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18/07/2024 | FRANCE | N°21/06825

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 18 juillet 2024, 21/06825


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------







ARRÊT DU : 18 juillet 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/06825 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MO4C







S.A.S. API RESTAURATION





c/



Monsieur [I] [V]

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée aux avocats le :






à :





Me Jean-françois CORMONT de la SELARL AUXIS AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

Me Stéphanie DOS SANTOS de la SELARL SAINVAL, avocat au barreau de BORDEAUX





Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 décembre 2021 (R.G. n°F 20/00127) par le Conseil de Prud'hommes - Formation...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 18 juillet 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/06825 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MO4C

S.A.S. API RESTAURATION

c/

Monsieur [I] [V]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Jean-françois CORMONT de la SELARL AUXIS AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

Me Stéphanie DOS SANTOS de la SELARL SAINVAL, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 décembre 2021 (R.G. n°F 20/00127) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 15 décembre 2021.

APPELANTE :

SAS Api Restauration, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 2]

Représentée par Me Justine MULTEAU substituant Me Jean-François CORMONT de la SELARL AUXIS AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ :

[I] [V]

né le 14 Juillet 1986 à [Localité 3]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Stéphanie DOS SANTOS de la SELARL SAINVAL, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 avril 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

qui en ont délibéré.

greffière lors des débats : Mme Evelyne Gombaud,

greffière lors du délibéré: Mme Sylvaine Déchamps

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

La société Api Restauration a embauché M. [I] [V] à compter du 15 janvier 2018 en qualité de second de cuisine, classification V, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée soumis aux dispositions de la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités du 20 juin 1983.

La durée du travail était fixée à 151,67 heures mensuelles.

M. [V] a fait l'objet d'un rappel à l'ordre le 8 janvier 2019 pour ne pas avoir effectué la mise en température sur une partie de la production de boeuf envoyée à la Cuisine centrale de [Localité 6] le 5 janvier 2019 et pour ne pas avoir assuré la traçabilité des produits.

M. [V] a fait l'objet d'un second rappel à l'ordre le 12 mars 2019 pour ne pas avoir procédé au contrôle du poisson envoyé en crèche.

M. [V] a fait l'objet d'un avertissement le 10 juillet 2019 pour ne pas s'être présenté à son poste le 27 juin 2019 sans motif légitime, pour ne pas avoir réalisé une commande le 3 juillet 2019, pour avoir commis des erreurs de grammage le 9 juillet 2019.

M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave fixé au 25 juillet 2019 et informé de sa mise à pied à titre conservatoire par un courrier du 18 juillet 2019. Il a été licencié pour faute grave le 6 août 2019.

Estimant ne pas avoir été entièrement rempli de ses droits en matière salariale et son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 22 janvier 2020.

Par jugement du 1 er décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

- dit le licenciement de M. [V] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Api Restauration à payer à M.[V] 3 600 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 360 euros pour les congés payés afférents, 859,81 euros à titre d'indemnité légale de licenciement , 2 190,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 219,06 euros pour les congés payés afférents, 1 079,99 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied,107,99 euros pour les congés payés afférents, 2 030,95 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires , 203 euros pour les congés payés afférents, 13 143 euros au titre du travail dissimulé, 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Api Restauration de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Api Restauration aux dépens.

La société Api Restauration en a relevé appel dans ses dispositions qui disent le licenciement de M. [V] dépourvu de cause réelle et sérieuse, qui la condamnent à payer à M.[V] 3 600 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 360 euros pour les congés payés afférents, 859,81 euros à titre d'indemnité légale de licenciement , 2 190,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 219,06 euros pour les congés payés afférents, 1079,99 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied, 107,99 euros pour les congés payés afférents, 2 030,95 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, 203 euros pour les congés payés afférents, 13 143 euros au titre du travail dissimulé, 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui la déboutent de sa demande reconventionnelle, qui la condamnent aux dépens, par deux déclarations, en date du 13 décembre 2021 pour la première, du 15 décembre 2021 pour la seconde.

M. [V] a relevé appel incident par voie de conclusions.

Les deux instances ont été jointes sous le numéro RG 21/06825.

L'ordonnance de clôture est en date du 23 avril 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience du 29 avril 2024, pour être plaidée.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 28 août 2023, la sas Api Restauration demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il juge le licenciement de M. [V] dépourvu de cause réelle et sérieuse, la condamne à payer à M. [V] 3 600 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 360 euros pour les congés payés afférents, 859,81 euros à titre d'indemnité légale de licenciement , 2 190,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 219,06 euros pour les congés payés afférents, 1079,99 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied, 107,99 euros pour les congés payés afférents, 2 030,95 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, 203 euros pour les congés payés afférents, 13 143 euros au titre du travail dissimulé, 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la déboute de sa demande reconventionnelle et la condamne aux dépens; et statuant à nouveau:

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

- limiter le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu par l'article L 1235-3 du code du travail, soit un mois de salaire, soit la somme de 1 800 euros,

- condamner M. [V] au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et à la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Par ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 3 août 2023, M.[V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement sur le principe de la condamnation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, déclarer recevable et bien fondé son appel incident sur le quantum et condamner l'employeur à lui verser la somme de 4 381,20 euros à titre de réparation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- confirmer le jugement sur le principe de la condamnation au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, déclarer recevable et bien fondé son appel incident sur le quantum et condamner l'employeur à lui verser la somme de 8 762,40 euros à titre de réparation pour exécution déloyale du contrat de travail,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux, en date du 1er décembre 2021, en toutes ses autres dispositions; en conséquence, condamner l'employeur à lui verser :

- indemnité compensatrice de préavis : 2 190,60 euros brut

- congés payés afférents : 219,06 euros brut

- indemnité de licenciement : 859,81 euros

- rappel de salaire sur mise à pied : 1 079,99 euros brut

- congés payés afférents : 107,99 euros brut

- rappel d'heures supplémentaires : 2 030,95 euros brut

- congés payés afférents : 203,09 euros brut

- indemnité minimale pour travail dissimulé : 13 1743,60 euros brut

- article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros

- condamner l'employeur aux entiers dépens de la procédure,

- condamner l'employeur au paiement d'une somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Sur la demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

La société Api Restauration fait valoir que les feuilles de présence, qui ne font au surplus pas apparaître les pauses dont M. [V] a bénéficié pour se restaurer, ont été signées par M. [V] qui n'a jamais formulé quelconque observation; que M. [V] a parfois travaillé moins que la durée légale du travail et a récupéré des heures.

M. [V] fait valoir que les heures supplémentaires, qui n'ont jamais été compensées par des jours de repos, n'ont plus été réglées à compter du mois de janvier 2019 de sorte que l'employeur reste lui devoir le paiement des 134,916 heures supplémentaires qu'il a réalisées sur la période courant de janvier 2019 à juillet 2019; que le décompte présenté par l'employeur est erroné en ce qu'il comptabilise des pauses que la charge de travail ne lui permettait en réalité pas de prendre.

Sur ce,

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments; il ne peut s'agir de la part de celui-ci d'une simple contestation des allégations du salarié et de leur absence de précision.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. ( Soc., 27 janvier 2021, n° 17-631.046).

Constituent des éléments suffisamment précis des attestations de tiers (Soc., 31 mai 2017, n°16-10372), des décomptes d'heures établis par le salarié ( Soc. 03 juillet 2013, n° 12-17.594; 24 mai 2018, n° 17-14.490), des relevés de temps quotidiens ( Soc., 19 juin 2013, n° 11.27-709), des fiches de saisie informatique enregistrées sur l'intranet de l'employeur contenant le décompte journalier des heures travaillées (Soc., 24 janvier 2018, n° 16-23.743), peu important que les tableaux produits par le salarié aient été établis durant la procédure prud'homale ou a posteriori (Soc., 12 avril 2012, n° 10-28.090; 29 janvier 2014, n° 12-24.858), des décomptes ne faisant pas apparaître les temps de pause (Soc., 27 janv. 2021, pourvoi n° 17-31.046), des décomptes réalisés par le salarié qui présentent des anomalies et des éléments erronés (Soc., 05 juill. 2023, n° 21-25.747), un tableau mentionnant, sur plusieurs années, un décompte du temps de travail toujours identique reposant sur la simple multiplication de la durée hebdomadaire de travail alléguée par cinquante-deux semaines ( Soc., 04 oct. 2023, n° 22-21.147), ou enfin la production d'un tableau correspondant à une addition hebdomadaire d'heures supplémentaires alléguées, sans décompte quotidien ni indication d'amplitude horaire ( Soc., 10 janv. 2024, n° 22-17.917).

En présence des éléments fournis par le salarié, l'employeur doit produire ses propres éléments et ainsi être en mesure de produire les éléments de contrôle de la durée du travail accompli par le salarié.

En l'espèce, M. [V] se prévaut de :

- ses bulletins de salaire des mois d'août, novembre et décembre 2018 portant la mention d'heures supplémentaires et de ses bulletins de salaire de 2019 n'en mentionnant aucune

- du témoignage par attestation de M. [B], cuisinier, qui indique, '(...) La pénibilité dû à la masse de travail demandé ne nous permettez pas de finir dans les temps. Malgré les poses que l'on ne pouvez pas prendreainsi que les repas faute de nourriture décentes (...) Tout cela entrenai des heures supplémentaires régulières non rémunérées (...)'

- des fiches de relevés d'horaires hebdomadaires signées par lui mentionnant pour chaque jour travaillé l'heure d'embauche et l'heure de débauche dont il ressort qu'il a été présent sur site durant 195,75 heures en janvier 2019, 166,40 heures en février 2019,175,42 heures en mars 2019, 176,17 heures en avril 2019, 40 heures la semaine du 17 mai 2019, 41 heures la semaine du 13 mai 2019, 40,5 heures la semaine du 20 mai 2019, 40 heures sur chacune des trois premières semaines de juin 2019 et de juillet 2019.

Il en résulte que M. [V] présente des éléments quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments

Pour contester la demande de son salarié, la société Api Restauration se contente de produire les relevés d'horaires et les tableaux récapitulatifs établis par ses soins ce qui est manifestement insuffisant à remplir l'obligation faite à l'employeur, compte-tenu des éléments fournis par le salarié, de justifier des horaires effectivement réalisés par celui-ci étant précisé que la société Api Restauration ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que les pauses dont elle se prévaut ont été effectivement prises et que toutes les heures effectuées au-delà de la durée légale ont été récupérées et qu'il est indifférent que M. [V] n'ait formulé aucune réclamation avant la rupture de la relation contractuelle.

Dès lors, au regard des pièces respectivement produites par les parties, il convient de fixer le volume d'heures supplémentaires accomplies par M. [V] à 134,916 heures, ouvrant droit à un rappel de salaire s'établissant à la somme de 2 030,95 euros, majorée de la somme de 203,09 euros pour les congés payés afférents.

Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration à payer à M. [V] 2 030,95 euros à titre de rappel de salaire et 203,09 euros pour les congés payés afférents.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

La société Api Restauration fait valoir que la demande ne peut pas prospérer en l'absence d'élément intentionnel au regard de la mise à la disposition des salariés par ses services de feuilles de relevés d'horaires.

M.[V] fait valoir que l'élément intentionnel requis s'évince de la récurrence des heures supplémentaires effectuées sans contrepartie.

Sur ce,

L'article L.8221-2 du code du travail  prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d'activité, telle que définie par l'article L 8221-3 dudit code, ou par dissimulation d'emploi salarié dans les conditions de l'article L 8221-5.

 

Aux termes de l'article L. 8223-1 du même code , le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'indemnité est calculée en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six mois précédant la rupture du contrat de travail (Cass. Soc., 18 octobre 2006, pourvoi n° 05-40.464).

La dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est toutefois caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce il résulte des énonciations qui précèdent que la société Api Restauration a mentionné sur les bulletins de salaire de M. [V] un nombre d'heures supplémentaires inférieur à celui réellement effectué par le salarié.

Le comportement intentionnel de la société Api Restauration apparaît parfaitement caractérisé au regard des relevés d'horaires dont il ressort que la direction savait que M. [V] effectuait plus d'heures que celles prévues au contrat de travail.

Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration à payer à M. [V] une indemnité de 13 143 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail

La société Api Restauration fait valoir que M. [V] ne rapporte pas la preuve des difficultés qu'il prétend avoir rencontrées dans le cadre de son activité professionnelle et n'a d'ailleurs jamais formulé la moindre réclamation avant la rupture du contrat de travail; que le préjudice lié à la perte de salaire que les premiers ont entendu réparer en accueillant la demande en dommages et intérêts formée par M. [V] l'est d'ores et déjà par les dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [V] fait valoir que l'arrêt du paiement des heures supplémentaires, les changements incessants d'horaires à compter de l'arrivée au mois de septembre 2018 d'un nouveau directeur, la décision unilatérale de ce dernier de le faire travailler en horaire de nuit, l'impossibilité de prendre des pauses et un repas durant le service faute de temps et d'une nourriture non avariée caractérisent de la part de la société Api Restauration autant de manquements à l'obligation de loyauté qui incombe à l'employeur et qu'il est fondé à demander la réparation du préjudice qui en a résulté.

Sur ce,

Il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

Il ne ressort d'aucun des éléments produits, singulièrement en l'absence de relevés d'horaires pour la période antérieure au mois de décembre 2018, un passage en travail de nuit à l'arrivée du nouveau directeur. L'examen des relevés produits établit en revanche que M. [V] est passé en poste de jour à compter du mois d'avril 2019.

Si M. [V] soutient que l'employeur mettait à leur disposition uniquement de la nourriture avariée il n'en rapporte pas la preuve, le témoignage de M. [B] qui fait état de ' dates périmées et de produits avariés' sans autre précision et les photographies qu'il produit n'y suppléant.

M. [V] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice en lien avec les changements d'horaires intervenus au cours du mois de février 2019 puis au cours du mois de mars 2019.

Il n'est pas discutable, pour les raisons susénoncées, que l'employeur a cessé à compter du mois de janvier 2019 de régler à M. [V] les heures supplémentaires, qui n'auraient pas été récupérées. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que M. [V] a bénéficié de pauses.

En ne règlant pas à M. [V] la totalité de ses heures de travail et en ne veillant pas au respect des temps de pause, la société Api Restauration a manqué à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail qui incombe à l'employeur. Le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions qui la condamnent au paiement de la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

II - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Sur le bien fondé du licenciement

La société Api Restauration fait valoir en substance que M. [V] devait en sa qualité de second de cuisine à la fois se conformer strictement aux règles d'hygiène particulièrement drastiques dans le domaine de la restauration rapide et superviser le travail des autres salariés; que la négligence de M. [V] qui a permis d'expédier des barquettes d'aubergines contenant des morceaux d'étiquettes caractérise de la part de l'intéressé un manquement à ses obligations d'autant plus grave qu'il avait déjà été rappelé à l'ordre et sanctionné d'un avertissement et que le nécessaire respect des règles lui avait été encore rappelé en janvier 2019 durant l'entretien annuel d'évaluation.

M. [V] fait valoir en substance que la réalité de l'incident n'est pas établie; que l'employeur lui a imputé la présence de morceaux d'étiquette sans avoir diligenté d'enquête alors que pas moins de six salariés ont travaillé sur les barquettes puisque l'équipe de nuit était composée de trois cuisiniers et que celle de jour composée également de trois personnes a scellé les barquettes et disposé les étiquettes; qu'il n'a pour sa part pas versé la purée d'aubergines dans les barquettes mais disposé uniquement le fromage râpé; que le morceau d'étiquette peut avoir été placé dans la barquette par une personne mal intentionnée; que formé dans une caserne il a appris la rigueur et la discipline et n'a d'ailleurs jamais reçu quelque reproche jusqu'au mois de janvier 2019; que la DDPP lui a délivré un agrément de niveau d'hygiène très satisfaisant au mois de mars 2018; que l'employeur lui a d'ailleurs confié la responsabilité de l'établissement entre le mois de juin 2018 et le mois d'août 2018; que la lettre de licenciement lui reprochant expressément d'avoir 'placé/oublié' les morceaux d'étiquette, les développements de l'employeur sur sa qualité de second de cuisine et l'obligation de contrôle qui en résulte sont inopérants; qu'il était d'ailleurs au statut employé comme ses collègues, au même salaire et sans lien hiérarchique; que l'employeur a en réalité décidé de mettre fin à leur collaboration suite à son refus d'être promu chef de cuisine au statut agent de maîtrise.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, qu'en cas de litige sur les motifs du licenciement d'un salarié, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs la faute grave, privative du droit au délai-congé et à l'indemnité de licenciement, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite la rupture immédiate des relations contractuelles.

La lettre du 6 août 2019, qui fonde le licenciement et fixe les limites du litige, est libellée comme suit:

' Monsieur,

Nous faisons suite à l'entretien qui s'est déroulé le 25 juillet 2019.

Vous avez éré reçu par Monsieur [W] [H], responsable d'exploitation.

Au cours de cet entretien, vous avez choisi de vous faire assister par Madame [S] [E], déléguée du personnel.

A cette occasion, nous sommes revenus sur les faits qui vous sont reprochés à savoir:

- en date du 15 juillet 2019, notre client People&Baby nous a contactés afin de nous faire part de son mécontentement suite à la découverte de morceaux de papier ( feuilles d'étiquettes) dans la nourriture destinées aux enfants de la crèche [5] de [Localité 4].

Au cours de l'entretien, vous avez indiqué ' j'ai pas fait ca- je pense que c'est pas moi-'. Puis vous avez ajouté ' j'ai aucun souvenir de ceci. J'ai pas de souvenir d'avoir eu un problème particulier qui m'aurait fait manqué de vigilance- je n'ai pas mis les aubergines en barquette et moi j'ai mis le râpé'.

Un tel comportement constitue une violation des articles 6.1 et 16.1 du règlement intérieur:

Article 6.1 : ' Le personnel de l'entreprise doit nécessairement exécuter les travaux qui lui sont confiés en respectant les ordres et consignés donnés par la direction'.

Article 16.1 : 'Les règles en matière d'hygiène et de sécurité doivent êtr respectées ainsi que les consignes imposées dans ces domaines par la direction'.

Ces faits ont gravement mis en cause la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi compte-tenu de leur gravité et malgré vos explications lors de notre entretien préalable nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave pour le motif suivant : non respect des règles d'hygiène et sécurité amimentaire.

(...)'.

Il en ressort que la société Api Restauration n'a pas décidé de se séparer de M. [V] sur le motif qu'il avait placé des morceaux d'étiquette dans les barquettes mais pour ne pas avoir le 15 juillet 2019 à l'occasion de la préparation de barquettes de purée d'aubergines destinées aux enfants de la crèche [5] sise à [Localité 4] respecté les prescriptions de son règlement intérieur en matière d'hygiène et de sécurité alimentaire, de sorte que les développements du salarié sur l'impossibilité pour l'employeur de se prévaloir des responsabilités attachées au poste de second de cuisine sont inopérants.

La réalité de l'incident est établie par la fiche incident alimentaire établie par Mme [F] [C] de la crèche [5] pour un incident survenu le 15 juillet 2019 consistant en la présence de morceaux de papier dans la préparation d'aubergines destinée aux enfants, accompagnée de trois photographies.

Il n'est pas discutable, et l'intéressé qui soutient que sa tâche a consisté à poser le fromage râpé sur la préparation ne le discute pas utilement, que M. [V] a participé à la confection des barquettes destinées à la crèche [5], livrées le 15 juillet 2019, dans laquelle des morceaux d'étiquettes ont été découverts.

La société Api Restauration expose que la manipulation litigieuse ne peut avoir été commise que par l'équipe de nuit puisque l'équipe de jour assure seulement le scellage et que les morceaux d'étiquettes ont été retrouvés dans la préparation parsemée de fromage râpé. M.[V] soutient que la présence des morceaux d'étiquettes peut être aussi bien le fait de l'équipe de jour en charge à la fois du scellage des barquettes et de leur étiquetage. En l'absence d'élément factuel sur les attributions de l'équipe de jour et les process en vigueur dans l'entreprise du remplissage des barquettes à leur expédition, il existe un doute, que les photographies produites ne suffit pas à lever, qui doit profiter au salarié. Il s'en déduit que le licenciement de M. [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est confirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement

M. [V] dont le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse a droit au rappel de salaire correspondant à la période durant laquelle il a été mis à pied à titre conservatoire, aux indemnités de rupture, à la réparation du préjudice qui a résulté de la perte de son emploi.

Sur le rappel de salaire au titre de la période de mise à pied

Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration à régler la somme de 1 079,99 euros brut à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied et celle de 107,99 euros pour les congés payés afférents.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

La société Api Restauration expose qu'elle doit être calculée sur la base de la rémunération mensuelle de M. [V] et s'établit ainsi à la somme de 1 800 euros.

M. [V] demande à la cour de prendre en considération l'ensemble des salaires et avantages qu'il aurait perçus s'il avait travaillé pendant la période considérée, soit un total de 2 190,60 euros.

Sur ce,

L'indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l'indemnité de congés payés, que le salarié aurait perçus s'il avait travaillé pendant cette période.

Le salaire à prendre en considération englobe ainsi tous les éléments de rémunération auxquels le salarié aurait pu prétendre, à l'exception des primes et indemnités représentant des remboursements de frais réellement engagés. Il y a donc lieu de faire bénéficier le salarié des augmentations générales intervenues pendant le préavis, des primes à périodicité non mensuelle dont il aurait bénéficié ( 13 ième mois, prime de vacances ), de la prime d'intéressement sur le chiffre d'affaires réalisé pendant la durée du préavis, de la prime de rendement, de la prime d'objectifs, de la prime d'éloignement géographique, des indemnités forfaitaires n'ayant pas le caractère de remboursement de frais professionnels.

En application des dispositions conventionnelles applicables, sur la base d'une ancienneté de moins de deux années et de la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait poursuivi son activité, M. [V] a droit à une indemnité compensatrice de préavis s'établissant à la somme de 2 190,60 euros majorée de 219,06 euros pour les congés payés afférents.

Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration au paiement de la somme de 2 190,60 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de la somme de 219,06 euros pour les congés payés afférents.

Sur l'indemnité de licenciement

Le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration à payer la somme de 859,81 euros à titre d'indemnité de licenciement légale.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement abusif

La société Api Restauration fait valoir qu'elle est recevable à demander une diminution du montant des dommages et intérêts pour l'avoir sollicitée dès le stade de la déclaration d'appel; que M. [V] ne fait la démonstration d'aucun préjudice.

M.[V] fait valoir que la société Api Restauration qui n'a pas conclu en réponse à son appel incident dans le délai de l'article 910 du code de procédure civile n'est pas recevable à demander la limitation du montant des dommages et intérêts; que la rupture du contrat de travail intervenue alors qu'il s'était investi sans compter l'a brisé moralement et plongé dans une situation de précarité pendant les six mois qui se sont écoulés avant qu'il ne retrouve un emploi.

Sur ce,

Suivant les dispositions de l'article 562 du code de procédure civile, ' L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.'

Suivant les dispositions de l'article 910 du même code , ' L'intimé à un appel incident dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en a été faite pour conclure.(...)'.

En l'espèce, en concluant le 9 juin 2022 à l'infirmation du jugement déféré dans ses dispositions tenant au quantum des dommages et intérêts pour licenciement abusif et manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail, M. [V] a relevé appel incident.

La société Api Restauration, dont la déclaration d'appel et les conclusions du 9 mars 2022 ne sauraient être considérées comme des conclusions en réponse au sens de l'article 910 du code de procédure civile, disposait en application des dispositions susénoncées d'un délai courant jusqu'au 9 septembre 2022 pour y répondre.

Il s'en déduit que les conclusions notifiées le 4 octobre 2022 et le 28 août 2023 sont irrecevables dans leurs dispositions afférentes au montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié ayant une ancienneté se situant entre un an et deux ans survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie le cas échéant une indemnité qui ne peut pas être inférieure à 1 mois de salaire ni supérieure à 2 mois. Il est constant que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de l'employeur ne peut excéder, au regard de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et au montant de son salaire brut, le montant maximal fixé par ce texte exprimé en mois de salaire brut (Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782).

Au regard de l'ancienneté et de l'âge de M. [V] au jour de son licenciement, du montant de son salaire brut mensuel, de sa capacité à retrouver un emploi, le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions qui lui allouent la somme de 3 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. S'agissant d'une créance de nature indemnitaire, le jugement déféré est en revanche infirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration à payer 360 euros au titre des congés payés afférents.

III - Sur les frais du procès

Compte-tenu de l'issue du litige, le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions qui condamnent la société Api Restauration aux dépens et à payer à M. [V] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui la déboutent de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.

La société Api Restauration, qui succombe devant la cour, doit suporter les dépens d'appel et être en conséquence déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

L'équité commande de ne pas laisser à M. [V] la charge de ses frais irrépétibles d'appel. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Api Restauration est condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les conclusions de la société Api Restauration dans leurs dispositions afférentes au montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif;

Confirme le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions à l'exception de celles qui condamnent la société Api Restauration au paiement de la somme de ' 360 euros pour les congés y afférents';

Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Dit que la condamnation au paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif ne donne pas lieu à majoration au titre de congés payés;

Condamne la société Api Restauration aux dépens d'appel; en conséquence la déboute de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;

Condamne la société Api Restauration à payer à M. [V] 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/06825
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;21.06825 ?
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