COUR D'APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 11 JUILLET 2024
EB
N° RG 24/01285 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NV3P
S.A. CAIXABANK
c/
[D] [S]
S.A. BANQUE CIC SUD OUEST
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE MISE EN ETAT
JONCTION AVEC DOSSIER RG 24/00835
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 06 février 2024 par le Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 23/02098) suivant déclaration d'appel du 23 février 2024 (RG 24/00835) et assignations à jour fixe des 06 et 11 mars 2024 (RG 24/01285)
APPELANTE et demanderesse sur assignation à jour fixe :
S.A. CAIXABANK SA Espagnole immatriculée au RCS de Valence (Espagne) sous le n° Feuille V - 178351, Volume 10370 Folio 1, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es-qualité audit siège sis [Adresse 5] (ESPAGNE)
représentée par Maître Eric FOREST, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Claude LAROCHE de la SELARL CABINET SABBAH & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉS et défendeurs sur assignation à jour fixe :
[D] [S]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 4]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 3]
représenté par Maître Morgane VIGNAUD, avocat postulant au barreau de LIBOURNE, et assisté de Maître Arnaud DELOMEL, avocat plaidant au barreau de RENNES
S.A. BANQUE CIC SUD OUEST prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es-qualité audit siège social sis [Adresse 2]
non représentée, assignée à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2024 en audience publique, en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Paule POIREL, Président, et Monsieur Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Paule POIREL, Président
Mme Bérengère VALLEE, Conseiller
M. Emmanuel BREARD, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Dans le cadre d'un projet d'investissement dans une résidence d'hébergement médicalisé pour senior, M. [D] [S] a réalisé, depuis ses comptes ouverts dans les livres de la Banque CIC Sud-Ouest, plusieurs virements au profit de 'CICA GROUPE SENIORS', dont l'un d'un montant de 56.236 euros le 23 décembre 2021, réceptionné sur un compte domicilié en Espagne au sein des livres de la société Caixabank SA.
Exposant avoir en réalité été victime d'une escroquerie, M. [D] [S] a, par acte délivré les 24 février et 2 mars 2023, fait assigner la SA Banque CIC Sud-Ouest et la société de droit espagnol Caixabank SA devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d'indemnisation de son préjudice matériel à hauteur de 56.236 euros, et de son préjudice de jouissance.
Par conclusions adressées au juge de la mise en état, la société Caixabank SA a soulevé un incident de mise en état, aux fins notamment de voir déclarer incompétent le tribunal judiciaire de Bordeaux saisi du litige l'opposant à M. [S], au profit des juridictions espagnoles.
Par ordonnance du 6 février 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- rejeté l'exception d'incompétence du tribunal judiciaire de Bordeaux soutenue par la société de droit espagnol Caixabank SA,
- réservé les dépens ;
- débouté M. [D] [S], la SA Banque CIC Sud-Ouest et la SAS Caixabank de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné le renvoi du dossier à la mise en état continue du 3 avril 2024 pour conclusions de la SA Caixabank, et invite les parties à s'expliquer sur le droit applicable au fond du litige opposant M. [S] et la SA Caixabank.
La société espagnole Caixabank SA a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 23 février 2024, dans les termes suivants :
'Caixabank SA sollicite l'infirmation complète de cette décision, notamment en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence territoriale qu'elle soulevait au profit des juridictions espagnoles.'
Par ordonnance du 28 février 2024, la société Caixabank SA a été autorisée à assigner à jour fixe M. [D] [S] et la SA Banque CIC sud-Ouest, pour l'audience du 21 mai 2024 à 14h, devant la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Bordeaux.
Par dernières conclusions déposées le 13 mai 2024, la société Caixabank SA demande à la cour de :
- recevoir la société Caixabank SA en ses demandes et l'y déclarer bien fondées.
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 6 février 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Et,
- juger que le tribunal judiciaire de Bordeaux est territorialement incompétent pour connaître de ce litige dans le rapport opposant M. [S] à la Société Caixabank SA, lequel relève de la compétence des juridictions espagnoles.
Ce faisant,
- juger que la Société Caixabank SA est recevable et bien fondée en son exception d'incompétence territoriale et qu'il appartient à M. [S] de mieux se pourvoir à l'encontre de la Société Caixabank SA.
- débouter M. [S] de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la Société Caixabank SA.
- débouter le CIC Sud Ouest de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la Société Caixabank SA.
En tout état de cause,
- condamner M. [S] à payer à la Société Caixabank SA la somme de 5.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner M. [S] aux entiers dépens, lesquels pourront être recouvrés par Maître Éric Forest, avocat au barreau de Bordeaux, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées le 2 avril 2024, M. [S] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance rendue le 6 février 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux.
- condamner la société Caixabank S.A. à verser à M. [S] la somme de 2.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
La SA Banque CIC Sud-Ouest n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée à jour fixe par acte délivré le 6 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence
La SA CaixaBank approuve l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'elle a considéré que le lieu de matérialisation du dommage se situe en Espagne, mais reproche à cette décision d'avoir retenu l'existence d'un lien de connexité suffisant entre les demandes dirigées à l'encontre des deux établissements bancaires, à savoir la banque française CIC Sud-Ouest et la banque espagnole CaixaBank. Cette dernière estime que M. [S] ne caractérise pas une identité de fait et de droit entre l'ensemble des parties. L'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions et demande qu'il soit jugé que le tribunal judiciaire de Bordeaux est incompétent pour connaître du litige et que M. [S] soit renvoyé à mieux se pourvoir.
M. [S] demande la confirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions, faisant valoir que la pluralité de défendeurs lui permet d'assigner les deux établissements bancaires devant la même juridiction en présence d'un lien de connexité. Il soutient en effet que les fondements juridiques visés dans son action sont identiques pour les deux banques, qu'il met en cause sur la base d'une même opération et que dès lors, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de juger ces actions en responsabilité ensemble.
1. Sur le lieu du fait dommageable
En application de l'article 7, 2), du règlement Bruxelles I bis n°1215/2012, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.
Il est de jurisprudence européenne constante que l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu de matérialisation du dommage et le lieu de l'événement causal (CJCE, Mines de potasse d'Alsace, 30 novembre 1976).
En l'espèce, M. [S] reprochant à la CaixaBank d'avoir manqué à son obligation de vigilance lors de l'ouverture du compte bancaire frauduleux dans ses comptes, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, le fait générateur de la responsabilité alléguée de la CaixaBank, correspondant au lieu de l'événement causal allégué, se situe en Espagne.
S'agissant du lieu de matérialisation du dommage, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que, dès lors que l'appropriation indue des fonds a eu lieu, non pas sur le compte bancaire français de l'émission du virement, mais sur le compte espagnol bénéficiaire des fonds virés depuis le compte français, le lieu de matérialisation du dommage allégué par M. [S] est également situé en Espagne, de sorte que la compétence du tribunal judiciaire de Bordeaux doit être écartée sur ce point.
2. Sur l'existence d'une connexité
Aux termes de l'article 8, 1), du même règlement Bruxelles I bis n°1215/2012, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
En l'espèce, l'action engagée par M. [S] consiste en une demande de condamnation in solidum des deux établissements bancaires, l'un français, le CIC Sud-Ouest, détenteur du compte émetteur du virement, et l'autre espagnol, la CaixaBank, détenteur du compte bénéficiaire du virement, sur le fondement d'un manquement à leur obligation de vigilance dans le cadre du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), le demandeur exposant que la faute de chacun des établissements bancaires a contribué à la réalisation de son entier dommage.
Ainsi, les demandes formulées au fond contre les deux établissements bancaires se rapportent aux mêmes faits, tendent à une fin indemnitaire identique et les manquements qui leur sont reprochés posent des questions communes, qui appellent des réponses coordonnées, notamment quant à la responsabilité éventuelle de chaque établissement bancaire au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice.
Dès lors, il résulte de ces éléments un lien de connexité suffisant, de sorte que pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions si les demandes étaient examinées par des juridictions distinctes, il y a lieu d'instruire et de juger ensembles les demandes formulées à l'encontre des deux établissements bancaires.
En outre, il ne saurait être soutenu par la CaixaBank que cette action devant les juridictions françaises était pour elle imprévisible, dès lors qu'elle s'inscrit dans un réseau bancaire européen et international, qu'elle détient ou a détenu dans ses livres de virements provenant de France ou d'autres pays, susceptibles d'avoir un caractère frauduleux et d'occasionner des litiges à l'étranger.
L'ordonnance du juge de la mise en état qui a rejeté l'exception d'incompétence soutenue par la société de droit espagnol CaixaBank SA devra en conséquence être confirmée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. En l'espèce, la société CaixaBank sera condamnée à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, la société CaixaBank supportera la charge des entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme l'ordonnance rendue le 6 février 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant,
- Condamne la société de droit espagnol CaixaBank SA à payer à M. [S] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société de droit espagnol CaixaBank SA aux entiers dépens de la présente instance.
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,