.

La relation contractuelle a été soumise à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le 1er avril 2016, la société Sodimer (l'employeur) est devenue franchisée de l'enseigne Carrefour gérée anciennement par la société Csf.

Au dernier état de la relation de travail, Mme [E] a perçu une rémunération mensuelle de 1 498,50 euros.

Le 8 décembre 2016, l'employeur a notifié à Mme [E] un avertissement suite à une altercation avec une autre salariée.

Le 29 juin 2016, Mme [E] a été victime d'un accident du travail.

Mme [E] a été placée en arrêt de travail de manière intermittente entre le 29 juin 2016 et le 25 février 2017.

Elle a été absente pour cause de formation professionnelle du 3 avril 2017 au 28 juin 2017 et placée en arrêt de travail du 17 juillet 2017 au 15 janvier 2018.

Le 31 janvier 2018, à l'issu d'une visite de reprise, le médecin du travail a déclaré Mme [E] 'Inapte à la reprise; Procédure d'inaptitude conformément à l'article R4624-42 du code du travail. Inaptitude définitive au poste et tout poste dans l'entreprise.'.

Le 9 février 2018, l'employeur a convoqué et consulté l'instance unique des représentants du personnel.

Le 1er mars 2018, Mme [E] a été licenciée pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

Le 26 avril 2019, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement et obtenir les indemnités afférentes.

Par demande reconventionnelle, l'employeur a sollicité du conseil de prud'hommes qu'il condamne Mme [E] à verser 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

- condamné l'employeur à verser à Mme [E] la somme de 3 100 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi au titre de l'article 1240 du code civil,

- condamné l'employeur à verser à Mme [E] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes,

- condamné l'employeur aux dépens.

Par déclaration du 22 juin 2021, Mme [E] a relevé appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions du 21 février 2022, Mme [E] sollicite de la cour qu'elle :

- réforme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les parties de toutes autres demandes,

- statue ce que de droit sur la demande de réformation du même jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser la somme de 3 100 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi au titre de l'article 1240 du code civil,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur à lui verser la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamne l'employeur aux dépens,

- dise qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- dise que son licenciement est nul ou, subsidiairement, abusif,

- condamne l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention des faits de harcèlement moral : 20 000 euros,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral ou, subsidiairement, pour exécution fautive du contrat : 20 000 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 2 997 euros,

- indemnité de congés payés afférents : 299,70 euros,

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou, subsidiairement, abusif : 12 000 euros,

- indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 1°, du code de procédure civile : 2 000 euros

- ordonne la capitalisation des sommes dues à titre d'intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- déboute l'employeur de toutes ses demandes,

- condamne l'employeur aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions du 19 juillet 2022, l'employeur demande à la cour de :

- déclarer Mme [E] recevable mais mal fondée en son appel,

- déclarer l'employeur recevable et bien fondé en son appel incident du jugement rendu le 10 juin 2021 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a :

- condamné l'employeur à verser à Mme [E] la somme de 3 100 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi au titre de l'article 1240 du code civil,

- condamné l'employeur à verser à Mme [E] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'employeur de toutes autres demandes,

- condamné l'employeur aux dépens,

En tirant toute conséquence, statuant à nouveau, débouter Mme [E] de toutes ses demandes fins et conclusions,

- condamner Mme [E] à verser à l'employeur la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [E] au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, et éventuels frais d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

Motifs de la décision

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Au soutien de sa demande en reconnaissance des faits de harcèlement moral, Mme [E] expose que, lors de la reprise de la société sous une franchise de la société Carrefour en avril 2016, ses conditions de travail se sont dégradées quand elle a sollicité l'organisation d'élections des délégués du personnel et a critiqué l'existence d'un dispositif de video surveillance ; le directeur du magasin aurait alors cherché à l'isoler et ne l'aurait pas protégée d'une agression commise à son encontre par une autre salariée et aurait tardé à déclarer ces faits au titre d'un accident du travail ; elle aurait, par ailleurs, fait l'objet d'une surveillance accrue destinée à la déstabiliser et d'un avertissement injustifié. Elle fait valoir, enfin, qu'elle a dénoncé à l'employeur, le 31 janvier 2017, les faits de harcèlement moral qu'elle subissait et qu'en août 2018, elle a été placée en arrêt de travail de façon intermittente pour un syndrome dépressif réactionnel jusqu'à sa déclaration d'inaptitude.

Il incombe, en premier lieu, à la Cour de vérifier la matérialité des faits allégués avant d'apprécier si, pris ensemble, ils permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Sur l'organisation des élections professionnelles

Par courrier du 18 mai 2016, Mme [E] a sollicité auprès du nouvel employeur qui avait repris la société un mois auparavant l'organisation d'élections de représentants du personnel et a indiqué qu'elle se portait candidate.

L'employeur a répondu le 28 mai que des élections seraient organisées au mois de septembre afin de permettre la présence d'un nombre maximum de salariés après les vacances estivales et qu'il prenait bonne note de sa candidature.

Mme [E] a contesté devant l'inspection du travail la date envisagée par l'employeur pour organiser les élections ; l'inspecteur du travail lui a répondu le 13 juin, qu'après vérification, des élections partielles auraient du être programmées au plus tard le 4 juillet 2016 compte tenu de la date du précédent scrutin et il a enjoint l'employeur de les organiser.

Le 8 juillet 2016, l'employeur a conclu un protocole d'accord préélectoral avec les représentants des syndicats CGT et CFDT prévoyant un premier tour des élections le 8 septembre 2016 et un deuxième tour le 22 septembre.

Il découle de ces éléments qu'un litige a existé entre Mme [E] et l'employeur sur la date de l'organisation des élections, lesquelles ont été organisées conformément aux dispositions prévues dans l'accord préélectoral.

Sur la mise en place d'un système de video-surveillance

Par courrier du 4 juin 2016, Mme [E] a alerté l'employeur sur les conditions de mise en place d'un système de video-surveillance en violation des dispositions légales compte tenu de l'absence d'information préalable des salariés, de déclaration à la CNIL et d'autorisation du Préfet.

L'employeur a répondu le 13 juin que le système mis en place par l'ancien employeur avait été déclaré à la CNIL et autorisé par arrêté préfectoral du 15 octobre 2009. Le nouvel employeur a informé les salariés du dispositif par affichage dans les locaux de l'entreprise et par une information individuelle.

Ces assertions de l'employeur ne sont pas utilement critiquées par la salariée.

Sur la mise à l'écart de Mme [E]

Selon les attestations de 9 salariés, le directeur du magasin, M. [R], leur a donné des directives orales pour isoler Mme [E] et s'opposer à son élection comme délégué du personnel.

Ainsi, Mme [M] déclare : ' M. [R] avait formellement interdit les salariés de discuter ou de sympathiser avec elle ; dés que nous croisions M. [R] dans la salle de pause ou dehors sur le parking du magasin, il en profitait pour faire une remarque à son sujet en disant que c'était une mauvaise personne qui fallait éviter si on voulait que cela se passe bien dans le magasin. Il m'a convoquée à son sujet avant les élections des délégués du personnel, il m'a dit qu'il ne fallait pas voter pour elle et qu'il avait les moyens de savoir pour qui les salariés allaient voter....'

M. [A] atteste : ' M. [R] m'a demandé pour ne pas dire vivement conseillé d'éviter de parler, de saluer ou de me trouver dans les mêmes endroits qu'elle si je souhaitais conserver mon poste dans la société'.

Mme [P] indique : ' M. [R] m'a demandé si j'allais voter. J'ai dit que je ne connaissais pas la liste des candidats. Il m'a répondu ne vous en faites pas. Je vais organiser ça, il y a également [L] qui va se présenter. Elle va quitter le magasin après son congé de formation à la rentrée au même moment, vous êtes au courant ' J'ai répondu que je n'en savais rien. Il m'a dit en parlant de [L] : ' alors si la casse-couille vous demande de vous jeter d'un pont, vous le ferez'

J'ai également vu M. [R] déchirer les cartes de visite de la CGT et deux affiches que [I] venait de mettre au tableau d'affichage'.

M. [V] témoigne : ' le magasin a été franchisé. Depuis cette date, un grand changement au niveau des conditions de travail, de sécurité et d'ambiance se sont produits. L'ambiance est devenue exécrable. M.[R] convoquait constamment et sans motif les personnes qu'il désirait voir partir... En ce qui concerne plus particulièrement la situation de [I] [E], j'ai constaté que, dés le mois d'avril 2016, elle a été convoquée par le directeur car elle demandait l'application de la convention collective au sujet du repos conventionnel. Le directeur appliquait des repos qu'aux employés qu'il aimait bien, uniquement sur des critères d'affinité. Dés que [I] s'est présentée aux élections des représentants du personnel qu'elle a du déclencher, la situation n'a fait que s'aggraver pour elle. Le directeur a demandé aux employés de prendre des distances avec [I] lors des pauses notamment sous peine de sanction. J'ai donc obéi comme beaucoup....'

Mme [F] confirme que M. [R] l'a convoquée au sujet des élections et lui a dit que [I] allait se présenter et qu'il fallait faire le bon choix car [I] allait commencer une formation en septembre.

M. [C] [U], salarié en contrat à durée déterminée (janvier-juin 2017) atteste: ' c'est [L] qui m'a formé en épicerie, [X] [J], la référente en épicerie, m'a dit de faire attention à ne pas trop parler avec [L] sinon le directeur mettait un terme à ma mission d'interim. J'ai été convoqué 3 fois, une fois parce que j'ai rigolé avec elle dans le rayon avant l'ouverture du magasin. Il m'a dit que c'était la dernière fois qu'il me voyait rire avec elle.'

Mme [B] relate avoir été témoin de plusieurs manques de respect vis à vis de Mme [E] notamment depuis le jour où en l'absence de délégués du personnel dans le magasin, [L] a demandé au directeur qu'il serait bien d'avoir des délégués du personnel comme avant. ' Il lui a répondu : vous vous prenez pour qui, ici c'est moi le directeur et c'est moi qui décide quand et comment faire les choses. Une autre fois, M. [R] l'a convoquée dans son bureau car il souhaitait savoir si elle allait voter aux élections professionnelles et lui a dit ' vous savez, [I] n'est pas là et elle partira en formation pour plusieurs mois, il n'y a aucun intérêt à voter pour un fantôme...'

Mme [W] expose que M. [R] lui a dit que si elle voulait un contrat à durée indéterminée, elle devait arrêter son copinage rapidement avec [I] et confirme que la consigne dans le magasin était de ne pas lui parler ou très peu sous peine d'être isolé à son tour et ennuyé par le directeur par la suite.

M. [S] atteste : ' j'ai reçu des consignes de la part de [X] [J], référente en épicerie, elle m'a dit d'éviter des rigolades ou les discussions avec [I]. J'ai souvent entendu le nom de [I] au micro pour aller dans le bureau du directeur. J'ai pris des distances avec [I] pour ne pas avoir de problèmes...[I] a été isolée et tout le monde savait qu'il ne fallait pas lui parler ou sympathiser avec elle, sinon on subissait des représailles de la part du directeur.'

L'employeur met en cause l'objectivité de ces témoignages au regard du passé disciplinaire de leurs auteurs. Ainsi, Mme [P] a fait l'objet d'un avertissement pour absence injustifiée, Mme [M] a été licenciée pour faute grave en raison d'un abandon de poste, M. [A] également, Mme [F] a été licenciée pour faute grave pour avoir insulté un collègue de travail alors qu'elle avait été avertie à plusieurs reprises et M. [S] dont le dossier comportait plusieurs sanctions disciplinaires a été licencié pour faute grave pour abandon de poste.

Mais outre le fait que ces témoins attestent de faits semblables aux descriptions des autres salariés sans passé disciplinaire, l'employeur n'apporte pas d'éléments probants de nature à réfuter la réalité des faits rapportés relatifs à la mise à l'écart de Mme [E] sur l'instigation du directeur du magasin dans le but de faire échouer sa candidature aux élections professionnelles.

L'employeur n'est pas davantage en mesure de discuter le témoignage de M. [Y], agent de sécurité de la société Lynx, qui certifie, par attestation, avoir reçu des instructions précises de la part de M. [R] qu'il lui a demandé de surveiller Mme [E], non pas parce que des suspicions de vol pesaient sur elle mais parcqu'il voulait qu'elle se sente surveillée.

L'argument de l'employeur selon lequel le comportement agressif de Mme [E] serait à l'origine de son isolement est inopérant dans la mesure où il s'agit d'apprécier, à ce stade de la discussion, les actes de l'employeur et non celui de la salariée.

Il se déduit de ces éléments concordants que le grief de mise à l'écart de la salariée est caractérisé.

Sur l'absence de réaction de l'employeur face à l'agression subie par Mme [E]

Le 9 avril 2016, une altercation a eu lieu entre Mme [E] et Mme [O].

Il résulte des pièces du dossier que les torts étaient partagés entre salariées et que le directeur a enjoint l'une et l'autre de pacifier leurs relations.

Le grief n'est donc pas établi.

Sur l'usage abusif du pouvoir disciplinaire à l'égard de Mme [E]

L'employeur a notifié, le 12 janvier 2017, un avertissement à la salariée pour avoir, le 8 décembre 2016, menacé Mme [O] et lui avoir fait un doigt d'honneur sur le parking du magasin.

Mme [E] conteste le bien fondé de l'avertissement sans en demander l'annulation ; elle estime que l'agresseur est Mme [O].

Mais, il convient de relever d'une part que le courrier d'avertissement précise que l'altercation avait pour origine des faits relevant de la vie privée et que Mme [E] se plaignait d'avoir, elle aussi, été menacée par Mme [O] et d'autre part, que la même sanction a été délivrée à Mme [O] pour ces faits.

Il n'apparaît pas, dans ces conditions, que l'employeur a fait un usage abusif de son pouvoir disciplinaire.

Sur la déclaration tardive d'un accident du travail

Cette allégation, qui n'est étayée par aucune pièce, ne sera pas retenue comme un agissement possible de harcèlement moral.

Sur l'altération de l'état de santé de Mme [E]

Mme [E] a été arrêtée pendant plusieurs semaines entre 2016 et 2018 pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Son médecin traitant certifie qu'elle l'a consulté à plusieurs reprises en 2016 pour des troubles existentiels et selon les propos rapportés par la patiente, ce en raison de difficultés professionnelles, alors qu'elle est habituellement en bonne santé.

Le médecin psychiatre de l'intéressée a écrit au médecin du travail en octobre 2017 que Mme [E] présentait un syndrome dépressif qui serait réactionnel à des difficultés professionnelles et qu'elle rapporte être victime de harcèlement professionnel.

Le praticien a informé, le 29 janvier 2018, le médecin du travail qu'elle présentait des troubles du sommeil avec des réveils nocturnes multiples et des ruminations anxieuses ainsi que des angoisses quotidiennes et que son état psychique ne permettait pas d'envisager une reprise du travail.

Le 31 janvier 2018, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise.

Ces éléments médicaux concordants qui établissent un lien entre la souffrance au travail vécue par Mme [E], l'altération de son état de santé et la déclaration d'inaptitude ne sont pas utilement discutés par l'employeur.

Sur la dénonciation de faits de harcèlement moral

Par courrier du 31 janvier 2017, Mme [E] a dénoncé à l'employeur, et en a informé l'inspection du travail, les faits de harcèlement moral qu'elle subissait de la part du directeur en raison notamment de sa mise à l'écart orchestrée par M. [R] quand elle s'est portée candidate aux élections professionnelles.

L'employeur n'a réalisé aucune enquête pour vérifier la réalité des agissements et n'a pris aucune mesure pour les faire cesser.

Le 11 juin 2019, l'inspection du travail, saisie par la salariée d'une demande d'information sur l'enquête que les agents avaient effectué dans l'entreprise suite à sa dénonciation, lui a écrit qu'elle avait alerté l'employeur sur ses obligations légales en matière de harcèlement moral et que, dans le cadre de l'enquête qu'elle avait réalisée en janvier 2018, des salariés s'étaient exprimés sur sa situation et avaient relevé une différence de traitement défavorable à son encontre et une souffrance au travail vécue par elle.

Il découle de ce qui précède que Mme [E] a subi des agissements répétés de la part du directeur du magasin tendant à la discréditer et à la mettre à l'écart dans le but de faire échec à sa candidature aux élections professionnelles et de la stigmatiser postérieurement à celles-ci. Ces faits ont dégradé ses conditions de travail et ont eu pour effet de porter atteinte à ses droits et d'altérer sa santé. Pris ensemble, ces éléments laissent présumer l'existence de harcèlement moral.

Les 15 témoignages de salariés attestant de l'attitude agressive de Mme [E] avec certains de ses collègues de travail ne permettent pas d'exonérer le comportement discriminatoire et harcelant de l'employeur dans le contexte des élections professionnelles rappelé ci-dessus.

L'employeur n'apporte pas d'éléments de nature à contredire les 10 attestations de salariés et d'un agent de sécurité, ni les constatations de l'inspection du travail, établissant la réalité des agissements du directeur, ni les éléments médicaux sur l'altération de santé de la salariée en lien avec une souffrance au travail.

L'employeur ne parvient donc pas à renverser la présomption de harcèlement moral.

Par conséquent, l'existence du harcèlement moral subi par la salariée sera reconnue par la Cour et le jugement sera réformé en ce sens.

Le préjudice en résultant sera réparé par une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il y a lieu, en outre, d'allouer à Mme [E] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect par l'employeur de son obligation légale de prévention de faits de harcèlement moral dans la mesure où, bien qu'alerté par la salariée et l'inspection du travail sur ces faits, il est demeuré totalement passif.

Sur le licenciement

Il résulte d'une jurisprudence manifestement établie que le licenciement pour inaptitude d'un salarié est nul si cette inaptitude trouve sa cause directe dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur.

En l'espèce, il ressort des pièces médicales que la déclaration d'inaptitude a été rendue dans la continuité des arrêts de travail pour un syndrome dépressif réactionnel trouvant sa cause dans une souffrance au travail consécutive à des faits de harcèlement moral.

Il s'ensuit que le licenciement pour inaptitude causé par le harcèlement moral est nul.

Mme [E] peut, de ce fait, prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 2997 euros et les congés payés afférents et à une indemnité réparant le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi dont le montant sera fixé à 10.000 euros.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les autres demandes

Le jugement a alloué à Mme [E] une somme de 3100 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Cette décision est dénuée de tout fondement juridique ainsi que le reconnaissent d'ailleurs les parties, étant observé que la salariée n'avait pas formulé une telle demande. Cette disposition du jugement sera, en conséquence, annulée.

Tenue aux dépens, la société Sodimer sera condamnée à payer à Mme [E] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sommes allouées produiront des intérêts au taux légal à compter de la présente décision avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Par ces motifs

Infirme le jugement entrepris

statuant à nouveau et y ajoutant,

annule la disposition du jugement ayant alloué à Mme [E] une somme de 3100 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

dit que Mme [E] a subi des agissements de harcèlement moral,

prononce la nullité du licenciement pour inaptitude,

condamne la société Sodimer à payer à Mme [E] les sommes suivantes :

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect des mesures de prévention au titre du harcèlement moral,

- 10.000 euros pour licenciement nul,

- 2997 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents,

- 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

condamne la société Sodimer aux dépens.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/03542
Date de la décision : 25/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-25;21.03542 ?
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