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18/07/2024 | FRANCE | N°21/04506

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 18 juillet 2024, 21/04506


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 18 JUILLET 2024







PRUD'HOMMES



N° RG 21/04506 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIG2













Monsieur [J] [T]



c/

S.A.R.L. MULTI SERVICES 69





















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée aux avoca

ts le :

à :

Me Blandine LECOMTE, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 juillet 2021 (R.G. n°F19/00702) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Sec...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 18 JUILLET 2024

PRUD'HOMMES

N° RG 21/04506 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MIG2

Monsieur [J] [T]

c/

S.A.R.L. MULTI SERVICES 69

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Blandine LECOMTE, avocat au barreau de BORDEAUX

Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 juillet 2021 (R.G. n°F19/00702) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 31 juillet 2021

APPELANT :

[J] [T]

né le 11 Septembre 1981 à [Localité 29] (ALGERIE)

de nationalité Française

Profession : Agent d'entretien, demeurant [Adresse 10]

Représenté par Me Blandine LECOMTE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. MULTI SERVICES 69 Représentée par ses dirigeants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège [Adresse 9] / France

Représentée par Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON

Assistée de Me BAULON Lorène substituant Me ROUANET

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 23 mai 2024 en audience publique, devant Madame Valérie Collet, conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a retenu l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Madame Valérie Collet, conseillère,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

FAITS ET PROCÉDURE

Selon un contrat de travail à durée déterminée, la SARL Worknet Propreté a engagé M. [J] [T] en qualité d'agent d'entretien pour une période du 13 février 2014 au 9 mai 2014. Par avenant du 10 mai 2014 le contrat de travail a été renouvelé jusqu'au 9 août 2014. A compter du 11 juillet 2014, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Le contrat de travail de M. [T] a été transféré à la SARL Multi Services 69 qui a racheté la société Worknet Propreté.

Par courrier du 3 octobre 2017, la société Multi Services 69 a rappelé à M. [T] l'interdiction d'utiliser le véhicule de service pour ses déplacements personnels.

Par courrier du 9 octobre 2017, la société Multi Services 69 a notifié à M. [T] un premier avertissement pour ne pas avoir accompli la prestation d'entretien d'un magasin le 26 septembre 2017.

Le 10 janvier 2018, la société Multi Services 69 a notifié un deuxième avertissement à M. [T] pour ne pas avoir accompli la prestation d'entretien de deux magasins le 6 décembre 2017.

Par courrier du 27 mars 2018, la société Multi Services 69 a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de trois jours pour sanctionner l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles entre le 27 janvier 2018 et le 25 février 2018.

Par courrier du 27 avril 2018, la société Multi Services 69 a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 18 mai 2018.

Le 14 juin 2018, la société Multi Services 69 a notifié à M. [T] son licenciement pour, d'une part, ne pas avoir accompli sa prestation d'entretien de divers magasins et pour, d'autre part, avoir utilisé le véhicule de service pour ses déplacements personnels.

Contestant son licenciement, M. [T] a saisi, le 15 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Bordeaux afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'une indemnité pour violation de la procédure de licenciement.

Par jugement du 12 juillet 2021, le conseil a:

- dit que M. [T] n'a pas fait l'objet d'un licenciement abusif,

- débouté M. [T] de sa demande d'indemnité de licenciement,

- débouté M. [T] de sa demande d'indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement,

- débouté M. [T] de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

M. [T] a interjeté appel, le 31 juillet 2021, par voie électronique.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 janvier 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 1er février 2024 pour être plaidée.

Par arrêt du 21 mars 2024, la cour a ordonné la réouverture des débats et renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 23 mai 2024 tout en invitant les parties à conclure sur le moyen soulevé d'office tiré du non-cumul des sanctions disciplinaires s'agissant des faits d'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles qui auraient été commis en mars 2018 avant le prononcé de la mise à pied disciplinaire du 27 mars 2018 et qui sont visés dans la lettre de licenciement du 14 juin 2018.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Par conclusions notifiées le 29 octobre 2021 par voie électronique, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :

- dire qu'il a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Multi Services 69 à lui payer une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- subsidiairement, condamner la société Multi Services 69 à lui payer la somme de 1 860,49 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

- condamner la société Multi Services 69 à payer à Maître Blandine Lecomte la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient tout d'abord, sur le fondement de l'article L.1132-4 du code du travail, que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits. Il rappelle qu'il a été licencié le 14 juin 2018 et en conclut qu'aucun fait antérieur au 14 avril 2018 ne peut fonder son licenciement. Il précise que les derniers faits reprochés au titre de la non-réalisation des ménages remontent au 12 avril 2018 et au titre de l'utilisation du véhicule de société à des fins personnelles remontent au 26 mars 2018.

Il conteste ensuite la réalité des faits qui lui sont reprochés. Il explique que son employeur avait mis en place un système électronique de validation des interventions des salariés, que ce système a été défaillant, qu'il avait pris l'habitude de solliciter, dans la mesure du possible, la signature du personnel présent pour attester de la réalisation de sa prestation mais qu'il n'y avait pas tout le temps quelqu'un présent. Il affirme avoir accompli les prestations de ménage retenues par son employeur comme n'étant pas réalisées. Il estime que les deux attestations produites aux débats par l'employeur doivent être écartées comme ne respectant pas les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et que les deux emails, également produits par l'employeur, ne permettent pas de caractériser un manquement de sa part. Il ne conteste pas l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles mais se prévaut d'un usage en ce sens dans l'entreprise que les divers avertissements qu'il a pu recevoir n'ont pas anéanti. Il considère ainsi que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il fait valoir qu'il a subi un préjudice très important du fait de son licenciement et qu'il est aujourd'hui sans emploi.

Subsidiairement, il indique qu'il n'a pas été en mesure de s'expliquer, lors de l'entretien préalable, sur la totalité des faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement et qui étaient postérieurs à l'entretien. Il ajoute que la lecture de la lettre de convocation à un entretien préalable ne lui permettait pas de connaître la raison pour laquelle son employeur envisageait une sanction à son encontre. Il fait observer que la lettre de convocation ne fait pas mention du fait qu'il pouvait se faire assister par un conseiller du salarié, obligation pourtant prévue par l'article L.1232-4 du code du travail. Il affirme avoir été privé de la possibilité de préparer utilement son entretien mais aussi d'une chance de convaincre son employeur de renoncer à la mesure envisagée.

Par conclusions notifiées le 21 janvier 2022 par voie électronique, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société Multi Services 69 demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de :

- débouter M. [T] de toutes ses demandes,

- condamner M. [T] aux dépens,

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que les faits reprochés ne sont pas prescrits puisque la date à retenir est celle de la lettre de convocation à l'entretien préalable soit le 27 avril 2018 de sorte qu'elle pouvait invoquer des faits remontant au 27 février 2018. Elle ajoute que les faits postérieurs à l'entretien préalable peuvent justifier le licenciement dès lors qu'ils sont de même nature que ceux qui ont motivé les différents avertissements et le déclenchement des poursuites disciplinaires en vue d'un licenciement.

Elle prétend que les faits reprochés au salarié sont réels, affirmant qu'il n'a pas accompli la prestation de ménage dans différents magasins. Elle indique que le salarié n'a jamais fait part de la moindre défaillance du système électronique, qu'aucun autre salarié ne s'est retrouvé face à cette soit-disant difficulté, que le salarié ne justifie pas avoir accompli sa prestation de ménage les 9, 10, 11, 12 avril 2018 et qu'il n'a pas réalisé l'intégralité des interventions notées dans le planning ce qui engendrait une désorganisation totale de la tournée. Elle ajoute que le salarié ne démontre pas avoir accompli les 18 prestations listées dans le courrier de licenciement et qu'il n'était pas demandé au salarié de remplir un carnet mais simplement de faire signer par les clients des bons d'intervention sur un téléphone fourni par l'entreprise. S'agissant de l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles, elle conteste tout usage dans l'entreprise, rappelant qu'elle a racheté la société Worknet Propreté le 21 avril 2016 et que dès cette date, elle a clairement indiqué aux salariés l'interdiction d'utiliser le véhicule de service à des fins personnelles. Elle insiste sur le fait que les deux attestations qu'elle produit sont conformes à l'article 202 du code de procédure civile.

Elle expose que les très nombreux manquements du salarié ont largement détérioré l'image de la société auprès des clients de sorte que le licenciement était justifié.

Elle fait valoir que M. [T] ne peut pas prétendre à des dommages et intérêts correspondant à plus de 5 mois de salaire brut, ajoutant qu'il ne justifie d'aucun préjudice particulier ce qui doit conduire à rejeter sa demande indemnitaire.

Elle affirme avoir respecté la procédure de licenciement, précisant que les faits postérieurs à l'entretien préalable sont de même nature que ceux pour lesquels M. [T] a eu la possibilité de s'expliquer à plusieurs reprises. Elle ajoute qu'elle n'était pas tenue d'indiquer dans la lettre de convocation le motif de la sanction envisagée et que dans la mesure où l'entreprise détient des institutions représentatives du personnel, le salarié ne pouvait pas se faire représenter par un conseiller du salarié.

Par note en réponse au moyen soulevé d'office par la cour, notifiée par voie électronique le 16 avril 2024, la société Multi Services 68 soutient qu'au moment de la notification de la mise à pied disciplinaire, soit le 27 mars 2018, elle n'avait pas encore connaissance des faits commis par M. [T] au cours du mois de mars 2018. Elle précise qu'elle n'a eu connaissance que le 6 avril 2028 du fait que le salarié continuait d'utiliser le véhicule de service à des fins personnelles. Elle estime qu'en tout état de cause, l'absence de réalisation des prestations de nettoyages dans de nombreux magasins par le salarié permet à elle seule de retenir le bien-fondé du licenciement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

La charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse sur aucune des parties en particulier, le juge formant sa conviction au vu des éléments produits par chacun. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.

Enfin, en application de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Par engagement des poursuites disciplinaires il faut entendre en principe la convocation à l'entretien préalable lorsque celui-ci est obligatoire. C'est donc à cette date qu'il convient de se référer pour apprécier si le délai est ou non expiré.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 14 juin 2018 qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L. 1235-2, alinéa 2, du code du travail, est ainsi libellée :

« Monsieur,

Nous faisons suite à notre entretien préalable du vendredi du 18 mai dernier et vous indiquons notre décision de vous licencier pour les motifs qui vous ont étés exposés au cours de cet entretien et qui sont les suivants :

Le 18 avril nous avons reçu une plainte de notre client « Toscane », situé à [Localité 21]. En effet, vous n'êtes pas intervenu sur mars alors que cette intervention était bien programmée sur votre planning. Nous avons dû établir un avoir à notre client qui a engendré une baisse du chiffre d'affaires et un coût supplémentaire pour l'entreprise.

Le 13 mars, notre client « Gémo » situé à [Localité 23] nous a envoyé une doléance car nous n'intervenions plus depuis plusieurs mois alors qu'il est prévu d'intervenir 2 fois par mois.

Par votre comportement vous nuisez fortement à l'image de l'entreprise.

De plus, une semaine avant votre départ en congés, nous avons relevé un grand nombre de magasins non faits :

Le lundi 9 avril :

- Gémo ' [Adresse 6],

- Gémo ' [Adresse 7],

Le mardi 10 avril :

- JEFF DE BRUGES ' [Adresse 1],

- BOCAGE ' [Adresse 5],

- GEMO ' [Adresse 11],

- TEXTO ' [Adresse 2],

Le mercredi 11 avril :

- GEMO ' [Adresse 24],

- GEMO ' [Adresse 20],

- ERAM ' [Adresse 8],

- GEMO ' [Adresse 14],

Le jeudi 12 avril :

- JENNYFER ' [Adresse 4],

- ARMAND THIERRY ' [Adresse 3],

- GEMO ' [Adresse 22],

- TOSCANE ' [Localité 21],

- GEMO ' [Adresse 19],

- GEMO ' [Adresse 31], - GEMO ' [Adresse 12], - GEMO ' [Adresse 25].

Nous n'avons jamais reçu les bons d'interventions pour ces magasins. Par conséquent, nous ne pouvons pas facturer nos clients. Ces négligences pénalisent fortement l'entreprise.

Le 27 mars, nous avions relevé par écrit un nombre important d'utilisation du véhicule professionnel à titre personnel sur janvier et février. Votre responsable, Monsieur [V] [Y] et votre chef d'équipe Monsieur [E] [X] vous ont indiqué oralement qu'il était strictement interdit d'utiliser le véhicule de société à des fins personnelles. Nous vous avons également mis en garde par écrit le 03 octobre 2017 sur cet état de fait.

De nouveau, nous avons constaté que vous aviez continué d'utiliser le véhicule de société pour vos déplacements personnels :

- Le vendredi 2 mars entre 18h57 et 21h13 : pour vous rendre « [Adresse 17] » à [Localité 16],

- Le samedi 3 mars et dimanche 4 mars entre 12h37 et 02h56 et de 18h48 et 21h18, - Le lundi 5 mars entre 17h41 et 23h07,

- Le mardi 6 mars entre 18h53 et 22h45 : pour vous rendre « centre Commercial du Lac ' [Adresse 17] » à [Localité 16],

- Le mercredi 7 mars entre 17h43 et 21h21,

- Le jeudi 8 mars entre 17h51 et 20h18,

- Le vendredi 9 mars entre 23h48 à 02h10,

- Le samedi 10 mars entre 12h09 et 04h45,

- Le dimanche 11 mars de 15h35 à 18h45,

- Le lundi 12 mars de 19h13 à 21h08,

- Le samedi 17 mars de 16h03 à 03h35,

- Le dimanche 25 mars de 20h01 à 21h39,

- Le lundi 26 mars de 20h16 à 23h29,

Votre comportement représente un coût financier pour l'entreprise car elle paie le carburant et l'entretien du véhicule servant à vos déplacements personnels.

A la suite de notre entretien du 18 mai dernier, nous avons de nouveau été alertés par votre chef d'équipe, Monsieur [E] [X], également pour des magasins non faits :

Le 25 mai, le magasin « Jeff de Bruges » [Adresse 15] à [Localité 16] n'a pas été effectué,

Le 29 mai les magasins suivants n'ont pas été effectués :

- Gémo à [Localité 13],

- Gémo à [Localité 27],

- Bocage à [Localité 26].

Le 30 mai les magasins suivants n'ont pas été effectués :

- Gémo à [Localité 30],

- Gémo à [Localité 28].

Le 28 mai, vous avez nettoyé la vitrerie du magasin « La Halle » à [Localité 18]. Vous deviez également réaliser un spray dans le même magasin mais celui-ci n'a pas été effectué !

Vous ne respectez aucunement votre planning. Lorsque votre chef d'équipe vous a contacté afin de vous demander de terminer votre tournée, vous lui avez simplement répondu « non je vais finir trop tard » alors que vous aviez terminé votre magasin depuis 14h09.

Monsieur [P] [L] qui vous a remplacé durant vos congés payés n'a eu aucune difficulté à suivre le planning. Par votre comportement, vous nuisez fortement à l'image de l'entreprise car nous prenons rendez-vous pour les interventions alors que vous ne vous présentez pas dans les magasins.

En conséquence, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement. Ce dernier prendra effet à la date de présentation du présent courrier, à compter de cette date vous bénéficierez d'un préavis de deux mois. Au terme de votre préavis, vous percevrez votre solde de tout compte, l'indemnité compensatrice de congés payés, l'indemnité de licenciement et les documents nécessaires à votre inscription auprès de Pôle Emploi. [...] ».

La société Multi Services 69 reproche donc à M. [T] deux types de comportement : le défaut d'accomplissement de certaines prestations de nettoyage et l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles.

S'agissant de ce second grief, il est vain pour le salarié de prétendre que les faits reprochés seraient prescrits dès lors que le dernier fait retenu est daté du 26 mars 2018, que l'employeur justifie n'avoir eu connaissance que le 6 avril 2018 des utilisations par M. [T] du véhicule de service à des fins personnelles au cours du mois mars 2018 et que l'employeur a engagé la procédure disciplinaire le 27 avril 2018 soit dans le délai de deux mois.

Aux termes de ses écritures, M. [T] indique expressément qu'il ne conteste pas avoir utilisé le véhicule de service à des fins personnelles, et ne conteste pas les dates indiquées dans la lettre de licenciement.

Par ailleurs, si le salarié se prévaut d'un usage au sein de la société depuis sa prise de fonction en 2014, la cour observe que M. [T] ne produit aucun élément pour étayer ses allégations. Cet usage est d'autant moins établi que M. [T] a fait l'objet de deux sanctions disciplinaires pour des motifs similaires, sans aucune contestation de sa part, et plus précisément :

- d'un rappel à l'ordre par courrier du 3 octobre 2017 dans lequel son employeur lui indiquait 'il apparaît que vous avez utilisé le véhicule de service pour vos déplacements personnels et ce à plusieurs reprises. Nous vous rappelons qu'il est strictement interdit d'utiliser ce véhicule en dehors des déplacements professionnels',

- d'une mise à pied disciplinaire de trois jours prononcée le 27 mars 2018 pour avoir utilisé le véhicule de service à des fins personnelles chaque week-end, de jour comme de nuit, entre le 27 janvier 2018 et le 25 février 2018.

Le grief tenant à l'utilisation du véhicule de service à des fins personnelles, tel que reproché dans la lettre de licenciement, est donc matériellement établi. La cour considère qu'il suffit à lui-seul à justifier le licenciement de M. [T], qui bien qu'ayant été rappelé à l'ordre, a continué délibérément à utiliser le véhicule de service pour son usage privé ce qui constitue un manquement répété aux directives de son employeur, lequel supporte, en outre, indûment le coût financier d'une telle utilisation.

Le licenciement de M. [T] repose donc sur une cause réelle et sérieuse de sorte qu'il y a lieu de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner le second grief évoqué dans la lettre de licenciement. Le jugement entrepris est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur la demande indemnitaire au titre de la régularité de la procédure de licenciement

Selon l'alinéa 5 de l'article L.1235-2 du code du travail :

'Lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L.1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.'

En l'espèce, il importe peu que M. [T] n'ait pas pu, lors de l'entretien préalable, s'expliquer sur des faits postérieurs à cet entretien dès lors d'une part que les faits postérieurs évoqués étaient de même nature que ceux pour lesquels il a pu s'expliquer et d'autre part, que le salarié a pu s'expliquer sur la totalité des faits reprochés d'utilisation personnelle du véhicule lors de l'entretien préalable.

Si, en application de l'article R.1232-1 du code du travail, la lettre de convocation à l'entretien préalable, doit contenir la date, l'heure et le lieu de l'entretien et indiquer, selon l'article L.1232-2 du code du travail, l'objet de la convocation, aucun texte n'impose à l'employeur de mentionner les motifs pour lesquels le licenciement est envisagé dans la lettre de convocation. C'est donc tout à fait vainement que M. [T] se prévaut d'une irrégularité de la procédure de licenciement à ce titre puisque la lettre du 27 avril 2018 mentionne qu'une mesure de licenciement est envisagée et qu'un entretien préalable est fixé 'le vendredi 18 mai 2018 à 14h30 dans les locaux de l'entreprise, situés [Adresse 9]'.

Il est enfin inopérant pour M. [T] de prétendre qu'il n'a pas été informé de la possibilité de se faire assister par un conseiller représentant des salariés inscrit sur la liste départementale puisque la mention d'une telle possibilité n'est exigée, selon l'article L.1232-4 du code du travail que lorsqu'il n'y pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise. Or, au cas particulier, la société Multi Services 69, dont il n'est pas contesté qu'elle était dotée d'institutions représentatives du personnel, a respecté son obligation d'information puisque la lettre portant convocation à l'entretien préalable mentionne que M. [T] a la possibilité de se faire assister par une personne de son choix appartenant obligatoirement au personnel de l'entreprise.

La procédure de licenciement de M. [T] est donc régulière de sorte que sa demande d'indemnité doit être rejetée. Le jugement entrepris est par conséquent confirmé de ce chef.

Sur les frais du procès

Compte tenu de la solution du litige, le jugement mérite confirmation en ce qu'il a condamné M. [T] aux dépens et l'a débouté de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. [T] qui succombe en cause d'appel doit en supporter les dépens et être en conséquence débouté de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

La situation économique des parties et l'équité commandent de rejeter la demande de la société Multi Services 69 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 12 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [J] [T] aux dépens d'appel,

Déboute M. [J] [T] de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

Déboute la SARL Multi Services 69 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 21/04506
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;21.04506 ?
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