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18/07/2024 | FRANCE | N°21/05262

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 18 juillet 2024, 21/05262


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------







ARRÊT DU : 18 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/05262 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MKIU







Madame [S] [J]





c/



Mademoiselle [R] [T]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/021820 du 07/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
















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Grosse délivrée aux avocats le :





à :





Me Christophe JOLLIVET de la SELARL AGORAJURIS, avocat au barreau de PERIGUEUX

Me Natacha MAYAUD de la SCP CABINET MALEVILLE, avocat au barreau de PERI...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 18 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/05262 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MKIU

Madame [S] [J]

c/

Mademoiselle [R] [T]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/021820 du 07/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Christophe JOLLIVET de la SELARL AGORAJURIS, avocat au barreau de PERIGUEUX

Me Natacha MAYAUD de la SCP CABINET MALEVILLE, avocat au barreau de PERIGUEUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 août 2021 (R.G. n°F 20/00067) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 22 septembre 2021.

APPELANTE :

[S] [J]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

Représentée par Me Christophe JOLLIVET de la SELARL AGORAJURIS, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

[R] [T]

née le 26 Mai 1995 à [Localité 6]

de nationalité Française, demeurant Chez Monsieur [Y] [C] - [Adresse 1]

Représentée par Me Natacha MAYAUD de la SCP CABINET MALEVILLE, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 avril 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente

Madame Sophie Lésineau, conseillère

Madame Valérie Collet, conseillère

qui en ont délibéré.

greffière lors des débats : Mme Evelyne Gombaud

greffière lors du délibéré: Mme Sylvaine Déchamps

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

FAITS ET PROCEDURE

Mme [J], entrepreneur individuel, a engagé Mme [R] [T] le 5 mars 2018 en qualité de chauffeur-groupe 3 bis dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.

Mme [T] a été placée en arrêt maladie le 6 janvier 2020, renouvelé jusqu'au 27 mars suivant, date à laquelle elle a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, qui lui en a accusé réception le 1 er avril 2020.

Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux de diverses demandes en paiement par une requête reçue le 22 juillet 2020.

Par jugement du 31 août 2021, le conseil de prudhommes de Périgueux a:

- requalifié le contrat de travail en un contrat de travail à temps complet et en conséquence condamné l'employeur à payer à titre de rappel de salaire 2 468,94 euros et 246,89 euros pour les congés payés afférents pour 2018, 3 877,11 euros et 387,71 euros pour les congés payés afférents pour 2019 , 2 837,85 euros et 283,78 euros pour les congés payés afférents pour 2020,

- requalifié la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamné l'employeur à payer 1 714,03 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 867,13 euros à titre d'indemnité de licenciement, 3 428,06 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 324,80 euros pour les congés payés afférents,

-condamné l'employeur à payer 250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui a résulté de la non prise de congés pendant deux ans,

- condamné l'employeur à payer au conseil de la salariée 2 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991

- condamné l'employeur à remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée, le bulletin de salaire du mois d'avril 2020 et le reçu pour solde de tout compte conformes à la décision , sous astreinte de 70 euros par jour de retard à compter de la décision,

- condamné l'employeur aux dépens,

- débouté l'employeur de ses demandes reconventionnelles.

Mme [J] en a relevé appel par une déclaration du 22 septembre 2021, dans toutes ses dispositions.

L'ordonnance de clôture est en date du 23 avril 2024.

L'affaire a été fixée à l'audience du 29 avril 2024, pour être plaidée.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 10 avril 2024, Mme [J] demande à la cour de :

-réformer le jugement entrepris dans ses dispositions qui requalifient le contrat de travail en un contrat de travail à temps complet et la condamnent à payer un rappel de salaire, qui jugent que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnent à payer les indemnités légales et des dommages et intérêts, qui la condamnent à paiement pour non prise de congés et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991; et statuant à nouveau,

-déclarer Mme [T] irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter,

-requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [T] en une démission et la condamner à lui verser reconventionnellementune indemnité de préavis de 345,10 euros brut,

-condamner Mme [T] aux dépens et à lui payer la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [J] fait valoir en substance que:

- sur la demande en requalification du contrat de travail,

* la durée de travail convenue avec Mme [T] résulte des plannings indiquant les tournées, affichés chaque mois dans les locaux de l'entreprise et remis aux salariés, étant précisé que si les parcours pouvaient varier d'un jour à l'autre ou d'une semaine à l'autre,les horaires de livraisons étaient toujours fixes

* les divergences avec les heures finalement rémunérées apparaissant sur les bulletins de salaire, jamais discutées, résultent de la circonstance qu'il s'agit de plannings prévisionnels, des échanges de tournées auxquels Mme [T] a procédé avec ses collègues par convenance personnelle, des jours de formation, des absences injustifiées et des grèves affectant le fonctionnement de la plate forme logistique

* il n'existe aucune divergence entre les plannings définitifs et les bulletins de salaire

* Mme [T] ne rapporte d'ailleurs pas la preuve qui lui incombe qu'elle devait se tenir constamment à sa disposition

* les sms dont Mme [T] se prévaut lui étaient envoyés par la plateforme logistique, singulièrement par un dénommé [W] auquel elle avait communiqué son numéro de téléphone de son plein gré, uniquement pour l'informer des retards éventuels des camions de livraison, et ne l'empêchaient pas de vaquer à ses occupations personnelles

* outre qu'elle ne peut donc pas prospérer la demande de rappel de salaire doit être effectuée sur la base d'une durée de travail de 35 heures hebdomadaires prévue aux dispositions du code du travail applicables en l'espèce, mais également pour les activités de messagerie;

- Mme [T] tait la contrepartie financière qu'elle a perçue en contre partie des jours de congés acquis;

- sur la prise d'acte,

* les griefs articulés par Mme [T] avaient rendu la poursuite de la relation de travail impossible, Mme [T] n'aurait pas attendu que deux années s'écoulent pour les lui adresser; la vérité est que cette prise d'acte a été formulée par opportunité, après qu'une démission ait d'abord été évoquée par la salariée qui souhaitait se rapprocher de chez sa mère

* les indemnités de rupture doivent en tout état de cause être calculées sur la base d'une ancienneté de 1 an 9 mois 22 jours;

- il serait particulièrement inéquitable eu égard au caractère abusif de la procédure engagée qu'elle supporte les frais qu'elle a dû exposer.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par voie électronique le 03 avril 2024, Mme [T] demande à la cour de :

-déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Mme [J],

-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- à titre subsidiaire si la cour estimait que le rappel de salaires entre mars 2018 et mars 2020 doit se calculer sur une base 151.67 heures, condamner Mme [J] au paiement d'une somme de 4707.52 euros au titre des rappels de salaire entre mars 2018 et mars 2020 outre 470.52 euros au titre des congés payés y afférents,

- en tout état de cause y ajouter la somme de 5 999,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité durant deux ans de prendre des congés,

-condamner Mme [J] à verser à Maître Natacha Mayaud la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la Loi du 10 juillet 1991 en cause d'appel.

Mme [T] fait valoir en substance que:

- sur la demande en requalification du contrat de travail,

* son contrat de travail ne mentionne ni la durée du travail ni les modalités d'exécution des heures complémentaires

* outre que l'employeur ne précise pas que les locaux de l'entreprise sont en réalité le domicile personnel de Mme [J], elle se rendait en réalité directement de chez elle sur le site de Gravelles ou sur celui de [Localité 5] où les camions arrivaient pour certains dès 1h40

* les plannings produits par l'employeur n'établissent pas la réalité des heures effectuées telle qu'elle résulte des bulletins de salaire

* le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions qui condamnent l'employeur à des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail

* le rappel de salaire doit être calculé sur la base de la durée du travail prévue par la Convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 soit 39 heures hebdomadaires;

- elle est fondée à demander la réparation du préjudice qui a résulté de l'absence de prise de congés deux années durant;

- sur la prise d'acte,

* l'établissement d'un contrat de travail non conforme et le refus de la laisser prendre des jours de congés caractérisent de la part de l'employeur des manquements graves à ses obligations qui rendaient la poursuite de la relation de travail impossible; l'absence de réclamation de sa part résulte de sa méconnaissance, compte-tenu de son jeune âge, de la législation sociale ;

* les indemnités légales de rupture ont été calculées à juste titre sur la base d'une durée de travail s'établissant à 39 heures hebdomadaires

* le préjudice qui a résulte de la perte de son emploi est d'autant plus important qu'elle a dû retourner vivre chez sa mère et qu'elle n'a retrouvé un emploi qu'au mois d'octobre 2020.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la demande en requalification du contrat de travail en un contrat de travail à temps complet et ses conséquences

Sur le bien fondé de la demande en requalification

Selon l'article L. 3123-6 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel doit être établi par écrit et préciser notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiquées par écrit au salarié, les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée. Cette exigence légale s'applique non seulement au contrat initial mais aussi à ses avenants modificatifs de la durée du travail ou de sa répartition.

L'absence d'écrit ou de conformité n'entraîne pas une requalification de plein droit du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, mais pose une présomption simple de travail à temps complet.

Pour renverser cette présomption, l'employeur a une double preuve à rapporter: celle de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et celle que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition (Soc., 25 février 2004, n° 01-46.541 et 01-46.394; 21 novembre 2012, n° 11-10.258; 9 janvier 2013, n° 11-16.433). Les juges du fond doivent vérifier que cette double preuve est rapportée.

La preuve de la durée de travail exacte convenue est d'autant plus importante qu'elle

permet de déterminer l'importance de l'obligation de fournir du travail qui pèse sur l'employeur, le seuil de déclenchement des heures complémentaires et le cas échéant de leurs majorations légales ou conventionnelles, le plafond des heures complémentaires qu peuvent être réalisées.

En l'espèce, le contrat de travail conclu par les parties ne comporte aucune indication de la durée de travail hebdomadaire ou mensuelle prévue, le libellé de l'article 4 qui y est consacré mentionnant simplement , ' Un forfait horaire est établi pour chaque secteur de livraison. Pendant la période d'essai la durée du travail setra rémunérée en fonction du nombre de tournées effectuées exclusivement. Pour un contrat CDI définitif, après une période d'essai. Un planning sera établi (chaque mois) en accord des parties en fonction de la formation des tournées de livraisons acquises'. Il est en conséquence présumé à temps plein.

Pour renverser cette preuve, l'employeur verse aux débats:

- une Attestation procédure des tournées non datée cosignée par M. [I], M. [D] et Mme [A] en leur qualité de salariés de Mme [J], indiquant ' L'arrivé du camion Sud Ouest est très variable. De ce fait nous recevons par SMS l'heure d'arrivée du camion vers 2h 2h1/2. Nous avons un horaire de départ théorique du calion de [Localité 3] à 2h10 avec une arrivée à notre dépôt à 3h45",

- une Attestation procédure de départ des tournées établie le 28 août 2020 par M. [X], responsable d'agence au sein de Alliance Healthcare [Localité 5], indiquant ' Pour les tournées du lundi matin, les tournées de 3h00 départ au plus tard 7h30. Pour les tournées de l'après-midi du lundi au vendredi les tournées de 3h00 au plus tard 13h30. Nous effectuons la livraison des pharmacies depuis l'implantation de notre société dans le département depuis plus de 50 ans',

- une Attestation procédure de départ des tournées chaque nuit établie le 23 mai 2018 par M. [L], responsable logistique de CADP, mentionnant 'Pour rappel Sud Ouest est imprimé à [Localité 3] et la dordogne libre à [Localité 2]. De se fait nous sommes tributaires de leurs heures de réception. Si la dordogne libre ne pose pas de problèmes particuliers en revanche nous subissons de nombreux écarts lors de la réception de sud ouest, justifiées par l'imprimerie car retardés par la rédaction du journal rapport à l'actualité. Pour référence nous avons un horaire théorique du camion de [Localité 3] à 2h10 avec une arrivée à notre dépôt à 3h45. Lors de l'arrivée du camion sud ouest chaque fourgon de livraison se met en place (...) Aucune tournée ne dépasse 4h de travail. Dans un soucis de confort pour chacun, et de ne pas faire attendre les chauffeurs en cas de retard chaque intervenant est avertis individuellement chaque nuit par SMS de l'heure d'arrivée effective du camion de [Localité 3]. (...)'

- un témoignage non daté établi par Mme [A] et un témoignage établi le 21 avril 2021 par M. [Z] qui font état uniquement de la remise le 20 du mois des plannings du mois suivant,

dont la cour relève qu'aucun, outre de ne pas satisfaire aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, ne justifie de la durée de travail convenue entre les parties, celle-ci n'étant pas plus rapportée par les plannings hebdomadaires dont la lecture attentive établit que les horaires de travail de Mme [T] variaient d'un mois à l'autre pour s'établir comme suit :

janvier

février

mars

avril

mai

juin

juillet

août

septembre

octobre

novembre

décembre

2018

124

142

146

151

149

151

125

147

129

135

2019

125

136

135

119

142

126

145

153

119

21

113

135

2020

24 (2,3,4,5)

Pour finir de répondre à l'argumentaire de Mme [J], la cour relève encore que les échanges de tournées, les jours de formation, les absences injustifiées et les grèves de la plateforme logistique allégués ne ressortent d'aucun des éléments du dossier, que les bulletins de salaire établis après l'exécution de la prestation de travail reflètent simplement a posteriori les conditions d'exécution de la prestation de travail.

Mme [J] ne renversant pas la présomption, le jugement déféré est confirmé dans ses dispositions qui ordonnent la requalification du contrat de travail conclu entre les parties en un contrat de travail à temps complet.

Sur les conséquences financières de la requalification

Sur le rappel de salaire

Suivant les dispositions de l'article L.2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur.

Il ressort des éléments du dossier que le secteur d'activité de l'employeur, singulièrement celui de la messagerie - son personnel roulant étant à titre principal affecté à des services organisés d'enlèvement et de livraison de marchandises ou de produits dans le cadre de tournées régulières nécessitant pour une même expédition de domicile à domicile des opérations de groupage et de dégroupage -, relève de la Convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, dont l'article 1 prévoit qu'elle règle avec les accords qui y sont annexés les rapports entre les employeurs et les salariés des entreprises relevant de l'une des activités du transport énumérées à la suite, par référence à la nomenclature d'activité française - NAF - adaptée de la nomenclature d'activité européenne - NACE - et approuvée par le décret n° 92-1129 du 2 octobre 1992. Il s'en déduit que ses dispositions s'imposent à l'employeur.

La cour relève d'ailleurs que l'article 1 du contrat de travail mentionne que la salariée est recrutée en qualité de chauffeur Groupe 3 bis, cette classification relevant des dispositions de ladite convention.

Suivant les dispositions de l'article D 3312- 45 3° dans sa version en vigueur depuis le 1 er janvier 2017 issue du Décret n°2016-1550 du 17 novembre 2016 la durée de travail, dénommée temps de service, correspondant à la durée légale du travail ou réputée équivalente à celle-ci en application de l'article L. 3121-13 du code du travail, est fixée à 35 heures par semaine ou 455 heures par trimestre pour les conducteurs de messagerie et les convoyeurs de fonds. Il en résulte un rappel de salaire s'établissant à 2 215,71 euros outre 221,57 euros au titre des congés payés afférents pour 2018, 3 479,46 euros outre 347,95 euros au titre des congés payés afférents pour 2019, 2 546,79 euros pour 2020. La cour ne pouvant toutefois pas statuer au-delà des prétentions des parties, Mme [J] est condamnée au paiement de la somme de 4 707,52 euros et à celle de 470,75 euros pour les congés payés afférents demandées.

Le jugement déféré est infirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail

Il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur incombe au salarié.

Mme [T], qui ne justifie, ni même n'allègue, de l'existence d'un préjudice qui serait résulté de l'établissement d'un contrat de travail ne satisfaisant pas aux prescriptions de l'article L. 3123-6 du code du travail, doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.

II - Sur la demande en dommages et intérêts pour l'absence de congés

Tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur. Cette disposition est d'ordre public.

Le droit aux congés payés est ouvert au salarié, quels que soient son emploi, sa catégorie ou sa qualification, la nature de sa rémunération et son horaire de travail. Le salarié à temps partiel a les mêmes droits que le salarié à temps complet.

Les congés payés doivent être pris, chaque année, par le salarié et ne peuvent être remplacés par le versement d'une indemnité compensatrice.

Il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

En l'espèce, il n'est pas discutable, et l'employeur qui conclut à une erreur de sa part ne le discute pas, que Mme [T] n'a pris aucun jour de congés durant la relation de travail.

En ne prenant aucune mesure propre à assurer à Mme [T] la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, Mme [J], que le paiement desdits congés n'est pas de nature à exonérer, a manqué à son obligation.

Le 3 avril 2024, Mme [T] a transmis des conclusions comportant le dispositif suivant:

' DECLARER recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Madame [S] [J]

CONFIRMER le Jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de PERIGUEUX dans l'ensemble de ses dispositions

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que le rappel de salaire entre mars 2018 et mars 2020 doit se calculer sur une base de 151h67

CONDAMNER Madame [J] au paiement d'une somme de 4707,52 euros au titre des rappels de salaire entre mars 2018 et mars 2020 outre 470,52 euros au titre des congés payés afférents

En tout état de cause,

Y AJOUTER:

- la somme de 5 999,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité durant deux ans de prendre des congés

VOIR CONDAMNER (...)'.

Il en ressort que Mme [T] demande à titre principal la confirmation du jugement dans ses dispositions qui condamnent Mme [J] à lui payer la somme de 250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui a résulté de l'absence de congés.

En l'espèce, le jugement est confirmé dans ses dispositions qui condamnent l'employeur à payer 250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui a résulté de la non prise de congés pendant deux ans.

III - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

Sur la nature de la prise d'acte

Il est loisible au salarié confronté au non respect par l'employeur des obligations inhérentes au contrat de travail, de prendre acte de la rupture dudit contrat.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du Code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui en empêche la poursuite.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur, sachant que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, le juge étant alors tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Cette prise d'acte de la rupture par le salarié ne constitue ni un licenciement, ni une démission, mais une rupture produisant les effets de l'un ou de l'autre selon que les faits invoqués la justifient ou non.

Si elle est fondée sur des faits avérés constitutifs d'une violation des obligations contractuelles de l'employeur, la rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul.

Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier l'impossibilité de poursuivre la relation de travail.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige. Il appartient donc au conseil de prud'hommes d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s'ils n'ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d'acte.

C'est à la date à laquelle le salarié a pris acte que se situe la fin du contrat de travail.

En l'espèce, Mme [T] prend acte de la rupture de son contrat de travail en évoquant successivement :

- la non conformité du contrat de travail à temps partiel conclu au mois de mars 2018

aux dispositions de l'article L. 3123-6 du code du travail

- le refus de l'employeur de la laisser prendre des congés.

L'absence de diligences pour permettre à Mme [T] de prendre les jours de congés régulièrement acquis, avérée pour les raisons susdéveloppées, caractérise eu égard à la finalité de repos assignée aux congés, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'autre grief, un manquement grave de la part de Mme [J] aux obligations qui incombent à l'employeur, ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail, peu important l'absence de réclamation pendant la relation de travail.

La rupture qui a résulté de la prise d'acte doit en conséquence produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

Il est constant qu'en cas de requalification par le juge d'une prise d'acte en une rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, à une indemnité de licenciement ainsi qu'à des dommages intérêts.

L'article L.1234-1 du code du travail dispose: ' Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié'.

Les absences occasionnées par la maladie non professionnelle n'entrent pas dans le calcul de l'ancienneté.

Entrée dans l'entreprise le 5 mars 2018, Mme [T], dont le contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie du 4 octobre 2019 au 3 novembre 2019 puis du 7 janvier 2020 au 31 mars 2020 soit pendant 116 jours, justifiait au jour de la rupture de son contrat de travail le 1 er avril 2020 d'une ancienneté de 1 an 9 mois 22 jours, lui ouvrant droit à un préavis d'un mois.

Sur la base de la rémunération qu'elle aurait perçue, Mme [T] a ainsi droit à une indemnité compensatrice de préavis s'établissant à la somme de 1 714,03 euros, majorée de la somme de 171,40 euros pour les congés payés afférents, que Mme [J] est condamnée à lui payer. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.

Pour une ancienneté de 1 an 9 mois 22 jours et pour un salaire de référence de 1 714,03 euros, Mme [T] a droit à une indemnité de licenciement s'établissant à la somme de 776 euros [( 1 714,03 x 1/4) + ( 1 714,03 x 1/4 x 9/12) + ( 1 714,03 x 1/4 x 22/365)] que Mme [J] est condamnée à lui payer. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.

Selon l'article L.1235-3, alinéa 3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié ayant une ancienneté se situant entre un an et deux ans survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie le cas échéant une indemnité qui ne peut pas être inférieure à 0,5 mois de salaire ni supérieure à 2 mois. Il est constant que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de l'employeur ne peut excéder, au regard de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et au montant de son salaire brut, le montant maximal fixé par ce texte exprimé en mois de salaire brut (Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782).

Au regard de l'ancienneté de la salariée, de son âge au jour de son licenciement, du montant de son salaire brut mensuel, de sa capacité à retrouver un emploi, le préjudice qui a résulté de la perte de son emploi sera entièrement réparé par le versement de la somme de 1 714,03 euros que l'employeur est condamné à lui payer, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

L'issue du litige commande de débouter Mme [J] de sa demande au titre du préavis de démission, les premiers juges n'ayant pas expressément statué de ce chef.

IV - Sur les frais du procès

Le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions tenant aux dépens et aux frais irrépétibles.

Mme [J], qui succombe devant la cour, est tenue aux dépens d'appel.

Mme [J] qui ne peut dès lors plus prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, est déboutée de sa demande à ce titre.

Eu égard à sa situation économique, Mme [J], non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, est en mesure de faire face aux frais et honoraires non compris dans les dépens que Mme [T], bénéficiaire de ladite aide, aurait exposés si elle n'avait pas eu cette aide et qui sont évalués à 2500 euros. Elle est condamnée au paiement selon les modalités précisées au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré dans ses dispositions qui fixent le rappel de salaire pour 2018 à la somme de 2468, 94 euros, pour 2019 à la somme de 3 877,11 euros, pour 2020 à la somme de 2 837,85 euros, outre les congés payés afférents, l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 3 428,06 euros outre les congés payés afférents et l'indemnité de licenciement à la somme de 867,13 euros, qui condamnent Mme [J] à payer à Mme [T] la somme de 1 714,03 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail,

Confirme le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute Mme [T] de sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;

Condamne Mme [J] à payer à Mme [T]:

- 4 707,52 euros et 470,75 euros pour les congés payés afférents à titre de rappel de salaire pour 2018, 2019 et 2020

- 1 714,03 euros et 171,40 euros pour les congés payés afférents à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 776 euros à titre d'indemnité de licenciement;

Déboute Mme [J] de sa demande au titre du préavis de démission;

Condamne Mme [J] aux dépens d'appel; en conséquence la déboute de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;

Condamne Mme [J] à payer à Maître Natacha Mayaud la somme de 2 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et l'article 700 2° du code de procédure civile sous réserve que Maître Natacha Mayaud renonce à la perception de la contribution de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps M.P. Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/05262
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;21.05262 ?
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